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ses faveurs acceptées, louées même, si l'on veut, par le clergé, l'aient rendu souvent plus riche que ne le souhaitait saint Jean Chrysostome! Ce qu'il y a lieu de retenir à notre point de vue, c'est que les accroissements du domaine religieux, décrétés par les premiers empereurs chrétiens, diminuaient surtout la part du domaine public laïque. La coexistence de ces deux grandes communautés, celle de l'État et celle de l'Église, se limitant plus ou moins l'une l'autre, n'empêchait pas plus le développement de la propriété individuelle qu'elle ne l'empêche ou ne la gêne de notre temps.

II

Mais la société

Voilà, ce semble, des faits. chrétienne, peut-on objecter, se plie toujours aux faits tels qu'elle les trouve; puis, trop lentement au gré des uns, trop irrésistiblement aux yeux des autres, elle travaille à les réformer. Ainsi elle avait accepté pratiquement l'esclavage, puisque les premiers chrétiens eux-mêmes avaient des esclaves; et cependant elle a poussé à la suppression de l'esclavage. N'aurait-elle pas fait de même à l'égard de la propriété? Elle n'a pas voulu être la seule à s'en priver : elle a tenu à user largement du droit commun, tant qu'il subsistait, et à en faire profiter ses prêtres et

ses moines pour assurer, par tous les moyens humains et permis, la prospérité de leurs œuvres. Mais par ses prédications contre la richesse et par ses éloges passionnés de la pauvreté, ne travaillait-elle pas à discréditer ce régime même? Et n'est-ce pas elle qui a ainsi semé et cultivé tant de germes de socialisme?

J'ai déjà fait observer la différence profonde que l'Église établissait entre la propriété des esclaves et la propriété de la terre; mais je reconnais que les textes chrétiens sur la richesse et la pauvreté ont besoin d'être regardés de près et d'être soigneusement commentés. Il n'y a rien qui ait en effet plus exercé l'éloquence des docteurs et prédicateurs chrétiens que les droits et devoirs respectifs des riches et des pauvres; il n'y a rien ensuite qui ait été plus examiné, plus invoqué, qu'on me passe le mot, plus épluché que ces discours. Quand on en prend, non pas un au hasard et à part, mais toute une suite, on s'aperçoit cependant qu'il n'y a rien de plus clair et de plus cohérent que toute cette doctrine.

« Les richesses sont faites pour qu'on s'en serve. Si on s'en sert bien, elles sont un instrument de justice; si on s'en sert mal, un instrument d'iniquité. En elles-mêmes, elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Il importe fort peu que vous soyez beau ou laid l'important est que vous usiez de votre corps chastement et selon la

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règle divine; car on peut être laid et vicieux, être beau et cependant chaste. Ainsi on peut être pauvre et enivré de passions et de désirs, être riche et cependant sobre de volupté. » Ce texte est de Clément d'Alexandrie 1. Mais il n'est guère de Père de l'Église chez lequel on ne trouve à chaque instant de déclaration semblable. Les uns le disent d'une façon plus métaphysique, comme Origène. « Les richesses sont de ces choses qu'on peut appeler moyennes et indifférentes. » Moyennes, c'est-à-dire tenant exactement le milieu entre le bien et le mal ou étant par leur propre nature à égale distance de l'un ou de l'autre. Ainsi, une sensation qui est à égale distance du plaisir et de la douleur sera dite indifférente elle ne garde avec la sensibilité vraie un certain rapport que parce qu'elle est capable d'être modifiée douloureusement ou agréablement. « Les richesses, continue Origène, peuvent être appelées des maux quand on les associe à des œuvres mauvaises; des biens, quand on les applique à de bonnes cu

vres.

Cette doctrine philosophique se retrouvera dans toutes les prédications, même quand elles seront faites sur un ton moins scientifique et

1. Liber Quis dives salvetur? Édit. Migne, II, col. 615 et

suiv.

2. Comment. epist. ad Romanos. Œuvres, édit. Migne, t. IV, col. 905.

...

plus humain. « Certainement les richesses ne sont pas un bien par essence, non seulement parce qu'elles n'ont rien de stable, mais parce qu'elles ne peuvent même pas rendre bons ceux qui les possèdent. » Saint Basile, à qui ces paroles sont empruntées, revient volontiers sur ce caractère instable des richesses qui passent de main en main. « Il faut se garder d'y attacher son cœur; il ne faut s'en servir que comme d'un instrument. » Ou encore : « Ce n'est pas de la possession des richesses qu'il y a lieu de se glorifier, mais de la manière dont on en use: ainsi on abuse de la santé3. ». A plus forte raison donc peut-on abuser de la richesse.... Voilà sans doute un lieu commun bien banal, et auquel les moralistes païens nous avaient déjà fort habitués. Mais le péril était de paraître pencher soit d'un côté, soit d'un autre, et de se départir de cette indifférence qu'on doit témoigner à la richesse qui n'est que la richesse, à la pauvreté qui n'est que la pauvreté. Or, saint Jean Chrysostome est très sagement préoccupé et il n'est seul de se préserver de ce péril : « Comme je l'ai dit mille fois, je n'accuse pas les riches, mais ceux qui usent mal de leurs richesses.... J'ai toujours dit que je ne m'en prenais pas au riche, mais à l'homme rapace. Autre chose est

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1. In psalmum 1.

2. In psalmum LXI.

3. Sermo V. De divitiis et paupertate.

pas

le

un riche, autre chose un rapace; autre chose est un homme opulent, autre chose un avare. Tu es riche je ne t'empêche pas de le rester. Tu es rapace me voici prêt à t'en faire honte. Tu possèdes un bien légitime jouis-en. Tu t'empares du bien d'autrui ne compte pas alors que je me taise 1. »

Les déclarations analogues fourmillent. Parmi celles qui méritent le plus qu'on s'y arrête, reprenons celle qu'on a lue tout à l'heure de saint Basile. Saint Basile faisait-il à la richesse une si mauvaise réputation en la comparant à la santé? N'y a-t-il pas dans cette comparaison une sorte de nouveauté piquante et digne d'attirer l'attention des économistes? Qu'un chrétien parfait se résigne à la maladie quand elle est inévitable, et qu'il se dise qu'après tout son corps et sa vie physique sont éphémères, qu'il aille même jusqu'à la subir avec joie comme une épreuve utile à son salut éternel rien de tout cela ne discrédite la santé quand on en profite pour bien remplir tous ses devoirs. C'est l'état normal de la nature humaine, et la nature, en définitive, n'est pas maudite: «< Honore le médecin>>, dit la Bible. Elle aurait pu dire également; «< Honore celui qui te donne de bons con-seils et te fait prendre de bonnes habitudes pour la conservation de ton patrimoine ». Les prêtres

1. Voir Œuvres, édit. Migne, t. III, 69, 353, 399. 571, etc.

T. IV,

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