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providence divine, et ceux qui espèrent détruire l'Eglise recommencent la fable des Titans: ils peuvent entasser les montagnes, qui roulent et retombent toujours sur euxmêmes ils épargnent ainsi à la patience divine la douleur de les écraser.

Les Jésuites poursuivirent au sein de l'Eglise, l'œuvre d'une véritable création scientifique et littéraire pour l'opposer à la renaissance profane. Ils se dévouèrent à l'éducation et cultivèrent avec succès toutes les sciences et tous les arts. Les colléges de la société de Jésus ont été, depuis le règne de François I jusqu'à présent, l'asile de la science catholique et d'une éducation vraiment libérale, parce qu'il n'y a pas de liberté hors de la discipline et de la foi; là, de prudents et habiles maîtres surent sanctifier, autant qu'elle pouvait l'être, la littérature profane, et firent étudier sans danger à leurs élèves, les chefs-d'œuvre de l'antiquité païenne, sans négliger pour cela les saintes lettres et les beautés bien plus durables de l'antiquité religieuse et catholique.

Nous avons dit que les chefs-d'œuvre de la littérature ancienne avaient été conservés dans les monastères, lors des bouleversements du monde et de l'invasion des barbares. Ces livres ne devaient pas être détruits, car ils appartenaient à l'histoire de l'humanité, et devaient servir de trophées au triomphe de l'Evangile. D'ailleurs, une beauté quelconque dans la forme suppose toujours une vérité quelconque dans la pensée. Les grands maîtres de l'antiquité avaient eu quelquefois comme une ombre d'inspira tion; on voit briller un lointain reflet de la gloire de Jéhovah dans les hymnes d'Orphée et de Cléanthe; plusieurs passages d'Eschyle semblent des imitations du livre de Job; Homère rivalise quelquefois avec la majesté et la simplicité des récits bibliques. Le travail providentiel de l'esprit humain pour épurer et pour enrichir les langues antiques ne devait pas être perdu, car la Providence poursuit son œuvre et ne se contredit jamais. Le catholicisme, en réagissant contre les lettres humaines, ne proscrivait que leur décadence et voulait sauver leurs grandeurs. Voilà pourquoi la Rome moderne est la capitale des arts et la conservatrice des chefs-d'œuvre du monde : elle a transfiguré le Panthéon en église de tous les saints, mais elle ne l'a pas démoli: elle n'efface aucune beauté, parce que la beauté est l'empreinte du doigt de Dieu; elle ne proscrit aucune vérité, parce que toutes les vérités sont catholiques, le catholicisme lui-même n'étant autre chose que la vérité universelle.

Cependant la prétendue réforme, qui cachait sous l'apparence d'une grande austé rité d'esprit les révoltes secrètes de la chair, poursuivait son œuvre de destruction dans le monde; elle déchirait les livres, brûlait les images, dépouillait les temples et anéantissait toute poésie dans sa littérature d'iconoclastes. Cette marâtre, qu'on appelle la raison humaine, brisait les trésors de ses enfants et déchirait sans pitié les figures dorées

et coloriées des pages où ils apprenaient à lire. Un voile fut tiré entre le ciel et la terre, les temples devinrent nus et mornes comme des âmes sans croyances. La morale, dépouillée de tous ses ornements et privée de son unique sanction, fut montrée aux hommes comme une férule dans la main d'un pédagogue, et l'on dégoûta ainsi les âmes de ce qu'on n'avait pas osé leur arracher d'abord. De protestation en protestation, où était-il d'ailleurs possible de s'arrêter? A la réhabilitation de la chair sans frein et du génie de Lucifer; à la négation de l'autorité, de la propriété et de la famille; au droit de braconnage et de résistance aux lois jusqu'à la mort. Tel est le dernier mot de la révolte, et ce mot, qu'un écrivain catholique seul a osé prononcer comme un paradoxe, a été accueilli par certains hommes comme une vérité, tandis qu'une répression défaillante osait à peine le châtier comme un blasphème.

