Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Il enseigne

à Melun.

11 on vre une école à Paris.

Il se marie.

gue, fut Roscelin de Compiègne; Abaillard n'en dit rien puis il se mit sous la discipline de Guillaume de Champeaux 1.

3. Pendant qu'il étudiait à Paris sous Guillaume, il s'en fit aimer d'abord par les saillies de son esprit; mais ayant ensuite entrepris de réfuter quelques-unes de ses opinions, el affecté de le pousser dans la dispute jusqu'à paraître l'emporter sur lui, il devint odieux au maître et aux écoliers. Alors, plein de confiance en lui-même, il alla, quoique jeune, ouvrir une école à Melun, qu'il transféra quelque temps après à Corbeil, pour être plus près de Paris. Il eut un grand nombre de disciples. Son ardeur à se rendre capable de les bien instruire, lui occasionna une maladie qui l'obligea à aller reprendre son air natal. Après quoi il revint à Paris se rendre une seconde fois disciple de Guillaume de Champeaux, qui tenait alors ses écoles à Saint-Victor, où il avait pris l'habit de chanoine régulier. Ils eurent ensemble de fréquentes disputes sur les universaux. Guillaume enseignait que la même chose est essentiellement tout entière dans chaque individu. Abaillard soutenait le contraire, et sur ses raisons, Guillaume changea de sentiment 3. Cela fit augmenter la réputation d'Abaillard, qui ouvrit de nouveau une école à Melun, d'où il revint peu de temps après à Paris s'établir sur le mont de Sainte-Geneviève.

4. C'était vers l'an 1113 et dans la trentequatrième année d'Abaillard. La réputation d'Anselme, qui enseignait la théologie à Laon, l'y attira. Il en sortit peu satisfait; et de retour à Paris, il reprit ses leçons de dialectique. Etant à Laon, il avait commencé à expliquer la prophétie d'Ezéchiel 4, sans avoir auparavant étudié l'Ecriture sainte. Ses leçons sur cette matière plurent à ses écoliers ils le crurent aussi habile dans l'intelligence des livres saints que dans la philosophie.

5. En voyant augmenter sa réputation, il se laissa aller à la vanité, et lâcha la bride à ses autres passions. Chargé par un chanoine de Paris, nommé Fulbert, d'instruire Héloïsse, sa nièce, fille d'une beauté médiocre, mais de beaucoup d'esprit, et déjà savante, qui, outre la langue latine, possédait la grecque et l'hébraïque, ils conçurent l'un

[blocks in formation]
[ocr errors]

pour l'autre de l'amour, dont les suites furent la naissance d'un fils, qui fut nommé Pierre, et surnommé Astrolabe, ou astre brillant. Il fallut, pour apaiser la colère de l'oncle, épouser Héloïsse. Elle s'y oppcsa, et fit sur cela à Abaillard un discours des plus éloquents 5; elle lui faisait voir, qu'en l'épousant il sacrifiait sa fortune, soit dans l'Eglise qui pourrait récompenser son savoir par quelque bénéfice considérable, car il n'était encore que clerc, mais chanoine; soit dans le monde, par la réputation que lui donneraient ses talents. Elle concluait à ce qu'elle fût toujours son amie, et jamais son épouse. Toutes ces considérations furent inutiles. Abaillard ne craignit pas même les mauvais traitements de l'oncle, que la nièce lui faisait envisager comme certains. Renonçant donc à son canonicat, il épousa Héloïsse dans une des églises de Paris à l'issue de matines, en présence de l'oncle et de quelques témoins affidés; et aussitôt après la bénédiction nuptiale, ils se séparèrent. Héloïsse resta chez son oncle, et Abaillard reprit ses leçons publiques.

6

Il se fait moine à Saint

6. Cependant ayant su que Fulbert maltraitait sa nièce, il l'envoya à Argenteuil où Denis. il lui fit prendre l'habit de religieuse, à l'exception du voile. L'oncle, se croyant trompé par Abaillard, s'en vengea en le faisant mutiler, comme il dormait, par des gens qui trouvèrent le moyen d'entrer la nuit dans son logis. Abaillard reconnut les justes jugements de Dieu, qui le punissait par où il avait péché; et ne pouvant plus supporter la honte qui lui en revenait, il se fit moine dans l'abbaye de Saint-Denis, et Héloïsse prit le voile à Argenteuil. Ce fut l'évêque de Paris qui le bénit, et le mit sur l'autel. Héloïsse, sortant du choeur pour l'aller prendre et mettre elle-même sur sa tête, fut arrêtée par plusieurs personnes qualifiées, qui essayèrent de la détourner de son dessein. Mais elle ne se laissa point ébranler, et malgré les larmes qui coulaient de ses yeux et les soupirs que son cœur poussait, elle accompagna son sacrifice du récit des vers de la Pharsale de Lucain 7, où ce poète représente Cornélie déplorant la mort du grand Pompée, son époux, s'accusant de l'avoir rendu malheureux, et déclarant qu'elle va s'en punir.

