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qu'on ne cherchoit qu'à nous abattre et qu'à corrompre la forme de notre gouvernement; nous aurions conservé en secret un vif ressentiment d'une conduite si dure et si artificieuse : mais le choix de Polydamas nous montre une véritable candeur. Les alliés sans doute n'attendent de nous rien que de juste et de noble, puisqu'ils nous accordent un roi qui est incapable de faire rien contre la liberté et contre la gloire de notre nation: aussi pouvons-nous protester, à la face des justes dieux, que les fleuves remonteront vers leurs sources avant que nous cessions d'aimer des rois si bienfaisants. Puissent nos derniers neveux se ressouvenir du bienfait que nous recevons aujourd'hui, et renouveller de génération en génération la paix de l'âge d'or dans toute la côte de l'Hespérie!

Télémaque leur proposa ensuite de donner à Diomede les campagnes d'Arpi pour y fonder une colonie. Ce nouveau peuple, leur disoit-il, vous devra son établissement dans un pays que vous n'occupez point. Souvenez-vous que tous les hommes doivent s'entr'aimer; que la terre est trop vaste pour eux; qu'il faut bien avoir des voisins, et qu'il vaut mieux en avoir qui vous soient obligés de leur établissement. Soyez touchés du malheur d'un roi qui ne peut retourner dans son pays. Polydamas et Diomede étant unis par les liens de la justice et de

la vertu, qui sont les seuls durables, vous entretiendront dans une paix profonde, et vous rendront redoutables à tous les peuples voisins qui penseroient à s'agrandir. Vous voyez, ô Dauniens, que nous avons donné à votre terre et à votre nation un roi capable d'en élever la gloire jusqu'au ciel : donnez aussi, puisque nous vous le demandons, une terre qui vous est inutile, à un roi qui est digne de toutes sortes de secours.

Les Dauniens répondirent qu'ils ne pouvoient rien refuser à Télémaque, puisque c'étoit lui qui leur avoit procuré Polydamas pour roi. Aussitôt ils partirent pour l'aller chercher dans son désert, et pour le faire régner sur eux. Avant que de partir, ils donnerent les fertiles plaines d'Arpi à Diomede pour y fonder un nouveau royaume. Les alliés en furent ravis,parceque cette colonie des Grecs pourroit secourir puissamment le parti des alliés si jamais les Dauniens vouloient renouveller les usurpations dont Adraste avoit donné le mauvais exemple.

Tous les princes ne songerent plus qu'à se séparer. Télémaque, les larmes aux yeux, partit avec sa troupe après avoir embrassé tendrement le vaillant Diomede, le sage et inconsolable Nestor, et le fameux Philoctete, digne héritier des fleches d'Hercule.

FIN DU LIVRE VINGT-UNIEME.

DU LIVRE VINGT-DEUXIEME.

Télémaque, arrivant à Salente, est surpris de voir la campagne si bien cultivée, et de trouver si peu de magnificence dans la ville. Mentor lui explique les raisons de ce changement, lui fait remarquer les défauts qui empêchent d'ordinaire un état de fleurir, et lui propose pour modele la conduite et le gouvernement d'Idoménée. Télémaque ouvre ensuite son cœur à Mentor sur son inclination pour Antiope, fille de ce roi, et sur son dessein de l'épouser. Mentor en loue avec lui les bonnes qualités, l'assure que les dieux la lui destinent; mais que présentement il ne doit songer qu'à partir pour Ithaque, et qu'à délivrer Pénélope des poursuites de ses prétendants,

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LIVRE VINGT-DEUXIEME.

LE

E jeune fils d'Ulysse brûloit d'impatience de retrouver Mentor à Salente, et de s'embarquer avec lui pour revoir Ithaque, où il espéroit que son pere seroit arrivé. Quand il s'approcha de Salente, il fut bien étonné de voir toute la campagne des environs, qu'il avoit laissée presque inculte et déserte, cultivée comme un jardin, et pleine d'ouvriers diligents: il reconnut l'ouvrage de la sagesse de Mentor. Ensuite, entrant dans la ville, il remarqua qu'il y avoit beaucoup moins d'artisans pour les délices de la vie, et beaucoup moins de magnificence. Télémaque en fut choqué; car il aimoit naturellement toutes les choses qui ont de l'éclat et de la politesse mais d'autres pensées occuperent alors son esprit. Il vit de loin venir à lui Idoménée avec Mentor: aussitôt son cœur fut ému de joie et de tendresse. Malgré tous les succès qu'il avoit eus dans la guerre contre Adraste, il craignoit que Mentor ne fût pas content. de lui; et à mesure qu'il s'avançoit, il cherchoit dans yeux de Mentor pour voir s'il n'avoit rien à se reprocher.

les

D'abord Idoménée embrassa Télémaque comme son propre fils; ensuite Télémaque se jeta au cou

de Mentor, et l'arrosa de ses larmes. Mentor lui dit ; Je suis content de vous: vous avez fait de grandes fautes; mais elles vous ont servi à vous connoître et à vous défier de vous-même. Souvent on tire plus. de fruit de ses fautes que de ses belles actions: les grandes actions enflent le cœur, et inspirent une présomption dangereuse; les fautes font rentrer l'homme en lui-même, et lui rendent la sagesse qu'il avoit perdue dans les bons succès. Ce qui vous reste à faire, c'est de louer les dieux, et de ne vouloir pas que les hommes vous louent. Vous avez fait de grandes choses; mais, avouez la vérité, ce n'est guere vous par qui elles ont été faites: n'est-il pas vrai qu'elles vous sont venues comme quelque chose d'étranger qui étoit mis en vous? n'étiez-vous pas capable de les gâter, et par votre promptitude, et par votre imprudence? Ne sentez-vous pas que Minerve vous a comme transformé en un autre homme au-dessus de vous-même, pour faire par vous ce que vous avez fait? elle a tenu tous vos défauts en suspens, comme Neptune, quand il appaise les tempêtes, suspend les flots irrités.

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Pendant qu'Idoménée interrogeoit avec curiosité les Crétois qui étoient revenus de la guerre, Télémaque écoutoit ainsi les sages conseils de Mentor; ensuite il regardoit de tous côtés avec étonnement,

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