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demander le rétablissement de la chaire; mais il fut le seul à soutenir la requête, et le National (qui représentait fort exactement l'opportunisme d'aujourd'hui 1) combattit la proposition.

On ne peut pas dire qu'une pareille presse fit beaucoup pour guider les vainqueurs auxquels elle paraissait mettre tout simplement la bride sur le cou. En réalité, le peuple était livré à luimême, et ceux qui auraient dû le conseiller cherchaient, comme lui, à tâtons. « Tout a l'air d'être idéal, c'est un rêve perpétuel. » Qui disait cela? L'Ère nouvelle 2. Mais faisait-elle beaucoup pour dissiper le rêve ou l'éclaircir? Pas plus que ne faisait le National pour mettre de l'ordre dans le chaos qu'il décrivait si bien, le 6 juillet 1848 « Préparé par des travaux nombreux, mais isolés et discordants, le grand problème du siècle a été mis inopinément à l'ordre du jour, dans un moment de ferveur révolutionnaire; de ses formules on a fait des mots de ralliement, et les opinions n'ont été trop souvent que des cris de guerre. Il en est résulté un tapage d'idées, un conflit de propositions et de systèmes capables d'assourdir l'Europe entière. »

Avant d'aller plus loin, il y aura donc intérêt

1. Le National du 18 mai disait : « Il faut reconstruire la société sur d'autres bases que celles qui l'ont soutenue jusqu'à présent ». Il est vrai qu'il prétendait concilier les intérêts de tout le monde et contenter ceux-là même auxquels il enlevait ces « bases » sur lesquelles ils étaient assis. 2. Numéro du 22 mai.

à voir ce que faisait le peuple lui-même et comment, dans ses actes autant que dans ses mots de ralliement et dans ses formules, il en appelait à un certain socialisme chrétien.

III

La littérature du peuple ne doit pas être cherchée dans les livres ni même dans les premières pages des journaux; elle est surtout dans les images, dans les affiches, dans les chants et dans les chansons, dans les propos des réunions publiques.

«< En 1848, rappelle un des principaux socialistes d'aujourd'hui, au siège de presque toutes les associations ouvrières et chez un grand nombre de socialistes, on voyait une gravure représentant Jésus en charpentier et portant pour exergue « Jésus de Nazareth, premier << représentant du peuple. » Ceux qui ont pu conserver ou retrouver soit des almanachs, soit des images populaires, sont à même d'y suivre ce mouvement 2. Mais les manifestations les plus

1. Benoît Malon, Exposé des écoles socialistes de France, in-18, p. 230. Paris, 1872.

2. Louis Veuillot, qui aime relever ces traits populaires, et ne craint pas d'en accuser le relief, fait dire, dans le Lendemain de la victoire, à un insurgé ivre et pillard (il est vrai qu'il s'appelle Simplet et qu'à la fin du dialogue il sera converti): « Un chef? Il n'y a pas de chef! Je ne reconnais,

recherchées d'alors étaient encore les banquets. Avec des banquets on avait renversé la monarchie bourgeoise. Pourquoi ne réussirait-on pas à fonder avec des banquets la république démocratique et sociale?

Dans la première moitié de juin 1848, un journal, qui fit quelque bruit, le Christ républicain, s'écriait : « Que c'est beau, un banquet à 5 sous! J'y vois poindre l'avenir du royaume de Dieu. Un repas à 5 sous avec deux mille canailles, c'est pour moi la noce de Cana, la cène du Christ, moins Judas. » Ces vœux furent largement exaucés, avec une augmentation de prix, mais très légère. C'est surtout aux approches de Noël que (malgré tous les événements survenus depuis février) se manifesta cet enthousiasme. Les quatrièmes pages des journaux en portent les preuves. Je ne crois pas superflu d'en donner ici des exemplaires complets et authentiques.

