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IV

Ces restrictions, est-ce l'Allemagne catholique qui les formulera? Il semble au contraire que nulle part le « catholicisme social » et le pur socialisme n'aient été aussi près de se mettre d'accord. Je n'ai pas à raconter à nouveau les relations de Mgr de Ketteler avec Lassalle, ni à dire comment le célèbre socialiste, qui avait séduit M. de Bismarck, séduisait aussi, lui, israélite non converti, le pieux évêque de Mayence. Cette alliance, qui a dû étonner plus d'un esprit, n'a eu rien d'effrayant pour quelques-uns des catholiques français dont j'aurai à parler tout à l'heure. Je me borne à citer cette phrase de l'un d'eux 1 (elle constitue un document, et c'est à ce titre que je la donne) : « Tandis que Karl Marx et Ferdinand Lassalle élevaient l'édifice du socialisme scientifique, faisaient tomber sous les coups terribles de leur critique. les pauvres théories du libéralisme économique. et jetaient à pleines mains la semence dont la moisson est maintenant levée, un évêque, Mgr de Ketteler, intervenait dans la question avec l'autorité de son nom, de son immense amour pour le peuple, de l'Église, dont il était le représentant, et il faisait paraître son livre : la Ques

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1. Le P. de Pascal, dans la Controverse et le Contemporain du 15 avril 1887, p. 185.

tion ouvrière et le Christianisme, déclaration de guerre retentissante au libéralisme économique antichrétien, programme net et substantiel des revendications catholiques dans l'ordre économique. >>

Les catholiques anglais on l'a vu découvrent surtout des abus nationaux, suites. prolongées de la vieille conquête et des accaparements qui avaient suivi. En Allemagne, c'est toute la société moderne qui est attaquée. << Voilà, dit Mgr de Ketteler, le marché aux esclaves ouvert partout dans l'Europe moderne et taillé sur le modèle dessiné par notre libéralisme antichrétien, par notre franc-maçonnerie humanitaire. » Est-ce même bien là toute la pensée de l'évêque? N'est-ce pas la société humaine, n'est-ce pas la nature et ses lois qu'il s'agit de faire plier? La loi d'airain, Mgr de Ketteler la croit exacte en fait, et c'est pour en briser la fatalité qu'il demande aux pouvoirs publics d'intervenir dans la vie économique de tout État. La brochure de 1864 disait, en effet, très nettement que les causes qui ont fait du travail une marchandise (exposée à toutes les fluctuations des marchandises jetées sur le marché) et en ont fait tomber la valeur presque au-dessous du strict nécessaire sont la liberté. du commerce, la liberté des professions et la prépondérance du capital. La liberté du commerce fait que les concurrents cherchent tous

à réduire leurs frais et, en premier lieu, leurs frais de main-d'œuvre; la liberté des professions fait qu'une multitude d'hommes mal préparés offrent leurs bras au rabais; la prépondérance du capital diminue le nombre des ateliers indépendants et augmente celui des journaliers et ouvriers de fabrique.

Admettons qu'il y ait, en effet, là une part de mal à déterminer et à guérir. Pour employer les expressions de Mgr Ireland, le mal est-il dans le mouvement initial, ou est-il dans la déviation? Mais ne peut-on empêcher cette déviation, au lieu d'essayer de refouler et d'annihiler le mouvement même? A-t-on réfléchi que plus les capitaux deviennent abondants, plus ils s'offrent, et qu'eux aussi sont obligés de se mettre au rabais? Une entreprise qui met en mouvement mille ouvriers ne se liquide pas comme une entreprise qui en emploie dix; et si, pour abaisser son prix de revient, elle est obligée de calculer ce que lui coûte une journée de travail, elle est bien obligée aussi de calculer ce que lui coûterait une journée de chômage, si, par sa résistance à des réclamations ́motivées, elle provoquait une grève générale. A-t-on consenti à voir que l'abaissement des prix a pour chaque ouvrier d'innombrables avantages, puisque si cet ouvrier livre à meilleur marché un seul produit - celui qu'il fabrique, il en achète à meilleur compte, non pas deux ou

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trois, mais cinquante, dont il a besoin? Haussez artificiellement les prix par le privilège et par la restriction de la concurrence, aussitôt la situation se retourne l'ouvrier gagne sur ce qu'il produit, mais il perd sur tout ce qu'il achète. A côté des inconvénients des grandes usines, en a-t-on vu les avantages? Et comment a-t-on pu trouver plus facile de les morceler ou plus utile de les ruiner, que d'obtenir d'elles tous les bienfaits qu'elles offrent déjà librement, de tant de côtés, aux travailleurs organisations coopératives, dispensaires, pharmacie et médecine gratuites, écoles, apprentissages..., œuvres dont les dépenses sont diminuées, elles aussi, par la concentration, puis par l'amortissement graduel des capitaux?

Nous posons ici ces questions à propos de Mgr de Ketteler, parce que son enthousiasme pour les principes de Karl Marx et de Lassalle a été contagieux et que ce sont ses formules que tous les socialistes chrétiens ont répétées dans toute l'Europe. C'est à sa suite qu'on a demandé ces associations coopératives de production subventionnées, dont les ouvriers euxmêmes ne veulent plus, tant ils les sentent audessus de leurs forces, puis le rétablissement obligé des corporations, puis la fixation des salaires par la loi, puis enfin la réglementation de l'industrie, toutes choses qui se tiennent et qui aboutissent rapidement à la mainmise de

l'État sur toutes les formes du travail, c'est-àdire sur toute la vie nationale.

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Il serait trop long de raconter comment le Kulturkampf resserra l'alliance momentanée des socialistes catholiques avec les socialistes démocrates, comment Mgr de Ketteler fit école et trouva des disciples pleins d'autorité dans le chanoine Moufang, dans l'abbé Hitze, dans le chanoine Haffner (celui-ci devenu depuis évêque de Mayence). Mais dans l'ensemble du développement si remarquable que prit cette école, je demande à distinguer deux choses la création spontanée d'œuvres catholiques libres ' et la campagne faite en faveur d'une intervention crois sante de l'État dans l'ordre économique. Non seulement ces deux tentatives n'offrent pas du tout à mes yeux le même caractère, mais je les trouve tout à fait contradictoires. Dans la dernière édition de son livre sur le socialisme contemporain, M. de Laveleye énumère, avec une nuance d'effroi, toutes les œuvres fondées en Allemagne, sous les auspices du clergé, sous l'invocation des saints, et il ajoute «< sous l'influence du socialisme catholique ». J'oserai dire que c'est là l'épigramme d'un protestant alarmé, plus que l'opinion d'un économiste :

1. Ces œuvres, les lecteurs français les connaissent en très grande partie par les beaux articles de M. l'abbé Kannengieser, dans le Correspondant, réunis depuis en volume, Catholiques allemands.

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