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son maître, d'être sorti comme lui des travailleurs et de s'adreser comme lui à de simples artisans. C'est pourquoi il espérait, disait-il, suppléer à la science par le cœur, Dieu seul étant infaillible, mais ayant confié à de pauvres plébéiens le soin de convertir le monde.......... Je ne crois donc pas être dupe quand je trouve un certain accent de sincérité et de bonne volonté dans les paroles suivantes :

« Qu'est-ce donc que le Christ républicain? C'est, comme vous le savez, le Dieu de l'Évangile, toujours le Dieu des pauvres et des ouvriers, toujours le Dieu des opprimés et des pécheurs, toujours le Dieu de toutes les souffrances, toujours le Dieu de cette nombreuse classe qu'on renie, qu'on pressure, qu'on vole, qu'on emprisonne, qu'on calomnie atrocement et qu'on appelle populace, plèbe........ Il n'y a qu'un Christ qui est Dieu.... Le Christ républicain est-il, m'at-on demandé, communiste, fouriériste, socialiste, phalanstérien, saint-simonien, franc-maçon? Selon moi, ce serait blesser la dignité de notre Rédempteur de vouloir l'assimiler à des hommes; c'est pourquoi je m'abstiendrai. Les conceptions du Christ sont empreintes de tant de grandeur et de sainteté qu'elles dépassent infiniment tout ce qu'il y a de meilleur dans celles de l'homme.... Dieu seul est le législateur des nations parce qu'il est bon au suprême degré. ».

IV

Les écrivains, les journalistes, les orateurs populaires et les organisateurs de banquets dont je viens de parler étaient des socialistes qui venaient demander aide, lumière et appui au christianisme. C'est ainsi, du moins, qu'il me semble les avoir vus. Mais en face de ces avances que le socialisme faisait au christianisme, il y eut celles que beaucoup de chrétiens d'ancienne date, de chrétiens complets, firent au socialisme. C'est ce que je voudrais maintenant essayer de rappeler et d'expliquer.

Ce qu'on a vu plus haut sur l'attitude des catholiques à l'égard du gouvernement de Juillet ne prépare-t-il pas, d'ailleurs, à le comprendre? Au point de vue théorique et philosophique, la Revue nationale (de Buchez et Bastide), organe de la démocratie chrétienne,

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n'exprimait-elle pas ce que le peuple sentait quand il cédait à l'attrait des idées religieuses? « Le rationalisme est aristocratique de sa nature et ne conclut qu'à la souveraineté des capacités intellectuelles. La religion, au contraire, conclut à la souveraineté de la morale et à l'égalité de tous devant la même loi. Voilà pourquoi elle convient merveilleusement à notre constitution

1. Dans son numéro du 11 mars 1848.

nouvelle, où elle doit faire circuler l'esprit de dévouement et de sacrifice. >>

L'Ère nouvelle ne manquait pas de citer ces paroles et de se les approprier. Mais elle-même faisait beaucoup plus. Montalembert lui reprochait de défendre le droit au travail, le papiermonnaie, l'impôt progressif. Sur chacun de ces points, sans doute, elle faisait des distinctions. Il n'en est pas moins certain que pendant de longs mois elle se préoccupa de justifier, d'encourager, d'accélérer le mouvement encore plus que de le modérer. Elle disait bien qu'elle se défiait des anciennes écoles socialistes; elle ne se défiait pas beaucoup du nouveau socialisme (il est vrai qu'on le cherchait toujours), car, le 8 mai 1848, si peu de temps avant les funèbres journées, elle écrivait avec confiance : « Nous n'en sommes plus à la Terreur; maintenant qu'il s'agit du redressement des anciennes injustices. sociales, qu'il s'agit de dépouillement volontaire, de renoncement à soi-même, de fraternité, nous nous retrouvons en plein christianisme, nous reconnaissons les questions que l'Évangile avait posées. Nous ne nous étonnons pas que ces problèmes fassent pâlir les hommes qui ne connaissent d'autre soin que celui de leur repos, les sectaires attardés de Malthus et de Bentham. >>>

Le lendemain, l'Ère nouvelle soutenait que 1789 avait plus profité aux bourgeois qu'aux

ouvriers et que 1848 « était nécessaire ». Les menaces d'émeute avaient beau gronder, elle persistait à rappeler surtout les fautes de ceux qui avaient si profondément irrité les classes populaires et rendu leurs souffrances « intolérables ». Enfin, les barricades s'élèvent et le sang coule; elle en accuse ceux qui ont altéré dans le cœur du peuple le sentiment chrétien de la résignation. Mais si elle a soin de réprouver le socialisme athée et matérialiste, elle ne proscrit pas encore le mot de socialisme; car il y a « un socialisme honnête et chrétien »; car lorsque la révolution de Février avait proclamé qu'elle était «< sociale », elle avait cédé à un mouvement qui était « l'impulsion même de l'esprit évangélique ».

Parmi les nombreuses publications d'alors, il en est qui durèrent si peu qu'il est bien difficile de les retrouver. Que disait la Revue du monde catholique, de Barbey d'Aurevilly? Qu'était-ce que la Revue du socialisme chrétien, rédigée par Victor Galland, et qui parut de janvier à juillet 1849? Qui était-ce que l'abbé Chantôme, dont l'Univers d'octobre 1849 signalait une Revue des réformes et du progrès et qui, peu après, rédigeait un journal appelé le Droit du peuple? Cette feuille fut bien accueillie par Proudhon, et elle le méritait', car elle réclamait

1. L'archevêque de Paris avait retiré à l'abbé Chantôme ses pouvoirs religieux. Le Pape en félicita l'archevêque.

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le droit au travail avec l'abolition de l'intérêt du capital sous toutes ses formes.

Proudhon était, du reste, très accueillant pour ces catholiques et pour ces prêtres qui prenaient de pareilles « réformes » au sérieux et qui cherchaient à les étayer par toutes sortes de citations (tronquées) des Pères de l'Église. Il était heureux de les compromettre par l'hospitalité même qu'il leur donnait, et visiblement il se flattait de les attirer plus complètement à lui. En attendant, il bénéficiait des coups de pioche qu'ils donnaient dans la vieille économie politique et dans les institutions de l'ancien ordre social.

C'est ainsi qu'il ouvrait ses colonnes à Chevé, qu'il qualifiait de « catholique progressif », et dont il annonçait la brochure le Dernier Mot du socialisme par un catholique. Ce Chevé avait au moins de la ténacité dans ses opinions. Le 16 avril 1849, le Peuple insère une lettre de lui à la Patrie; et on y trouve toujours la même prétention à allier le pur catholicisme au communisme le plus absolu. « Pour ma part, dit-il, je ne suis pas seulement chrétien à la manière

L'abbé écrivit alors au Pape lui-même pour lui dire qu'il était un «< catholique conséquent et soumis, qu'il était donc prêt à se rétracter, mais pourvu que l'Eglise et son chef prissent la peine de fixer la doctrine ». Le Peuple reproduisit cette dernière lettre, en regrettant de ne pas y trouver ce qu'il attendait de « vigueur et de netteté » (c'est-à-dire de révolte définitive).

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