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grand homme. Sa voix, étouffée par la rage, s'éteignait par instants ou râlait dans son gosier, et le notaire essayait alors de lui imposer silence; il eût été plus aisé d'arrêter le flot qui monte. Instinctivement, Mme Marseillette s'était voilé le visage de ses deux mains; Madeleine semblait impassible seulement une vive rougeur lui montait aux joues par bouffées et par éclairs, et, sans mot dire, elle froissait et déchirait son mouchoir. « Héritez, héritez maintenant, criait Charlot, héritez donc ! pour moi, je m'en lave les mains; j'ai déchargé mon cœur; il faut bien qu'il y ait quelqu'un d'honnête dans la famille! » L'étude entière accourut au bruit, et, sur un signe du patron, les clercs l'entraînèrent. « Héritez, héritez, hurlait-il encore dans la pièce voisine, il n'y a que moi d'honnête! c'est moi qu'on vole!» Enfin on le chassa.

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« Monsieur, dit Madeleine au notaire, si nous renonçons à l'héri-, tage d'Honoré Marseillette, mon oncle.....-Ma fille! interrompit la veuve du major, il faut donc y renoncer? - Vous n'en doutez pas, maman, reprit Madeleine; mais répondez-moi, monsieur, à qui reviendra?.... Ma fille! s'écria Mme Marseillette, ne pensez-vous pas qu'en restituant aux victimes de ce malheureux ce qu'il leur a pris, nous pourrions..... Et si tout a été pris, maman? » Mme Marseillette baissa la tête. « Monsieur, dit Madeleine d'une voix ferme et claire, à qui reviendra cette fortune! - Mademoiselle, dit le notaire.....Ne sera-ce point à l'autre frère de mon père, à celui qui vient de sortir d'ici? » Le notaire la regarda attentivement et fit un signe affirmatif. « Alors, dit-elle, cette fortune, nous la gardons. Nous la gardons, s'écria la mère! Oui, maman, pour les pauvres..... »

Et, ajouta-t-elle en surprenant encore sur les lèvres du notaire ce sourire aigu qui lui témoignait que cet homme se flattait de lire dans son âme et qu'il y lisait si mal, ces huit cent mille francs resteront dans vos mains afin que vous ne doutiez plus de l'usage que se proposent d'en faire d'honnêtes femmes !.... »

Puis elle prit le bras de sa mère. « Maman, tout est fini, » lui ditelle.

Un moment, le notaire resta confondu : tant de simplicité et de grandeur naïve devaient enfin le désarmer. Jamais il n'avait rien vu de semblable, et, pour la première fois de sa vie, il fut tenté de croire à quelque chose de mieux qu'à la probité ordinaire : à la vertu pure, au bien absolu, aux grands élans de l'âme et du cœur, qu'il ne connaissait que de nom, et qu'il avait regardés jusqu'alors comme autant de précieuses chimères, sur lesquelles les sociétés humaines se sont fondées sans y croire, et surtout sans avoir en elles la puissance de les pratiquer. Il regretta les mauvaises pensées qui n'avaient

cessé de le poursuivre depuis le commencement de cette scène, et la méchante complaisance qu'il avait mise à laisser Charlot pénétrer dans l'étude, en même temps que sa belle-sœur et que sa nièce, et il s'élança au-devant des deux femmes qui se préparaient à sortir.

«Mademoiselle! s'écria-t-il, cela est trop beau pour être raisonnable. Vous ne connaissez pas le monde si vous vous flattez qu'il vous sache gré d'un tel sacrifice; il refusera d'y croire ou n'en parlera jamais qu'en riant. Tout ce qui arrive est ma faute. Supposez que je n'aie point eu la faiblesse de laisser Charlot entrer ici, vous acceptiez votre héritage sans en suspecter l'origine, et vous retourniez chez vous riche, heureuse, honorée. Oui, sans doute, honorée. L'argent mal acquis n'effraye plus les hommes; et, d'ailleurs, il y a mille moyens de revivifier les sources de votre richesse, sans vouloir ainsi la jeter tout entière dans des mains qui certainement n'en seront pas dignes. Si vous persistiez dans un semblable dessein, je ne sais même si je pourrais vous y servir; je ne sais si je consentirais à rester dépositaire de cet argent. Je ne veux pas être le ministre d'une si belle action, parce qu'elle est trop belle. Vous ne vous doutez point de la portée de vos scrupules; vous ignorez qu'un homme de loi ne saurait les accepter, car ce serait mettre en question la moitié de la fortune sociale. Ah! mademoiselle, je vous estime, je vous admire; mais je ne puis m'empêcher de vous blâmer.....

