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goïsme, et pourtant ce rêve, je l'avais fait ! Et qu'il me rendait heu-
reuse! J'ai rêvé qu'en partant je vous emmenais avec moi.

-Le voulez-vous? s'écria Madeleine..... Certes, votre rêve peut
se réaliser. Il ne faudrait qu'une seconde..... Et quand je songe à la
vie qui m'attend si je vous perds, oh! maman, ne me tentez pas!

Madeleine, dit la veuve du major, venez ici, donnez-moi la main. Je crois que vous aviez raison tout à l'heure en me reprochant de dire des folies. Nous en avons assez dit, ma fille. »

Madeleine vint au bord du lit. Mae Marseillette lui commanda de s'y asseoir, l'attira vers elle et l'embrassa. Hélas! la vie se retirait si bien de ce pauvre corps que les lèvres trouvèrent à peine la force de s'ouvrir et de se presser sur la joue que voulait baiser la malade. Alors elle fit signe à sa fille de poser sa tête auprès de la sienne sur l'oreiller, l'entoura de ses bras et ne parla plus. Toutes deux demeurèrent ainsi enlacées le reste du jour et la nuit suivante, Madeleine ne cessant de tenir ses yeux avidement fixés sur sa mère, qui ne cessait point de lui sourire. Cette mâle façon d'accueillir la mort, cette parfaite sérénité d'âme et de visage arrêtaient sur ses lèvres les plaintes qu'elle allait répandre. Parfois, son cœur pourtant se brisait, les sanglots l'étouffaient, elle voulait s'enfuir dans quelque coin de la maison pour y pleurer, pour y crier en liberté ; elle cherchait à se dégager de l'étreinte de la mourante; mais celle-ci la retenait de toutes les forces qui lui restaient, et Madeleine retombait sur l'oreiller funèbre, contrainte à dévorer sa douleur.

« Madeleine, dit la veuve du major, quand le matin fut arrivé. Savez-vous ce qui me console de partir? C'est la pensée que je ne vous étais plus bonne à rien. Mes chagrins avaient égaré ma pauvre tête. N'était-ce pas vous depuis longtemps qui me dirigiez et qui pensiez pour moi? C'est moi qui étais devenue votre enfant.

-

-Ma douleur sera donc celle de la mère, s'écria Madeleine, jugez de ce que vous auriez souffert si c'était vous qui m'aviez perdue! C'est vrai, répondit Mme Marseillette. Il faut que je renonce à vous consoler, je le vois bien. Je ne suis pourtant point de ceux qui veulent qu'on les pleure trop fort. Un bon souvenir mêlé d'un regret bien tendre, un vrai soupir partant du cœur, quand il vous arrivera de penser à la morte, voilà tout ce que je vous aurais demandé. Je sais bien que vous ne m'oublierez jamais; nous avons été trop tendrement unies, et quand l'heure viendra.....

Ah! dit Madeleine, elle n'est point venue!

- Ma bien aimée, reprit la malade, vous avez été toute ma joie depuis vingt ans. Tout à l'heure, tandis que je ne vous disais rien, je me reportais, je ne sais pourquoi, au temps de votre enfance. Laissez-moi penser un peu à ce temps-là. Je vous vois encore quand

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vous veniez de naître. J'ai passé bien des nuits blanches à vous regarder et à vous admirer dans votre berceau. Mon âme avait cessé d'être à moi je l'avais mise tout entière dans cette frêle créature à qui je venais de donner la vie qu'elle ne m'avait point demandée. Vous étiez plus mièvre, plus difficile à élever qu'une petite fauvette, votre bégaiement était aussi doux. Dans quels ravissements vous me mettiez! Et depuis..... Ah! Madeleine, je vous souhaite d'être mère un jour! Mais, hélas! je ne songe point à tous les bonheurs que j'ai reçus de vous, sans songer aussi à toutes les peines que je vous ai causées. Vous les avez oubliées, vous êtes généreuse, vous ne vous souvenez plus de mon erreur! Elle a cependant empoisonné les derniers moments de notre union ici-bas. D'où m'était venu ce changement? La tentation s'était emparée de moi comme des autres, et vous ne trouviez plus dans le cœur de votre mère qu'un affreux reproche et des pensées qui vous faisaient rougir. A l'heure où je suis, c'est un grand remords. Madeleine, dites-moi que vous me donnez mon pardon.

