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REVUE CRITIQUE

La Raison, essai sur l'avenir de la Philosophie, par M. J.-E. ALAUX, docteur és-lettres, 1 vol. in-8. Paris, Didier.

Démontrer la nécessité de la philosophie, établir la méthode qui doit servir à la constituer, en faire entrevoir les résultats, tel est le plan du livre de M. Alaux. Beaucoup de gens, de philosophes surtout, croiront qu'il n'y a rien là de nouveau, ou que ce qui pourrait l'être est par cela même suspect d'erreur. Pour les personnes qui ne feront jamais leur siége, ou dont le siége tout fait ne doit pas être dérangé, c'est une vraie contrariété qu'un livre qui vient les accuser d'ignorance ou d'erreur.

Or, il faut que les ennemis de la philosophie, et ses paresseux ou faux amis, ceux qui ne veulent pas de philosophie et ceux qui se contentent d'une philosophie routinière, en prennent également leur parti. S'ils ne veulent pas être troublés dans leurs préventions ou dans leurs préjugés, qu'il ne lisent pas le livre de M. Alaux, il ne les laisserait pas tranquilles, car il est très original et très pressant. S'ils le lisent, malgré cet avertissement, ils changeront d'opinion; ou, s'ils persistent dans leurs idées, ce sera par de nouveaux et plus puissants motifs. Il peut se faire encore, quoique j'aime à croire qu'il n'en sera rien, qu'ils préfèrent rester dans des sentiments qui pourraient bien, cette fois, leur sembler mal assurés. Dans ce dernier cas, un secret reproche de leur conscience leur dira suffisamment que l'amour du repos n'est pas toujours compatible avec l'amour du vrai, et que c'est compromettre le repos que de négliger sciemment le vrai. Que veut dire tout ceci? Que le livre de M. Alaux est celui d'un esprit au moins ingénieux et d'une grande énergie, qu'il a pour le moins le mérite assez rare de faire penser les intelligences les plus exercées, d'ouvrir des perspectives nouvelles, et d'y pénétrer avec une puissance d'intuition et de raisonnement peu commune.

La thèse principale de M. Alaux est celle d'une raison élevée et généreuse il trouve dans l'homme la foi et la raison, la nécessité de croire et l'irrésistible besoin de raisonner. Il trouve dans le monde la religion et la philosophie. Mais il trouve aussi entre ces deux choses une sorte d'antagonisme, et dans leurs représentants une tendance à sacrifier l'un à l'autre. Il se demande ce qu'il convient de faire; quel est le sens et le but de ce dualisme jusqu'ici inconciliable? Sa réponse est pour l'acceptation du fait,

mais aussi pour la conciliation de ce qui n'a pas encore été suffisamment concilié, parce qu'il n'a pas été suffisamment entendu. La religion et la philosophie peuvent et doivent même s'unir, mais à la condition que la philosophie soit plus religieuse et la théologie plus philosophique. Mais quoi ! N'est-ce pas là une idée préconçue et qui pourrait être erronée? Nullement; et ce qui n'a pas encore été jusqu'ici n'en est pas moins dans la nature des choses; la philosophie est de soi si nécessairement religieuse, et la théologie si nécessairement philosophique, suivant M. Alaux, que ce sont plutôt deux formes momentanément diverses d'une même chose, destinées à s'identifier, que deux choses différentes.

