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par un long usage ou par les lois d'une ville ou de tout un peuple, puisqu'il est certain que les hommes dans le gouvernement civil composent ensemble un même corps et qu'une partie est toujours difforme lorsqu'elle est disproportionnée à son tout 1. >>

Il est temps de résumer cette partie de notre démonstration et de conclure.

1o Les Pères admettent formellement qu'il y a un droit naturel.

2o Ils ne considèrent pas que l'inégalité des conditions et l'inégalité des richesses soient contraires à ce droit.

3o L'exercice de ce droit n'en amène pas moins des effets qui méritent à leurs yeux la pitié. Ils demandent au droit divin, non des mesures positives et obligatoires qui les effacent, mais des consolations qui les adoucissent par la charité et par les espérances de la vie spirituelle. L'égalité parfaite ne peut s'établir que dans les âmes, par l'amour d'un même Dieu et par les promesses d'une même immortalité.

4o Les lois humaines qui gouvernent la vie mobile des sociétés ne doivent contrarier ni le droit naturel ni le droit divin, quand ces derniers droits commandent clairement. Trouver le moyen de les ajuster l'un à l'autre est l'œuvre d'une expérience et d'une science dont le labeur

1. Confessions, III, 8.

sera sans doute indéfini. Nulle part les Pères ne demandent à l'État de dispenser ici-bas les biens et les maux; nulle part ils ne le disent capable de réaliser une justice définitive et absolue.

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IV

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Ces conclusions sembleront-elles au lecteur plus négatives qu'il ne l'eût prévu et désiré? Avant de montrer ce qu'elles ont de précieux, cherchons à les compléter, comme une méthode aussi sûre que simple nous en fournit les moyens. Tout le monde sait comment se fixe la plupart du temps pour ne pas dire toujours dogme de l'Église par la condamnation des hérésies. Tant qu'une opinion n'a paru ni entraîner de conséquences dangereuses, ni froisser l'ensemble des croyances nécessaires, les fidèles et leurs docteurs gardent une grande liberté. Du jour où l'un d'eux formule avec précision et soutient avec opiniâtreté une proposition qui est jugée contredire la tradition créée par le Christ et ses apôtres, l'Église intervient. Mais là encore, quand il s'agit d'interprétations nouvelles et de problèmes délicats, elle a l'habitude de formuler elle-même, moins ce qu'il faut croire et professer, que ce qu'il faut ne pas croire. C'est ce qu'elle a fait, par exemple, vingt fois sur la question du libre arbitre.

Eh bien, sur les questions sociales n'a-t-elle pas eu quelquefois des erreurs à combattre? A coup sûr! Elle a commencé par réfuter des opinions des philosophes païens; puis elle a eu à lutter contre des hérésies prolongées et retentis

santes.

Au début de cet article, je citais un auteur récent qui attribuait aux Pères de l'Église, en matière sociale, une parfaite conformité d'idées avec le communisme de Platon. Or, il y a ceci de piquant, que les Pères qui admirent tant Platon, qui voient en lui « le prince des philosophes », le plus sublime des Gentils, et louent pompeusement sa métaphysique, sont unanimes à railler sans pitié sa République.

Celui qui ouvrirait au hasard et sans précaution les grandes éditions de la Patrologie risquerait d'être d'abord étonné par les termes d'une prétendue lettre encyclique du pape saint Clément où il est écrit, en effet : « Le plus sage des Grecs a dit que tout devait être commun comme l'air et le soleil.... La vie en commun est nécessaire à tous et particulièrement à ceux qui veulent imiter la vie des apôtres. » Mais il est absolument démontré que cette lettre1 est apocryphe : c'est une fausse décrétale, et l'une des plus lourdement composées, du milieu du Ixe siècle. Cette

1. Elle a été composée avec des fragments des Recognitions Clémentines, qui elles-mêmes passent pour émaner d'un ébionite et en tout cas sont classées comme œuvre hérétique.

erreur d'un faussaire, au moins maladroit, ne peut que faire ressortir la valeur des allusions fort nettes que tant de Pères de l'Église ont faites à la politique platonicienne.

<< Avec le christianisme, dit saint Jean Chrysostome', nous sommes loin de Platon, qui a inventé sa ridicule république, de Zénon et de ses pareils, qui ont voulu la communauté des femmes, méconnu les bornes imposées par la nature et essayé de tout bouleverser. » On dira que ce qui révolte ici le plus l'écrivain sacré, c'est la communauté des femmes. Rien de plus évident. Mais pourquoi ne pas penser que ce rapprochement de la communauté des femmes et de celle des biens a contribué à éclairer les Pères et à les maintenir dans cette idée de l'Ancien et du Nouveau Testament que, si l'unité du mariage est la base la plus solide de la famille, la famille est aussi la base la plus solide de la propriété juste, nécessaire et bienfaisante? Théodoret, qui vient peu après saint Jean Chrysostome, a écrit un chapitre sur les lois. Là, il ne manque pas d'appeler Platon le prince des philosophes; mais il ne manque pas non plus de qualifier ses Lois de « ridicules». Et que lui reproche-t-il plus expressément? Ses prescriptions sur les femmes, sur leur éducation et sur la communauté. Ce n'est plus seulement la communauté du lit qu'il le blâme d'avoir

1. In Math, hom., 1, 4.

2. Théodoret, Therapeut., IX.

recommandé, mais la communauté « des habitations et des repas ». — «< Aussi, continue-t-il, ce grand philosophe n'a-t-il su persuader à personne de vivre selon ses lois, à personne, ni à concitoyens ni à étrangers, ni à citadins ni à campagnards, ni à Grecs ni à Barbares, ni à esclave ni à homme libre, ni à homme ni à femme, ni à jeune homme ni à vieillard, ni à lettré ni à ignorant! » Voilà, je crois, une scission qui ne laisse rien à désirer.

Je passe aux Pères de l'Église latine. Je cherche s'il en est parmi eux qui se soient prononcés sur le communisme de Platon, et je trouve Lactance. Lactance paraît souvent jouer sur la proche parenté des deux mots : équité et égalité. Cette parenté l'inquiète; peut-être même le troublet-elle en lui suggérant l'idée que la justice absolue voudrait en effet une égalité parfaite. Aussi croitil que dans la vie des chrétiens tout doit tendre à assurer cette égalité, mais par des moyens qui n'empruntent rien à la vie terrestre. « Dieu a voulu tous les hommes égaux, c'est-à-dire se valant les uns les autres. Il leur a donné à tous la même condition, il les a engendrés dans la même sagesse et leur a promis à tous la même immortalité. Près de lui, personne n'est esclave et personne n'est maître. Pour lui, il n'y a de pauvre que celui qui manque de la justice, il n'y

1. De justitia, 15.

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