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mère le soin de faire sa fortune, il ne doutait pas qu'elle ne la lui fit belle et digne du génie qu'elle comprenait si bien.

Madeleine s'était aperçue la première du changement qui s'opérait en lui, et ne s'en était point chagrinée; elle aimait Bernard et ne l'avait jamais beaucoup admiré, car elle le connaissait à merveille. Elle convenait qu'il était faible, et ne lui en voulait pas de sa faiblesse ; elle ne se dissimulait point la fatale influence que sa mère exerçait sur lui, et ne songeait pas à lui reprocher son orgueilleuse obéissance; elle était indulgente, parce qu'elle se savait encore aimée. Elle aimait à son tour si sincèrement, d'un si tranquille et honnête amour, qu'elle n'avait jamais réfléchi que tout le cœur de son amant ne valait pas la centième partie de son cœur. Et cependant, ce soir-là, au milieu de son trouble et de sa détresse, voyant que Bernard mettait tant de méfiance à la suivre, elle ne put se défendre d'une vive irritation contre cet homme de vingt-cinq ans, qui, devinant que sa maîtresse avait quelque chose de grave à lui dire, balançait à l'entendre sans avoir reçu de conseils de sa mère. L'hésitation de Bernard fut pour elle comme une révélation soudaine ; elle eut honte de lui, elle en eut peur, car elle sentit tout à coup que la confidence qu'elle allait lui faire était trop haute pour son âme et qu'elle allait avoir un enfant perverti pour juge.

<< Bernard, lui dit-elle d'une voix ferme, Bernard, faites appel à votre courage. Ce matin, je vous ai écrit que nous étions riches. Je croyais l'être alors! il est certain que je l'ai été pendant une heure. C'était un rêve, nous sommes pauvres comme devant, mon ami.

-Pauvres ! s'écria Bernard, vous voilà redevenue..... Chère Madeleine..... Bon! vous ne badinez point. Qu'y a-t-il donc ? reprit-il avec une extrême agitation, qu'il cherchait en vain à cacher. Pourquoi prenez-vous cet air solennel en me regardant? vous aurez fait quelque coup de tête, ma chère, je le vois bien. »

Madeleine tressaillit. Un coup de tête! Quel mot! Comme il lui peignait bien l'esprit de Bernard et le jugement que la mère et le fils allaient porter sur sa conduite! Elle sentait déjà la rougeur de la loyauté méconnue lui monter au visage; un cri d'indignation s'échappa du fond de son cœur ; mais ce cri d'un cœur blessé expira sur ses lèvres. Voulant alors se fortifier et gagner du temps, elle se contenta de montrer du doigt à Bernard la ligne sombre du boulevard qui s'étendait à quelques centaines de pas de la maison, et, prenant le bras du jeune homme :

« Venez ! murmura-t-elle; c'est là que je vous dirai tout. -Allons, fit Bernard avec un mouvement de gaieté forcée, que vous avais-je dit, ma chère? Je vais avoir à vous confesser. >> Madeleine ne répliqua pas et l'on s'avança rapidement vers le bou

levard. Cette soirée d'automne était tiède et belle, quoique légèrement embrumée. La lumière de la lune, tamisée par le brouillard, arrivait mourante sur les champs qui bordaient l'avenue; la brume s'élevait de toutes parts comme l'haleine condensée de la nuit, courant sous ces grands arbres, filtrant à travers les feuilles, s'enroulant autour des cimes, et formant comme un second dôme au triste boulevard. Les bruits de la ville n'arrivaient point jusqu'à cet endroit solitaire ; on n'entendait que la chanson de l'eau noire qui coulait non loin de là. Les deux jeunes gens s'assirent sur un banc de pierre et Madeleine recueillit toutes ses forces. « Bernard, dit-elle, cher Bernard........... » Elle s'arrêta tout à coup et tressaillit une seconde fois. Un couple amoureux, qui venait à petit bruit, passait devant elle, la main dans la main, causant tout bas. Hélas! pensa-t-elle les yeux pleins de larmes, ceux-là sont bien sûrs de pouvoir encore s'aimer demain.

« Bernard! dit-elle, si vous aviez en moi un peu de la confiance que vous avez en votre mère, si vous m'aimiez comme un grand cœur doit aimer celle dont il veut faire la moitié de soi-même, si............ Ah! pourquoi supposer ce qui n'est point, parce que, sans doute, je ne mérite pas que cela soit. Vous m'aimez, mon pauvre ami, rien de plus. C'est pourquoi je suis forcée de vous rendre compte de ce que j'ai cru devoir faire aujourd'hui pour mon honneur et pour le vôtre, bien que ce cruel récit doive me déchirer les lèvres. Autrement je me bornerais à vous dire : j'ai fait cela et..... Mais encore une fois vous ne m'aimez pas assez pour croire sur ma parole que j'aie eu raison. Et puis votre mère vous interrogerait. Comment vous y prendriez-vous pour ne point répondre?....

