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Quand Szaman prononça ces paroles, quelques-uns furent remplis d'épouvante. Mais un de ces ivrognes s'étant saisi d'un pot de grès, le jeta au front du prophète, dont les cheveux se teignirent de sang.

Or, Anhelli s'étant jeté sur une hache, voulut le venger; mais Szaman le retint en disant : « Sois patient.

>> Ceux qui, dans un an, reviendront ici pleureront sur eux. Pourquoi se venger de ceux qui demain seront un objet de pitié ?

>> Seigneur! ne les châtie pas! >>

Ainsi parla Szaman; et une voix s'éleva de la foule en criant : « Enchanteur, tu as jeté sur nous un mauvais sort! Voilà, cette cruche était pleine, et elle s'est desséchée. »>

Et d'autres, ayant regardé dans les cruches, confirmèrent ce qui venait d'être dit, s'écriant tous ensemble : « Romps le charme que tu as jeté sur nous, ou nous allons te châtier en te faisant mourir. »>

Et il se fit un grand tumulte, et de terribles malédictions s'élevèrent, et l'un de ces hommes ayant saisi un couteau, l'enfonça dans la poitrine de Szaman, en s'écriant : « Tu as jeté un sort sur moi. »

Le vieillard tomba dans les bras d'Anhelli. Celui-ci l'emporta hors de la cabane; et il fut aidé par une jeune fille du nom d'Ellinaï, qui autrefois avait été criminelle.

Et quand ils furent dehors, en un lieu qu'éclairaient les étoiles, le vieillard fit entendre ces mots : « Portez-moi près des tombeaux, car voilà que je vais m'endormir. >>

Or, ils le déposèrent sur un des tertres funéraires, et le froid de la neige le ranima; et la femme lui enveloppa les pieds de sa chevelure et les tint serrés contre son sein.

Et le vieillard ayant ouvert les yeux, appela par trois fois : Anhelli! Anhelli! Anhelli! et sa voix était triste.

Et il lui dit : « Prends avec toi mes rennes et va vers le nord; tu trouveras une habitation creusée dans la neige et tu auras la tranquillité; et tu vivras du lait des rennes.

>> Prends avec toi cette femme, et qu'elle soit une sœur pour toi : elle m'a aimé à l'heure de ma mort, et je ne veux pas qu'elle périsse comme ceux-là.

>> Que te dirai-je? Voilà que la mort parlera après moi et me remplacera. Je t'aimais.

>> Car tu étais pur comme un lis qui de l'eau tire son feuillage et ses couleurs immaculées, car tu étais pour moi comme un bon fils.

>> Que la perte de ta patrie ne te rende pas triste jusqu'à la mort, et ne pleure pas en pensant que tu ne la reverras plus. Tout cela est un songe douloureux. >>

Pendant que Szaman parlait ainsi, Anhelli entendit marcher sur la neige, et il dit : « Qui donc approche? Est-ce la mort qui s'avance à pas bruyants? >>

Mais c'était un des rennes qui s'était tenu près de son maître mourant, et dont les yeux étonnés étaient remplis de larmes. Et Szaman se détourna de lui en pleurant.

Et après un moment, Anhelli s'étant approché, lui saisit la main et sentit quelle était glacée par la mort.

Or, il ensevelit le vieillard dans la neige, et s'étant tourné vers la femme, il lui dit : « Veux-tu m'accepter pour ton frère? Viens avec moi. » Et elle tomba à ses pieds en disant : « Mon ange! »

Anhelli la releva et ils se dirigèrent tous deux vers le nord; et les rennes de Szaman allaient derrière eux, sachant bien qu'ils suivaient de nouveaux maîtres.

Et Anhelli gardait le silence, car il avait le cœur rempli de larmes et de douleur.

XIII

Or, Anhelli et cette femme s'en allèrent avec les rennes de Szaman vers le désert lointain du Nord, et ayant trouvé une cabane abandonnée qui était taillée dans la glace, ils y demeurèrent.

Et après qu'il y eut séjourné quelque temps, Anhelli s'accoutuma à donner le nom de sœur à cette femme criminelle et pénitente.

Elle était sa servante, et lui préparait son lit du feuillage des arbres; le soir, elle s'occupait à traire le lait des rennes, et le matin les menait au pâturage.

Son cœur, par une prière incessante, s'était rempli de larmes, de tristesse et de célestes espérances, et son corps avait revêtu une beauté plus grande.

Ses yeux rayonnaient d'un éclat merveilleux et d'une confiance infinie en Dieu, et sa chevelure était devenue longue et semblable à une robe flottante dont elle se revêtissait, et semblable à la tente du pauvre pèlerin.