- Oui, dit Madeleine, oui je vous pardonne. Et pourtant vous ne m'avez jamais fait plus de mal.

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Elle m'a pardonné! répéta tout bas Mme Marseillette. Ah! Madeleine..... >>

Puis elle s'arrêta; la voix lui manquait. Elle eut un léger spasme : sa tête roula sur l'oreiller. Madeleine se jeta à genoux en pleurant. Mais la mourante se ranima, et un sourire, mêlé cette fois de tristesse et d'une étrange ironie, vint encore illuminer son visage; il passa comme un éclair dans ses yeux éteints.

« Qu'Honoré Marseillette soit maudit! dit-elle. C'est lui qui me tue. Sans son infâme héritage nous aurions encore passé bien du temps ensemble. Je vous l'ai dit, Madeleine, moi morte, vous vivante, nous ne devons ni l'une ni l'autre demeurer au milieu de nos ennemis et des témoins de notre honte. Vous ne pouvez rester seule à soutenir le combat. Promettez-moi de quitter Saint-Denis. Je vous le promets, murmura Madeleine.

Et maintenant je veux reposer. Allez vous asseoir là, lui dit la mourante en lui montrant un fauteuil auprès du lit et regardez-moi. Pourquoi pleurez-vous? Je crois que vous aviez raison tout à l'heure en me disant que le moment n'était pas venu. Je suis faible; mais je me sens mieux. »

Le jour tombait. Madeleine s'en alla en chancelant allumer une bougie. Quand elle vint la poser auprès du lit sur la table, elle s'aperçut que les yeux de sa mère étaient fermés. Elle poussa un grand cri.

« Soyez sage, Madeleine, murmura Mme Marseillette. Approchez

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votre fauteuil et rendez-moi votre main. Je vous répète que je suis mieux. »

Dans le transport de sa douleur, Madeleine saisit cette pauvre main décharnée qui s'ouvrait pour recevoir la sienne; puis elle appuya de nouveau son front au bord du lit et continua de pleurer en silence. De temps en temps, elle relevait la tête et considérait sa mère avec une inexprimable angoisse. La malade semblait en effet reposer, comme elle l'avait dit. Elle dormait, car on entendait le bruit saccadé de son haleine; ce n'était bien qu'un sommeil. L'heure s'avançait; Madeleine sentait que ses paupières vides de pleurs s'appesantissaient malgré elle; après cette horrible veille de trois nuits, la fatigue la vainquit enfin, elle s'assoupit à son tour.

La mourante rouvrit les yeux. Elle sourit une dernière fois du succès de sa feinte héroïque et de la pensée que sa fille ne la verrait pas mourir. Elle fit un grand effort pour se pencher vers ces beaux cheveux blonds qu'elle aimait tant et y colla sa bouche glacée; puis elle dégagea lentement sa main de celles de Madeleine, pendant un moment encore la regarda dormir, et le reste de sa vie s'échappa dans une larme.

L'aube blanchissait alors les vitres de la chambre. La veuve du major reconnut qu'il était temps. Elle croisa ses bras sur sa poitrine et mourut comme un soldat.

(La 3e partie à la prochaine livraison.)

PAUL PERRET.

LES SALVI ET LES FLORIO

SOUVENIRS DE SICILE

J'ai fait en Sicile un assez long séjour, il y a une vingtaine d'années. Cette contrée était alors bien moins connue qu'aujourd'hui; elle a été depuis l'objet de diverses explorations, dont l'une des plus importantes a été publiée dans cette Revue'. J'avais vu, moi, la Sicile à une époque de transition, ou plutôt de trève, qui cachait sous un calme apparent les menaces d'une révolution prochaine. Grâce à une résidence de près de quatre années et à ma liaison intime avec M. Axel Renard, alors consul général de France dans cette île, j'avais pu apprécier sa situation morale mieux que la plupart des touristes, qui, en Sicile comme ailleurs, s'occupent moins des hommes que des monuments et des paysages.

