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l'adopter et lui confier sa destinée. Ce commencement de prospérité cachait une grande déception. Mais son séjour au Nicaragua ressemble plus à des mémoires personnels qu'à une relation de voyage. La question de l'Amérique centrale est d'intérêt européen. Si nous ne nous y arrêtons pas aujourd'hui, c'est que sa place est réservée dans la Revue, et que, d'un autre côté, M. Fræbel n'a fait que l'effleurer au courant de la plume et sous l'empire encore de ses mécomptes.

Sa description de San-Francisco est saisissante; ce n'est pas le prestige des mots qui agit, il n'y a en elle aucune poésie, l'imagination n'y entre pour rien. Elle est saisissante, parce qu'elle est fidèle, malgré l'exagération dont elle est empreinte, et qu'elle ne se rapporte à rien de ce que l'on voit en Europe, même dans la métropole du prophète, où tant de nationalités distinctes se coudoient. Nous avons entendu des chercheurs d'or, au retour du long voyage: ils ne dépeignaient pas San-Francisco sous les couleurs éclatantes que lui prête M. Fræbel; il est vrai qu'ils ne rapportaient de Californie que des déceptions. San-Francisco était restée dans leurs souvenirs comme une grande cité tumultueuse, rongée de vices, où les riches du jour sont souvent les pauvres du lendemain, où tout se vend et s'achète, où la spéculation est sans frein et sans morale, où le jeu et la banque sont les seules occupations de l'esprit. M. Froebel énumère les langues, les peuples, les professions, les contrastes; il nous montre une foule de figures et de types, depuis le Yankee adroit et le Mexicain défiant, jusqu'au Chinois de toute condition; depuis le Tartare, jusqu'au Canake des îles Sandwich et au Polynésien. Seulement on ramène difficilement, comme il le fait, cette multitude si diverse vers une harmonie générale, qu'un même « ton fondamental colore. » Il affirme sans hésiter que tous ces éléments coexistent ensemble, «sans que leurs rapports aient besoin d'être maintenus autrement que par des lois fort incomplètes et un système de gouvernement bien insuffisant. » Après avoir signalé « ce prodige, » il s'écrie plein d'enthousiasme : « Quoi d'étonnant après cela que, dans une société ainsi composée, on ait à constater chaque jour quelque nouveau crime. » Triste revers de la médaille !

La société naissante de San-Francisco est formée en majorité d'éléments empruntés aux sociétés déjà vieilles: c'est là ce qui la sauve. La loi des calculs, l'expérience individuelle acquise dans un milieu civilisé, l'intérêt particulier, qui ne peut prospérer sans une solidarité tacite de sécurité, y ont fondé une constitution sociale telle quelle, et la justice populaire en est la vigilante gardienne. Au fur et à mesure que ces éléments disparates s'absorberont mutuellement et se fondront en une population nationale, les mœurs deviendront plus inté

rieures, en d'autres termes, on vivra moins dans la rue, dans la foule, et le foyer domestique, las de se garder lui-même, exigera de l'administration qu'elle le protége d'une manière absolue. La politique changera aussi. Nul doute que les bases démocratiques ne soient maintenues; mais les masses, toujours prêtes à se faire justice elles-mêmes aujourd'hui, sans compter avec la loi, déposeront le revolver et deviendront plus sociables. M. Fræbel affirme que le ton de Paris est celui d'une ville provinciale en comparaison du ton qui règne à San-Francisco, et que Berlin est « un nid de corneilles. » Il se fera difficilement pardonner cette boutade. Il trouve aussi moyen de railler la petite bourgeoisie allemande, sans doute parce qu'elle fait son idéal très prosaïquement d'un bon coin du feu, d'une nappe blanche, d'une tranche de jambon appétissante, d'un pot de bière qui mousse, et d'un vaste lit, où l'on dort bien. M. Fræbel n'aime pas la bourgeoisie, et l'on voit, jusqu'aux dernières pages de son livre, qu'il n'a pas pardonné aux Allemands d'avoir, en 1848-49, pensé autrement que lui. Sans partager son enthousiasme, on irait de grand cœur à San-Francisco, ne serait-ce que pour cueillir à Noël des roses, des pélargoniums, des fuchsias et des calcéolaires. On irait de même à Léon pour y examiner les types originaux du faubourg de Saragosse, et à Grenade, . bien que les guerres civiles l'aient à moitié jonchée de ruines; son marché n'est-il pas un des plus curieux du monde, s'il est vrai qu'on y retrouve, en cherchant bien, les traces du sang ibérien, celtique, carthaginois, romain, goth, maure, éthiopien et indien? M. Froebel l'affirme. L'élément indien domine tous les autres; nouvelle preuve contre la prétendue haine des Peaux-Rouges pour la civilisation. On voit que M. Fræbel, bien qu'il n'en dise rien, a pris parti pour l'opinion très logique et d'accord avec la Genèse, qui donne pour souche aux Indiens des deux Amériques d'anciennes colonies oubliées, remontant à Rome et à Carthage, et peut-être au delà.

