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de la loi nouvelle n'avaient aucune raison pour s'opposer, sur aucun de ces points, à l'enseignement des sages Hébreux.

Il semble bien, cependant, que pour le gardien de la loi religieuse, il y ait lieu de surveiller l'usage de la richesse plus sévèrement que l'usage de la santé. Tout au moins peut-on dire que rarement la santé de l'un nuit à celle de l'autre. C'est là un don tout individuel et dont chacun use ou abuse pour son propre bien ou son propre mal. En est-il de même pour la richesse? Il est aisé, croyons-nous aujourd'hui, d'enrichir les uns sans appauvrir les autres. Nous disons plus nous pensons qu'il est dans l'ordre naturel que la richesse de quelques-uns profite, même en dehors de l'aumône, à ceux qui ne possèdent encore rien en propre. Mais de tout temps l'abus est facile; de tout temps la paresse et l'avarice trouvent commode de s'enrichir avec l'argent des autres. Puis il faut considérer la différence des temps plus on recule vers les époques où l'on se contentait de recueillir et d'amasser les dons de la nature fruits de la terre, produits des troupeaux, pouvoir les multiplier, comme de nos jours, par l'art et par l'industrie, plus il devait sembler que tout le problème social consistait en un partage équitable d'une richesse existante, déterminée et limitée.

sans

Aussi nous expliquons-nous très bien cet autre

texte de saint Basile, si souvent qualifié de socialiste. Le Père s'adresse au riche1: « Quel mal fais-je, dis-tu, en gardant et en enfermant ce qui m'appartient? Qu'est-ce, dis-moi, ce qui est à toi? Où as-tu pris ce que tu as quand tu es venu au monde? Tu es comme celui qui, entré dans un théâtre, voudrait empêcher les autres d'y entrer à leur tour et qui accaparerait pour lui seul ce qui est pour l'usage de tous : tels sont les riches. Si chacun se contentait de ce qui lui est nécessaire et abandonnait aux autres son superflu, il n'y aurait ni riche ni pauvre. » Cette comparaison de la vie humaine et d'un théâtre est restée célèbre. M. Thiers a pris soin de la réfuter dans son livre sur la propriété2. Saint Basile ne l'avait pas inventée. Et où l'avait-il prise? Ce n'était pas dans les Livres saints, c'était dans Cicéron 3, qui la tenait lui-même de Chrysippe. Il s'agit donc bien ici, comme je le disais, d'une doctrine économique primitive, fondée sur des apparences au delà desquelles nous avons appris, nous, à voir autre chose. Mais qu'on relise attentivement les premiers mots du texte chrétien qu'on vient de lire. Il s'adresse à qui? A l'avare qui a la prétention d'enfermer ce qui lui appartient. Saint Basile lui dénie ce droit, mais sans lui imposer d'ailleurs une

3

1. Sermo V. De divitiis et paupertate.

2. Liv. I, chap. xiv.

3. De finibus, III, 20.

manière unique d'associer ses semblables au bienfait de sa fortune. Je ne veux pas prêter au saint docteur une théorie, même embryonnaire, de la circulation des richesses; mais je me demande si les économistes classiques auraient à modifier beaucoup ses paroles pour concilier la vérité économique, telle qu'ils la voient dans notre siècle, avec la loi morale de la solidarité et de la charité.

On aura également remarqué que saint Basile souhaite un état social où il n'y ait plus ni riches. ni pauvres. C'est assurément un souhait permis, même au point de vue social et scientifique. C'est aussi, dirai-je, un souhait qui exclut l'idée de faire de la pauvreté un état recommandable quand même, érigé en idéal, antithèse vivante d'une richesse rendue, par cela seul, odieuse. <«< Toute pauvreté n'est pas louable, dit encore saint Basile, mais celle-là seulement qui est volontaire et conforme aux préceptes de l'Évangile1. » Et celle-là est-elle aisée? Est-elle commune? Nous avons déjà vu que, selon la doctrine enseignée, elle excède les forces de la nature. Ne soyons donc pas surpris de lire dans le même docteur2: « Il faut une certaine expérience pour distinguer le vrai pauvre de celui qui mendie par avarice. C'est pourquoi, du temps des apôtres, c'étaient les apôtres mêmes qui étaient chargés

1. Sermo VI.

2. Epist., II, CLI.

de distribuer les biens qu'on leur confiait. Donner au premier vagabond venu, c'est jeter à un chien dont on veut se débarrasser à cause de son importunité, plutôt qu'à un homme malheureux. »

Mettre en présence l'un de l'autre le pauvre et le riche, aller du premier au second et revenir du second au premier pour donner à chacun d'eux des leçons appropriées à son état, voilà toute la morale des Pères de l'Église; voilà même, je dirai, tout leur socialisme. Il est bien clair que c'est aux riches qu'ils s'adressent le plus souvent. Les pauvres n'ont qu'à supporter leur état, et si, au fond du cœur, ils souffrent avec plus ou moins de résignation, force est bien qu'ils s'accommodent, en fait, de leur situation. Ils ne connaîtront que plus tard la puissance de leur nombre et la force de leur accord. Quant aux riches, il ne faut pas seulement leur demander de bons sentiments: il faut obtenir d'eux des actes positifs, des sacrifices réels. En leur parlant ainsi, d'ailleurs, n'est-ce pas aux pauvres que l'on pense et pour les pauvres que l'on agit?

Je n'ai pas besoin de dire que l'on ferait une bibliothèque avec ce que les Pères de l'Église ont écrit de la nécessité morale de l'aumône. Bornons-nous à une ou deux remarques rentrant mieux dans notre sujet.

Les Pères de l'Église ont-ils jamais dit une seule fois aux pauvres : « Les riches possèdent une partie de ce qui devrait, en bonne justice,

être à vous? » Non. Ils leur disent d'abord: <«< La résignation et la tempérance volontaire sont des vertus qui peuvent nous valoir le ciel ». Puis ils leur exposent que dans cette vie même la pauvreté n'est pas sans compensations, que, supportée avec une certaine dignité, elle évite un grand nombre de désordres, de soucis, d'excès fâcheux même au corps, de discordes, de servitudes. Les poussent-ils à espérer, à attendre beaucoup des riches et à leur demander beaucoup? ? Non encore. «Bois dans ton propre verre », dit textuellement saint Basile; c'est-àdire: Contente-toi de ce que tu as. Il ajoute': <«< Vends plutôt ce que tu as avant d'aliéner ta liberté. Allège peu à peu ta situation par ton industrie. N'essaye pas de guérir ton mal par un autre. Tu es pauvre, mais tu es libre. Si ton prêteur est ton ami, pourquoi perdre son amitié? S'il est ton ennemi, pourquoi te mettre entre ses mains? Tu es pauvre, mais ce n'est pas une honte, du moment où il n'y a pas de ta faute. Si tu t'exposes aux réclamations d'un créancier, tout le monde te méprisera comme un insensé. » Il faut dire qu'après ces vérités qui seront bien de tout temps des vérités, saint Basile s'arrête et se retourne vers les riches: « Voyez quels conseils nous sommes obligés de donner aux pauvres, à cause de votre inhumanité! Si

1. In psalmum xiv.

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