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« dans ton cœur? Tu n'as pas menti aux hommes, <<< mais à Dieu 1. »

Donc la religion nouvelle s'accommode de tout dans l'ordre économique; elle se borne à recommander deux choses: ne rien prendre aux autres de ce qui est à eux, et donner aux autres une part de ce qu'on a. Jésus honore le père de famille qui défend son héritage; il honore le serviteur et l'ouvrier qui font fructifier le dépôt reçu, et loue celui qui, voulant vivre d'une vie toute spirituelle, renonce librement à toute richesse. Il recommande à ses apôtres la vie commune et le partage des biens; mais ce mode d'existence, précisément parce qu'il est parfait, ne peut être le lot de tous; et celui qui y prétend témérairement est plus coupable que celui qui vit modestement de l'existence de tous.

A cette existence du plus grand nombre, à cette << foule » dont il a pitié, Jésus donne quelques préceptes sociaux. Il rappelle, nous l'avons vu, ceux du Décalogue. Mais nous trouvons, de plus, dans les évangiles, certaines recommandations où se sent, avec plus de désintéressement et plus de tendresse, la finesse pratique des principaux livres de la Bible faire fructifier les dons de Dieu, ne pas mettre la lumière sous le boisseau, ne pas manger gratuitement (c'est-à-dire sans le mériter par ses services) le pain d'autrui, se servir, autant

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1. Actes des Ap., v, 1-4.

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que possible, soi-même, ne rien devoir à personne, respecter la loi de son pays. De tout cela, il est vraiment difficile de faire sortir un système social plutôt qu'un autre. En réalité, l'Évangile s'est tu sur l'économie sociale presque autant que sur la cosmologie et sur la physique.

Le christianisme a précisément voulu que la loi humaine et la loi divine fussent séparées, en ce sens que la pratique de celle-ci fût possible sous tous les régimes, et que hors ce qui touche la moralité même de la personne humaine

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rien ne pût être considéré comme obligatoire en soi, ni dans l'organisation de la vie politique, ni dans l'aménagement du système social.

A toute secte qui viendra lui dire de présider à la transformation et à la refonte du droit de propriété, l'Église devra donc répondre, comme son fondateur lui-même : « Je ne suis pas juge de vos partages ». Sans doute, le christianisme ne peut regarder avec une égale indifférence, et apprécier avec une égale complaisance, toute espèce de législation et toute espèce de système. Que doit-il demander en conformité avec ses principes? De respecter le droit acquis à chacun par son travail et par ses services; d'améliorer le sort du pauvre et de le rendre supportable; de favoriser la paix en diminuant, s'il se peut, les jalousies et les haines; j'ajouterai encore de s'inspirer partout de la « sagesse » et du bon sens A ces titres, il ne faut pas se le dissimuler, tout

système qui mettrait le crédit, les avances, la richesse, au service des paresseux et des dissipateurs tout autant qu'à celui des travailleurs économes et qui favoriserait ainsi les premiers au détriment des seconds, serait contraire à l'esprit du christianisme.

Mais le système fût-il discutable, fût-il même en bien des points regrettable, ne peut-on dire que le christianisme l'accepterait encore, à titre d'institution temporelle établie par les puissances légitimes? Ne voudrait-il pas s'y ajuster de son mieux pour remédier aux défauts qu'il y sentirait, pour le pénétrer de son propre esprit, et pour en tirer enfin des moyens nouveaux de procéder au salut des âmes? Assurément il ne faut pas demander à l'Église chrétienne de favoriser le développement du socialisme d'école ou du socialisme d'État. Faut-il lui demander de le combattre, autrement qu'en rappelant à tous le souci de la dignité humaine et le souci de la justice? N'est-ce point aux économistes à se défendre eux-mêmes, comme c'est aux savants à vérifier leurs hypothèses et à démontrer leurs découvertes? C'est ce que la suite de ces études nous apprendra.

En attendant, rappelons-nous ces paroles de saint Paul « Je me suis fait comme les Juifs, avec les Juifs, pour gagner les Juifs;... avec ceux qui sont sous la loi, comme si j'eusse été sous la loi (quoique je ne fusse plus assujetti à la loi),

pour gagner ceux qui étaient sous la loi; avec ceux qui étaient sans loi, comme si j'eusse été sans loi (quoique je ne fusse pas sans la loi de Dieu, mais que je fusse sous la loi du Christ), afin de gagner ceux qui étaient sous la loi.... Je me suis rendu faible avec les faibles pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous. Ainsi je fais toutes choses pour l'Évangile afin d'y avoir part'. »

Où sont pour nous les faibles? Sont-ce les partisans de l'ancienne économie dite malthusienne? Sont-ce les collectivistes? Sont-ce les socialistes de la chaire? Sont-ce les socialistes de l'État, en Prusse ou en Amérique? ou bien tous ne sont-ils pas également « faibles » les uns et les autres? Il a pu sembler pendant longtemps que l'Église se refusait à en décider, bien qu'elle fût née, on peut le dire, avec le régime de la propriété du père de famille, et qu'elle n'ait jamais conseillé le régime commun qu'à une élite peu nombreuse. Elle dirait plutôt comme saint Paul dit encore dans ce chapitre même que je viens de citer : « Lorsque j'étais libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous pour en gagner un plus grand nombre ».

On comprend aisément ce que veut dire ce mot esclave. L'Apôtre s'est fait esclave ou serviteur selon le corps pour raffermir ou conquérir

1. S. Paul, Ire aux Corinthiens, 1x, 20 et suiv,

la liberté selon l'esprit. Ses successeurs accepteront la loi temporelle, quelle qu'elle soit, s'ils pensent pouvoir s'en servir ou être obligés de s'y assujettir pour qu'un plus grand nombre d'hommes et pour qu'eux-mêmes aient part à l'Évangile. La règle de conduite, ferme et souple tout à la fois, n'a pas changé.

Y a-t-il là une indifférence choquante? Il serait facile d'abuser du texte et de dire que cette tactique cache un mélange de docilité et d'ambition également excessives (serviliter pro dominatione). Mais que dit, en somme, l'Évangile aux législateurs et aux hommes d'État? « A vous de trouver et d'appliquer les moyens humains pour sauvegarder ici-bas, dans vos sociétés, la justice, la dignité, la charité, la paix. Là où vos moyens seront imparfaits, je m'efforcerai d'y remédier; là où ils seront bons ou meilleurs que les précédents, j'en doublerai le prix, si vous le voulez. »

L'Évangile demande qu'on laisse pousser l'arbre et qu'on le juge ensuite à ses fruits, qu'on laisse grandir la moisson pour la débarrasser ensuite, sans danger, de son ivraie. N'estce point ainsi que le christianisme doit faire à l'égard des systèmes sociaux? Si l'un d'eux, dans la suite de ses développements, aboutit à la spoliation, s'il organise la paresse et fait pulluler les vices qui en sortent, c'est alors qu'il rencontrera devant lui la malédiction biblique ou l'invitation évangélique à s'amender et à se convertir.

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