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bles limites, pour limites nationales, que ses limites officielles. A quoi tient donc cette différence? Pourquoi cette exception unique? Pourquoi tant d'homogénéité ici, et pourquoi si peu là ?

On a presque toujours entrepris d'expliquer le contraste frappant qui existe à cet égard entre la France et d'autres empires d'importance numérique et territoriale équivalente ou même supérieure, par l'incompatibilité des races diverses, souvent hostiles, qu'ils contiennent. De toutes les raisons, celle-ci est certainement la moins digne d'être opposée à un pays qui, comme la France, réunit vingt races, vingt nationalités différentes, dont les luttes sanglantes remplissent toute la période féodale. On comprend et l'on accepte plus volontiers la raison tirée de la différence géographique des territoires, quoique, dans cet ordre d'idées même, la France soit loin d'être mieux partagée que les pays voisins, quant aux frontières naturelles. Mais c'est plus haut et plus avant qu'il faut chercher la vraie cause, la cause morale de cette belle unité française.

Le premier résultat de l'application des lois et de l'administration de la France aux provinces réunies à son territoire, est une plus égale répartition des charges publiques et des impôts qui, tout en procurant à chaque contribuable un soulagement immédiat, a cependant pour effet général d'augmenter, avec la production collective, la somme totale de l'impôt. Le second résultat est de réserver à la satisfaction des besoins locaux de chaque province une part notable de cet impôt, dont l'accroissement n'appauvrit point ceux qui le payent. Ce retour équitable et fécond de la fortune publique aux sources mêmes d'où elle provient s'opère soit par les subventions directes de l'Etat, soit par l'autorisation de centimes additionnels affectés aux dépenses d'intérêt communal ou départemental. L'impôt, dans un Etat bien réglé, est un courant perpétuel qui porte la vie des extrémités au centre, et qui la renvoie du centre aux extrémités. Or, dans ce double mouvement de circulation, qui est la condition même de la vie, pour une nation comme pour l'homme, le sang a plus d'abondance et plus d'énergie au retour qu'au départ, les extrémités, dont le dépérissement est le plus grand, sont aussi celles qui gagnent le plus à cet échange. Telles sont les maximes de l'administration française, Aussi les liens entre la métropole et ses provinces ont-ils toujours été en se fortifiant. Le cœur de la France est partout où se trouve aussi son terrritoire. Voilà ce qui rend impossible de la démembrer, voilà le secret de son unité tant enviée. C'est la raison que s'accorderont toujours à en donner l'histoire et la philosophie.

L'époque des guerres d'ambition et de conquêtes semble passée sans retour, et depuis que la raison universelle a fait prévaloir le droit de l'équité sur le droit barbare et païen de la force; c'est elle

qui accomplit les seules conquêtes possibles de notre temps; toute épée qu'elle ne dirige pas s'émousse ou se brise. Une intuition merveilleuse des nouvelles conditions de l'humanité et des nécessités qu'elles inaugurent pour les relations internationales, a révélé à la France le rôle que ce grand changement impose désormais à sa politique. L'annexion de la Savoie et du Comté de Nice lui a permis de montrer son respect pour les vœux des populations, et l'empressement des habitants de ces provinces à voter leur réunion à la France prouve qu'elles l'attendaient comme un bienfait.

Le vote à peu près unanime qui s'est produit aussi bien à Nice qu'en Savoie en faveur de l'annexion s'explique, du reste, en dehors des nombreuses considérations tirées des précédents historiques et des affinités de races, par la perspective des avantages nombreux et importants qui, pour les populations de ces provinces, allaient dériver de leur situation nouvelle. Il n'y a pas à s'étonner que, même au sein de l'enthousiasme, dans cet instant solennel où ils se voyaient appelés à prononcer sur leur destinée, les nouveaux Français n'aient point perdu le sentiment de leurs intérêts, et que, fiers d'appartenir à une nation glorieuse entre toutes, ils aient été bien aises d'entrer dans une famille riche et bien administrée. Ce genre d'égoïsme est assurément permis, et n'ôte rien aux qualités morales de ceux qui le pratiquent. Le voisinage et, par suite, les relations continuelles des nouvelles provinces avec la France leur avaient fait apprécier de longue date les bienfaits de l'administration française, en leur inspirant chaque jour des comparaisons qui ne devaient pas tourner à l'avantage de leur propre régime.

Il est indispensable de faire connaître quelle était, sous la précédente administration, la situation générale des provinces annexées. Cet exposé préliminaire éclairera d'un jour fort utile l'étude que nous avons entreprise.