On pouvait lire, par exemple, à la quatrième page du Peuple 1, du 17 décembre 1848:

AVIS. Le conseil d'administration de l'ÉGLISE CHRÉTIENNE PRIMITIVE, rendant grâce à l'Être suprème de l'état constitutionnel qui accorde aux Français la complète liberté des cultes, prévient ses frères

moi, que Jésus-Christ! » C'était en effet un chef commode : on le consultait si on voulait, et on lui faisait dire tout ce qu'on voulait.

1. Journal de Proudhon.

et sœurs qu'un banquet fraternel aura lieu le 25 décembre, jour anniversaire de la naissance du Christ, fondateur du christianisme rationnel et social que nous professons. Il invite à ce banquet les anciens fidèles de l'Église catholique française, dont les membres de cette Église sont les seuls continuateurs officiels et les réformateurs progressistes. Il invite aussi les membres de l'ordre des Templiers et de l'Église Jehanitne, dont le drapeau a été publiquement déployé après la révolution de 1830. Il invite aussi à ce banquet fraternel tous les frères du culte franc-maçonnique de tous les rites et de toutes les obédiences, le niveau, le compas et l'équerre ne pouvant jamais être en désaccord avec la religiosité, guidée par la probité et la raison. Il fait la même invitation à tous les hommes éclairés qui désirent la régénération de la religion, et son retour aux principes de liberté, d'égalité, de fraternité, qui sont toute la doctrine du christianisme.

Le prix du banquet est fixé à 2 francs, et aura lieu chez Jouvenot, restaurateur, aux NOUVELLES VenDANGES DE BOURGOGNE, à la Chapelle-Saint-Denis, à quatre heures.

Et dans le numéro du 20 décembre :

BANQUET ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DU CHRIST, lundi 25 décembre, à dix heures et demie du matin, salle Valentino. Prix du billet : 1 fr. 50; 0 fr. 50 pour les enfants. La commission d'organisation du banquet est composée des femmes démocrates socialistes qui ont organisé le banquet de la Chaussée du Maine. Cabet, Pierre Leroux et Proudhon y ont été invités. On trouve des billets aux bureaux de la République, du Peuple et de la Démocratie pacifique.

1. Le 23 décembre, on reproduisait cet avis avec les

Mais il y avait émulation (sinon concurrence), car immédiatement après on pouvait lire :

BANQUET RELIGIEUX ET SOCIAL, présidé par le citoyen Chatel, fondateur de l'Église française, en mémoire de la naissance de Jésus-Christ, le grand apôtre du socialisme. Cette solennité étant la fête de la fraternité universelle, les dames y sont admises ainsi que tous ceux qui veulent communier en Dieu et en l'humanité, quelles que soient d'ailleurs leurs opinions politiques ou religieuses. Prix: 1 fr. 25. On se procure des billets, chez Soyez, marchand de vins; Petit-Jean, concierge, etc., etc.

Après avoir annoncé ces banquets, en rendaiton compte dans les journaux? Assurément! Ainsi le Peuple, qui blâme « le mysticisme >> des dames socialistes, organisatrices de l'une de ces réunions, veut cependant bien dire :

La lecture d'un discours sur la Montagne a ouvert dignement la séance; l'hymne à la fraternité, chanté avec recueillement, a précéde les toasts dont nous donnons la liste.

Au Christ, père du socialisme! par une dame dont le nom nous échappe.

-

variantes suivantes : « Choeurs avec solos. Pierre Leroux, Proudhon, les principaux socialistes et les représentants de la Montagne assisteront à ce banquet. »

1. Ou Chastel. Il s'agissait de l'abbé Chastel, ancien évêque, qui, ayant prêté le serment constitutionnel, avait été exclu des cadres, mais se flattait de faire des évêques à son tour, en usant, pour son église, de son droit de consécration. Il avait été pendant plusieurs années l'associé d'un nommé Auzou, qui tenait une épicerie. Des témoins très sérieux de l'époque m'affirment qu'il n'était pas fou.

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