Chère âme, interrompit Bernard d'un ton d'ennui, je ne vous comprends pas; songeriez-vous à me faire un crime de ma déférence envers ma mère? D'où vous vient cette vilaine humeur et qui vous fait penser que je ne vous aime pas comme vous méritez d'être aimée ? En vérité, je ne vous ai jamais trouvée si............

... Injuste! n'est-ce pas ? s'écria-t-elle. Oh! Bernard, je vous connais bien mieux que vous ne me connaissez. »

C'est pourquoi elle hésitait encore, s'arrêtant devant cet aveu comme une hirondelle transie de froid au bord des mers qu'elle va traverser, et, tristement, mesurait l'abime. D'illusion, elle n'en gardait plus sur les sentiments que cette confession allait éveiller dans son amant; il lui semblait que l'expérience qu'elle avait voulu faire sur cet indigne cœur était déjà faite et, dès lors, elle se disait pourquoi parlerais-je maintenant plutôt que dans quelques heures? pourquoi me réduirais-je tout de suite à ne plus pouvoir l'aimer? pourquoi ne m'épargnerais-je pas un jour de mépris et d'amertume? pourquoi

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ne remettrais-je pas à demain? Et pourtant elle sentait bien que c'était une immense lâcheté que de se taire, car si elle eût attendu quelque libre et généreux élan de Bernard, en réponse à ce qu'elle allait lui dire, elle se fût hâtée de parler. Ce remords, sa douleur et la honte se livraient au fond de son âme un si déchirant combat que ses forces lui manquèrent et que, se couvrant le visage de ses deux mains, elle se mit à pleurer.

Bernard la regarda; il sembla que ces larmes brûlantes fondaient tout à coup les glaces de son cœur, et il entoura brusquement la jeune fille de ses bras. « Madeleine! Madeleine! s'écria-t-il, au nom du ciel, qu'avez-vous? Je ne vous avais jamais vue pleurer. »

Ce fut au tour de Madeleine de le regarder à travers ses pleurs; puis elle baissa de nouveau les yeux. Le. mouvement passionné de Bernard l'avait suprise et ne la ranimait pas. Cependant elle ne chercha pas à se dégager de son étreinte; il lui sembla doux, au contraire de recevoir le dernier témoignage d'un amour qu'elle allait ètre forcée de rejeter loin d'elle. Lentement, elle laissa tomber sa tête sur l'épaule de son amant et ne répondit pas.

«Madeleine, s'écria Bernard, répondez-moi, je vous en prie. Ne me laissez pas dans cette incertitude mille fois pire que tout ce que je puis apprendre. Cessez de vous taire ou de parler par énigmes; vous me feriez venir de mauvaises pensées. Je veux savoir la vérité sur cet héritage, toute la vérité. Tenez! je vois bien qu'il ne vous appartient qu'à de certaines conditions que vous souffrez de me faire connaître..... Je ne sais, enfin, mais il me semble que cette nouvelle fortune menace de nous séparer tous les deux. Votre oncle, peut-être, ne vous aura pas légué que son bien; peut-être a-t-il désigné quelqu'un de son choix pour le partager avec vous..... Ai-je donc deviné, Madeleine? On vous impose un mari et..... vous hésitez.

Je n'hésiterais point, fit-elle. J'aurais refusé. Mais que me parlez-vous encore de fortune et d'héritage? Je suis aussi pauvre maintenant que je l'étais ce matin. Ne vous l'ai-je pas déjà dit? » Bernard ne put s'empêcher de frapper violemment du pied par

terre.

« Hé bien ! soit, s'écria-t-il, vous êtes pauvre. Est-ce donc là ce qui vous fait pleurer?

Bernard, dit Madeleine, vous souvenez-vous de notre première rencontre, ici, sous ces mêmes arbres, à ce même endroit peut-être, il y a deux ans ! C'était un dimanche d'été. Votre mère aborda la mienne; elles se connaissaient, je crois, depuis longtemps. Vous et moi, nous nous regardions sans rien dire il nous semblait certain que nous nous étions déjà vus tous les deux, que nous n'avions jamais été des étrangers l'un pour l'autre, que nous nous étions

toujours aimés. Deux ans ! Savez-vous bien que nous nous serons aimés deux ans, Bernard? Ah! maintenant je peux vous le dire je vous ai été chèrement attachée. Je vous aimais sans effort, comme on s'aime soi-même..... Vous le voyez bien, je parle au passé. Ne devinez-vous pas que c'est notre bonheur perdu que je pleure?

Tais-toi, dit-il d'une voix altérée en la serrant brusquement contre sa poitrine. Ah! je t'entends bien à présent. Tu me menaces de ne plus m'aimer. »>

Enfin, il s'animait, il s'emportait, et s'il connaissait mal tout le prix de l'amour que cette charmante fille lui avait donné, il se sentait possédé du moins de peur et de colère à l'idée de le perdre : quelque chose de libre, de passionné jaillissait pourtant de ce triste cœur! Madeleine frémit d'espérance; elle venait de voir se rouvrir devant ses yeux un coin du ciel.