Le siècle de Louis XIV compléta celui de Léon X, et donna le dernier mot de la littérature chrétienne. Après Bossuet, Corneille, Racine, Fénelon et Pascal, il ne reste plus guère de leçons à donner, il reste seulement de fortes études à faire. Le xvIIIe siècle arriva enfin pour ensevelir la philosophie et la littérature profanes dans leur triomphe éphémère. Il y eut alors un homme qui communiait expres pour outrager la sainte hostie, et qui ne semblait raisonner que pour trainer la raison dans la fange, insultant Dieu et méprisant les hommes: ce fléau fut l'idole de son siècle, et ne se coucha sous le sol ébranlé et miné par lui que pour attendre un immense tombeau de ruines. Sa dernière espérance ne fut pas trompée, mais ces ruines ensevelirent à la fois et ses ossements et sa gloire, et les projets de ses disciples. La révolution fut la grande fête des Philistins, dont Voltaire avait été le Samson aveugle. Amis et ennemis, tout fut écrasé sous la chute de l'édifice, et il ne resta debout que ce qui reste toujours debout sur les tombes, la croix qu'on voulait seule renverser.

Après ces grands enseignements, l'humanité devint pensive. Pendant que la religion envoyait encore ses enfants échappés au martyre consoler les vivants et ensevelir les morts, le Génie du christianisme parut, et opposa aux ricanements de Voltaire la mélancolie chrétienne de Châteaubriand. Ce n'était pas encore sans doute la vérité tout entière, mais c'était une éloquente protestation contre la calomnie et le mensonge. L'Europe. entière entendit cette voix; le génie de Tertullien parut alors se réveiller, et Lamennais nous apporta ses ardentes et amères apologies, rétractations anticipées des erreurs qui devaient les suivre. La littérature de l'orgueil eut un moment de découragement à l'aspect de cette renaissance catholique : elle se couvrit alors d'un voile de tristesse et se réfugia dans le désespoir pour échapper à la foi. Satan alors se révéla sous ses vraies formes de réprouvé, et il grinça des dents avec Byron de ne pouvoir plus rire avec Voltaire.

On vit paraître alors la littérature des tombeaux sans espérance; la poésie chanta l'hymne du mal, une guerre ridicule s'éleva entre les partisans de la littérature morte et ceux de la littérature des morts : les classiques d'un côté, champions du vieux Parnasse et de ses divinités à jamais mortes et surannées, et les romantiques de l'autre, qui voulaient remplacer des abstractions mythologiques par des imaginations monstrueuses, semblaient vouloir mesurer ensemble et prendre pour champions, les uns des squelettes, les autres des fantômes. La littérature chrétienne resta étrangère à tout le bruit que firent en passant ces querelles ridicules. De part et d'autre on finit par se calmer, et l'on reconnut qu'en littérature le beau doit toujours être classique, puisqu'il doit être toujours dans les écoles civilisées l'objet d'un sage enseignement.

A l'époque où nous vivons, la littérature est loin d'être encore chrétienne, mais elle tend à le devenir, et nous devons de toutes nos forces accélérer ce mouvement : telle est la pensée qui nous a dirigé et soutenu dans les recherches et le travail immense qu'a exigés le Dictionnaire que nous présentons aujourd'hui au public, et que nous soumettons au jugement de l'autorité compétente.

En entreprenant la composition d'un Dictionnaire de littérature chrétienne, nous avions deux écueils à éviter : premièrement les redites, secondement les innovations téméraires. Nous ne voulions pas compiler nos articles dans Laharpe ou dans Le Batteux, sauf à leur donner, tant bien que mal, une couleur exclusivement religieuse, et nous n'avions pas autorité pour enseigner de nouvelles méthodes; notre but donc été de choisir et de classer des matériaux pour un cours spécial de littérature chrétienne. Nous donnons nos études pour des études, et nos essais pour des essais, sans autre garantie que la consciencieuse activité de nos recherches et la réserve de nos jugements.