Monsieur, interrompit Madeleine, il est bien tard pour nous estimer si fort, et nous ne méritons point qu'on nous admire. Mais je m'aperçois que vous vous faites quelque reproche des pensées que vous avez entretenues sur nous depuis une heure. Vous sentez, je le vois bien, que vous nous devez une réparation. Ne nous refusez donc point la seule que nous vous demandions. Gardez cet argent, je vous en prie, je le veux. C'est vous qui devez le garder. »

Mme Marseillette confirma d'un signe les dernières paroles de Madeleine : elle n'approuvait que trop bien tout ce que sa fille avait fait; mais elle n'aurait pu lui donner alors d'autre marque d'assentiment. Elle lui prit le bras comme le matin et sortit avec elle. Hélas ! on ne marchait point du même pas; on gagna le voiturin de SaintDenis, on y monta sans se rien dire. La veuve du major venait de perdre la plus belle et la dernière bataille de sa vie ; la même journée lui avait fait voir le soleil d'Austerlitz et le désastre de Waterloo ; il ne s'agissait plus que de ramener derrière soi tant d'espérances blessées, que de regagner la pauvre maison de Saint-Denis, avec le courage du silence. Les deux femmes n'avaient qu'un seul compagnon de voyage. Mais Mme Marseillette mit le visage à la fenêtre, car elle ne voulait point qu'un homme la vît pleurer. Elles descendirent

de voiture, et, d'un même mouvement, baissèrent leurs voiles pour traverser les rues de la ville. « Grand Dieu, s'écria Madeleine en arrivant au logis, et moi qui ai si fort recommandé à Bernard de venir ici ce soir.

-Bernard! dit la mère, il ne manquera point d'accourir ce soir. Qui sait, Madeleine, s'il reviendra demain?

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- Maman, maman, s'écria Madeleine, que dites-vous là? Bernard n'est point un si lâche cœur. Ah! vous m'avez fait bien du mal! Tu ne connais pas Bernard, tu ne connais pas sa mère, reprit Mme Marseillette. Elle trouvera de si cruelles couleurs pour lui peindre la belle action que tu viens de faire, que, s'il n'ose pas t'en blâmer ouvertement, il t'en voudra dans le fond du cœur. Elle s'en ira partout disant que nous avons ruiné son fils. Le monde rira d'elle, mais, le notaire te l'a dit, on ne rira pas moins de nous. Ah! Madeleine, tu as détruit le bonheur de toute ta vie ! C'était une belle fortune! ajouta-t-elle en baissant involontairement la voix. Tu as peut-être eu tort d'y renoncer.

- Je n'y ai pas renoncé, dit Madeleine. N'y pouvant toucher, j'en ai fait le bien des pauvres. Redites-moi donc que j'ai eu tort, ma mère, et je la reprendrai. »

La veuve du major détourna les yeux et soupira. «Voyons ce que dira Bernard!» murmura-t-elle.

III

me

Sept heures sonnaient quand arrivèrent Mme Lecour et son fils Bernard. Me Lecour était une femme de cinquante ans environ, qui ne se piquait point de n'en avoir que quarante; elle avait bien d'autres soins que le soin de ses charmes. Petite, un peu trop grasse, elle était pourtant d'une vivacité inquiétante et d'une si étonnante agilité, qu'on aurait dit à la voir que son embonpoint n'était fait que de muscles; mais sa main demeurait maigre, comme celle de toutes les personnes sujettes aux fièvres mentales. Sa voix était persuasive et douce, mielleuse même, et si savamment mesurée que chacune de ses phrases formait un accord; mais elle avait le teint fortement bistré, les yeux brillant d'un feu mal contenu, qui s'épanchait au dedans et dévorait l'âme. Toute cette ardeur si peu cachée s'était répandue sur son fils Bernard, qui ne méritait pas moins, car il était le meilleur des fils si sa mère était la meilleure des mères. Ce n'était pas assez pour tous les deux de s'aimer avec passion: ils faisaient profession de s'aimer à la folie, ils se louaient volontiers, si

quelque ami était là, et se donnaient, sans plus de façon, de la femme supérieure et de l'homme de génie, s'il survenait un peu plus de monde. Mme Lecour n'avait point d'autre souci, d'autre espoir, d'autre ambition, d'autre rêve que la fortune de son fils. Il y avait déjà bien longtemps qu'elle avait posé la première pierre de l'édifice, mais il menaçait d'en rester là, et la mère, le matin même, s'épuisait encore à chercher le moyen de le pousser plus avant, quand la lettre de Madeleine à Bernard était venue la surprendre au milieu de ses pensées, où elle s'était perdue comme dans un labyrinthe. Alors elle eut un mot grand comme le monde : «Bernard! dit-elle, Dieu récompense cette petite fille de t'avoir aimé. »>

