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est de prendre un livre, qu'on quitte quand on se sent recueilli par l'endroit qu'on vient de lire, et qu'on reprend quand cet endroit ne fournit plus rien pour se nourrir intérieurement. En général, il est certain que les vérités que nous goûtons davantage et qui nous donnent une certaine lumière pratique pour les choses que nous avons à sacrifier à Dieu, sont celles où Dieu nous marque un attrait de grâce qu'il faut suivre sans hésiter. L'Esprit souffle où il veut (1); où il est, là est aussi la liberté (2).

Dans la suite on diminue peu à peu en réflexions et en raisonnemens; les sentimens affectueux, les vues touchantes, les désirs augmentent : c'est qu'on est assez instruit et convaincu par l'esprit. Le cœur goûte, se nourrit, s'échauffe, s'enflamme; il ne faut qu'un mot pour occuper long-temps.

XVII. Enfin l'oraison va toujours croissant par des vues plus simples et plus fixes, en sorte qu'on n'a plus besoin d'une si grande multitude d'objets et de considérations. On est avec Dieu comme avec un ami. D'abord on a mille choses à dire à son ami, et mille à lui demander; mais, dans la suite, ce détail de conversation s'épuise, sans que le plaisir du commerce puisse s'épuiser. On a tout dit; mais, sans se parler, on prend plaisir à être ensemble, à se voir, à sentir qu'on est l'un auprès de l'autre, à se reposer dans le goût d'une douce et pure amitié on se tait; mais, dans ce silence, on s'entend. On sait qu'on est d'accord en tout, et que les deux cœurs n'en font qu'un; l'un se verse sans cesse dans l'autre.

XVIII. C'est ainsi que dans l'oraison le commerce (2) II Cor. 11. 17.

(1) Joan. 111. 8.

avec Dieu parvient à une union simple et familière qui est au-delà de tout discours. Mais il faut que Dieu fasse uniquement par lui-même cette sorte d'oraison en nous; et rien ne seroit ni plus téméraire ni plus dangereux que d'oser s'y introduire soi-même. Il faut se laisser conduire pas à pas par quelque personne qui connoisse les voies de Dieu, et qui pose longtemps les fondemens inébranlables d'une exacte instruction et d'une entière mort à soi-même dans tout ce qui regarde les mœurs.

XIX. Pour les retraites et la fréquentation des sacremens, il faut se régler par les avis de la personne en qui on prend confiance. Il faut avoir égard à ses besoins, à l'effet que la communion produit en nous, et à beaucoup d'autres circonstances propres à chaque personne.

XX. Les retraites dépendent du loisir et du besoin où l'on se trouve. Je dis du besoin, parce qu'il faut être sur la nourriture de l'ame comme sur celle du corps : quand on ne peut supporter un travail sans une certaine nourriture, il faut la prendre; autrement, on s'expose à tomber en défaillance. J'ajoute le loisir, parce que, excepté ce besoin absolu de nourriture dont nous venons de parler, il faut remplir ses devoirs plutôt que de suivre son goût de ferveur. Un homme qui se doit au public, et qui passeroit le temps destiné à ses fonctions à méditer dans la retraite, manqueroit à Dieu en s'imaginant s'unir à lui. La véritable union à Dieu est de faire sa volonté sans relâche, et malgré tous dégoûts naturels, dans tous les devoirs les plus ennuyeux et les plus pénibles de

son état.

XXI. Pour les précautions contre la dissipation, les voici en gros: c'est de fuir tous les commerces de suite et de confiance avec des gens dans des maximes contraires à la piété, surtout quand ces maximes contagieuses nous ont autrefois séduits. Elles rouvriront encore facilement nos plaies; elles ont même une intelligence secrète au fond de notre cœur; nous y avons un conseiller doux et flatteur, toujours prêt à nous aveugler et à nous trahir.

XXII. Voulez-vous, dit le Saint-Esprit (1), juger d'un homme? observez quels sont ses amis. Comment celui qui aime Dieu, et qui ne veut plus rien aimer que pour lui, auroit-il pour amis intimes ceux qui n'aiment ni ne connoissent point Dieu, et qui regardent son amour comme une foiblesse? Un cœur plein de Dieu, et qui sent sa propre fragilité, peut-il jamais être en repos et à son aise avec des gens qui ne pensent sur rien comme lui, et qui sont à tout moment en état de lui ravir tout son trésor? Le goût de telles gens et le goût que donne la foi sont incompatibles.

XXIII. Je sais bien qu'on ne peut et qu'on ne doit pas même rompre avec certains amis auxquels on s'est lié par l'estime de leurs bonnes qualités naturelles, par leurs services, par l'engagement d'une sincère amitié, ou enfin par la bienséance d'un commerce honnête. On pique jusqu'au vif d'une manière dangereuse les amis auxquels on ôte sans mesure une certaine familiarité et une confiance dont ils sont en possession: mais, sans rompre et sans déclarer son refroidissement, on peut trouver des ma

(1) Eccli. x111. 20.

nières douces et insensibles de modérer ce commerce. On les voit en particulier; on les distingue des demi - amis; on leur ouvre son cœur sur certaines choses où la probité et l'amitié mondaine suffisent pour les mettre à portée de donner de sages conseils, et de penser comme nous, quoique nous pensions les mêmes choses qu'eux par des motifs plus purs et plus relevés; enfin, on les sert, et on continue tous les soins d'une amitié cordiale sans livrer son cœur.

XXIV. Sans cette précaution tout est en péril; et si on ne prend courageusement, dès les premiers jours, le dessus, pour se rendre, dans sa piété, libre et indépendant de ces amis profanes, c'est une piété qui menace ruine prochaine. Si un homme qui est obsédé par de tels amis est d'un naturel fragile, et si ses passions sont faciles à enflammer, il est certain que ces amis, même les plus sincères, le rentraîneront. Ils sont, si vous voulez, bons, honnêtes, pleins de fidélité et de tout ce qui rend l'amitié parfaite selon le monde n'importe; ils sont empestés pour lui : plus ils sont aimables, plus ils sont à craindre. Pour ceux qui n'ont point ces qualités estimables, il faut les sacrifier, trop heureux qu'un tel sacrifice, qui doit coûter si peu, nous vaille une sûreté si précieuse pour notre salut éternel!

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XXV. Outre qu'il faut donc choisir avec un grand soin les personnes que nous voyons, il faut encore nous réserver les heures nécessaires pour ne voir que Dieu dans la prière. Les gens qui sont dans des emplois considérables ont tant de devoirs indispensables à remplir, qu'il ne leur reste guère de temps pour être avec Dieu, à moins qu'ils ne soient bien appli

qués à ménager leur temps. Si peu qu'on ait de pente à s'amuser, on ne retrouve plus les heures destinées ni pour Dieu ni pour le prochain.

Il faut donc tenir fermé pour se faire une règle. La rigidité à l'observer semble excessive; mais sans elle tout tombe en confusion: on se dissipe, on se relâche, on perd ses forces, on s'éloigne insensiblement de Dieu, on se livre à tous ses goûts, et on ne commence à s'apercevoir de l'égarement où l'on tombe, que quand on y est déjà tombé jusqu'à n'oser plus espérer d'en pouvoir revenir.

Prions, prions. La prière est notre unique salut. Béni soit le Seigneur, qui n'a point retiré de moi ni ma prière ni sa miséricorde (1). Pour être fidèle à prier, il faut être fidèle à régler toutes les occupations de sa journée avec une fermeté que rien n'ébranle jamais.

(1) Ps. LXV. 23.

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