Abælard., ibid.

7 Pharsal., lib. VIII, vers. 95.

[blocks in formation]

Il est condrmé dans le

Soissons

1121.

en

qu'étant dans le repos de la solitude, il pourrait plus facilement leur donner des leçons, et faire alors pour Dieu ce qu'il n'avait fait, étant dans le monde, que pour gagner de l'argent, ou s'attirer de la gloire. Ils mirent dans leurs intérêts l'abbé et les moines de Saint-Denis, qui commençant à se lasser d'un censeur importun de leur vie, furent bien aises de s'en défaire; ils l'envoyèrent à Deuil, prieuré dépendant de l'abbaye. Aussitôt que l'on fut averti qu'Abaillard y avait ouvert une école, il lui vint un si grand nombre d'écoliers 1, qu'il ne se trouvait pas dans le lien assez de maisons pour les loger, ni de quoi les faire subsister. Quoique ses leçons roulassent principalement sur l'intelligence de l'Ecriture et la théologie, il ne laissait pas pour contenter ses disciples de leur expliquer les arts libéraux. C'était comme un appât dont il se servait pour les conduire à la connaissance des grandes vérités de la religion. Telle était, dit-il, la méthode du grand Origène.

8. Les écoles de la plupart des villes, nomconcile de mément de Reims, se trouvant désertes, Albéric et Lotulphe, qui en avaient soin, s'élevèrent contre Abaillard, et engagèrent dans leur parti des archevêques et des abbés. Leurs raisons étaient qu'il ne convenait pas à un moine d'enseigner les belles-lettres, et qu'à l'égard de la théologie et de l'Ecriture sainte, Abaillard était incapable d'en donner des leçons, n'ayant jamais eu de maître dans cette sorte de science. Il fournit lui-même un autre sujet de plainte par un traité de l'Unité de Dieu et de la Trinité des personnes, dans lequel, aux instances de ses écoliers, il expliquait et prouvait ces mystères plus par des raisons de philosophie, que par les autorités de l'Ecriture et des pères, dont ils étaient déjà instruits. Abaillard et son livre furent déférés au légat Conon 2, évêque de Palestrine, et à Raoul-le-Vert, archevêque de Reims, qui, en conséquence, le citèrent au concile qu'on devait tenir à Soissons en 1121, avec ordre d'y apporter son livre. Il obéit; et aussitôt son arrivée à Soissons, il alla trouver le légat, lui donnant son livre à examiner, offrant de corriger tout ce qu'il y aurait de contraire à la foi catholique. Le

[blocks in formation]

légat lui ordonna de le porter à l'archevêque de Reims, à Albéric et à Lotulphe, qui étaient ses accusateurs. Le jugement du livre fut renvoyé à la fin du concile; et après plu sieurs délibérations entre les évêques, on obligea Abaillard de jeter lui-même son livre au feu, sans qu'on l'eût auparavant examiné.

9. Quoique cité au concile comme accusé d'erreur, Abaillard eut la permission de monter en chaire 3 chaque jour avant que les pères s'assemblassent, et d'expliquer quelques points de notre croyance. Le clergé et le peuple en furent édifiés, et n'y remarquant rien que d'orthodoxe, les auditeurs se disaient l'un à l'autre : « Voilà cet homme qui parle publiquement, et personne n'ose lui rien dire; ne serait-ce pas que nos évêques ont enfin reconnu qu'ils sont eux-mêmes dans l'erreur, et qu'il a raison? >> Un certain jour Albéric l'attaqua au sortir de la prédication, et croyant avoir trouvé des propositions erronées dans son livre, lui cita entre autres celle où Abaillard disait que Dieu ne s'est pas engendré lui-même. Il demanda à Albéric le temps d'expliquer cette proposition; et celui-ci ayant répondu qu'il voulait non des raisons, mais des autorités, Abaillard lui montra, deux lignes après la proposition, un passage de saint Augustin qui disait la même chose. Albéric s'en retourna confus.