C'est assez dire que l'auteur ne veut ni d'un dogme purement verbal, inintelligent ou contradictoire, ni d'une philosophie matérialiste. L'âme, l'essence de la philosophie, c'est la métaphysique. Or, la métaphysique, générale ou particulière, est essentiellement théologique ou conduit inévitablement à la théologie. Voilà le but, la thèse; tout le reste du livre n'est qu'un moyen, un surplus d'arguments à l'appui. Il serait trop long de suivre pas à pas l'auteur dans le développement dialectique de ce moyen. Mais nous appellerons spécialement l'attention du lecteur sur la polémique aussi forte qu'élevée de M. Alaux contre le matérialisme; sur ce qu'il y a d'excessif, de faux et de funeste dans les doctrines positivistes ; sur l'aveuglement d'un certain esprit théologique, également d'un positivisme outré dans son sens; sur la nécessité d'une science générale qui soit comme le fondement et le lien de toutes les autres; sur l'identité fondamentale du contingent et du nécessaire; sur une théorie de l'induction qui se rattache à la précédente, dans laquelle le contingent se résout dans le nécessaire; sur l'insuffisance de la théorie actuelle de l'induction, et sur l'incertitude et l'imperfection des sciences qui en résultent; sur la nécessité d'une physique ou science du monde visible, qui soit en harmonie avec les idées d'un monadisme dynamique, qui ont fait un si grand progrès dans le monde savant depuis Leibniz; sur les idées-mères d'espace, de temps, d'être, etc., considérées dans leurs rapports, et constituant un ensemble doctrinal qui sert de base à tout le reste.

La forme de l'ouvrage présente des différences telles qu'on croirait que les grandes parties n'en ont pas été composées de suite et dans un même esprit littéraire. Nous aimons peu, nous l'avouerons, les fictions apocalyptiques, à la façon de celles de Lamennais, dans un ouvrage philosophique. Nous préférons aussi le style plus simple et plus coulant, la phrase plus suivie et plus analytique de la seconde partie, au style plus tendu, plus tourmenté, et visant plus à la concision et à l'effet, de la première partie. Ce n'est pas que dans cette partie même, dans les préliminaires surtout, il n'y ait des pages remarquables. C'est ainsi, par exemple, que l'expression est à la hauteur d'une pensée vraiment élevée, dans ce passage où, d'ailleurs, la dangereuse tentation d'imiter Pascal semble se trahir: «Celui qui cherche la vérité, qui s'inquiète de savoir s'il est dans la vérité, celui-là a un esprit de vérité, fût-il dans l'erreur ; celui qui ne cherche pas la vérité, qui ne s'inquiète pas de savoir s'il est dans la vérité, celui-là, fût-il dans la vérité, a un esprit de mensonge. Et com

ment ce chrétien sceptique en philosophie s'inquiétera-t-il de savoir s'il est dans la vérité, lui qui récuse la compétence de la raison? Il reconnaît l'autorité à quel titre? Il sacrifie la raison à la foi: pourquoi ? Pourquoi! la raison seule le lui peut dire : elle domine l'autorité. A quel titre? La raison seule lui peut répondre elle juge la foi. La raison seule peut voir si elle doit se soumettre; le sacrifice de la raison, il n'y a que la raison qui le puisse prononcer, et c'est la raison que chasse loin de lui ce faux chrétien. Qu'il cesse donc d'être chrétien, puisqu'il ne sait pas pourquoi il l'est..... Il ne sait pourquoi il est chrétien, puisqu'il ne veut pas de la raison, qui seule pourrait le lui apprendre. Mais comme il conserve toujours quelque apparence de raison, malgré qu'il en ait, voici pourquoi, moi, je m'en vais le dire: Il est chrétien, parce qu'il a peur. »>

En somme, la Raison est un ouvrage qui sort des idées reçues d'une école quelconque, et qui prouve chez l'auteur un fond d'une richesse incontestable, des habitudes intellectuelles très sérieuses, une intelligence forte et des sentiments élevés. C'est un texte excellent de méditations pour ceux qui ne savent pas, pour ceux qui croient savoir, pour ceux qui savent mal, et même pour ceux qui savent réellement. TISSOT.

Histoire de la Terreur 1792-1794, par M. MORTIMER-TERNAUX, t. I. Paris,

Michel Lévy.