Donner des indications aussi complètes que possible sur les hommes et sur les choses de la littérature chrétienne, montrer la relation des formes avec les idées et l'alliance éternelle de la beauté avec la vérité dans les sciences et dans les arts qui ont la littérature pour interprète, indiquer les sources divines et humaines du grand art de bien dire appliqué à la science de bien faire tel a été notre désir. Nous n'avons pu expliquer les nuances diverses de la forme, sans avoir à apprécier souvent les transformations de la pensée; nous l'avons fait avec une abnégation entière de notre sens particulier, un sacrifice complet de toutes les tendances nouvelles, en nous plaçant simplement et uniquement au point de vue catholique tel qu'il nous a été montré dès notre enfance par l'autorité du corps enseignant, qui représente celle de l'Eglise infaillible et universelle. Si nous nous en étions écarté en quelque chose, ce serait à notre insu et contre notre volonté; nous supplions qu'on nous corrige, et nous donnons par avance, de tout

ce qui, dans cet ouvrage comme dans tous ceux que nous avons eu le bonheur ou le malheur de publier, serait jugé contraire ou moins conforme à la tradition catholique, une pleine et entière rétractation.

Du reste, les soins que nous avons apportés à la rédaction de ce Dictionnaire, le soin surtout que nous avons eu de communiquer nos principaux articles à de savants et sévères ecclésiastiques, peuvent nous rassurer un peu sur le jugement que portera de notre travail l'autorité à laquelle nous le soumettons tout entier.

Nous n'avons pas cru qu'il fût suffisant d'entasser par ordre alphabétique des matériaux informes, et de diriger seulement les recherches de nos lecteurs; nous avons désiré leur épargner ce que le travail a de plus pénible, en leur offrant des recherches toutes faites, des analyses indiquées, et des ébauches toutes tracées. Nous avons imité le maître de dessin, ou si l'on veut le répétiteur (car nous ne voulons nous comparer à aucune espèce de maître), qui, pour mieux expliquer ses théories, dessine lui-même sur ses cahiers ou sur le tableau de la classe quelques études élémentaires. C'est peutêtre hasarder beaucoup, mais on se résigne volontiers à la critique lorsqu'on enseigne avec le sincère désir d'apprendre soi-même. Nos essais ne seront jamais ajoutés à nos articles comme des modèles, mais seulement comme des démonstrations. On sait que dans les cours de géométrie on raisonne souvent fort juste sur une figure assez mal faite. Du reste, toutes les fois que nous avons pu nous dispenser d'esquisser nous-même et raisonner seulement sur les compositions des maîtres, nous nous sommes bien gardés d'y manquer.

Voici comment nous avons distribué nos études. La sainte Ecriture d'abord, dont nous avons analysé avec soin l'ensemble et les parties au point de vue exclusivement littéraire, mais cependant avec toute la foi d'un chrétien. Nous avons cherché surtout à préciser le caractère de la poésie ou de l'éloquence propre à chacun des auteurs des saints livres; nous y avons cherché les modèles primitifs de tous les genres littéraires; nous avons profondément étudié toute la littérature de l'Orient, le symbolisme primitif des anciens cultes dans ses rapports avec les figures de nos livres divins, la science des allégories et des harmonies dans les littératures anciennes qui se rapportent à celle de la Bible; nous avons fait peut-être quelques découvertes dans les champs si cultivés et si souvent explorés de l'érudition religieuse; enfin nous avons réuni dans des articles qui sont de véritables traités, tout ce qui peut servir à l'intelligence des figures de langage et des beautés littéraires de nos livres divins. Une personne qui voudrait entreprendre la lecture de notre Dictionnaire comme celle d'un cours, devrait, après cette préface, lire d'abord l'article BIBLE, puis chercher le mot GENÈSE, et lire ainsi succes. sivement tous nos articles sur chacun des

soixante-douze livres qui composent le volume divin.

Le travail que nous avions fait sur la sainte Bible, nous l'avons fait ensuite sur les Pères; mais on doit comprendre qu'il nous a été impossible de lui donner la même étendue et les mêmes développements: l'espace et le temps nous eussent manqué pour une pareille œuvre. Il a donc fallu nous borner à résumer dans un seul article, intitulé du nom de chaque Père, les beautés générales et la portée littéraire de ses ouvrages. Cette œuvre n'était pas la moins difficile de la tache que nous nous étions imposée, et nous serions heureux si notre succès égalait seulement la peine qu'elle nous a donnée.