« Pauvre ami, dit-elle en tremblant, je vous ai peut-être mal jugé, pardonnez-le-moi. Lorsque Jésus dit à Pierre : « Tu me trahiras dans une heure,» il ne se trompait point. Il est vrai que Jésus était Dieu et qu'il lisait dans l'avenir. Moi, j'ai peut-être mal lu dans le fond de votre âme. Dites-moi, Bernard, que vous ne me trahirez pas, dites-moi que ce que j'ai fait aujourd'hui, je devais le faire, que vous m'approuvez les yeux fermés, que vous ne m'en voudrez point de redevenir pauvre, lorsque j'étais devenue riche, et que cette fortune abominable..... Bernard, dites-moi que j'ai bien fait.

Vous le voulez, lui dit-il, soyez donc contente. Oui, oui, Madeleine, vous avez bien fait.

Merci! s'écria-t-elle. Je peux parler maintenant. Bernard..... Mon Dieu! mon Dieu! Comment lui dire?.... Bernard! reprit-elle brusquement en se penchant à son oreille, mon oncle était un..... Quoi! répéta Bernard, un usurier!»

Et il se fit entre eux un long silence.

Ami, dit Madeleine palpitante, je n'ai pas réfléchi bien longuement sur ce qu'il me restait à faire. Il m'a semblé que toute la question tenait en deux mots : Peut-on accepter un bien mal acquis et plus tard espérer de s'en purifier les mains en en faisant un noble usage? Pour moi, je ne le pense point. Il y a des taches originelles que rien n'efface: vouloir les laver, c'est les agrandir. Et puis, qui peut se vanter d'être sûr de la fermeté de sa conscience? La richesse a des mirages qui trompent les plus forts et les détournent du chemin qu'ils avaient juré de suivre; mille désirs inconnus se font jour dans nos cœurs, avec la possibilité de les satisfaire, et alors, adieu les intentions pures et les bonnes pensées. Oh! je n'ignore pas le péril. C'est pourquoi j'aurais refusé cette fortune si par cette

résolution de ma part elle n'avait dû faire retour à un indigne possesseur. Je l'ai donc acceptée.....

-Hé bien interrompit vivement Bernard, vous avez accepté. Que me disiez-vous donc ?

— Oui, répliqua-t-elle lentement, oui, j'ai accepté. Les pauvres auront désormais quarante mille livres de rente dans mes mains. Voilà le parti que j'ai pris et il est irrévocable. Quant à moi, je puis dire que je n'ai pas une obole. Mon âme est triste, mais elle est en paix. A présent, vous devez me comprendre.

Si je comprends ! dit-il. A merveille. Vous avez renoncé à cette fortune amassée par je ne sais quel brigandage. Vous avez rejeté loin de vous l'or trouvé dans ce fumier d'ignominies, et vous avez eu peur que je ne vous en blâme! Vous n'avez pas seulement douté de mon cœur, mais de ma conscience; de ma tendresse, mais de ma loyauté. Il faut, vraiment, que celui que vous aimez soit bien petit à vos yeux! Et maintenant encore, peut-être doutez-vous de ma sincérité. Et si je vous dis encore une fois : Madeleine, vous avez bien fait.....

Bonté du ciel! s'écria Madeleine. C'est donc sérieusement que vous m'approuvez........... Oh! Bernard, Bernard; est-ce bien vrai?

- Peut-être que non! répondit-il avec le même emportement. Il se conçoit aisément que je vous en veuille aujourd'hui plus que je ne vous en voulais hier de n'avoir pas de bien à m'offrir. Je ne vous avais peut-être aimée que parce que je savais qu'un jour vous deviez être riche! Peut-être avais-je entendu parler de cet oncle chimérique que vous-même et votre mère vous croyiez mort depuis vingt ans! Dès lors n'apercevez-vous pas le calcul que j'avais fondé sur votre tendresse? Oh! ce n'est point parce que vous êtes belle et que je vous croyais bonne que je me suis attaché à vous!

- Ami, s'écria Madeleine, épargnez-moi, je vous en prie. Ne le voyez-vous pas? c'était l'effet de la richesse; elle n'a fait que passer dans mes mains; elle m'avait déjà mis de mauvaises pensées dans le cœur. »

Mais Bernard demeura muet; sa colère s'était bien vite éteinte. C'en était fini de cette flamme rapide que l'injustice et les soupçons de Madeleine avaient éveillée sur ses lèvres; il réfléchissait maintenant! La richesse n'avait fait aussi que passer devant ses yeux: Dieu seul pouvait savoir ce que l'illusion, en s'enfuyant, allait vraiment laisser dans son âme.

« J'ai eu tort, dit humblement Madeleine. Votre ressentiment est juste. Tenez! ne parlons plus de tout cela; il vaut mieux rentrer. Ce soir, je vous ai trop vilainement offensé, et vous avez besoin de réfléchir toute une nuit pour comprendre que je souffrais, qu'il faut être

2e S. TOME XXV.

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