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Le Paraguay.

L'éloge

l'éloge de la vie sauvage. qu'en ont fait Montesquieu, Chateaubriand, etc. La superstition de la vie dite primitive et la superstition des républiques de l'antiquité.

L'explosion de doctrines socialistes qui ébranla tant d'États vers 1848 avait déterminé un mouvement d'idées dont nous aurons bientôt à mesurer l'étendue. Non contents de préparer un avenir qu'ils se représentaient sous les couleurs les plus séduisantes, beaucoup de socialistes sincères voulaient faire à leur école un passé digne d'elle. C'est alors qu'on inventa le socialisme des Pères de l'Église on lut leurs écrits à la fumée du combat ; ce qui fit qu'on les lut vite et qu'on n'y vit pas très clair. On attribuait à tel Père un texte hérétique qu'il ne citait que pour le condamner, quelques lignes plus bas, dans les termes les plus vifs; on rendait un pape responsable, que dis-je! on le félicitait, on le glorifiait d'une prétendue lettre communiste, invention d'un faussaire connu. J'ai montré que ces erreurs avaient encore cours au moment présent dans un certain nombre de milieux, et j'ai fait ce que j'ai pu pour les dissiper.

Quant à la longue période qui va des Pères de l'Église à l'époque contemporaine, les publicistes dont je viens de parler ne furent généralement pas si empressés de s'y chercher des ancêtres chrétiens. Il était convenu, au contraire, que, depuis le moyen âge jusqu'à nos jours (une ou

deux exceptions mises à part), l'esprit du christianisme avait été étouffé sous l'égoïsme des classes dites supérieures et sous la tyrannie des gouvernements trop loués, trop encouragés par l'Église. Est-ce une raison pour que, de notre côté, nous délaissions ces siècles intermédiaires? Nullement! Sans idée préconçue nous cherchons quelle a été, sur les principales questions sociales, la tradition de ceux qui ont eu quelque autorité dans l'Église chrétienne. Où chercher le fond permanent de cet enseignement? Où découvrir les germes nouveaux destinés à se développer avec cette lenteur séculaire qui prépare souvent de si loin l'éclosion de certaines idées?

I

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Les docteurs de la scolastique il nous suffira d'insister sur saint Thomas — n'ont plus à fixer, en ces matières, l'enseignement de l'Église. Ils s'efforcent de concilier cet enseignement avec les monuments retrouvés de la philosophie naturelle1; puis ils cherchent à accommoder le tout aux besoins de la société vue d'un peu loin, vue, par exemple, de la paix du cloître et des hauteurs de l'abstraction.

Prenons quelques exemples saillants. Saint

1. De même qu'ils cherchent à concilier le dogme chrétien avec toute la métaphysique d'Aristote.

Thomas pose que 1 bonheur, donc le bonheur de chacun, le bonheur individuel (car il est inutile de prouver que la béatitude est une fiction, si elle n'est pleinement goûtée par une conscience et une individualité tout à fait distinctes). Mais saint Thomas entend concilier ce principe avec cet autre, que la vie humaine est par-dessus tout une vie sociale; et il s'appuie souvent sur cette seconde idée pour conclure que les exigences de la, vie sociale doivent faire plier, s'il le faut, toutes les autres devant elles.

le but de la vie est le

Dans l'ensemble du droit, il essaye de superposer un certain nombre de droits distincts et indépendants, de telle sorte que le magistrat, par exemple, n'ait rien à voir dans le droit paternel, dans le droit dominical (droit du maître) et dans le droit conjugal; d'autre part, il soutient avec Aristote que l'éducation doit être une dans la cité.

Il veut de même concilier un droit absolu (simpliciter), dans lequel tous les hommes, en tant qu'hommes, seront libres et un droit relatif (secundum quid), dans lequel il fait ouvertement place à l'esclavage.

Tout droit est dominé par l'idée de justice. Mais saint Thomas reconnaît deux sortes de justice la justice commutative, qui veut l'éga

1. Voir surtout Summa, 1a 2, et Exposition.

lité absolue (fais-moi ce que tu veux que je te fasse, ne me fais pas ce que tu ne veux pas que je te fasse...), et la justice distributive, au nom de laquelle des avantages inégaux sont accordés aux uns et aux autres, en raison de l'inégalité de leur valeur et de leurs services. Ces deux justices, il faut les concilier.

Il le faut, parce qu'elles correspondent à un double principe métaphysique : l'égalité des âmes devant Dieu par leur forme, qu'elles tiennent de Dieu même, et l'inégalité de leurs personnes, chez qui c'est la matière, empruntée au monde sensible,. qui constitue l'individualité proprement dite.

Enfin saint Thomas veut concilier le principe, que c'est la vertu ou la raison qui doit commander, avec cet autre, que la «< multitude » étant la fin à laquelle tout doit être rapporté dans la société, c'est à la multitude qu'il appartient de faire la loi c'est elle qui est le véritable souverain, et ceux qui exercent le pouvoir ne le font que par sa délégation, pour elle et en son nom.

Que cet effort de conciliation ait abouti, sur tous les points importants, à des résultats d'une grandeur et d'une solidité imposantes, c'est ce que prouve, à elle seule, l'universelle renommée de saint Thomas. A-t-il failli sur quelques points? Il est permis de croire qu'il eût pu se dispenser d'admettre l'esclavage comme un fait inévitable et l'unité de l'éducation dans un État

comme un bienfait digne de balancer les exigences du droit paternel. Mais ce qu'il faut bien noter, à propos de ces deux idées (deux des plus contestables à coup sûr), c'est que l'une et l'autre viennent d'Aristote et non des Pères. Ce sera d'ailleurs l'un des caractères les plus remarquables de la longue suite de siècles où nous entrons que ce respect superstitieux des institufort mal connues

tions antique.

de la société

se tient pour

Saint Thomas cependant ne attaché doctrinalement à aucune législation, ni ancienne ni moderne. De la loi mosaïque ellemême, il fait deux parts : l'une, qui oblige tous les hommes par les préceptes de la loi naturelle qu'elle manifeste; l'autre, qui « n'obligeait que le peuple juif ». Quant aux institutions et aux lois que les gouvernements sous lesquels il vit s'efforcent d'appliquer, il n'en parle guère; je ne sais même s'il y fait jamais allusion. Il est théologien, il est philosophe, il est métaphysicien. C'est du fondement de la justice et des conditions premières de l'organisation de la justice, qu'il est uniquement préoccupé. Or, cette organisation de la justice par la loi humaine est-elle soumise, de tout point, à des préceptes absolus? Est-elle toute contingente et abandonnée aux hasards des conflits humains? Ni l'un ni l'autre. Fidèle à sa méthode toute péripatéticienne, saint Thomas établit ici comme ailleurs

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