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le manichéisme. Héritiers de vieilles doctrines orientales et, pour préciser, de doctrines persanes, les manichéens essayèrent aussi de s'introduire dans la religion chrétienne : ils prétendirent même la comprendre et l'honorer mieux qu'on ne le faisait en dehors d'eux. Ils comptaient d'abord au profit de leurs idées tout ce que l'Évangile disait du démon. Puis ils accusaient le plus fortement possible l'opposition que les marcionites avaient déjà cru voir entre l'Ancien et le Nouveau Testament: c'est même sur ce dernier point que les Pères les ont le plus souvent combattus. J'ai cité plus haut un passage de saint Cyrille que plusieurs commentateurs, ai-je dit, ont cru dirigé contre les ébionites. D'autres l'appliquent aux manichéens. En tout cas, ce sont bien les manichéens que vise saint Epiphane quand il défend contre l'hérésie, non pas l'identité absolue, mais l'accord des deux Testaments. « Les manichéens, dit-il, prétendent que le premier indique la richesse comme un don de Dieu et un signe qu'on est aimé de lui, tandis que le second loue et recommande la pauvreté. » Mais il n'y a dans les textes sacrés aucune contradiction. « Les hommes qui possèdent justement peuvent être pauvres en esprit, s'ils ont la modération et l'humilité. Dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, le

1. S. Epiphane, Ad hæreses, 11, 66. Édit. Migne, t. II, 155.

pauvre est félicité pour sa piété, le riche pour

sa justice. »

L'effort principal des Pères end done à bien démontrer, contre les partisans du manichéisme, que rien n'autorise à partager la création en choses naturellement bonnes et en choses naturellement mauvaises. Pour un observateur très superficiel, il peut sembler qu'hérétiques et orthodoxes s'entendent au moins dans l'éloge de la virginité et dans celui de la pauvreté. Mais saint Augustin marque avec une énergie, on est tenté de dire avec une violence heureuse, le dissentiment qui sépare la fausse doctrine de la véritable : « Ni la virginité ni la pauvreté ne sont des choses bonnes en elles-mêmes; elles ne sont bonnes que si elles sont dirigées avec rectitude vers une fin raisonnable. La mule aussi est une vierge! (Mula quoque virgo est!') » C'est bien encore aux manichéens qu'il s'adresse expressément et directement dans son opuscule sur les mœurs de l'Église catholique 2: << Pourquoi venez-vous imposer au monde en disant que ceux qui sont fidèles et qui ont été renouvelés par le baptême ne doivent ni se marier ni posséder des terres, des maisons ou de l'argent? Saint Paul permet de le faire!... Ne dites donc plus qu'il est permis aux catéchumènes d'user de leurs femmes et qu'il ne l'est pas permis aux

1. Des mœurs des manichéens, liv. III. 2. Chap. xxxv.

fidèles, qu'il est permis aux catéchumènes d'avoir de l'argent et qu'il ne l'est pas aux fidèles. Saint Paul le permet. »

Ainsi, les manichéens ne se bornaient pas à un enseignement théorique. Ils prêchaient d'exemple en se vantant de ne posséder ni maisons, ni argent, ni femmes. Et néanmoins, écrit naïvement Tillemont, « ils mangeaient bien et beaucoup », parce qu'en consommant des produits de la terre, ils aidaient à la dissolution des liens matériels dans lesquels étaient emprisonnés des fragments de l'esprit. Il est clair que s'ils eussent eu le pouvoir de le faire, ils eussent voulu imposer tout leur système et rebâtir la société humaine selon leurs idées. En Perse, si l'on en croit Procope1, «< ils avaient essayé de reprendre tous les biens à leurs possesseurs pour faire une nouvelle répartition ».

On pourrait suivre à travers les premiers siècles. et dans tout le cours du moyen âge les destinées souvent interrompues, souvent reprises de ces doctrines communistes. Elles disparaissent, elles semblent s'effacer, puis elles renaissent à la parole d'un hérésiarque, et elles se propagent dans certaines foules, à peu près comme se propagent de nos jours les prédications de l'Armée du Salut. Successivement, les Pères ou historiens ecclésiastiques nous signalent les messaliens qui, selon

1. Voir Beausobre, Histoire du manichéisme, 11, 805.

saint Épiphane, voulaient prendre au pied de la lettre et appliquer absolument à tous les hommes les textes évangéliques sur la pauvreté. « Ils couchaient pêle-mêle dans les rues, hommes et femmes, et condamnaient le travail des mains. comme mauvais. » Le même Père nomme encore les adamites, qui voulaient replacer l'humanité dans l'état d'Adam avant la chute : ils poussaient ce désir de restauration jusqu'à vouloir établir l'usage public de la nudité. Quelques théologiens rattachent ces adamites à Carpocrate; puis, par une filiation qui n'est pas invraisemblable, ils nous les montrent survivant dans les beggards des x et xe siècles, dans les turlupins ou pauvres frères du xivo, dans les picards du xvo : tous constituant des espèces de cyniques chrétiens, allant nus, prêchant la communauté, encombrant et infestant les rues et les chemins, prenant quelquefois les armes et provoquant ainsi la répression des pouvoirs civils. On a discuté beaucoup sur ces successeurs des manichéens et des gnostiques, dont quelques-uns, comme les priscillianites, semblent réveiller aujourd'hui même quelques échos qui méritent qu'on les écoute 1. On a dit que, lorsqu'en face d'un clergé trop enrichi et parfois corrompu, un homme éloquent voulait raviver les souve

1. Voir, dans le Temps des 17 et 18 février 1891, un travail de M. le sénateur A. Lavertujon sur Priscillien. Voir aussi Journal des Savants, février 1891.

nirs de la primitive Église et rappeler les hommes aux pratiques de l'ascétisme, celui-là s'attirait aussitôt de redoutables ennemis; c'était, ajoute-t-on, un moyen commode de se débarrasser de lui et de sa gênante prédication que de l'accuser de gnosticisme et de manichéisme. Nous n'avons nullement besoin de rentrer dans ces controverses les questions de personnes ne sont point ce qui nous touche le plus. Peu importe à nos recherches que tel ou tel individu ait plus ou moins trempé dans la restauration du dualisme, qu'il ait réellement fondé ses pratiques d'austérité sur une condamnation absolue des biens de la terre. Ce qui, surtout, nous intéresse, c'est que partout où les chefs autorisés de l'Église trouvaient des tentatives de communisme, ils cherchaient à les extirper comme des rejetons des vieilles hérésies 1; ce qui nous intéresse encore vivement, c'est de voir que, dans les accusations portées contre les gens sus

1. Au concile de Braga (560), les principales propositions condamnées furent les suivantes :

<< Si quelqu'un condamne le mariage et a la génération en horreur, à l'exemple des manichéens et des priscillianites; « Si quelqu'un dit que la formation des corps terrestres est une œuvre du démon;

« Si quelqu'un dit que la création de la chair n'est pas en général l'œuvre de Dieu, mais celle des mauvais anges, ainsi que l'ont prétendu les manichéens et les priscillianites;

<< Si quelqu'un déclare impures les viandes que Dieu a données à l'homme pour sa nourriture et s'abstient d'en manger, non pour châtier le corps, mais à cause de cette prétendue impureté, comme l'ont fait les manichéens et les priscillianites.... >>

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