Et Anhelli s'étonnait de la voir sans inquiétude de l'avenir, elle qui autrefois avait commis un grand crime, et qui même avait les mains souillées de sang.

Et il s'étonnait de la douceur de ses plaintes, qui s'exhalaient comme les pleurs innocents d'un petit enfant, quand elle enviait aux oiseaux leurs ailes célestes, à la vue des hirondelles blanches s'élançant vers le soleil doré et se noyant dans ses rayons.

Et elle craignait de se souiller par des paroles impures, et disait : «Voilà que nous sommes deux dans le désert immense; et Dieu nous écoute et nous regarde, et si nous lui demandons des choses qui sont bonnes, alors il ne nous abandonnera pas. »

Or, le grand jour sibérien s'alluma et le soleil ne se coucha plus; mais il se mit à tournoyer dans le ciel, comme un cheval emporté au milieu de la carrière, avec une crinière tout en feu et le front éclatant de blancheur.

Et jamais ne finissait l'effrayante clarté; et les glaces se brisèrent avec un fracas horrible, comme la voix de Dieu se faisant entendre des hauts lieux aux hommes misérables et abandonnés.

Et une longue tristesse, une langueur accablante conduisirent l'exilée à

la mort, et elle s'étendit sur son lit de feuillage, au milieu de ses rennes, pour y mourir.

Et le soleil se coucha, car depuis quelque temps les nuits avaient recommencé sur la terre de Sibérie, et le soleil restait caché de plus en plus longtemps sous la terre.

Or, ayant tourné vers Anhelli ses yeux bleus comme des saphirs et inondés de larmes, Ellinaï lui dit : « Je t'aimais, mon frère, et je te quitte! >>

Et après lui avoir dit où il devait l'ensevelir, et qu'elle désirait reposer sous le pin qui croissait dans le ravin solitaire, elle ajouta : «Que serai-je après la mort?

» Ecoute, je voudrais être comme quelque chose qui vive près de toi, Anhelli; même la pauvre araignée qui est chère au captif et descend pour venir manger dans sa main au rayon doré du soleil.

» Je m'étais attachée à toi comme une sœur, comme ta mère..... et plus encore. Mais la mort finit tout.....

» Ne m'oublie pas..... car qui se souviendra de moi après la mort, si ce n'est le renne que j'avais coutume de traire en versant des pleurs?

» Si tu sais où nous allons après la mort, dis-le-moi, car je suis troublée d'inquiétude, bien que j'aie espoir en Dieu.

>> Je vais m'envoler vers le pays de ta naissance, et je verrai ta maison, tes serviteurs et tes parents, s'ils vivent encore;

» Et même cet endroit où reposait autrefois ton lit d'enfant, ton petit berceau.

>> Toi, tu me diras que ce sont là les idées du vulgaire, que l'homme après sa mort ne s'envole pas..... Mais, quoi! si la mort est plus belle avec une telle pensée.....

>> Vois donc au-dessus de mon lit cette lame de glace que rougit le soleil, avec ces deux ailes de rayons..... N'est-ce pas l'ange de lumière qui se tient au-dessus de moi?

» Les rennes arrachent la mousse qui soutient ma couche, et viennent brouter mon lit de mort..... Mes pauvres rennes, je vous fais mes adieux.

>> Et maintenant j'élèverai mes yeux vers la Reine céleste, et je lui adresserai mes prières. »

Or, la pauvre mourante se mit à réciter les litanies de la mère du Sauveur, et au moment qu'elle prononçait ces mots de la litanie: Rose d'or ! elle expira.

Et en signe de miracle, une rose en fleur vint tomber sur la blanche poitrine de la morte; elle y reposa, et un parfum de rose s'exhala dans la grotte.

Or, Anhelli n'osa pas toucher au corps de la morte, ni croiser ses mains roidies sur sa poitrine; mais s'étant assis à l'extrémité du lit, il pleura.

Et voilà qu'à minuit un grand bruissement se fit entendre, et Anhelli crut que c'étaient les rennes qui arrachaient, pour la brouter, la mousse du lit de mort..... Mais ce bruit avait une autre cause.

Au-dessus de la grotte planaient, comme une sombre nuée, les esprits

des ténèbres, qui riaient d'un rire strident et faisaient voir leurs faces. ténébreuses à travers les fentes des voûtes de glace, en criant : « Elle est à nous ! »>

Mais la rose miraculeuse, ayant pris les ailes d'une colombe, s'envola vers la voûte et regarda les esprits du regard d'un ange pur.

Et la nuée des esprits des ténèbres s'enleva du toit en remplissant l'obscurité des airs de ses cris de malédiction; et de nouveau se rétablit le silence qui convient à un lieu où repose un cadavre.

