gnit au pape, qui priva de l'usage du pallium celui de Reims. Saint Bernard, désapprouvant cette sévérité, remontra à Eugène que Samson ne croyait point en cela avoir excédé ses priviléges, et qu'il était en état de se justifier là-dessus; que le roi pourrait être aigri de l'affront fait à l'archevêque de Reims, parce que ce prince avait été l'occasion du démêlé; et qu'il était d'une extrême conséquence de le ménager dans l'affaire de la croisade. Par la quatrième lettre, saint Bernard avertit le pape de se méfier de l'évêque de Séez, qui, sous de faux prétextes, voulait ôter les chanoines réguliers de son Eglise, 249. pour y mettre des séculiers. Dans la cinquième, il lui recommande le prieur de la Chaise-Dieu, élu évêque de Valence par le consentement unanime du clergé et du peuple. Epist. 248. 250. 251. 62. On avait aussi choisi pour évêque un religieux de la Chartreuse des Portes, mais le pape Eugène ne voulut point approuver son élection. Le prieur et les moines en furent fâchés. Saint Bernard leur en fit des reproches, leur faisant entendre que le pape n'avait agi de la sorte que pour empêcher qu'on ne trouvât à redire à l'élévation de ce religieux, qu'on savait ne s'être converti que depuis peu. Au reste, il proteste n'avoir eu aucune part au refus du pape; qu'il était même disposé à lui procurer, dans le temps, un poste où il pût faire valoir ses talents, et que quand ce religieux aurait laissé paraître, étant dans le monde, quelques traits de jeunesse, le passé n'était plus, la solitude ou la vie religieuse étant devenue pour lui un second baptême. Il loue le prieur des Portes d'avoir répondu chrétiennement à la lettre désobligeante de l'abbé de Chezy, et finit la sienne par ces paroles édifiantes : « Ma vie, qui a quelque chose de monstrueux; ma conscience, qui est dans un trouble continuel, m'obligent de crier vers vous. Je suis une espèce de chimère dans mon siècle : ni clerc, ni laïc. Je porte un habit de moine, et j'en ai quitté depuis longtemps les observances et les préceptes. Je ne vous mande point ce que vous savez appareminent, les occupations qui me dissipent, les périls auxquels on m'expose dans le monde, ou plutôt les abîmes où l'on me précipite. Si vous l'ignorez, je vous prie de vous en instruire, afin que vous m'aidiez de vos conseils et de vos prières, à mesure que vous connaîtrez mes besoins. >> 63. Saint Bernard intercéda auprès du pape pour les moines de Baulme, qu'il avait punis d'une faute considérable, en réduisant leur abbaye en prieuré. On lui rendit depuis son premier titre. Il fait, dans sa lettre à Epist. 253. Hugues, abbé de Prémontré, le dénombrement des services qu'il avait rendus à son ordre en diverses occasions, et se justifie sur les reproches que cet abbé faisait aux moines de Clairvaux. Puis, il ajoute : « Les liens de la charité qui m'attachent à vous sont indissolubles et invariables. Lorsque je vous verrai irrité, je tâcherai de vous appaiser; lorsque vous voudrez m'irriter, je cèderai à votre colère, de peur de céder au démon. Plus vous m'accablerez d'injures, plus je vous comblerai d'honnêtetés. Je suis pénétré de douleur de vous avoir donné quelque sujet de chagrin; elle ne cessera point que vous n'ayez eu la bonté de la soulager. » Il n'eut 254. qu'à louer, dans sa lettre à l'abbé de SainteMarie-des-Alpes. Cet abbé, ayant entrepris la réforme de son monastère, y rappela ceux de ses religieux qui avaient vécu jusque-là sans règle et sans ordre dans des cellules séparées, interdit aux femmes l'entrée de la clôture, et fit refleurir la discipline et la piété avec un zèle toujours nouveau. Saint Bernard dit, dans cette lettre, que l'homme juste ne croit jamais être parvenu à la perfection; qu'il ne dit jamais : C'est assez; qu'il est toujours altéré de la justice, en sorte que, s'il vivait toujours, il travaillerait sans cesse à faire de nouveaux progrès dans la vertu ; que la faim perpétuelle du juste mérite d'être éternellement rassasiée, parce que malgré la brièveté de la vie qui la termine, la constance de la volonté qui produit cette faim lui donne de la proportion avec l'éternité. Par une raison semblable, il fait voir que le supplice des méchants doit être éternel, à cause de l'inflexible malignité de leur cœur qui rend éternel, par ses désirs, ce qui est passager dans son exécution; en sorte que si un réprouvé était immortel, il persisterait toujours dans la volonté de pécher. 