Grâce à son voisinage avec la France, le Piémont, comme la Belgique, a depuis longtemps adopté la plupart des institutions de notre pays, et a modelé sa constitution intérieure sur la nôtre, en ne conservant parmi les éléments de son ancien régime que ceux auxquels le caractère particulier, ou ce qu'on peut appeler le tempérament moral des populations qu'il renferme, ne lui aurait pas permis de renoncer sans danger. Mais si les imitations en général laissent toujours à désirer et ne rappellent qu'imparfaitement le modèle, celles qui transportent les formes gouvernementales ou administratives d'un pays à un autre, entravées le plus souvent par les mœurs, les coutumes, les traditions, les préjugés de la nation à laquelle elles s'appliquent, n'amènent ordinairement que des réformes incomplètes, et sont impuissantes à changer brusquement un état de choses qui,

tout défectueux qu'on l'ait reconnu avec le temps, a eu sa raison d'être pendant des siècles, et la conserve en partie malgré les besoins nouveaux d'une époque plus avancée en civilisation. Celui qui parcourt la Belgique, non en touriste exclusivement préoccupé du côté pittoresque ou artistique, mais en observateur, en économiste, découvre à chaque instant, dans ce pays si parfaitement modelé en apparence sur le nôtre, des symptômes non équivoques de cette protestation du génie et du caractère national contre l'importation du système administratif français qui, bien que mieux compris et mieux appliqué de jour en jour, n'y produira cependant probablement jamais les mèmes résultats qu'en France. En Piémont, contrariée par des obstacles plus grands et plus nombreux, l'assimilation a encore moins réussi; la suite de cette étude va nous en fournir la preuve.

Une première et très juste observation est celle que présentait dernièrement M. le préfet de la Haute-Savoie au conseil général de ce département. L'état dans lequel se trouvaient, disait-il, sous le rapport administratif, les nouvelles provinces et particulièrement la Savoie, au moment de l'annexion, semblerait indiquer que, depuis 1815, le Piémont lui-même comprenait que sa possession avait un caractère précaire, transitoire et presque étranger.

Il est impossible, en effet, de ne pas être frappé du contraste qu'offrait, au point de vue de la prospérité matérielle, la partie italienne du Piémont avec ses provinces transalpines. Aucun pays au monde, sans en excepter même l'Angleterre ni la Hollande, n'est mieux cultivé, plus riche en pâturages, plus sillonné de canaux d'irrigation et de navigation, de routes et de chemins, que la partie du Piémont qui touche à la Lombardie. C'est là que les irrigations, cette source principale de toute richesse agricole, ont reçu leur plus complet développement, c'est là qu'elles sont pratiquées avec le plus d'intelligence, et que les travaux coûteux qui les distribuent sont entretenus avec le plus de soin et de dépense ; c'est là aussi que de tous les Etats européens, même de la France, on envoie des ingénieurs étudier les procédés de ce puissant moyen de fertilisation. Les routes de cette féconde région ne sont ni moins nombreuses, ni moins belles, ni moins soignées que ses canaux. Or, ce n'est qu'à force de travaux et d'argent qu'on a pu transformer en éléments de richesse les nombreux torrents descendus des Alpes, qui, abandonnés à eux-mêmes, feraient bientôt de cette opulente contrée un vaste marécage. Les digues et les canaux absorbaient toutes les ressources de l'administration sarde.

La Savoie et même le comté de Nice étaient loin de présenter ce florissant aspect. La France les a trouvés dans une situation où tout était à faire. Les voies de communication, qui sont le premier besoin

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d'un pays, et sans lesquelles il n'y a ni agriculture, ni commerce, ni industrie, manquaient tout à fait sur la plupart des points, et là où elles existaient, elles présentaient des lacunes considérables, et disparaissaient faute d'entretien. Deux ou trois grandes routes seulement, conduisant aux principaux centres et servant aux communications entre la France et l'Italie, étaient à peu près aussi praticables que nos routes impériales. Quant aux chemins de second et de troisième ordre, analogues à nos routes départementales, le réseau n'en était exécuté qu'en très faible partie, et pour le reste n'existait qu'à l'état de projet, ou même n'existait pas plus sur les plans que sur le terrain. Enfin, les chemins vicinaux n'avaient jamais été connus que de nom.

