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V

Les catholiques d'Autriche ont pu se croire affranchis de ces derniers scrupules, puisque chez eux leur religion n'est pas seulement dominante, mais a joui jusqu'à présent d'une faveur et d'un prestige qu'elle ne connaît plus guère dans les autres États européens. Aussi le socialisme chrétien a-t-il pris, en Autriche, un caractère encore plus accentué que dans l'Allemagne du Nord. L'assertion étonnera peut-être plus d'un lecteur qui n'a présente à l'esprit que la propagande conquérante des socialistes prussiens. Les Autrichiens, il est vrai, n'ont pas fait tant de bruit hors de chez eux; mais ils ont peut-être fait plus d'efforts pour pratiquer chez eux les doctrines soi-disant nouvelles; ou, si l'on me pardonne l'expression un peu vulgaire, ils ont importé plus de socialisme qu'ils n'ont réussi à en exporter'.

et je remercie en particulier M. l'abbé Kannengieser qui connaît si bien cet intéressant sujet. Mais on s'est demandé si l'empereur d'Allemagne avait réussi à « arrêter » le socialisme en lui promettant des concessions au prix de sa direction plus ou moins acceptée. Tout le monde se posera la même question sur le « catholicisme social ». Enfin que le socialisme d'État soit un peu moins mauvais que le socialisme révolutionnaire, il n'y a aucune difficulté à le concéder. Ce n'en est pas moins un socialisme qui, en économisant la poudre et la dynamite (c'est assurément quelque chose) tend à peu près aux mêmes résultats.

1. Nous verrons cependant qu'un groupe français considérable s'en est souvent inspiré.

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Ils l'ont importé au complet; et leurs principaux doctrinaires, le baron de Vogelsang, le comte de Kuefstein, le P. Weiss (dominicain), le P. Costa-Rossetti (jésuite), le prince de Lowenstein, etc., ont bien mérité les chauds éloges de notre Revue socialiste qui salue en eux1 « l'élite de l'école théorique autrichienne ». Où donc, en effet, la revue parisienne aurait-elle trouvé d'abord une « critique socialiste » plus flatteuse pour ses idées que ce fragment de la Gazette autrichienne, dû à la plume de Mgr Scheicher2: « La question de l'intérêt de l'argent est la grande question sociale. L'intérêt (il ne dit pas l'usure) est la cause de la misère du peuple; car l'intérêt est un revenu qui s'obtient sans aucun travail et par l'exploitation du travail d'autrui........ La possibilité de se procurer sans aucun travail un bénéfice par des placements dans les caisses d'épargne ou des papiers est un principe immoral et funeste.... Celui qui a des capitaux -travail cristallisé peut en retirer des bénéfices, mais à la condition qu'il en fasse l'apport dans une entreprise dont il partage les risques. »

La société a-t-elle le droit de remédier à cet état de choses? L'élite de l'école théorique autrichienne n'en doute pas. Elle ne demande pas

1. Année 1885, article de M. Benedikt, le Catholicisme social. 2. Et reproduit dans l'Association catholique de décembre 1887.

qu'on supprime le capital, mais qu'on décrète et qu'on impose l'étroite union du capital et du travail. De quelle manière? En chassant le capital des caisses, des banques, des emprunts et des papiers, pour le forcer à se mettre au service des associations ouvrières. L'État, suivant elle, ne peut se soustraire à cette mission, parce que tel est son intérêt. C'est bien là le sens de la déclaration du baron de Kuefstein (membre de la Chambre des seigneurs d'Autriche) au congrès de Liège de 1890'. « Abstraction faite du droit, de la morale et de la charité chrétienne, il est évident que l'intérêt bien compris de la société elle-même entre ici en considération. La puissance économique de la société ne réside pas, en première ligne, dans les instruments artificiels du travail, mais bien dans celui qui les crée, dans l'homme. Et la société a incontestablement le droit d'empêcher que la force économique soit gaspillée, amoindrie, détériorée. » On a parfaitement fait observer que, dans cette théorie, l'individu est fait pour l'État, qui dispose en maître de ses facultés et de ses biens. Dès lors, ce n'est plus seulement le mode d'union du capital et du travail que le pouvoir a le droit de régler, c'est toute l'organisation du travail.

La marche de ce mouvement, le passage qu'il

1. Voir la Revue catholique des institutions et du droit, 1890, p. 435.

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opère de la théorie à la pratique, sont faciles à suivre des actes publics en ont jalonné pour nous les étapes. En décembre 1888, une grande réunion se tenait à Vienne, en l'honneur du baron de Vogelsang, rédacteur de la Revue autrichienne et du Vaterland. Le célèbre publiciste prononça là un long discours, dont le passage le plus applaudi fut le suivant : « Ou nous sommes condamnés sans ressources au socialisme, ou nous réussirons à organiser la société sur la base chrétienne : tertium non datur ».

pas

Pour bien comprendre la portée de ces paroles, dans l'école, si honorable d'ailleurs, dont nous nous occupons, il ne faut s'arrêter au sens ordinaire des mots. Organiser la société sur une base chrétienne, qu'est-ce que cela veut dire? Qu'il faut à la société humaine. tout entière des croyances et des pratiques chrétiennes? Qu'il faut que Dieu soit respecté, la famille honorée, les enfants bien élevés, le bon droit défendu selon les préceptes du Décalogue...? Oui, sans doute, mais, pour les publicistes autrichiens, cela veut dire de plus que l'organisation de la société industrielle ellemême doit reposer sur le respect obligé des prescriptions du christianisme. Ainsi ces messieurs se chargent de nous apprendre si c'est la participation aux bénéfices ou le salariat, la grande industrie ou la petite, la corporation

libre ou la corporation privilégiée que réclame, comme couronnement de l'édifice, la base chrétienne de la société? Il y a dans l'Évangile de quoi justifier une préférence pour la société en commandite ou pour la société anonyme? Il y a des indications à en tirer pour ou contre les gens qui placent leur argent dans des caisses d'épargne ou sur des papiers, pour ou contre les gens qui, ayant économisé quelques milliers de francs ou davantage sur les produits de leur travail et ne pouvant pas acheter un champ pour le cultiver eux-mêmes, se procurent une action dans une mine, dans une filature ou dans une forge? « Vous soutenez là, me dira-t-on, une théorie trop évidente, et ce n'est point là ce qui est en question. » J'en demande pardon à ceux qui me feraient cette objection, c'est précisément là ce qui est en question chez les «< catholiques sociaux » ou chez les socialistes chrétiens avec lesquels nous discutons. Car de dire que, dans tout régime industriel et dans toutes les hypothèses qui viennent d'être énumérées, il faudrait des patrons chrétiens, c'est-à-dire justes, respectueux de la dignité humaine, charitables, et des ouvriers chrétiens, c'est-à-dire soucieux, eux aussi, de leur dignité, laborieux, exacts, tempérants, etc., c'est ce qui, pour nous tous, ne peut faire aucunement question. Mais ce que les réformateurs autrichiens réclament, c'est

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