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Pour me conformer au plan que je me suis prescrit, j'abrège les détails de cette scène entre Rousseau et ses sectateurs. Elle dura plusieurs heures, pendant lesquelles il put développer tout à son aise les merveilleux secrets de sa philosophie. Nous en avons déjà vu quelques-uns : en voici d'autres plus profonds et dont il a fait constamment usage.

J'ai vu l'esprit de mon siècle, a dit ce grand philosophe, et j'ai publié mes livres. Que faut-il pour faire effet sur mes contemporains? débiter des généralités imposantes, des paradoxes brillants, des singularités hardies; embellir des lieux communs, prendre sous les dehors du scepticisme et d'une grande défiance de soi-même, un ton tranchant et dogmatique, et tenir sans cesse son imagination montée à l'enthousiasme : or quels livres réunissent dans un degré plus éminent que les miens, tous ces genres de mérite? le vulgaire va donc tomber à mes pieds. J'aurai des adversaires sans doute; je dois m'y attendre. Entrerai-je en lice avec eux? Non certes, pour toute réponse je leur déclarerai que je les méprise. Si mes ouvrages vous déplaisent, leur dirai-je, « dites-le à > tout l'univers; mais ne venez pas me le dire à » moi, car je sens que de ma vie, je ne pourrois » vous estimer.» (Nouv. Hél. Préf.) Il faudra bien alors qu'ils gardent le silence, ou le public subjugué par cet arrêt, ne verra en eux que des

sots. Je sais bien que les gens sensés riront de ma conduite, que je ne serai à leurs yeux qu'un adroit et peut être un vil charlatan : mais que m'importent leurs suffrages? Est-ce à leur petit nombre que que je me propose de plaire? J'ai une voie plus courte et moins pénible pour arriver à la célébrité je flatte l'orgueil; j'irrite le mécontentement de la classe inférieure de la société, qui est la plus nombreuse : combien d'intérêts je mets dans mon parti ! Et les jeunes gens ! les femmes ! j'ébranle leur imagination, j'émeus leurs sens, je donne à leurs passions favorites le ton et l'air des vertus ; c'en est assez, je compterai parmi eux des milliers d'enthousiastes ; ce sera un torrent qui en peu de temps entraînera tout : et comment résister à l'impétuosité de son cours? je captive l'entendement de mes lecteurs à l'aide de leur imagination que je tiens dans un continuel enchantement; je remue selon le besoin tantôt avec violence, tantôt d'une manière imperceptible et toujours avec une persévérance infatigable, ce fonds de corruption qui fermente sourdement dans leurs cœurs. Tous me suivront aveuglément comme leur ami, leur guide, et leur maître. O bon Jean-Jacques! comme tu vas rire en toi-même, lorsque tu verras la multitude des dupes que tu auras attachées à ton char.

C'étoit dans le lieu le plus secret de son cœur et seulement pour son usage, que Rousseau avoit

fait tous ces calculs : il n'eût garde d'en faire confidence à ses partisans; entre complices, il n'est pas toujours à propos de se dire tout : mais ces calculs perçoient dans tous ses discours, et rien n'étoit plus facile que de les découvrir. Plusieurs de ses auditeurs en ont fait depuis leur profit, et on ne peut les en blâmer: car ils étoient de la plus grande justesse; ce qui le prouve, c'est l'engouement excessif que Rousseau a produit, et qui dans certaines têtes est allé jusqu'au délire. Son parti si considérable de son vivant, et quelques temps encore après sa mort, a bien diminué depuis quelques années. Les prestiges du paradoxe peuvent éblouir au premier coup-d'œil, mais il n'appartient qu'à la vérité d'avoir des charmes durables. Notre révolution entreprise sous les auspice de ce philosophe devoit porter sa gloire au plus haut degré d'élévation, et affermir à jamais les autels qu'une espèce de fanatisme lui avoit érigés; et c'est notre révolution elle-même, qui, hâtant pour lui les momens de la justice, a renversé ces autels et la statue. Une foule de gens ont vu le mal qu'il a fait et ils l'ont apprécié : d'autres l'ont abandonné pour des raisons différentes, mais également décisives. Ils ont jugé qu'avec lui il n'y a pas à gagner autant qu'ils le désireroient à renoncer au christianisme ils ne le trouvent pas assez philosophe. Ainsi tout s'est tourné contre lui, amis et ennemis de la morale et de l'ordre public.

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Quoi donc dira-t-on, ce Rousseau si admiré autrefois n'étoit-il qu'un homme sans talens? Je suis loin de le prétendre. Il avoit une imagination capable de tout animer et de tout embellir, une grande éloquence de style et même une excellente logique, lorsqu'il raisonnoit d'après de bons modèles.

CHAPITRE VIII.

Fin de la sixième séance.- Emportemens de Voltaire contre Rousseau.-Sa philosophie. lui font élever ses sectateurs.

Statue que

REVENONS à l'antre où nos philosophes rassemblés partie athées, partie déistes, car tous les déistes n'avoient pas suivi Rousseau, continuoient à conspirer contre Dieu et contre la société. Nous les avons laissés dans une violente agitation. Voltaire sur-tout, éprouvoit des mouvemens convulsifs sa bouche écumoit de rage. Malgré la bizarrerie de ses paradoxes, Rousseau montroit de l'éloquence et du génie; il avoit un parti nombreux : ce sont des torts qu'un chef de secte ne pardonne pas. Je suis outré, dit le grand-homme à d'Alembert, contre ce bátard du chien de Diogène. (4 mai 1759.) — Je le suis autant que vous, répondit celui-ci, mais l'intérêt de la philosophie

demande que vous vous modériez. Ne voyez-vous pas qu'il jette de bonnes pierres à l'infàme. > Sans vous montrer, formez dans Genève » un parti contre lui et contre ses livres. »

(31 juillet 1762.) — J'y consens; mais pour décharger ma bile, il faudra que je fasse la Guerre civile de Genève. Vous verrez comme j'y habillerai ce polisson. Je tracerai une peinture si dégoûtante de sa personne, de ses maladies, de ses infirmités, que personne ne sera tenté de lire ses ouvrages.

En même temps, il se leva pour réfuter et

tourner en ridicule les sentimens de Rousseau : ce qui n'étoit pas bien difficile. Il le fit d'abord avec exactitude et avec décence; mais insensiblement il se laissa entraîner par sa passion, et après avoir commencé par des plaisanteries fines et légères, il finit par des injures grossières et atroces. De là, il revint à la philosophie. Il récita la première partie de son poëme de la loi naturelle, où il prouve que Dieu a gravé en nous les idées de justice, les notions du bien et du mal moral et la seconde partie de ce même poëme où il réfute les objections que Hobbes, Spinosa et d'autres philosophes ont faites, contre ces vérités. Malgré son excessive admiration pour Locke, il lui reprocha comme une erreur d'avoir eu une opinion contraire à celle qu'il venoit d'établir. «J'ai été » étonné, dit-il, de trouver dans le chapitre des

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