4

10. Après la condamnation du livre d'Abaillard, on lui fit faire sa profession de foi, ce qui se réduisit à lui faire lire tout haut le Symbole de saint Athanase; puis on le mit lui-même entre les mains de Geoffroi, abbé de Saint-Médard, pour le tenir enfermé dans son cloître. Cet abbé et ses moines le reçurent avec joie et le traitèrent avec honneur, dans l'espérance qu'ils le garderaient quelque temps. Mais il n'y demeura que quelques jours, et le légat le renvoya à Saint-Denis. Abaillard y retrouva les moines 5 à qui il s'était rendu odieux en censurant leurs mœurs, Mais il ne fut pas longtemps avec eux sans les irriter encore davantage, au sujet de l'Histoire de saint Denis l'Aréopagite, écrite par l'abbé Hilduin. Comme il avait lu dans Bède que saint Denis l'Aréopagite avait été évêque de Corinthe plutôt que d'Athènes, il soutint cette opinion, d'où il suivait que celle d'Hilduin, qui le faisait évêque d'Athènes, était fausse, et que cet abbé n'avait pas

[blocks in formation]
[blocks in formation]

Paraclet.

mieux rencontré en faisant saint Denis l'Aréopagite apôtre de la France. L'abbé Adam, informé de cette dispute, menaça Abaillard de l'envoyer au roi pour en être puni. Il s'offrit de subir la pénitence régulière, au cas qu'il fût coupable; mais sa soumission n'ayant pas apaisé les esprits, il se sauva de nuit et se retira à Provins sous la protection de Thibaud, comte de Champagne.

1! fonde le 11. Abaillard essaya en vain d'obtenir de l'abbé Adam de ne plus retourner à SaintDenis; mais l'abbé Suger 1, son successeur, lui accorda de se retirer en quelle solitude il voudrait, pourvu qu'il ne se soumît à aucune abbaye. Il choisit un endroit proche de Nogent-sur-Seine, dans le diocèse de Troyes, y éleva une chapelle avec des joncs et des branches d'arbres, la dédia à la sainte Trinité; et s'y étant bâti pour lui-même une cabane, il y fixa sa demeura accompagné d'un seul clerc. Ses écoliers, l'ayant appris, accoururent auprès de lui, se logèrent comme ils purent sur le bord du ruisseau qui arrosait. cette solitude, et tirèrent une partie de leur nourriture des herbes que la campagne peut fournir. L'oratoire étant trop petit, ils en bâtirent un plus grand, avec de la pierre et du bois, qu'Abaillard nomma Paraclet, à cause des consolations divines qu'il avait reçues en ce lieu. Halton, évêque de Troyes, lui permit d'y demeurer; on dit même qu'il lui donna le terrain. Ce nouvel établissement, et le grand nombre de disciples qui lui venaient de tous côtés, déplurent à Albéric et à Lotulfe, ses accusateurs dans le concile de Soissons. Ils prévinrent contre Abaillard saint Norbert et saint Bernard, qui avaient l'un et l'autre une grande autorité dans le monde, et lui suscitèrent tant d'ennemis, qu'il prit le parti de se retirer ailleurs.

[blocks in formation]

12. Il était dans cette pensée, lorsqu'on lui apporta la nouvelle qu'il venait d'être choisi abbé de Saint-Gildas de Ruïs en Bretagne, au diocèse de Vannes. L'abbé de Saint-Denis consentit à l'élection, et Abaillard, laissant au Paraclet deux de ses amis, alla prendre possession de son abbaye 2. Elle était en mauvais ordre, tant pour les revenus que pour la discipline régulière. Abaillard n'entendait pas la langue du pays; ses moines étaient indociles; il ne pouvait les remettre dans le devoir que par son exemple : ils ne

'Abælard., epist. 1. —2 Abælard., Epist. 1. 3 Tom. X Concil., pag. 1018.

voulaient pas le suivre. Tout cela lui faisait regretter son Paraclet. Mais ayant appris que les religieuses d'Argenteuil, dont Héloïsse était prieure, avaient été obligées de quitter et de céder ce monastère à l'abbé et aux moines de Saint-Denis, il offrit à Héloïsse le Paraclet, où elle se retira en effet en 1129, suivie de huit ou dix religieuses d'Argenteuil. Abaillard vint sur les lieux pour les recevoir, et les mettre en possession des biens qu'il leur donnait. Telle fut l'origine de l'abbaye du Paraclet, à laquelle on donna dans la suite de grands biens. Le consentement de l'évêque de Troyes intervint, et il y eut des bulles de confirmation de la part du pape Innocent II et de plusieurs de ses successeurs. On y suivit d'abord la règle de saint Benoît; mais, à la prière d'Héloïsse, Abaillard leur en donna une particulière.

