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M. Renan tient pour la première des deux solutions. «< En somme, dit-il, le Code de Jahvé est un des essais les plus hardis que l'on ait faits pour garantir le faible. C'est le programme d'une sorte de socialisme théocratique procédant par la solidarité, ignorant l'individu. >>

« Cette loi, dit-il ailleurs, est une loi de confrérie. Elle se rapproche fort des idées qui dominent dans certains cercles socialistes. L'humanité, la bonté pour le faible, doivent beaucoup à Israël le droit ne lui doit rien. >>

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Ces assertions sont nettes, mais elles sont bien absolues. Il est certain que chez les peuples dits primitifs, la morale tout entière et le droit lui-même reposent presque toujours sur un ordre qu'on accepte. Pour eux, l'obéissance à la loi est la première de toutes les vertus. Ainsi pense Platon, et l'on a remarqué déjà que le sens du mot justice, dans sa République, se rapproche singulièrement du sens que lui donnent la Genèse et les livres sacrés qui la suivent. Dans la Bible, «< un homme juste » et un <«< homme craignant Dieu » sont deux expressions synonymes. « Noé fut un homme juste et parfait au milieu des siens : il marcha avec Dieu 1. » <«< Abraham crut en Dieu, et cela lui fut imputé à justice 2. »

Mais, à mesure que l'on avance dans la lecture

1. Genèse, vi, 9.

2. Ibid., xv, 6.

de la Bible, le sens du mot, sans perdre son acception primitive, se complète. On y trouve aisément trois idées étroitement unies: 1o le respect de Dieu; 2o l'équité proprement dite, dans notre sens moderne; 3° la bienfaisance. C'est tantôt l'une, tantôt l'autre de ces trois idées qui domine; mais il y a une tendance visible à les relier et à les concilier l'une avec l'autre. Les Proverbes opposent encore le « juste » à l'« impie » 1. « Quand les justes triomphent, le peuple est dans la joie; quand les impies dominent, le peuple gémit. » Mais ils ajoutent : « Le juste connaît la cause des pauvres ». Voici maintenant des textes où le mot est pris dans une acception qui se rapproche beaucoup plus de la nôtre. « Si vous redressez vos voies et vos désirs, dit Jérémie, si vous rendez la justice entre l'homme et son voisin, si vous ne faites pas de tort à l'étranger, au pupille et à la veuve Ezechiel est encore plus précis «< Si un homme est juste, s'il agit selon la justice et l'équité,... s'il ne contriste personne, s'il rend au débiteur le gage qu'il en a reçu, s'il ne ravit rien par violence, s'il donne de son pain à celui qui a faim, s'il couvre de ses vêtements ceux qui sont nus,... s'il ne prête pas à usure et ne reçoit pas plus qu'il n'a donné, s'il détourne sa main de l'iniquité et s'il pro

1. Prov., xxix, 7. 2. Jérémie, vII.

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nonce un jugement équitable entre un homme et un autre homme,... il vivra 1! »

Ce sont ici les prophètes qui parlent. Mais serait-il impossible de trouver dans des livres plus anciens aucun passage où cet aspect de l'idée de justice soit mis en lumière? C'est dans le Deutéronome qu'il est dit : « Vous établirez des juges et des magistrats à toutes les portes des villes, dans chacune de vos tribus, afin qu'ils jugent le peuple par un juste jugement, et qu'ils ne détournent rien de la justice. Vous ne ferez pas acception de personnes ; vous ne recevrez pas de présents, parce que les présents aveuglent les yeux des sages et changent les paroles des justes 2. >>

Maintenant, cette justice, l'homme doit-il la chercher lui-même et l'appliquer telle qu'il la voit? ou doit-il la demander à Dieu et attendre de lui la révélation de ce qu'elle exige? Ces deux conceptions ne s'excluent pas tout à fait l'une l'autre dans la Bible. Nulle part même, semblet-il, il n'y a eu un plus vif sentiment de ce problème agité par tant de métaphysiciens, pour ne citer que Duns Scot et saint Thomas, Descartes et Leibniz. L'idée d'une justice éternelle, plus forte en quelque sorte que Dieu même, elle est exprimée dans le livre de Job en termes sublimes : « Dieu peut-il détruire la justice? Le Tout-Puis

1. Ezéchiel, xvIII.

2. Deutér., XVI, 18, 20.

sant renversera-t-il l'équité1? » C'est Eliphas de Théman qui prononce ces paroles, et ses discours, il est vrai, seront déclarés téméraires. Mais Eliu, dont les opinions ne seront point condamnées, dit aussi : « Le Tout-Puissant ne renversera pas la justice.... Qui lui a confié l'empire de la terre? Tu n'oses pas nommer un roi oppresseur ni appeler iniques les grands du monde.... Et que sont-ils auprès de celui qui juge également les princes de la terre, qui ne connaît pas le roi lorsqu'il dispute le droit du pauvre, parce que tous les hommes sont les ouvrages de ses mains 2? >> Job lui-même va plus loin, car il dit : « Qui m'accordera d'arriver jusqu'à Dieu et de me présenter devant son trône? Je plaiderais ma cause devant lui, et ma bouche multiplierait les preuves de mon innocence. J'entendrais sa réponse, je comprendrais ses discours et, sûr de mon innocence, j'entrerais en jugement avec lui et je sortirais victorieux de son tribunal 3. »

Dans ces belles paroles, la justice apparaît donc comme quelque chose d'intermédiaire entre Dieu et l'homme; et c'est ici le moment de rappeler combien de fois Dieu, dans la Bible, tient à dire qu'il sera toujours fidèle à ses promesses. Mais cette justice, précisément parce qu'elle n'est pas arbitraire, a besoin d'être interprétée.

1. Job, VIII.
2. Ibid., XXXIV.
3. Ibid., XXIII.

L'homme de Dieu se souvient alors de sa faiblesse. Qui sera l'arbitre? Qui trouvera la règle définitive? Pour se flatter de la posséder, il faudrait connaître bien des choses que Job ignore encore. C'est pourquoi Eliu réplique: « Dieu te prendra-t-il pour règle de sa justice? Doit-il haïr ce que tu hais, choisir ce que tu as choisi? Crois-tu avoir pu dire avec sagesse ma justice l'emporte sur celle du Seigneur? » Enfin Dieu, intervenant dans le même sens, dit à Job: « Oseras-tu anéantir ma justice? Me condamneras-tu pour te justifier? »

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Ce commerce incessant de Dieu et de l'homme, c'est là toute la Bible: c'est là, en définitive, il ne faut pas l'oublier, toute la religion. Il n'est donc pas étonnant que le grand pécheur David se souvienne de la leçon donnée à Job et qu'il s'écrie « Seigneur, donnez au roi vos jugements et au fils du roi votre justice. — Seigneur, découvrez-moi vos décrets. Faites-moi connaître le bien, inspirez-moi la sagesse.... Enseignez-moi vos justices3! » Il n'en reconnaît pas moins qu'il y a en Dieu un accord immuable entre ses décrets et la vérité elle-même : « Le principe de vos paroles est la vérité : tous les jugements de votre justice sont éternels * ».

1. Job, XXXIV.

2. Ibid., XL.

3. Psaumes, LXXII-CXIX.

4. Ibid., cxIx, 160.

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