64. La lettre à Louis-le-Gros, roi de France, se trouve placée, dans les manuscrits, après la cent vingt-sixième aux évêques d'Aquitaine. Elle fut en effet écrite quelque temps après, et vers l'an 1134, à l'occasion du concile indiqué à Pise par Innocent II. Ce prince, dont le pape avait sacré le fils à Reims, en 1131, avait défendu aux évêques de son royaume d'aller à ce concile, à cause des grandes chaleurs. Saint Bernard lui écrivit 255. Epist, 256. 257. que cette considération ne devait pas l'empêcher de témoigner dans cette assemblée générale de tous les évêques d'Occident, son zèle ardent pour la religion, en y envoyant les évêques de ses états. « On y apprendra, lui dit-il, que le roi de France est le premier ou l'un des premiers qui ait eu la piété et le courage de défendre l'Eglise sa mère contre la violence de ses persécuteurs, c'est-à-dire des fauteurs de l'antipape Anaclet. » 65. Hugues, évêque de Gabale en Syrie, étant venu en Occident pour demander au pape Eugène, au roi des Romains et au roi de France du secours pour l'Eglise d'Orient, que la perte de la ville d'Edesse avait jetée dans la consternation, le pape écrivit au roi Louis-le-Jeune, le 1er décembre 1145, pour l'exhorter, lui et tous les Français, à prendre les armes pour la défense des chrétiens d'outre-mer. Ce prince avait déjà résolu de se croiser pour ce sujet, et communiqué son dessein à quelques seigneurs de sa cour, aux évêques et à saint Bernard. Il en écrivit même au pape, qui approuva son dessein. Il se tint à Vézelay, le 31 mars 1146, un grand parlement où saint Bernard, par ordre de l'assemblée, prêcha avec succès la croisade, et un autre à Chartres, le 21 avril de la même année, où l'on voulut, d'un consentement unanime, le choisir pour chef de cette croisade; mais il s'y refusa constamment, comme on le voit par sa lettre au pape Eugène, où d'un côté il le presse de secourir l'Eglise d'Orient sans se laisser décourager par la perte d'Edesse, et de l'autre il lui raconte ce qui s'était passé à son égard dans l'assemblée tenue à Chartres. « Votre Sainteté a sans doute appris qu'on m'y avait fait le chef de cette nouvelle croisade. J'admire d'où est venu ce dessein. Pour moi, je déclare que je n'en ai jamais eu la pensée ni la moindre envie; si je connais bien mes forces, je suis même dans l'impuissance de m'acquitter d'une pareille commission. Qui suis-je pour ranger une armée en bataille, pour me mettre à la tête des troupes? Je suppose même que j'en aie la force et la capacité; quoi de plus opposé à ma profession? Votre Sainteté est trop sage pour n'y pas faire une sérieuse attention. Je la conjure donc, par la charité dont elle m'est redevable d'une manière particulière, de ne me point livrer au caprice des hommes, de consulter Dieu et de suivre ses volontés. » Saint Bernard prie encore le pape d'avoir quelques égards pour un moine de Clairvaux, XIV. Epist. 