Après les Pères, nous avons étudié la liturgie et la poésie admirable des cérémonies et des saints offices; nous avons étudié, comparé et analysé les principales hymnes et les plus belles proses de l'Eucologe; la sainte Messe, le Propre du temps, le Rituel ont été les sujets d'articles spéciaux; nous avons choisi et cité quelques belles traductions de Racine et de quelques autres moins célèbres, nous avons même risqué nos essais quand les œuvres des maîtres nous ont manqué.

Nous avons étudié après les Pères, et cité à leur rang alphabétique, les hagiographes les plus célèbres, et ici nos analyses ont dû être encore plus succinctes et nos indications plus abrégées. On ne cherchera pas dans notre ouvrage la biographie des saints personnages ni des grands hommes dont nous avons choisi les noms : nos lecteurs trouveront ce travail tout fait dans les Dictionnaires d'Hagiographie et de Biographie, qui font partie de cette Encyclopédie théologique; toutefois, nous n'avons pas cru qu'il fût hors de notre sujet de citer, avec un beau Dom, quelque trait touchant ou sublime qui nous a paru de l'éloquence ou de la poésie en action.

Enfin, nous avons compassé les ouvrages des littérateurs et des poëtes, choisissant seulement les sommités, indiquant sommairement le reste dans les articles généraux sur la poésie et sur le style.

Après les hommes, nous avons passé en revue les choses, c'est-à-dire les genres et les espèces, les usages et les règles de la littérature chrétienne. Nous avons évité de nous rencontrer avec le Dictionnaire spécial d'éloquence sacrée, et nous nous sommes, pour ainsi dire, abstenu de tout ce qui appartient à la chaire. Nous n'avons également pas cru devoir copier ce qui se trouve dans toutes les rhétoriques sur les règles générales de l'art de parler et d'écrire; nous avons fait en quelque sorte mémoire en passant de la nomenclature classique des figures et des tropes, ayant trop de choses importantes à faire entrer dans nos articles pour les allonger inutilement par des banalités et des redites empruntées à des livres que nous avons appris par cœur dans notre enfance, et que tout le monde peut trouver par

lout.

Nous avons dit que plusieurs de nos articles sont de véritables traités, et nous aurions voulu les faire aussi complets et aussi solides en les abrégeant et en les multipliant davantage; mais le lecteur judicieux s'apercevra sans doute qu'ils sont déjà fort abrégés et ne contiennent pas tous les développements qu'on y indique et qu'il serait possible d'y faire. Le Dictionnaire de littérature chrétienne, étant un ouvrage entièrement neuf, était à créer tout entier, et nous n'avons pas cru qu'on pût soutenir un pareil édifice sans lui donner de fortes bases. Nous avons donc composé d'abord séparément nos principaux articles comme autant d'ouvrages particuliers, puis nous les avons rattachés ensemble par une succession logique que la série alphabétique ne peut ni indiquer ni rompre, mais que l'ordre même des idées fera suivre facilement.

Tout le monde s'attendra à trouver dans un Dictionnaire de littérature un grand nombre de citations, et quelques personnes craindront peut-être de n'y trouver qu'une nouvelle édition plus complète de tous les recueils de morceaux choisis dont les bibliothèques sont encombrées. Il nous eût été impossible, en effet, de faire un cours de littérature, et encore moins un dictionnaire, sans citations; mais nous n'en avons pas été prodigue, et nous nous sommes gardé surtout de répéter encore une fois les leçons de notre enfance et les lambeaux de littérature qui traînent dans toutes les mémoires. Nous avons remplacé la citation par l'analyse toutes les fois que nous avons espéré le faire avec avantage. A peine avons-nous cédé à la tentation de répéter deux pages de Bossuet que tout le monde sait par cœur et qu'on ne se lasse jamais ni de relire, ni de répéter, ni d'entendre. Nous n'avons pas même copié un seul passage dans les livres charmants de Fénelon, préférant offrir à nos lecteurs des choses moins connues et qu'il est plus difficile de se procurer. C'est dans cette intention que nous avons compulsé les manuscrits et les parchemins gothiques des bibliothèques pour en tirer quelques légendes inédites ou quelques scènes de nos vieux mystères: Nous avons traduit de plusieurs. langues anciennes et modernes les poésies de