Cet ouvrage, qui n'aura pas moins de huit volumes, est le fruit d'investigations laborieuses et intelligentes, poursuivies depuis plusieurs années. I promet aux futurs historiens de la Révolution française un précieux contingent de documents authentiques et de pièces inédites. Bien que les analyses de ces documents soient reliées par un récit continu, ce livre n'est pas une histoire proprement dite. Les faits nouveaux, les importantes rectifications qu'apporte l'auteur aux ouvrages des écrivains qui l'ont précédé, tiennent naturellement dans le sien une place plus considérable que l'appréciation et la narration des faits déjà connus, et ôtent à l'ensemble de son travail, non pas l'intérêt, mais l'harmonie de proportion nécessaire dans ce qu'on nomme ordinairement une œuvre historique. Telle a été, du moins, notre impression première à la lecture du premier volume de cet ouvrage, lecture d'ailleurs des plus attachantes, et qui apprend une infinité de choses essentielles à ceux qui croyaient le mieux connaître les événements de cette époque.

Suivant les idées généralement admises jusqu'ici, la période révolutionnaire à laquelle on infligeait plus spécialement le nom de Terreur ne devrait commencer qu'à la chute de la Gironde (2 juin 1793) pour finir à celle de Robespierre (28 juillet 1794.) M. Ternaux a conservé cette date de clôture, mais il a cru devoir reculer le commencement de ce régime au 20 juin 1792, date de l'invasion des Tuileries par cette infime portion de la populace, milice déjà organisée des insurrections. Grâce à la connivence d'une partie des autorités, à la timidité des autres, cette invasion, coup d'essai préparatoire du renversement de la royauté, ne demeura pas seulement impunie, elle reçut des félicitations officielles. Elle donna aux

républicains de la Gironde et de la Montagne, qui alors faisaient cause commune pour détruire, et dont les meneurs des faubourgs n'étaient que les instruments, la mesure de la désunion et de la faiblesse des hommes d'ordre, et les encouragea à risquer une seconde journée qui fut décisive.

En faisant remonter le commencement du règne de la Terreur à plus d'un an en deçà de l'époque qui lui est ordinairement assignée, nous croyons que M. Ternaux est dans la voie de la vérité historique. Il s'y engage encore plus avant quand il rattache à ce système plusieurs démonstrations publiques des premiers mois de 1792, qui en furent le prélude trop significatif, notamment la fête patriotique offerte aux ex-soldats suisses du régiment de Châteauvieux, galériens amnistiés que les milices insurrectionnelles de Paris traitèrent en frères, et dont elles imposèrent la rentrée triomphale aux autorités. Cette apothéose impunie de la révolte militaire avait révélé, dès le 15 avril, toute la faiblesse du pouvoir exécutif paralysé par l'hostilité de la partie la plus violente des membres de l'Assemblée législative, par l'inertie et la timidité des autres. Une pareille situation donnait aux organisateurs d'émeutes toute garantie de succès ou du moins d'impunité; chaque démonstration nouvelle marquait un progrès dans cette voie fatale, et ce fut ainsi qu'on alla de la manifestation de Châteauvieux à celle du 20 juin, de celle-ci au renversement de la royauté, puis, de catastrophe en catastrophe, jusqu'au 9 thermidor, première étape de la réaction.

Peut-être eût-il été rationnel de reporter plus haut encore, en deçà de 1792, et même de l'Assemblée législative, le principe et la responsabilité de ces excès anarchiques. Admirateur sincère des réformes de 1789, dans tout ce qu'elles eurent de légitime et de durable, M. Mortimer-Ternaux a craint de dire trop haut ce que sa conscience d'historien lui murmurait tout bas. Il n'a pas osé proclamer nettement l'irréfragable solidarité des diverses périodes de la Révolution. Il n'a pas osé reconnaître que les agitateurs de 1792 étaient parfaitement logiq es, alors qu'ils s'autorisaient des précédents insurrectionnels de 1789; que l'on ne pouvait, sans une inconséquence flagrante, applaudir aux excès de la première période et désapprouver ou comprimer ceux de la seconde. En réalité pourtant, est-il sensé d'être du parti de l'émeute quand elle va enlever le roi à Versailles, et de se retourner contre elle lors de l'envahissement des Tuileries? Et si l'on va jusqu'à admettre la légalité de l'insurrection. du 10 août, de quel droit ira-t-on condamner la chute des Girondins? L'abîme invoque l'abîme, suivant l'énergique expression de l'Ecriture. Tout se tient, tout s'enchaîne fatalement dans cette longue suite de défaites successives des transfuges de l'anarchie.