Il n'était pas besoin d'une grande perspicacité pour reconnaître qu'à cette époque la vieille haine contre la domination napolitaine était comprimée et non éteinte, et qu'elle n'attendait, pour éclater de nouveau, qu'une occasion favorable. Il existait une sorte d'analogie entre les dispositions secrètes des Siciliens et les sourdes colères du volcan qui domine leur île. Les haines fermentaient dans le cœur des habitants toujours prêtes à faire explosion. Dès 1843 et 1844, on pouvait prévoir 1848 et 1860. Cette irritation permanente n'était que trop propre à faire ressortir le côté dissimulé et vindicatif du caractère sicilien. Aussi les actes de violence contre les personnes étaientils fréquents; et lorsque ces crimes, préparés avec une longue persévérance, exécutés avec une audace inouïe, atteignaient directement ou indirectement les représentants du pouvoir napolitain, ils ne

Voir Six mois en Sicile, par M. Sala, dans les livraisons du 15 juillet et du 15 décembre 1854 (ire série, t. XIV, p. 383, et t. XVII, p. 117).

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trouvaient dans la population que de la sympathie. Il semblait que toute vengeance fût légitime, surtout quand un ami du gouvernement en était la victime. J'emprunte à mes souvenirs deux faits de ce genre, deux vendette bien réussies, comme on dit en Sicile. J'espère qu'on trouvera à ces récits quelque intérêt dramatique : ils ont encore un intérêt plus sérieux, car ils sont les témoignages d'une haine séculaire, qui devait bientôt aboutir à d'importants événements historiques.

I

Un dimanche d'été de l'an 1843, nous étions assis, le consul et moi, sur le parapet du môle de Palerme, en face de l'ancienne Vicaria. De la porte Marine aux berges du lazaret, les quais étaient couverts de promeneurs endimanchés, qui venaient, comme nous, savourer les délices d'une soirée rafraîchie par la brise de mer. Tout à coup, du milieu de cette foule paisible et joyeuse jaillit un cri aigu, déchirant, un de ces cris d'agonie qui ne sortent pas deux fois d'une poitrine humaine. A ce cri répondent vingt exclamations de surprise et d'horreur : Santo Diavolo! Fighia mia! Puozzo morere! Les curieux qui se précipitent pour voir se heurtent contre ceux qui s'écartent avec épouvante. Enfin, du milieu du groupe tumultueux qui incessamment s'éparpille et se reforme ainsi sous les fenêtres de la Vicaria, sort un jeune homme, presque un enfant, traînant après lui un cadavre ensanglanté qu'il vient lancer dans la mer, à deux pas de nous. Puis il essuie sur sa manche, avec une tranquillité parfaite, la lame de son couteau, se dirige à pas comptés vers l'autre extrémité du port, à travers la foule, qui n'oppose aucun obstacle à sa retraite, et disparaît dans une des ruelles qui croisent la Via-Maqueda et vont aboutir à la route de Montréal.

Avant même que l'assassin fût hors de vue, les groupes avaient repris leurs allures de flânerie insouciante. Assurément, le moindre accident de voiture produit à Paris une émotion plus durable. J'interrogeai plusieurs personnes sur les causes présumées de cet assassinat. On me répondit invariablement avec autant de calme que s'il s'était agi d'une simple dispute. « Ce n'est rien, presque rien, un bravo qui vient d'expédier son homme et de le jeter à l'eau. » Enfin, je rencontrai un négociant de Palerme qui avait vu la scène de tout près, et qui connaissait personnellement le meurtrier et sa victime. Voici ce qu'il me raconta :

Deux ans auparavant, un colporteur français nommé Ferret avait

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