saints personnages trop peu connus comme poëtes, tels que saint François d'Assise, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse, etc. Nous avons, autant qu'il nous a été possible, choisi des ouvrages assez courts,. pour qu'on pût les citer dans leur entier,. ayant toujours trouvé pénible le démembrement et la mutilation des œuvres littéraires. Une belle page n'est vraiment belle qu'à sa place, et les fragments nous semblent toujours le résultat d'une œuvre de destruction. Lorsque nous retrouvons dans quelque citation mutilée les uniques restes de quelques antiques chefs-d'œuvre, nous nous sentons prêts à traiter de barbare celui qui nous ap porte ainsi les tronçons d'une pensée meurtrie. Que ce soit un préjugé ou une idée juste, nous avons craint d'encourir le même

blâme, et, au lieu de démembrer, par exemple, la belle tragédie d'Athalie, qu'il nous était impossible de ne pas citer, puisque c'est le chef-d'œuvre de la littérature religieuse et de la littérature française, nous aimons mieux renvoyer au texte entier, qui se trouve entre les mains de tous les lecteurs.

Nous avons eu à profiter plus d'une fois des travaux de quelques écrivains modestes dont les noms sont peu connus, et dont les livres estimables sont heureusement tombés entre nos mains je les remercie des renseignements qu'ils m'ont fournis, et des citations savantes qu'ils m'ont donné l'occasion de faire. Je suis heureux de pouvoir citer ici avec les éloges qu'ils méritent, les noms de MM. Oseray, Jacoby, Victor de Perrodil, Joly et l'auteur anonyme d'un Essai sur la littérature des offices divins.

Un mot maintenant sur l'usage de ce Dictionnaire. Il peut servir pour l'étude, pour la composition et pour les recherches.

Pour l'étude, il contient d'abord, comme nous l'avons dit, un cours de littérature chrétienne aussi complet qu'il nous a été donné de le faire. Pour suivre ce cours, il faut diviser les articles par séries relatives à l'ordre logique des idées, et soit qu'on préfère commencer par l'abstrait ou par le concret, soit qu'on veuille faire passer l'étude des genres avant celle des écrivains, on pourra commencer le cours par les articles STYLE, POÉSIE, PROSE, etc., ou par les articles BIBLE avec tous ses compléments, PÈRES avec tous les noms qui s'y rapportent, et ainsi de suite. On pourrait lire aussi d'abord, en forme de prolégomènes, les articles ALLÉGORIE, AUTORITÉ et d'autres de la même espèce. Nous sommes loin de donner comme certains les résultats d'un travail de plus de vingt ans; car une longue vie ne suffirait pas, employée toute entière, à une étude si attachante. Nous espérons toutefois que notre peu de science donnera à nos lecteurs le désir d'en acquérir davantage, et qu'ils jugeront des richesses de la mine d'or par les quelques paillettes que nous avons lentement et laborieusement recueillies.

Le moyen de profiter de nos essais sera de les recommencer soi-même. Nous invitons nos lecteurs à vérifier nos analyses et à les refaire. On dit que la meilleure manière d'apprendre, c'est d'enseigner. Nous nous posons donc en écolier devant nos lecteurs, et nous les prions de vouloir bien, dans leur intérêt et dans le nôtre, corriger nos versions et nos thêmes.

Nous avons dit que notre Dictionnaire peut servir encore pour la composition, parce qu'on y trouvera quelques indications précises sur les sujets et sur les genres, avec des appréciations consciencieuses des bons modèles, et surtout des exercices d'analyse sur les livres saints, cette source de toutes les créations littéraires. On y trouvera aussi des résumés du mouvement de l'esprit humain et des tendances littéraires à toutes les grandes époques du christianisme, des études sur les mystères de la re

ligion dans leurs rapports avec l'imagination et le cœur, beaucoup d'idées indiquées et de plans à demi tracés, des suggestions et des esquisses, des recherches sur tous les genres toutes faites et toutes préparées, sans surcharge de textes et d'érudition superflue. Il y a, dit un moraliste français, la même différence entre la bonne et la mauvaise érudition qu'entre les abeilles et l'enfant qui arrache les fleurs les abeilles prennent le miel de toutes et les laissent vivre, l'autre néglige le miel qu'il ne sait pas recueillir et fait mourir les fleurs dont il s'empare, en sorte qu'elles ne sont plus bonnes à rien. Nous avons tâché de ressembler plutôt aux abeilles et de rendre nos recherches plus utiles en les débarrassant de tout ce qu'il y a quelquefois dans l'érudition de diffus et de pédantesque.

