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où il nous les a cédées, de faire pour ces provinces ce que la France a fait depuis. Puissance respectable de troisième ordre, il n'avait pas trop de toutes ses ressources pour maintenir son influence politique au niveau que lui assignaient les espérances glorieuses et héréditaires de ses souverains, et que les dernières complications survenues dans la Péninsule lui avaient enfin permis d'atteindre. Le Piémont tendait d'ailleurs à se développer dans une direction géographique diamétralement opposée à celle de la Savoie : cette province se trouvait séparée de son ancienne métropole par l'énorme rempart des Alpes, et cette barrière, franchissable seulement sur quelques points, ne devait pas opposer de médiocres obstacles à l'action administrative qui exige des communications incessantes et faciles des différentes subdivisions territoriales avec la capitale où siége de gouvernement. Une pareille situation rendait bien difficile pour le Piémont la mission qu'il avait à remplir en Savoie, et, après mûr examen, c'est plutôt à la force même des choses qu'à l'ancien gouvernement qu'incombe la responsabilité des maux auxquels l'application du régime français est venue porter remède.

Cependant il faut bien reconnaître aussi que l'administration sarde ne procédait pas toujours d'après les errements les mieux appropriés à l'intérêt bien entendu de la province. C'est surtout en matière d'impôts, et dans le système d'après lequel les surimpositions des communes recevaient leur emploi que notre méthode financière a dû opérer les réformes les plus radicales. De là provenaient principalement et les dettes écrasantes des communes et la triste situation où se trouvait le pays en général, malgré ces dettes.

Sous le régime sarde, rien n'était plus facile que de proportionner les recettes aux dépenses. Lorsque le conseil provincial ou le conseil municipal avait voté les dépenses, quel qu'en fût le chiffre, il votait la surimposition correspondante, ou le gouvernement l'imposait d'office; aucune loi ne limitait cette surimposition. Aussi a-t-elle été portée partout à un chiffre qui dépasse de beaucoup le principal de l'impôt. D'après la loi sarde du 23 octobre 1859, toute la surimposition départementale était perçue au profit de l'Etat qui, en retour, prenait à sa charge, et pour les accomplir comme il le jugerait bon, toutes les dépenses départementales. Une somme insignifiante représentant environ le dixième de cette surimposition était seule réservée au conseil provincial divisionnaire pour dépenses facultatives.

Il en résultait cette conséquence bizarre que, bien que l'impôt fût, en principal, très inférieur à ce qu'il est en France, la totalité de cet impôt égalait et surpassait même par les surimpositions la totalité de l'impôt français, même en y comprenant les centimes additionnels: or, comme, d'un autre côté, par l'effet de la loi sarde, les sur

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impositions prélevées pour dépenses locales revenaient en réalité au gouvernement aussi bien que le principal, tandis qu'en France une grande partie des centimes additionnels est perçue au profit exclusif des communes, tout en payant autant d'impôts que la com mune française, la commune savoisienne n'en gardait pour ainsi dire pas un sou en caisse pour ses dépenses les plus urgentes, l'ombrageuse tutelle du gouvernement lui refusant tout maniement de fonds comme à un mineur ou à un interdit.

L'administration française a trouvé là l'occasion et le moyen nonseulement de réparer le dommage permanent qu'un pareil état de choses infligeait aux communes des provinces annexées, mais encore de les mettre en mesure de se procurer promptement et sans surcroît de charges la situation florissante que les anciennes communes françaises ont achetée par quarante-cinq ans d'efforts et de sacrifices.

Il a été décidé que, provisoirement, le principal de l'impôt perçu au profit de l'Etat resterait au faible taux adopté sous la précédente administration, et que l'on conserverait aux communes annexées la faculté que leur conférait la loi sarde de voter des surimpositions représentant souvent jusqu'à quatre fois le principal, mais avec cette différence essentielle que la presque totalité de ces surimpositions reste à la libre disposition des communes pour faire face aux dépenses exceptionnelles que leur impose la nécessité de se mettre au niveau des anciens départements de France pour les voies de communication, les édifices publics et tous les moyens d'amélioration et de richesse générale.