258, 259,260. nommé Philippe, fait évêque de Tarente par l'antipape, et dégradé ensuite. Quoiqu'on l'eût réduit à l'office de diacre, il ne se plaignait de rien, content de vivre inconnu dans la maison de Dieu. Il s'intéressa aussi pour le rappel du moine Ruanelus, contraint par le pape d'être abbé de Saint-Anastase; mais, voyant que le pape persistait dans son sentiment, il s'y soumit, et écrivit à Ruanelus pour l'exhorter à supporter les peines et les inquiétudes inséparables du gouvernement. Dans les deux lettres suivantes, adressées au 261, 262. même pape, saint Bernard le prie d'absoudre l'abbé de Saint-Urbain de l'interdit qu'il avait encouru de sa part pour avoir donné l'habit à un religieux templier sans l'agrément de ses supérieurs, et de protéger les moines de Sainte-Marie-sur-Meuse, au diocèse de Reims, dans un procès qu'ils avaient. 66. L'abbé de Chezy en avait un autre pour 253. lequel saint Bernard intéressa l'évêque de Soissons. La lettre qu'il reçut de Pierre, abbé 264, 265. de Cluny, et sa réponse à cette lettre sont des preuves de l'estime qu'ils se témoignaient mutuellement, et du désir qu'ils avaient de se voir. Saint Bernard n'en avait pas moins 266. de voir l'abbé Suger et de recevoir sa bénédiction. Mais, ne pouvant se promettre cet avantage, parce que Suger se trouvait dangereusement malade, il lui écrivit pour l'encourager à la mort. On avait surpris la religion du pape pour placer dans une dignité de l'Eglise un homme convaincu de l'avoir briguée, et dégradé publiquement pour crimes; saint Bernard fit connaître au pape le sujet, 268. et le pria de le priver de sa dignité. Il fut luimême surpris par un homme qui, pour éluder la justice, obtint de lui une lettre de recommandation pour le pape; mais il en pré- 269. vint l'effet en lui donnant avis de la fourberie. Il lui donna aussi avis de la mort de Ray- 270. naud, abbé de Citeaux, arrivée en 1151, et de l'élection de Gosvin, abbé de Bonneval, son successeur, qu'il lui recommande. Par la même lettre, il informe le pape d'un scandale arrivé à la grande Chartreuse. Certains religieux de cette maison, qui en avaient été chassés ou qui en étaient sortis scandaleusement, obtinrent de Rome, par surprise, une lettre de rétablissement; mais, bien loin de se soumettre à la peine portée par les statuts de l'ordre, ils insultèrent ceux qu'ils avaient offensés par leur apostasie, et s'érigèrent en supérieurs. Le prieur Anthelme, se voyant sans autorité, songeait à se retirer pour n'ê29 Epist. 271. 274. 273. tre pas témoin du renversement de la règle. Mais saint Bernard, prévoyant les fâcheuses suites de sa retraite, pria le pape de punir ces moines rebelles qui l'avaient surpris. « Il est doux, dit-il, il est équitable de faire tomber le méchant dans la fosse qu'il a creusée, de lui faire porter la peine qu'il méditait d'attirer sur l'innocent. Tel sera l'effet de votre zèle; il abattra l'orgueil, il rétablira l'autorité légitime. Si le prieur demeurait sans pouvoir, il serait à craindre que la règle ne pérît bientôt. » Le statut auquel ces moines fugitifs ne voulaient pas se soumettre se lit dans le chapitre LXXVII des Constitutions du bienheureux Guigues, et porte que le religieux déserteur sera mis au dernier rang, laissant au prieur à lui imposer d'autres peines. 67. Saint Bernard avait pour maxime, que servir un ami aux dépens de ce qu'on doit à Dieu, c'était se rendre indigne de son amitié. Sur ce principe, il crut qu'il offenserait Thibaud, comte de Champagne, dont il était aimé, s'il condescendait au désir qu'il avait de procurer à son fils, encore enfant, des dignités ecclésiastiques. « Persuadé, lui dit-il, que les dignités ecclésiastiques ne sont dues qu'à ceux qui ont la volonté et le pouvoir de s'en acquitter dignement, j'ose vous déclarer que vous ne pouvez sans injustice, et que je ne puis sans danger les solliciter pour votre fils, encore enfant. Il n'est pas même permis à un homme d'un âge propre à les posséder d'en avoir plusieurs en diverses églises, à moins qu'il ne soit dispensé de cette loi ou à cause de l'extrême nécessité de l'Eglise, ou pour une utilité considérable qu'elle en peut tirer. Si ce langage vous paraît dur, si vous êtes déterminé à suivre vos premières vues, je vous supplie de ne point vous adresser à moi. » Saint Bernard ne laissa pas, par quelque considération humaine, de travailler à procurer au neveu de l'évêque d'Auxerre la prévôté de cette église, quoiqu'il fût encore jeune; mais il s'en repentit comme d'une faute qu'il avait faite. 