Quant aux recherches, l'ordre alphabétique et les renvois que nous avons indiqués les rendront faciles. On verra que nous avons resserré nos articles, et que nous qu'à les multiplier. Chaque idée et chaque avons tenu plutôt à les rendre complets sujet se présenteront ainsi dans leur ordre logique, avec l'indication de leurs antécédents et de leurs subséquents: méthode que nous avons crue préférable à des divisions trop multipliées qui ne pourraient laisser sur chaque objet que des notions vagues et incomplètes.

Enfin nous avons évité dans la rédaction cette sécheresse didactique qui fatigue trop souvent dans les ouvrages élémentaires. Il faut parler de la littérature en littérateur, et de la poésie en poëte, pour intéresser et pour convaincre. Nous en avons senti la nécessité, et si le talent seul a souvent manqué à notre bonne volonté et à nos efforts, on ne nous accusera pas du moins d'être resté froid aux beautés que nous faisions remarquer aux autres, et d'avoir désintéressé notre cœur des exercices que nous proposions à l'intelligence et à l'esprit.

Revenons à la pensée dominante de notre œuvre, l'existence et l'avenir d'une littérature exclusivement chrétienne, qui doit coopérer à l'œuvre de la régénération du monde moderne, et régner désormais sans contestations et sans partage. La littérature exprimant l'état des esprits, est ordinairement par ses variations le signe indicateur de la croissance, de la gloire et de la décadence des empires; elle se corrompt chez les peuples qui se corrompent, s'affaiblit et se perd aux approches des grands boulever sements du globe et aux époques de déchéance pour les civilisations. Quand l'empire romain est tombé, il eût entraîné les sciences et les arts dans sa ruine si le jeune christianisme ne fût resté debout et vivant, conservant dans son sein toutes les semences de gloire, de savoir, de vérité et de beauté pour l'avenir. L'oeuvre du christianisme dans le moyen âge a été la fondation de l'autorité infaillible et la constitution de l'unité catholique, affermie à son tour plu

tôt qu'ébranlée par trois siècles de persécutions. Cette arche nouvelle va peut-être bientôt surnager seule sur les flots d'un nouveau déluge. Hors d'elle, en effet, que reste-t-il au monde d'intact, de réel et de fort? Ceux qui ont pris le parti de n'y plus penser et de dire qu'elle n'existe plus s'étonnent et s'irritent de la rencontrer toujours au-dessus des hommes et des choses : pourquoi s'en étonner, et à quoi bon s'en irriter? Le monde entier proclame maintenant comme des principes d'avenir la fraternité, l'association, l'unité; or, cherchez tout cela hors de l'Eglise catholique, vous trouverez partout la division la plus complète. Tout le monde parle d'un retour à l'esprit de l'Evangile; les révolutionnaires eux-mêmes ont exploité le nom du Sauveur, et l'ont montré aux populations comme le fondateur de la véritable liberté. Ils ont bien fait, mais ce qu'ils n'ont pas dit c'est que la véritable liberté est dans l'abnégation, dans la résignation, dans l'obéissance et dans le dévouement, et que le nom du Christ symbolise et résume toutes ces idées; que la pauvreté est sainte, et que le Rédempteur, en lui léguant sa couronne d'épines et son manteau, l'a proclamée reine des vertus chrétiennes; que la douleur et le travail sont une expiation salutaire; qu'il ne faut pas envier le riche, mais le plaindre, et qu'on est au-dessus de toutes les choses dont on sait courageusement s'abstenir. C'est par de pareilles doctrines que le peuple sera véritablement émancipé; or ces doctrines sont dans l'Evangile, et ceux qui les lisent pour y chercher autre chose finiront pourtant par les comprendre. Or du christianisme bien compris au catholicisme il n'y a qu'un pas : le catholicisme est la conclusion rigoureuse du syllogisme dont l'Evangile a posé les prémisses.