Abaillard condamné au

Sens en 1140.

13. Il leur rendait de fréquentes visites; ce qui ayant donné lieu à de mauvais bruits, il concile de était retourné en Bretagne, où il s'occupa à composer divers ouvrages. Il était repassé en France avant l'an 1140, puisqu'il fut présent au concile qui se tint à Sens le 2 juin de cette année 3. Quelque temps auparavant, Guillaume, abbé de Saint-Thierry, avait remarqué plusieurs erreurs dans un de ses livres; les uns regardaient la sainte Trinité, les autres le libre arbitre, le péché originel, le sacrement de l'autel, et divers articles de la foi. Il en donna avis à saint Bernard, qui avertit Abaillard avec tant de douceur, que celui-ci promit de s'en corriger. Mais sachant que l'on devait tenir dans peu un concile à Sens, Abail. lard se plaignit à l'archevêque des invectives. de saint Bernard contre ses livres, et demanda qu'ils fussent tous les deux appelés au concile. L'abbé de Clairvaux produisit le livre de la Théologie d'Abaillard, et les pro. positions qu'il en avait extraites. Abaillard, ne voulant point les désavouer, et ne pouvant les justifier, fut condamné. Mais il appela de la sentence au pape Innocent II 4, qui confirma ce qui avait été jugé par le concile de Sens. Abaillard, [quoique] étrangement surpris qu'on l'eût condamné à Rome sans l'avoir entendu, ne laissa pas de se désister de son appel 5. Il quitta aussi le dessein d'aller à Rome; et sur les ordres de l'abbé de Cluny, il consentit à passer le reste de ses jours en ce monastère. L'abbé se chargea d'en de

Tom. X Concil., pag. 1022.

5 Petrus Cluniac., lib. IV, Epist. 4.

[blocks in formation]

mander l'agrément au pape, qui l'accorda volontiers, et leva les censures dont il avait frappé Abaillard en condamnant sa doctrine.

14. Son séjour à Cluny fut de deux ans, pendant lesquels il édifia la communauté par ses exemples et par ses discours. Il y écrivit son Apologie, où il désavoue tout ce qu'il peut y avoir de mauvais dans ses écrits; il composa aussi une Confession de foi sur tous les articles que l'on avait condamnés dans ses ouvrages. Quant aux circonstances de sa mort, Pierre, abbé de Cluny, témoin oculaire, les a rapportées dans une lettre 2 qu'il écrivit sur ce sujet à Héloïsse. Cette lettre contient en substance, que rien n'était semblable à l'humilité d'Abaillard, tant dans ses habits que dans son maintien; qu'il observait une égale simplicité dans tous les besoins du corps; qu'il partageait son temps entre la lecture et la prière, ne s'occupant que de méditer ou d'enseigner les vérités de la religion; que se voyant réduit à l'extrémité, il fit d'abord sa confession de foi, puis celle de ses péchés, et reçut ensuite le viatique. L'abbé de Cluny fit porter secrètement le corps d'Abaillard au Paraclet, et le remit luimême à cette communauté. Nous avons encore l'épitaphe3 qu'il fit pour mettre sur son tombeau, et l'absolution qu'il lui donna après sa mort, comme il était d'usage en ce tempslà. Dans l'épitaphe, il l'appelle le Socrate de la France, le Platon de l'Italie, le maître et le modèle de l'éloquence. Mais il relève surtout en lui la sagesse qu'il fit paraître, en mettant dans ses dernières années toute sa gloire à vivre en disciple de la croix. Abaillard mourut le 21 avril 1142.