On voit quels avantages résultent pour les nouvelles provinces d'une mesure aussi libérale. La commune n'aura, comme autrefois, que 2,000 fr. d'impôt principal au profit de l'Etat, et en votant une surimposition locale d'une fois le principal, soit 2,000 fr., elle aura encore à payer moins que la commune correspondante d'un ancien département où les 20 cent. communaux s'ajoutent au principal, sans compter le privilége d'appliquer 2,000 fr. sur le chiffre total de l'impôt à ses propres dépenses. Toute la différence entre les deux communes est là. Dans l'une, sur le chiffre total de l'impôt qui s'élève à 7,200 fr., 6,000 fr. formant le principal sont perçus au profit de l'Etat, et 1,200 fr. au profit de la commune ; dans l'autre, 2,000 fr. sont perçus au profit de l'Etat et 2,000 fr. au profit de la commune. Le total de l'impôt n'atteint que 4,000 fr., c'est-à-dire 3,200 fr. de moins. En votant une surimposition de deux fois le principal, soit 4,000 fr., le chiffre total de l'impôt ne serait encore que de 6,000 fr., et par conséquent inférieur de 1,200 fr. à celui de la même commune dans un des anciens départements.

Ajoutons, enfin, qu'aux termes des lois françaises les surimposi

tions devant être votées par le conseil municipal avec l'adjonction des plus imposés en nombre égal aux membres du conseil municipal, il n'est plus à craindre qu'elles soient établies pour des dépenses qui n'auraient pas un haut intérêt pour les communes, appréhension que devait inspirer l'emploi de ces fonds tel qu'il était réglé par la loi sarde.

Les améliorations introduites par l'annexion dans l'application générale des impôts directs n'auraient qu'un caractère transitoire et une efficacité problématique si l'on n'avait songé en même temps à régulariser dans la nouvelle France l'indispensable auxiliaire d'une équitable répartition de ces impôts, le cadastre. On sait quels services cette précieuse institution a rendus en France, où elle a permis de donner à l'impôt foncier une assiette tellement solide et si bien établie, de le soumettre à un contrôle si régulier et si facile que l'erreur et l'arbitraire y sont devenus également à peu près impossibles, et que, même à distance, toute réclamation des contribuables auprès de l'administration centrale est assurée d'y obtenir bonne et prompte justice. Le cadastre n'existait dans aucun des trois départements formés par les provinces annexées, ou du moins les documents qui en tenaient lieu dataient de si loin, avaient été si mal dressés, qu'on n'aurait pu leur accorder aucune confiance. Dans le département des Alpes-Maritimes, ces documents de source et de nature différentes et même discordantes remontaient à 1791. Ils avaient été dressés alors sur la déclaration des intéressés, et l'on comprend aisément toutes les inexactitudes qu'un semblable travail devait présenter. Cependant les revenus fixés à cette époque servaient encore de base à l'impôt foncier au moment de l'annexion, et si l'on tient compte, en outre, des changements survenus depuis 1791 dans le mode de culture et dans les produits du sol, on se fera facilement une idée des vices d'une répartition d'impôts basée sur de tels éléments. Dans la Savoie, l'Etat sarde percevait chaque année, en vertu d'un édit du 22 décembre 1818, un centime et demi par franc sur les contributions pour réaliser les ressources nécessaires à la refonte du cadastre. Mais quoique le produit de cette contribution eût fourni des sommes considérables, l'argent restait encaissé à Turin, et l'œuvre importante à laquelle il était destiné n'était même pas encore entreprise lorsque la Savoie est devenue française.

Cette lacune est une des premières que le gouvernement impérial s'est occupé de remplir au moyen d'une imposition de cinq centimes spéciaux sur la contribution foncière des arrondissements qui n'avaient point été soumis antérieurement à la surimposition édictée en 1818 par le gouvernement sarde, et grâce à ces ressources augmentées, s'il en est besoin, par les subventions du Trésor, le cadastre

pourra être terminé en dix ans sur toute l'étendue des trois nouveaux départements. La répartition de l'impôt n'y gagnera pas seule la valeur des biens immobiliers en profitera singulièrement par suite des facilités nouvelles qui en résulteront pour les ventes et transmissions de propriétés.

L'application de la loi française en ce qui concerne les contributions indirectes préoccupait extrêmement les populations, qui, tout d'abord, n'y ont vu qu'un surcroît de charges, et qui redoutaient surtout l'impôt des boissons. On n'avait pas manqué, antérieurement à l'annexion, dans un but facile à deviner, de faire ressortir à leurs yeux les inconvénients du système, sans en présenter les avantages. On avait exagéré à dessein les embarras que devaient causer aux contribuables de toute catégorie les formalités imposées à la circulation des liquides sujets aux droits, les restrictions apportées à la vente de ces liquides, spécialement les mesures prescrites pour assurer la constatation par exercice des quantités vendues par les débitants, enfin les rigueurs de la répression.