Or, trois heures environ après le milieu de la nuit, Anhelli entendit frapper à la porte, formée d'un bloc de glace, et ayant fait mouvoir ce bloc de glace, il sortit à la clarté de la lune.

Et il vit cette ange qui lui avait rappelé son amour pour une femme, son premier amour sur la terre; or, ayant baissé la tête devant elle, il se tint en silence.

Et Eloé lui dit : « Porte ici ta sœur qui est morte, je la prendrai et l'ensevelirai pieusement : elle est à moi. »

Or, Anhelli étant retourné dans la grotte, prit sur ses bras le cadavre, l'apporta et le déposa sur la neige, aux pieds de l'ange.

Et Eloé s'étant agenouillée près de celle qui dormait, fit passer sous son corps les deux extrémités de ses ailes de cygne et les noua sous la

morte.

Et s'étant relevée, les ailes chargées du cadavre, elle s'éloigna à la clarté de la lune.

Or, Anhelli retourna vers la grotte déserte, et ayant jeté les yeux sur les murailles, il gémit, car elle n'y était plus.

XIV

Et, vers la saison où la terre commence à s'éloigner du soleil et s'assoupit dans les ténèbres,

Jéhovah appela près de son trône deux des chérubins, les aînés du temps, et dit : « Allez vers la plaine de Sibérie. »>

Et les anges, contemplant la clarté divine, comprirent quelle était la volonté du Seigneur, et descendirent vers la contrée nébuleuse, après avoir dissimulé leur éclat divin.

Et ils arrivèrent près de ces lieux où s'élevait l'abri des exilés; mais ils n'en trouvèrent plus aucune trace, car il avait été renversé par le vent. Et du millier de ces proscrits, il restait à peine une dizaine d'hommes pâles et affreux à voir.

Et les anges s'étant approchés, les virent à l'entour d'un grand bûcher sur lequel gisait un cadavre humain.

Et ayant frémi d'horreur, ils dirent : « Hommes, que faites-vous? Est-ce un sacrifice aux dieux infernaux ? »

Et l'homme le plus âgé leur répondit : «Il est vrai que notre offrande est un cadavre, et que le dieu qui l'agréera est la faim.

>> Nous avons fait de notre société une société d'égalité; et c'est le sort qui nous a gouvernés, mais ce n'est aucun des maîtres de la terre, aucun roi.

>> Et que pouvions-nous faire avec nos entrailles et avec le nid de serpents qui nous rongeaient les entrailles?

>>> Est-ce que Dieu s'est souvenu de nous ? nous a-t-il accordé de mourir dans notre patrie et sur la terre qui nous a vus naître?

» Non, il a fait de nous un peuple de Caïns, un peuple de Samoïèdes, d'anthropophages. Qu'il soit maudit! >>

Ainsi parla cet homme, et sur ses lèvres ouvertes il y avait encore du sang humain. Or, les anges répondirent :

<< Convertissez-vous et priez Dieu, car nous allons vous montrer le signe de sa colère, celui qui fut autrefois le signe du pardon. »

Et ces hommes se mirent à rire aux éclats, ne sachant pas qu'ils parlaient à des anges, et ils dirent : « Quel est ce signe? »

Et les anges, ayant étendu les mains, leur firent voir un grand arc-enciel qui s'étendit rapidement et embrassa la moitié des cieux chargés de nuages; et ils dirent : « Le voici ! »

Et une terrible épouvante saisit ces anthropophages à la vue d'une chose si belle, si resplendissante, dont Dieu se servait comme du signe de sa colère.

Et leurs lèvres étaient ouvertes, et leurs langues noires comme des charbons; et leurs yeux semblaient de verre, ne se détachant pas des couleurs célestes.

Et dans leur extase ils prononcèrent le nom du Christ, et tombèrent

morts.

XV

Le même jour, avant le lever du soleil, Anhelli était assis sur un bloc de glace, dans un endroit désert, et il vit deux jeunes hommes s'avançant vers lui.

Au vent léger qui s'exhalait devant eux, il sentit qu'ils étaient envoyés de Dieu, et il attendit ce qu'ils allaient lui annoncer, espérant que ce serait la mort.

Et quand ils le saluèrent comme le font entre eux les hommes de la terre, il leur dit : « Je vous ai reconnus, ne vous cachez pas, vous êtes des anges.

>>> Etes-vous venus pour me consoler, ou pour lutter contre cette tristesse qui, dans la solitude, s'est instruite au silence?»>

Et ces jeunes hommes lui dirent : « Voilà que nous sommes venus t'annoncer que le soleil d'aujourd'hui doit encore se lever, mais que celui de demain n'apparaîtra pas sur la terre.

» Nous sommes venus t'annoncer les ténèbres de l'hiver, et une déso

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