La véritable et complète histoire de la Terreur sera celle qui, remontant résolûment au point de départ, datera des premières insurrections glorifiées son invasion dans notre histoire. Un tel récit se diviserait alors en deux phases bien distinctes; époque d'anarchie ou de terreur intermittente dont les accès devenaient chaque jour plus fréquents; époque de terreur permanente à l'ordre du jour, c'est celle où le Comité de Salut

public exerça ce despotisme absolu qui a laissé de si effrayants souvenirs.

Un esprit aussi judicieux que M. Mortimer-Ternaux ne pouvait méconnaître au fond cette implacable nécessité, mais il n'a pas voulu aller ouvertement jusque-là. Toutefois, il faut lui savoir gré des aveux que l'accablante évidence des faits et des déductions lui arrache au début de son travail. « Ce n'est pas sans douleur, dit-il loyalement, que nous nous trouvons contraint, par notre devoir d'historien, à reconnaître que la grande assemblée, quand elle vint à mettre en pratique les principes par elle proclamés, commit des fautes énormes. Irritée par les résistances intempestives de la cour, par les bravades des anciens émigrés, elle perdit son sang-froid..... Elle, qui semble croire si complaisamment à la vertu universelle, à l'harmonie permanente, réserve toutes ses méfiances pour le pouvoir exécutif. Elle le place au sommet de la hiérarchie administrative, et en fait ainsi le but de toutes les attaques, mais elle ne lui laisse la nomination d'aucun des agents qu'il est censé diriger, et le condamne d'avance à une ridicule et complète impuissance. On aurait voulu, de propos délibéré, organiser l'anarchie, qu'on n'aurait pu s'y prendre mieux. » Il obéit encore, comme malgré lui, à l'evidence historique, en rappelant, dans ce premier volume, les massacres de la Glacière d'Avignon en 1791, dont l'auteur fut sacrifié deux ans plus tard par les terroristes, avec lesquels il était pourtant bien digne de s'entendre.

Dernièrement, l'un de nos collaborateurs, M. Lançon, rappelait un éloquent discours de Mirabeau, qui remonte au mois d'août 1789. Ce morceau, qui a la valeur d'un document historique, prouve que, dès cette époque, le célèbre tribun était inquiet, à ben droit, des symptômes de fermentation qui se révélaient dans les campagnes et dans les villes, menaçant d'emporter la Révolution bien au-delà du but que lui assignaient ses premiers instigateurs. Il faisait observer avec raison que, dans les débuts d'un si grand mouvement social, la masse de la nation est naturellement disposée à l'irritation, à la défiance contre le pouvoir exécutif; qu'elle voit encore en lui, comme le symbole vivant des anciens abus, et qu'il y avait, dans cette irritation permanente, un germe de nouveaux périls. Déjà, visiblement, Mirabeau s'effrayait de la part de responsabilité qui incomberait à ses collègues, et surtout à lui-même dans les excès futurs. La majorité de l'Assemblée constituante eut en effet le tort de s'associer entièrement, dans plus d'une circonstance, à la désaffection de la nation pour le pouvoir. Cette conduite, qui autorisa des violences déplorables, est le véritable principe de la Terreur, que nous nous gardons bien, ainsi que M. Ternaux, de confondre avec la Révolution, mais qui fut, en réalité, sa contemporaine, nous dirions presque sa sœur jumelle. Bon ERNOUF.

Histoire de la Musique, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, par M. Ch. POISOT, in-18. Paris, Dentu.

L'abondance des matériaux a obligé l'auteur de cet ouvrage de se contenter, sur bien des points, d'une simple nomenclature. Néanmoins son

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