68. Hugues, abbé de Trois-Fontaines, à qui il faisait cet aveu, était alors à Rome pour les affaires de son ordre. Saint Bernard, craignant qu'une longue absence ne nuisît au bien de cette maison, pria le pape de l'y renvoyer. Il le remercie en même temps de sa lettre affectueuse au chapitre général assemblé à Citeaux, et le prie de continuer à honorer ceux de son ordre de ses soins. «Ils ne sont, dit-il, 276. qu'une petite portion des enfants du Père de famille; mais ils en sont la portion la plus précieuse, les enfants les plus chéris, les premiers héritiers de la couronne immortelle, les principaux co-héritiers de Jésus-Christ. » Informé par un de ses religieux, qu'il avait envoyé exprès à Auxerre, des brouilleries qu'avait occasionnées une seconde élection, il en donna avis au pape et appuya la pre- Epist. 275. mière comme ayant été faite par le plus grand nombre. Il l'avertit encore que le défunt évêque d'Auxerre, étant presque sans connaissance, avait, à la sollicitation d'un certain Etienne, fait son légataire presque universel son neveu, jeune laïc incapable de servir l'Eglise, et que, par cette disposition, ce jeune homme héritait des revenus de sept paroisses, des dîmes et des prés situés dans une forêt dépendante de l'évêché, sans compter les effets mobiliers de son oncle. C'est pourquoi il prie le pape de faire casser ce testament, comme contraire aux lois de l'Eglise et déshonorant pour ce saint évêque. Il lui recommanda l'abbé de Cluny, qui allait à Rome; Henri, évêque de Beauvais, et Héloïsse, abbesse du Paraclet, qui avait eu recours au Saint-Siége pour quelque grâce. Le pape ayant 280. ordonné une nouvelle élection à Auxerre, commit saint Bernard, avec deux autres personnes, pour y présider. Bernard s'accorda avec l'un des d'eux; l'autre réclama; mais le pape confirma l'élection. On croit que ce fut en faveur d'Alain, premier abbé de Lérivoir, au diocèse de Troyes. Cependant, on fit entendre au roi Louis que la première élection n'ayant pas eu lieu, il avait été besoin de sa permission pour procéder à une seconde. Saint Bernard lui représenta que son pre- 282. mier consentement suffisait; qu'il était contre l'usage et la raison de recourir à son autorité toutes les fois que le clergé était divisé. Il le pria donc de consentir à l'élection d'Alain, l'assurant que ce sujet était digne du choix qu'on en avait fait, et d'ailleurs trèsdévoué au service de sa Majesté. 69. Suivent cinq lettres de recommandation adressées au pape et à l'évêque d'Ostie, pour diverses personnes. Dans celle que saint Bernard écrivit à son oncle André, chevalier du Temple, il déplore le mauvais succès de la croisade, qu'il fait retomber sur la mésintelligence des princes chrétiens et sur leur inaction. Comme il se sentait proche de sa fin, il aurait souhaité voir cet oncle avant de mourir; mais il n'osait le prier de repasser 277, 278. 283, 237. 288. la mer, dans la crainte de le dérober à un pays que son absence pouvait exposer à de grands dangers. Cette lettre est de l'an 1153. Epist. 