15. L'édition de ses écrits faite à Paris en 1616, chez Nicolas Buon, in-4°, par les soins de François d'Amboise, conseiller d'Etat, commence par une préface apologétique, où ce savant magistrat s'est efforcé de rétablir la mémoire d'Abaillard, flétrie par ses ennemis; et de montrer combien il s'est rendu utile à l'Eglise, soit par ses leçons publiques, soit par ses écrits. Il ne dissimule ni ses fautes ni celles d'Héloïsse; mais il n'oublie pas aussi de faire remarquer qu'ils les ont l'un et l'autre effacées par une sévère pénitence; que si elle parut plus tardive dans Héloïsse, ce ne fut pas une raison d'en suspecter la sincérité.

1 Nous avons encore la Confession de foi; mais l'Apologie qu'il ne faut pas confondre avec la Confession, comme le prouvent les auteurs de l'Histoire XIV.

16. Après cette préface, viennent les lettres d'Abaillard et d'Héloïsse. Il était encore dans l'abbaye de Saint-Gildas en Bretagne, lorsqu'un de ses amis lui écrivit pour chercher auprès de lui quelque consolation dans divers accidents fâcheux, dont il était accablé. Abaillard, persuadé qu'en cette occasion les exemples sont plus efficaces que les discours, répondit à cet ami par un écrit fort détaillé des souffrances et des persécutions qu'il avait eu lui-même à supporter depuis sa jeunesse. C'est pourquoi on a intitulé cette lettre Histoire des calamités d'Abaillard. Elle comprend l'histoire de sa vie, depuis sa naissance jusqu'aux mauvais traitements qu'il recevait de la part des moines de Saint-Gildas, lorsqu'il l'écrivait.

17. Cette lettre étant tombée entre les mains d'Héloïsse, elle en reconnut aisément le caractère, quoiqu'elle n'en eût point reçu de lui depuis un grand nombre d'années, c'est-à-dire depuis qu'il avait fait profession de la règle de Saint-Benoît en l'abbaye de Saint-Denis. Elle se plaignit à lui-même d'un si long silence, et de ce qu'il refusait à son épouse les consolations qu'il accordait à un ami. Héloïsse ne lui dissimule pas qu'elle ne s'était faite religieuse que pour lui plaire. Mais pensant depuis plus chrétiennement, elle lui témoigne qu'il devrait du moins ne lui pas refuser des lettres pour la porter à Dieu et à la pratique des règles de son état; ou que s'il ne la jugeait pas digne d'en recevoir de sa part, il ne pouvait guère se dispenser d'en écrire aux religieuses du Paraclet, qui étaient ses filles, et qui lui devaient le monastère qu'elles possédaient. « Faites-vous réflexion, lui dit-elle, à ce que vous me devez? Vous devez quelque chose à toutes les femmes qui vivent dans la piété, et qui ont besoin de votre secours; mais vos obligations sont infiniment plus grandes envers votre chère et unique. Votre profonde érudition ne vous permet pas d'ignorer les soins empressés que les saints pères ont eus pour les personnes de notre sexe; combien de savants traités ils ont composés pour les instruire et les former dans la vertu; combien de sermons et d'exhortations ils ont prononcés pour les animer, les encourager; combien de lettres ils leur ont écrites pour les consoler dans leurs afflictions. Enfin les vierges et les veuves

littéraire de la France, tom. XII, est perdue. (L'éditeur.) - 2 Petrus Cluniac., lib. IV, Epist. 21.

3 Op. Abælardi, pag. 342 et 345.

21

Lettre d'Abaillard à un

ami.

Epist. 1. p.

3, edit. Paris,

an. 1616.

[blocks in formation]

Lettre d'Abaillard à Héloisse.

Epist. 3.

Lettre d'Hi

ont toujours fait l'objet principal de leur vigilance et la matière de leurs travaux. C'est ce qui fait que je m'étonne, que ni l'exemple de ces grands saints, ni le désir de plaire à Dieu, ni l'amour que vous me devez, n'ont pu jusqu'à présent vous engager à me procurer la moindre consolation, ou par votre présence ou par vos lettres, quoique vous ne puissiez ignorer le besoin extrême que j'en ai eu, non-seulement dès les premières années de ma conversion où j'étais encore flottante entre le ciel et la terre, entre Dieu et le monde, mais même depuis qu'étant toute à Dieu, j'ai été accablée de douleurs et de chagrins, sans que vous ayez paru y prendre aucune part. »

