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a de riche

que

celui qui abonde en vertus. On me dira : << Mais n'avez-vous pas chez vous des riches et des pauvres? N'y a-t-il pas entre vous des différences? Je réponds: non; car nous, ce n'est que par l'esprit que nous mesurons toutes choses; aussi peut-on rencontrer parmi nous différentes conditions corporelles, nous n'en sommes pas moins frères par l'esprit. »

Ceci est déjà clair : mais le jugement que porte Lactance sur la République de Platon va nous apporter un surcroît de lumière « Platon veut que personne n'ait rien en propre et que tous mettent tout en commun. Passe encore s'il ne s'agissait que de l'argent. A coup sûr, les raisons ne me manqueraient pas pour montrer combien ceci même serait impossible et combien injuste. Concédons cependant que ce partage de l'argent puisse se faire tous les hommes seront des sages et tous mépriseront la richesse! Mais Platon veut encore la communauté des femmes.... Et il dit que, pour que les cités soient heureuses, il faut qu'elles soient gouvernées par un philosophe! Par un philosophe qui ôtera aux uns ce qui est à eux et donnera aux autres ce qui ne leur appartient pas?... En fait, Platon supprime la frugalité, le respect, la modération. Car de quoi se privera-t-on, si tout est à tous? La propriété contient la matière de tous les vices, mais elle con

1. Dissert. III, De falsa sapientia philosophorum, 21.

tient aussi la matière de toutes les vertus, et la communauté n'est autre chose que la licence de tous les vices. » Voilà comment les Pères sont communistes!

Mais que pense, dira-t-on, sur cette partie de la doctrine de Platon, le platonicien par excellence, saint Augustin? Nulle part il ne s'est prononcé directement sur les idées de la République. C'est uniquement sur le terrain métaphysique qu'il porte ses investigations pour marquer les points de contact et les points de dissentiment de la noble doctrine des Dialogues et de la doctrine chrétienne. On a supputé fort exactement qu'il relevait dans la première onze erreurs. Or, il est évident qu'il a pris soin de signaler ce qu'il avait jugé de particulièrement spécieux et de dangereux au point de vue chrétien. Quelles sont donc ses réserves?

Il tient à prémunir les esprits contre les séductions d'un spiritualisme exagéré, qui voit dans les âmes des substances absolument pures, éternelles, ayant existé sans corps, pouvant passer indifféremment de corps en corps, ne vivant avec tel corps et même avec un corps quelconque que par accident. Voilà le résumé de ce que saint Augustin blâme dans Platon et dans ses disciples. Il leur reproche encore de voir dans la chair la cause unique de tous les vices dont l'âme est atteinte. Et c'est ici que s'ouvre pour nous une échappée par laquelle

nous allons rentrer dans notre sujet (si tant est que nous nous en soyons écartés).

<< Sans doute, se dit saint Augustin, les platoniciens n'ont pas eu, comme les manichéens, la folie de haïr tous les corps terrestres comme constituant l'essence même du mal car ils professent que c'est Dieu qui est le grand artisan de tout le monde visible et de ses qualités. Cependant ils voient les âmes si opprimées par les membres de leurs corps mortels, qu'ils croient que du corps seul viennent les passions dont l'âme est affligée, ses mauvaises mœurs, etc. Or, telle n'est pas notre foi; car cette corruption du corps qui alourdit nos âmes n'est pas la cause, mais la punition du premier péché. Ce n'est pas la chair qui a fait l'âme pécheresse, c'est l'âme pécheresse qui a fait la chair corruptible. »

Pourquoi y avait-il intérêt à rappeler ce passage de saint Augustin? En quoi était-il important de mettre en lumière ce rapprochement en apparence tout métaphysique des platoniciens et des manichéens? Parce que les vrais communistes des premiers siècles de l'Église ont été les hérétiques qui, condamnant théoriquement la chair et y voyant la cause unique de tout mal, ont, en conséquence, condamné toute possession d'avantages terrestres, toute acquisition de biens temporels, bref toute espèce de propriété

1. Cité de Dieu, XIV, 5.

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individuelle. C'est ce point curieux de l'histoire des idées humaines que je voudrais expliquer avec quelque ensemble et quelque suite.

Dans la multitude des hérésies qui ont divisé les premiers siècles de l'Église, il en est dont l'importance prime de beaucoup celle des autres. Je n'ai pas à parler des deux grandes hérésies théologiques : l'arianisme, qui, niant la divinité de Jésus-Christ, faisait tomber d'un seul coup tout l'édifice de la religion nouvelle, et le pélagianisme, qui, affranchissant complètement la liberté humaine de l'action de la grâce, compromettait tout aussi gravement la religion proprement dite. A côté de ces deux hérésies, que j'ai qualifiées de théologiques, s'en développèrent deux autres qu'on peut appeler surtout métaphysiques c'était l'hérésie des gnostiques et celle des manichéens.

L'une et l'autre avaient leurs racines dans des doctrines antérieures même au christianisme, dans un fond obscur et changeant où avaient survécu bien des idées pythagoriciennes, où un platonisme dégénéré était venu rejoindre mainte rêverie orientale et, avant tout, le dualisme d'Ormuz et d'Ahriman. Habitués à prendre des idées et de prétendues explications partout où ils en trouvaient, les docteurs de cette philosophie ou de cette religion avaient participé au grand mouvement d'idées qui devait produire l'école Alexandrine. Ils avaient également pris

connaissance du christianisme, y voyant une religion comme une autre : ils s'étaient emparés de quelques-unes de ses traditions et d'un certain nombre de ses dogmes, y avaient vu des allégories qu'ils interprétaient à leur manière et qu'ils mêlaient à leurs systèmes. Ce tout ou plutôt ce mélange informe fut appelé la Gnose ou la Connaissance; ses représentants en effet prétendaient donner la connaissance par excellence, la connaissance spirituelle, définitive et absolue, de ce que les autres hommes entrevoyaient à peine sous les voiles de l'allégorie.

Je n'ai pas à refaire ici l'histoire de la gnose ni à rechercher l'enchaînement de toutes ses théories. Je voudrais simplement montrer qu'elle enseigna le communisme, que ce ne fut point par hasard, accidentellement, et que les Pères de l'Église ne se trompèrent pas en condamnant tout à la fois ce communisme et les doctrines philosophiques dont il paraissait être, dont il était la conséquence.

La plupart des gnostiques, à commencer par Simon le Magicien, professaient la croyance à une rédemption ou délivrance. Il s'agissait pour eux de délivrer l'esprit des liens de la chair; car l'esprit malheureusement avait subi une incarnation. On voit déjà comment et dans quel sens ils prenaient les mots de la religion nouvelle pour recouvrir leur vieux fond d'idées pythagoriciennes, platoniques et orientales. Mais ce

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