Telles sont les tendances de l'esprit qui s'agite maintenant au sein des masses et les pousse comme malgré elles et à leur insu à une grande réconciliation avec l'Eglise leur mère. La puissance des événements forcera la logique des idées et la rendra aussi rigoureuse que nécessaire tout ce qui se remue dans la société d'instincts égoistes et brutaux doit aboutir à l'athéisme, au matérialisme, et par suite à la révolte contre toutes les lois; tout ce qui est généreux, fraternel, sociable, chrétien en un mot, doit se rallier tôt ou tard au principe de l'unité, qui est la seule garantie de l'association et de la force, et par une conséquence rigoureuse, au catholicisme, qui offre aux chrétiens cette unité déjà constituée, infaillible et impérissable.

Qu'on examine dans notre siècle le mouvement des sciences et des arts, qu'on interroge les pressentiments de la foule; tout le monde vous dira qu'une grande renaissance se prépare. Et qui donc pourra encore enfanter, si ce n'est la mère? Trouvez quelque part une institution, une association, une idée assez féconde et assez vivante pour mériter ce titre, et si c'est autre chose que

l'Eglise catholique, je vais vous reconnaître pour le plus étonnant génie des temps modernes... ou vous laisser là comme un pauvre fou. Il n'existe rien encore, direz-vous; mais il va se constituer quelque chose. C'est comme si vous disiez : Les sables arides du désert, dispersés en tous sens par les vents contraires, finiront par se réunir et par bâtir tout seuls un palais en pierres de taille. Ce qui tourmente l'humanité, ce sont les premiers regrets de l'enfant prodigue dans les angoisses de sa misère. Oh! quand donc se lèvera-t-elle en criant généreusement: Mon père! mon père ! il est temps de retourner à lui!

Cette comparaison de l'état actuel de l'esprit humain avec celui de l'enfant prodigue dans son exil est d'une rigoureuse exactitude. Après les orgies de la raison, la misère du scepticisme; après le luxe de la débauche, le matérialisme grossier et la convoitise bestiale, l'enfant prodigue n'avait plus pour préoccupation que le désir de remplir son ventre des cosses que mangeaient les pourceaux. Où en est maintenant chez nous, dans les arts, l'inspiration, la foi, le désir même de la gloire? Il faut de l'argent pour manger! Voilà la réponse brutale qui sera faite partout à vos questions sur les tendances de la littérature moderne. Le roman-feuilleton vous débite à tout prix des poisons de l'impureté ou des cadavres selon le goût des acheteurs, et l'officine des muses est devenue une succursale de la droguerie de Desrues ou des boucheries de Montfaucon.

La littérature ne pouvait guère descendre plus bas, et pourtant elle y est parvenue. La ferme des annonces a pris les beaux esprits à la journée, et les célébrités littéraires n'ont plus été que des tréteaux plus ou moins élevés pour les paillasses de l'industrie. La prostitution du verbe humain est ainsi arrivée aux dernières limites de l'abjection et de l'impudeur, et le dégoût en doit faire bientôt une justice prompte et universelle.

Qui pourra rester debout, après tant de chutes, sinon le génie de l'Église qui ne tombe jamais et qui relève ceux qui tombent? Où cherchera-t-on des garanties de durée pour les croyances et des titres pour réhabiliter la pensée humaine, sinon dans le temple vivant de l'autorité immortelle et des vérités inébranlables? Déjà, par un instinct de conservation dont on ne se rend pas bien compte, on se serre contre les piliers de l'édifice sacré, et l'on s'y appuie sous prétexte de soutenir la religion, qui n'a pas besoin d'être soutenue. Tout ce qui n'est pas souillé par le mercantilisme littéraire, aspire aux enseignements d'une morale solide et sévère; on essaye de revenir aux belles formes et de leur faire exprimer des pensées vraies; le besoin du sentiment religieux se trahit par le mysticisme dans l'art; on copie instinctivement les œuvres des siècles croyants; la peinture moderne, avec toutes ses ressources d'exécution, envie la naïveté et la candeur de la plus simple imagerie gothique tout nous ramène à l'art chrétien, et l'art chré

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