18. Abaillard répondit que son silence n'était l'effet ni de son oubli, ni de sa négligence, mais de la persuasion où il était qu'elle pouvait, par sa vertu et ses talents, faire pour elle-même et pour ses sœurs tout ce qui était nécessaire dans la conduite de la vie. « Mais, ajouta-t-il, si vous croyez avoir besoin de mes instructions, dites-moi sur quelle matière vous voulez que je vous parle, et je tâcherai de vous dire ce que le Seigneur m'inspirera pour votre sanctification et celle de vos filles. » Il lui demande, ainsi qu'à ses religieuses, le secours de leurs prières; et fait voir par divers exemples, combien celles des vierges sont puissantes auprès de JésusChrist, et celles des femmes pour leurs époux. Il y avait déjà quelques années que la communauté du Paraclet faisait pour Abaillard, à la fin de chaque heure canoniale, une prière à Dieu tirée entièrement des Psaumes. Il lui en envoie une autre pour être récitée aussi à la fin de chaque heure, afin qu'il fût délivré des dangers évidents où il était tous les jours de perdre la vie. Incertain du moment et du lieu de sa mort, il prie Héloïsse de faire enlever son corps, et de le faire porter dans le cimetière du Paraclet, afin que les sœurs, ayant toujours devant les yeux son tombeau, offrissent leurs prières pour le repos de son âme.

19. Au lieu des consolations qu'Héloïsse losse à A bail attendait d'Abaillard, elle fut accablée de Epist. 4. douleur par la nouvelle du danger d'une

lard.

mort prochaine. Elle s'explique là-dessus d'une manière très-touchante; et ne ménageant plus les termes, elle s'en prend à Dieu de tous ses malheurs. Mais revenant aussitôt à des sentiments plus chrétiens, elle demande à Dieu la grâce de faire une véritable péni

tence de ses fautes. Elle entre dans le détail de ses peines; et après s'être écriée avec l'apôtre Malheureuse que je suis, qui me dé- Rom. vII, 24. livrera de ce corps de mort? elle prie le ciel qu'elle puisse voir en elle l'accomplissement de ce qui suit: Ce sera la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre Seigneur. Mais elle s'en croyait bien éloignée, et regardant son cœur comme attaché encore à la terre, elle avoue avec humilité qu'elle n'avait que les dehors de la religion. C'est pourquoi elle prie Abaillard de ne lui plus donner de louanges. «< Si vous croyez, lui dit-elle, qu'il y ait en moi quelqu'ombre de vertu, craignez qu'elle ne se dissipe par un air aussi dangereux que sont les louanges. Voulez-vous être la cause de ma perte? Non, je ne puis croire que vous ayez assez peu d'amitié pour moi, pour exposer mon salut en m'exposant à perdre l'humilité. Demeurez donc toujours dans une sainte appréhension sur mon sujet : craignez pour moi et mon peu de vertu, afin que cette crainte vous oblige à me secourir par de ferventes prières. »

Lettre d'Abaillard à He loïsse.

20. On a blâmé Héloïsse d'avoir découvert dans cette lettre toutes ses faiblesses; mais c'était à son mari qu'elle les découvrait, et Epist. 5. elle ne le faisait que pour s'humilier du peu de progrès qu'elle avait fait dans la vertu. Gémissant sous la dure servitude du corps, elle demandait d'en être délivrée par le secours de ses prières. Abaillard, dans sa réponse, employa tout son savoir pour faire cesser le trouble que sa première lettre avait occasionnée à Héloïsse. Elle s'était plainte de ce qu'en lui écrivant, il l'avait nommée la première dans l'inscription de sa lettre, au lieu qu'il devait se nommer le premier, comme étant au-dessus d'elle. Il se justifie là-dessus en lui faisant remarquer, qu'étant devenue par ses vœux l'épouse de Jésus-Christ, elle était, suivant que le dit saint Jérôme dans sa lettre à Eustochie, sa dame et sa maîtresse. Prenant de là occasion d'instruire Héloïsse sur les devoirs d'une épouse de Jésus-Christ, il donne une explication de ce qui est dit de l'épouse dans le Cantique des Cantiques, et en fait l'application aux personnes du sexe consacrées à Dieu. Il fait des reproches à Héloïsse sur sa trop grande sensibilité aux nouvelles qu'il lui avait données des dangers où il était de mourir, et dit qu'il ne l'en aurait pas informée, si elle-même ne l'avait conjuré de ne lui rien cacher de l'état de ses affaires. A l'égard des louanges dont

« ZurückWeiter »