Les agents de la régie ont dû s'appliquer avant tout à dissiper ces préventions, à donner aussi bien aux autorités locales qu'aux propriétaires de vignobles et aux assujettis les explications les plus précises, les plus détaillées sur les divers modes de perception et les conséquences diverses de chacun de ces modes. Ils sont parvenus sans difficulté à ramener les esprits et à faire comprendre aux débitants plus particulièrement ce qu'avait d'avantageux pour eux une législation qui ne frappe la matière imposable qu'au fur et à mesure de sa consommation et selon la quantité réellement consommée. Aussi, au moment de la mise en vigueur du décret du 8 septembre 1860, qui a rendu applicable aux départements annexés à partir du 1er octobre de la même année, les lois et tarifs de la France en matière de contributions indirectes, les intéressés ont-ils pu se prononcer en parfaite connaissance de cause sur le régime qu'ils préféraient adopter, et à l'époque fixée pour l'exécution pleine et entière de l'ensemble du système des contributions indirectes, ce système a-t-il pu fonctionner sur tous les points sans embarras et sans frois

sements.

En résumé, les différents produits qu'impose l'administration française des contributions indirectes étaient taxés par le gouvernement sarde dans des proportions à peu près équivalentes, et en outre, le fisc piémontais imposait lourdement une matière de première nécessité aussi indispensable à l'agriculture qu'à la consommation ménagère, qui, dans notre administration, ne supporte plus que des droits extrêmement modérés. Je veux parler du sel. En abaissant de 33 fr. à 13 fr. 50 c. environ le prix du quintal de sel,

la législation française a procuré aux départements annexés un dégrèvement de près de 2 millions, dont profite la consommation des plus pauvres ménages, et l'industrie des fromages, qui est la principale ressource des montagnes de la Savoie.

D'après ce qui précède, on a pu voir que si l'annexion a réuni à la France un territoire qui forme son complément géographique le plus naturel, et qui, par sa nationalité, était déjà français, les bénéfices qui pourront en résulter pour nos finances seront faibles si on les compare aux sacrifices qu'elle leur coûte et que la France n'est pas habituée à marchander en présence de situations pareilles à celle où elle a reçu sa nouvelle province.

Nous avons déjà fait connaître sommairement tout ce qu'il y avait à faire, à compléter ou à perfectionner pour que Nice et la Savoie participent à la richesse et à la prospérité matérielles du reste de la France.

Les départements de la Savoie avaient été pourvus, sous le premier empire, de routes impériales et départementales. Depuis 1815, le gouvernement piémontais s'était borné à l'amélioration de ces voies de communication; la création de nouvelles routes avait été laissée à l'initiative de quelques personnes dévouées, qui ont provoqué la formation d'associations syndicales ou consortiums. Et cependant, aucune œuvre d'utilité publique ne devait appeler à plus juste titre, particulièrement en Savoie, l'attention et les efforts de l'ancienne administration. Il est facile d'en juger par un rapprochement avec les territoires environnants de l'ancienne France.

Si l'on compare, au point de vue des voies de communication, le département de la Savoie proprement dite au département de l'Ain, qui le touche, on trouve que ce dernier possède 447 kilom. de routes impériales, 594 de routes départementales, 216 de chemins agricoles, 1,076 de chemins de grande communication, soit 2,333 kilom. de voies de communication, tandis que la Savoie ne contenait que 349 kilom. de routes royales et 239 kilom. de routes départementales, en tout 588 kilom., ce qui pour mille habitants donne une moyenne de 6 kilom. 30 dans l'ancien département français, et de 2 kilom. 10 dans le nouveau. Ajoutons que cette différence déjà trop considérable ressortirait bien davantage si l'on mettait en ligne de compte les 9,555 kilom. de chemins vicinaux du département de l'Ain, auxquels, comme nous l'avons déjà dit précédemment, il n'existe absolument rien d'analogue en Savoie. La Haute-Savoie était à peu près dans le même état d'infériorité comparative relativement à l'étendue kilométrique et à l'entretien de ses voies de communication.

A peine installé, le gouvernement français a pris les mesures les

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