Parcourues, comme le Piémont, par des torrents échappés des Alpes, qui dévastent les terres au lieu de les fertiliser, quand on ne les endigue pas et qu'on ne dérive pas leurs eaux par l'irrigation, les nouvelles provinces avaient vu échouer, faute de travaux assez énergiques et d'allocations suffisantes, les endiguements essayés sur quelques cours d'eau, tels que l'Arve et l'Isère, et restaient, par l'avortement de ces entreprises, dans un véritable état de souffrance. Le danger permanent créé par les torrents ainsi abandonnés à euxmêmes s'aggravait de jour en jour par suite de la dévastation des forêts qui, en Savoie, couvrent une superficie considérable, et constituent, particulièrement sur les pentes des montagnes, le plus puissant moyen de défense contre les inondations. Cette dévastation des forêts, qui en amène la ruine totale avec le temps, n'était pas seulement regrettable pour la sécurité des habitants; elle avait encore pour résultat de soustraire, en grande partie, à la richesse du pays une de ses sources les plus intarissables quand elle est soumise à une sage exploitation. Mais le Piémont n'entretenait en Savoie qu'un trop petit nombre d'agents forestiers, dépourvus d'ailleurs, pour la plupart, des connaissances spéciales qu'exigent de semblables fonctions. Ajoutons que les prescriptions les plus essentielles du code forestier étaient ou tout à fait inobservées, ou exécutées avec la plus étrange négligence.

Le régime des eaux n'était pas mieux organisé. Sur presque tous les cours d'eau, quelques usines, établies sans autorisation régulière, en absorbaient toute la force motrice, sans profit pour elles-mêmes et au grand détriment de l'industrie en général et de l'agriculture, qu'elles privaient du bienfait de l'arrosage. Enfin, l'exploitation des mines n'existait pas en Savoie, et ce n'est que depuis l'annexion que l'on a soupçonné les richesses minéralogiques de ce pays, qui paraît renfermer surtout des mines de fer d'une importance exceptionnelle.

L'exercice de la pêche, qu'il est encore plus nécessaire de réglementer que celui de la chasse, dans l'intérêt de l'alimentation publique, n'était assujetti à aucun contrôle sérieux, et les rivières, ainsi que les étangs et les lacs, se dépeuplaient rapidement.

Enfin, pas un des trois nouveaux départements ne possédait les édifices nécessaires pour installer l'administration, ou du moins les bâtiments affectés à cette destination se trouvaient en si mauvais état qu'il n'eût pas été possible de les utiliser décemment. Hôtels de préfectures et de sous-préfectures, mairies, maisons d'écoles, casernes de gendarmerie, asiles pour les aliénés et les indigents, hospices d'enfants trouvés, tout était à créer ou à refaire. Les églises mêmes et les presbytères, quoiqu'en nombre suffisant, et généralement en meilleur état d'entretien, n'auraient cependant pas soutenu la comparaison avec les édifices consacrés au culte dans le reste de l'Empire.

Et cependant les communes de la Savoie et du comté de Nice. avaient depuis longtemps épuisé leurs dernières ressources financères en cherchant vainement à se procurer tout ce qui leur manquait. Elles s'étaient obérées au point de ne pouvoir plus même espérer de l'avenir, à moins de sacrifices impossibles, la complète extinction de leurs dettes dont la somme dépassait 12 millions, chiffre effrayant si l'on songe à l'exiguïté de leurs revenus et au faible développement de la fortune publique dans un pays dont on avait si mal exploité jusque-là le sol et les richesses naturelles. Dans cette disproportion entre l'effort et le résultat, entre la production et la dépense, se dévoile avec la dernière évidence toute l'imperfection de l'ancien régime administratif de Nice et de la Savoie.

Il ne faudrait pas cependant conclure de ce qui précède que le gouvernement sarde négligeât plus ses devoirs envers la Savoie qu'envers ses autres provinces, et qu'il la sacrifiât de parti pris. Contre une telle supposition protesteraient au besoin les adieux touchants et affectueux adressés par la Savoie au moment de la séparation, à cette illustre dynastie dont elle a été le berceau et pour laquelle ses enfants ont toujours combattu avec une si héroïque fidélité. Certes, un mauvais gouvernement, des princes indifférents à leurs sujets n'auraient pas inspiré des dévouements pareils à celui de la valeureuse brigade de Savoie. Les bonnes intentions des anciens maîtres de ce pays sont donc hors de cause. Mais, avec cette restriction dictée par la justice, il faut avouer qu'un singulier concours de circonstances locales et d'événements imprévus s'était rencontré pour faire tomber la Savoie dans l'état de délaissement et d'infériorité où l'a trouvée le gouvernement impérial.

Le Piémont n'était pas en situation matérielle, surtout à l'époque

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