A la vérité, Mme Lecour avait toujours traité de haut l'amour de son fils pour la petite Madeleine, posant en principe qu'un surnuméraire près d'une administration quelconque ne doit jamais s'attacher qu'à la fille de son supérieur, ou bien, s'il cherche au dehors, à la fille d'un millionnaire; car il ne peut rien revenir que de bon à un homme d'aimer une fille plus riche que soi. Mais l'événement avait dù la faire changer d'avis depuis le matin. « Madeleine, s'écria-t-elle en entrant, chère Madeleine, que vous êtes bonne d'avoir songé à écrire à Bernard avant de partir! Votre première pensée a été pour lui, vous l'aimez toujours! Ah! la fortune ne vous a point troublé le cœur ! »>

Elle embrassa la fille, elle embrassa la mère, allant de l'une à l'autre, joignant les mains et remerciant le ciel, sans oublier en même temps d'interroger les deux femmes. « Madeleine, s'écriaitelle, racontez-moi comment ce bonheur vous est arrivé? — Eh! madame, disait-elle à la veuve du major, vous nous cachiez l'existence de ce bon frère. Le digne homme! l'excellent homme! De quel mal est-il donc mort, le pauvre homme? Les bons s'en vont, les méchants restent, c'est la loi. Il faut que votre oncle ait bien cherché, Madeleine, pour vous découvrir dans votre retraite. Il a deviné la fleur cachée sous les ronces; chère petite rose sauvage, comme vous allez vous épanouir à présent! Mon Dieu! mon Dieu! que tu es bon de récompenser ainsi ceux qui t'aiment!-Hé bien! chère madame, êtesvous allée déjà chez le notaire? - Ne vous êtes-vous point fait cadeau de quelques bijoux, en revenant, ma jolie Madeleine; car, grâce au ciel, vous pouvez bien vous parer désormais. Mon fils, avez-vous embrassé votre fiancée, votre femme? Vous allez être heureux, mes enfants. Ah! le ciel paye sa dette à votre grâce et à votre beauté, Madeleine; je crois qu'il la paye aussi au mérite de Bernard, ma chère. Un esprit supérieur comme le sien ne devait pas être condamné à la pauvreté. »

Me Marseillette recevait ces assauts avec l'indifférence du déses

me

poir et ne songeait pas même à répondre. Mais les derniers mots de Mme Lecour, qui peignaient si bien les secrets sentiments de cette femme modeste et désintéressée, qu'elle n'aimait point, réveillèrent en sursaut la veuve du major. Elle dressa la tête comme au son de quelque injurieuse fanfare, et Madeleine frémit comme elle. La pauvre enfant eut pourtant le courage de se glisser jusqu'à l'oreille de sa mère : « Ne dites rien, maman, murmura-t-elle, je vous en prie; il faut auparavant que je parle à Bernard.

Bernard, ajouta-t-elle d'une voix mourante, j'ai à vous parler; venez avec moi. »

Bernard jeta un regard inquiet sur sa mère, muette de surprise et bien plus inquiète que lui. Mme Lecour même entr'ouvrit la bouche pour demander la raison de cet entretien particulier que Madeleine désirait avoir, en un pareil instant, avec son fils, car c'était une femme qui aimait à se rendre compte de toutes choses; mais elle n'osa. Le jeune homme suivit Madeleine; il ne pouvait faire autrement.

Bernard Lecour était blond, blanc, svelte comme Madeleine; on les prenait souvent pour le frère et la sœur, lorsque, dans les belles. soirées d'été, ils se promenaient ensemble sur les boulevards en se tenant par le bras. Cette quasi ressemblance avait éveillé chez la jeune fille un sentiment vague d'abord de sympathie et de curiosité, qui devint de l'amour. En reconnaissant ses traits dans ceux de ce charmant jeune homme, elle avait cru voir aussi son âme dans la la sienne, et ne s'était alors trompée qu'à demi. Au sortir de l'enfance, Bernard, lui aussi, était vif et tendre; il avait les enthousiasmes, les ardeurs, le langage sonore de la jeunesse ; il avait le cœur sur les lèvres, fleur éphémère des vingt ans que sa mère s'était attachée à flétrir. L'ambitieuse Mme Lecour n'avait que trop admirablement réussi à faire un homme de son fils, c'est-à-dire à fixer le fond de cette âme mouvante et débile; elle y semait d'une main sûre, mélangeant à propos les enseignements et les flatteries, et, dans le fait, elle y avait enfin soulevé une passion vraie, forte et durable, qui était le contentement de soi. Le jeune homme se trouvait à ravir sur l'autel élevé dans la maison; le dieu ne s'aperçut pas qu'il devenait l'instrument de la prêtresse; elle le ploya sans peine à ses vues, à ses intérêts, à ses désirs. Bernard ne pensa plus que par sa mère; mais il cessa dès lors de ressembler à Madeleine. Il n'y eut plus rien de commun entre le sourire étudié qui se grava sur ses lèvres et le fin sourire de la jeune fille. Le pauvre enfant, travesti en homme supérieur, prenait au sérieux la comédie maternelle; il méprisait tout de bon le reste des humains, et, laissant à sa

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