Voici la fin du livre: «Il me reste à prendre, pour le moment, congé du lecteur. S'il arrive quelquefois qu'un auteur ait le bonheur d'établir avec lui des rapports qui offrent quelques garanties de stabilité, j'ai quelque espoir d'y avoir réussi, du moins à l'égard de ceux qui ont bien voulu m'accompagner jusqu'ici. Plusieurs d'entre eux se seront lassés beaucoup plus tôt de mes récits et de mes réflexions; quant à ceux qui me sont restés fidèles, j'espère retrouver en eux, à l'occasion, des amis. » Nous sommes du nombre de ces derniers, et nous devons être sincère jusqu'au bout. Il serait à désirer qu'il y eût dans le livre plus de méthode. La diffusion, les transitions heurtées nuisent à l'intérêt. Son caractère n'est pas assez tranché. Ces imperfections, du reste, n'en détruisent pas le mérite. Les trois volumes élagués et condensés en feraient un très curieux, et qui trou

verait une bonne place dans toutes les bibliothèques. Tel qu'il est, l'ouvrage est sérieux et s'adresse aux lecteurs qui savent lire et ne veulent pas qu'on les trompe. L'auteur n'invente rien, il raconte. On ne s'oublie pas avec lui jusqu'à se croire du voyage, mais on s'intéresse aux voyageurs. Si quelque tirade de politique personnelle, quelque digression humanitaire interrompt le récit, on tourne le feuillet et l'on a bientôt fait une soudure. Tous les explorateurs n'ont pas un pareil succès, et nous sommes heureux d'adresser à M. Fræbel notre bon compliment. M. Fræbel n'est pas un de ces voyageurs de cabinet qui font des voyages avec des voyages, et personne ne dira de lui, même en Allemagne : Er ist nicht weit her: celui-là ne vient pas de loin.

ALEXIS DOINET.

LE

PREMIER SIÈCLE CHRÉTIEN

DANS LES ÉCRITS DES PÈRES APOSTOLIQUES

Les Peres apostoliques et leur époque, par M. l'abbé FREPPEL, professeur d'éloquence sacrée à la Faculté de théologie de Paris, 1 vol. in-8°. Paris, Ambr. Bray.

I

Aussi changeant que le catholicisme l'est peu, l'esprit de négation se transforme sans cesse. Au fond, ce sont toujours les mêmes attaques qu'il renouvelle; mais, selon le temps, il choisit pour l'éternel combat un autre terrain, d'autres armes et le point particulier où il concentrera ses efforts. Tout l'art des sophistes est de prêter à leurs objections un vêtement qui joue le neuf et qui s'empare de l'attention du siècle par l'endroit qu'il faut. Véritables Protées, ils se flattent d'échapper aux étreintes de la logique, en essayant de voiler, sous des formes toujours nouvelles, l'irrémédiable décrépitude de l'erreur. Au siècle dernier, cet esprit d'opposition s'attaquait de préférence au dogme, au culte, aux mystères, à la discipline de l'Eglise. Aujourd'hui, il s'en prend surtout aux faits historiques sur lesquels repose l'édifice de nos croyances. Naguère, c'était un philosophisme orgueilleux, dont l'ignorance seule égalait l'audace, et qui s'imaginait, de bonne foi peut-être, qu'il suffisait des sarcasmes ou de l'éloquence de quelques hommes de génie pour renverser une institution vieille de dix-huit siècles et toujours victorieuse

de ses ennemis. Aujourd'hui, c'est une science moins superbe peutêtre, mais également confiante dans ses forces, qui, sous le nom de critique, étale avec complaisance le fastueux appareil de son érudition, porte une main hardie sur les traditions les plus sacrées, et s'imagine avoir à tout jamais démoli la base historique de la Révélation. Plein de respect, si on veut l'en croire, pour la société chrétienne, le critique rationaliste ne renverse les faits sur lesquels elle repose que pour servir les intérêts supérieurs de la science, et maintenir les droits imprescriptibles de la raison. Le premier axiome de son système est que le surnaturel n'existe point, et ne saurait exister. Ce principe, il se garde bien de le prouver, il l'affirme; et ne suffit-il pas de l'énoncer pour en saisir aussitôt l'inexorable évidence? Le surnaturel étant déclaré impossible, tout le problème de la science se réduit à établir un accord définitif entre le fait et le droit, et à proscrire des annales de l'humanité ce que l'évidence du principe a banni de la raison de l'homme. Dès lors il appartient à la philosophie, à l'exégèse, à l'histoire, de terminer le débat. C'est là que le théologien du criticisme s'établit, comme sur son terrain propre et naturel, c'est là qu'il épuise toutes les ressources de sa dialectique à plier les faits aux exigences du principe de la négation.

Cependant nous ne serons pas injuste envers la critique rationaliste moderne. Elle se sépare de l'irréligion du dernier siècle par des caractères qui l'honorent en même temps qu'ils font un devoir de la combattre à armes courtoises. Ce n'est pas un médiocre avantage que d'avoir vu disparaître cette grossière et aveugle impiété qui se ruait sur le catholicisme avec un si incroyable acharnement, partiale en toute chose, et uniquement préoccupée de discréditer et de ruiner l'Eglise. On rougirait aujourd'hui, dans le camp où nous cherchons nos adversaires, de recourir à ce vieil arsenal d'injures, de sophismes et de calomnies qui constituait jadis la principale ressource des écoles anti-religieuses. Le mépris, du moins, n'est plus systéma– tique, et si la vérité révélée se trouve encore mise en cause, discutée, attaquée, ceux même qui la repoussent ne se défendent plus d'avouer ni la beauté morale du catholicisme, ni la grandeur de ses héros, ni son action civilisatrice. C'est là un progrès dont il faut se féliciter aussi bien qu'une espérance de voir les bons esprits se rallier de plus en plus à l'Eglise. Elle a forcé leur sympathie et leur admiration, pourquoi ne forcerait-elle pas aussi leur adhésion?

Mais ce changement même dans les dispositions de la critique religieuse ne peut être qu'une raison nouvelle d'apporter plus d'énergie et de persévérance dans la controverse, puisqu'elle semble avoir plus de chance qu'autrefois d'aboutir à un résultat. D'ailleurs, si la critique rationaliste a brisé, pour son honneur, avec les habi

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