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VI

Il y avait chez Louis Veuillot une sorte de parti pris analogue à celui qu'il avait montré dans sa lutte contre les philosophes. Il défendait, certes, avec éclat le surnaturel et la religion i refusait trop à la raison le droit de constituer un ensemble de vérités à elle, il refusait trop à la conscience le pouvoir de poser un droit naturel et une morale humaine. Il se souciait fort peu de voir Victor Cousin ou Jules Simon démontrer l'existence de Dieu avec les preuves de l'école. Il ne se souciait pas beaucoup plus de la façon dont Thiers, dont M. Franck, dont leurs collègues de l'Académie des sciences morales et politiques pulvérisaient les communistes 1. Il trouvait logiques les gens qui, du jour où ils ne croyaient plus à Jésus-Christ, devenaient athées; et il ne jugeait pas moins conséquents les hommes qui, ayant cessé d'être catholiques, devenaient d'un seul coup socialistes. « Cherchez tant qu'il vous plaira, vous ne trouverez pas au droit de propriété d'autre fondement solide que l'article de la loi divine par lequel il est défendu de prendre le bien d'autrui.

1. Un jour (Univers du 25 septembre 1848), il traita de << beau et savant », un discours de Thiers sur la propriété; mais presque aussitôt il atténuait ses éloges et prouvait que «< ce parti » ne voyait pas le vrai « fond » de l'ordre social pour lequel il craignait tant.

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Pour croire à la propriété quand on ne croit pas en Dieu, il faut être propriétaire. »>

Ce dernier mot était un mot de journaliste. Si on entend y voir une hyperbole voulue, une épigramme aux trois quarts vraie contre les croyances intéressées de la plupart des hommes, ce n'est pas seulement un mot piquant, c'est un mot à retenir. Mais aller plus loin, c'est heurter la vérité et l'orthodoxie. Car dire que quand l'homme cherche une loi en lui-même et non en Dieu, il n'y trouve absolument que le droit d'agir selon ses besoins, ses intérêts et ses passions, c'est aller contre la doctrine de saint Paul, contre celle des Pères, contre celle de toute l'Église. Proudhon ne fut pas sans tirer parti de ces excès de polémique : « L'Univers, dit-il, nous déclare qu'il n'a pas de doctrine à lui; il n'y a donc pas de discussion possible avec l'Univers ».

Ce mépris pour la science humaine devait avoir son contre-coup dans la pratique. Que Veuillot vit dans les espérances chrétiennes un remède plus efficace que les rêveries des communistes, il avait assurément raison. Mais s'en tenir là, est-ce suffisant pour quelqu'un qui a la prétention de descendre dans la mêlée humaine et d'agir sur les destinées de son pays? Se résigner pour soi est très bien; se résigner pour les autres est moins bien, d'autant moins bien que demander trop de patience aux

opprimés, c'est encourager l'égoïsme et la dureté des oppresseurs. Veuillot eût dû s'en souvenir. Il faut donc (et il semble que ce soit un devoir strict pour qui le peut faire) étudier les lois économiques et y chercher les moyens d'améliorer le sort du plus grand nombre. Si on ne le fait pas pour augmenter les jouissances des uns, qu'on le fasse au moins pour modérer les ambitions et réprimer les injustices des

autres.

« La question, disait le rédacteur en chef de l'Univers, a été résolue par l'Église, qui ne s'est jamais inquiétée d'économie politique. » Je n'ai pas besoin de montrer où est ici l'exagération, tout le monde la voit. L'Église enseignante n'est pas tenue d'approfondir l'économie politique soit! Elle a autre chose à nous révéler. Mais l'Église militante (Veuillot certes en était) est tenue de l'apprendre et de l'enseigner à qui l'ignore, si elle veut remplir son devoir sur la terre. Au milieu de tant de pages étincelantes ou pathétiques et d'éclairs multipliés de bon sens, ce pessimisme temporel provoque plus d'une réserve et plus d'un regret. Je comprends qu'au lendemain des barricades et des tueries insensées des journées de Juin, on ait fait l'éloge du désintéressement et de la paix, et qu'on ait dit : « Vivre pauvrement d'un tra

1. 8 septembre 1848.

2. Univers du 2 juillet 1848.

vail précaire, ce n'est rien; c'est ainsi que la plus grande partie de l'humanité a vécu et vivra toujours ». Mais pourquoi ajouter : «<< Dieu a fait cette loi sans laquelle la société serait impossible»?« Impossible! » Qu'en sait-on? Comment ne pas voir qu'on se fera justement accuser de contradiction si, après avoir condamné les richesses mal acquises, on se refuse à étudier les moyens humains d'amener une répartition plus équitable? « Jouir et mépriser, lisait-on dans l'Univers ', c'est la doctrine du socialisme; avec elle, il renverse tout. » Soit! Mais venait ensuite : « S'abstenir et respecter, c'est la doctrine, c'est la nécessité de l'ordre ». Eh bien, ces paroles rappellent trop le « supporte et abstiens-toi >> d'Épictète. On eût bien attristé ou plutôt bien indigné l'illustre polémiste si on lui eût dit qu'il y avait là plus de stoïcisme ou de jansénisme que de véritable christianisme. C'eût été, cependant, la vérité.

Je sais qu'ici on peut me faire une objection dont il y a lieu de tenir compte. « Qu'est-ce, dira-t-on, que réfuter le socialisme, sinon montrer qu'il exige de l'État une intervention injuste, coûteuse, inutile, funeste même à ceux qu'il prétend servir? Et qu'a-t-on à proposer en son lieu et place, sinon la liberté de chacun, retenue par les préceptes du Décalogue et les

1. Du 14 mai 1849.

prescriptions du code pénal? Or, l'Univers et ses amis ont poussé vigoureusement ce genre de polémique. L'Univers a montré que l'organisation du travail, en inféodant les ouvriers à l'État, leur ôterait toute influence sans leur donner des

salaires plus élevés. Il a repoussé l'impôt progressif et l'impôt sur le luxe; il a montré que les bénéfices, rêvés par les écoles socialistes, étaient purement imaginaires, qu'il n'y a de réel dans les projets de Louis Blanc que les dépenses énormes auxquelles il faudrait se livrer tout d'abord. Il a, comme le Correspondant de la même année, publié des articles amusants et sensés, contre les illusions qu'on avait nourries, au siècle précédent, sur le communisme des sauvages. Il a condamné la tentative du Paraguay. Il a dit, enfin, aux ouvriers que c'était à eux de s'associer et de débattre les uns avec les autres les conditions de leur production, à eux de créer des caisses de retraite et de secours, à nommer des syndics et des représentants. Pouvait-il faire plus? >>

L'Univers avait des amis à l'Assemblée : le plus illustre était Montalembert, qui marchait alors de concert avec Louis Veuillot et combattait avec lui, dans son journal, les tendances un peu hasardées de l'Ère nouvelle. Mais Montalembert était un homme politique plus que Veuillot, et il avait déjà pris l'habitude (qu'il a noblement conservée depuis) de dire à ses amis

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