289. Il y rappelle celle que son oncle lui avait conseillé d'écrire à la reine de Jérusalem, nommée Mélisende, fille de Baudouin, second roi de Jérusalem depuis que cette ville était possédée par les Latins, et femme de Foulques, qui avait succédé à son beau-père dans 6, 354, 355. ce royaume. Foulques était mort, dès l'an 1142, d'une chute qu'il avait faite à la chasse. Il y a plusieurs autres lettres de saint Bernard à cette princesse. Dans celle-ci, après avoir fait l'éloge de sa sagesse, de sa modération, de sa prudence, de son attention pour la conservation de l'Etat, il lui enseigne à faire le bien avec tant de circonspection, qu'elle soit approuvée de Dieu et des hommes; de Dieu, en qualité de veuve; des hommes, en qualité de reine; à être, comme veuve, douce et humble de cœur; et comme reine, à aimer 354 la justice et à protéger l'innocence. Il lui écrivit l'autre aussitôt qu'il eut appris la mort de son mari. Elle en avait un fils, mais trop faible pour porter le poids d'une couronne; en sorte qu'elle était chargée du soin du royaume. Saint Bernard l'exhorte à régler toutes choses avec tant de sagesse et de modération, qu'aucun de ses sujets ne s'aperçoive de la mort 355. de leur roi. Dans une troisième lettre, il recommanda à Mélisende des religieux prémontrés, comme de pieux guerriers qui annonçaient la paix aux hommes et la guerre aux démons. 200. 70. Jourdain des Ursins, envoyé comme légaten Allemagne, en 1151, et depuis en France et en Normandie, s'était diffamé partout par l'irrégularité de sa conduite, en sorte que tous parlaient mal de lui, jusqu'à ceux de sa maison. Saint Bernard, aux instances du prieur de la Chartreuse du Mont-Dieu, en écrivit à l'évêque d'Ostie, le priant de communiquer sa lettre au pape, afin qu'il prît les mesures nécessaires pour se défaire d'un si 291. mauvais sujet. Il en adressa une au pape pour lui recommander les moines de SaintClaude, dont le monastère et les prieurés en dépendants tombaient en ruines, faute de fi29, 295, 296. nances pour les réparer. Saint Bernard re commanda encore au pape, Guillaume de Passavant, évêque du Mans, prélat d'une candeur et d'une probité généralement reconnues; l'abbé de Vendôme et l'évêque d'Angers, qui avaient tous des affaires à Rome. Ses lettres au cardinal Henri et à l'évêque d'Ostie sont aussi en faveur de l'évêque du Mans. 71. Il reprit vivement un laïque qui avait Epist. 292. voulu détourner un de ses parents de se faire religieux. « Vous avez, lui dit-il, la hardiesse de débaucher un nouveau soldat de JésusChrist, du service de son Seigneur. Vous lui en rendrez compte un jour. Quoi donc ! n'êtesvous pas assez chargé de vos propres péchés, sans vous rendre responsable de ceux d'autrui?» Quand il venait à Clairvaux un moine 293. d'une autre maison, il le rebutait et l'obligeait de retourner à son propre monastère ; mais quelquefois il se laissait fléchir par les raisons ou les instances de ceux qui ne changeaient de demeure que par des motifs de salut. Il se laissait aussi attendrir par les re- 297. grets de ceux qui, après avoir quitté leur habit, souhaitaient de rentrer dans leur monastère pour y faire pénitence, et il intercédait volontiers pour eux. 72. Le moine Nicolas, son secrétaire et son 298. confident, abusait quelquefois de son sceau pour écrire de fausses lettres en son nom. Saint Bernard s'en étant aperçu, changea de 284. sceau, et en avertit le pape Eugène. Cette précaution était alors nécessaire, parce que le sceau tenait lieu de signature. Comme la trahison du moine Nicolas était encore secrète, le saint abbé ne la découvrit à personne; mais aussitôt qu'il fut sorti de Clairvaux, où sa mauvaise conduite ne lui permettait plus de rester, il ne le ménagea plus, et le fit connaître au pape en ces termes : « Il est sorti de chez nous, laissant après lui de noires impressions de ses désordres. J'en étais informé depuis longtemps; mais j'attendais que Dieu le convertit, ou que, comme un autre Judas, il se manifestât lui-même. Cela est arrivé : outre les livres, l'or et l'argent qu'il emportait en sortant, on l'a trouvé saisi de trois cachets, du sien, de celui du prieur, et d'un troisième qui était à moi. Ce n'était pas l'ancien, mais le dernier, que j'avais été obligé de prendre pour éviter la fraude et les surprises de ce religieux. Quel moyen de le nombre infini de permarquer sonnes à qui il a écrit en mon nom et à mon insu? Plût à Dieu que votre cour fut purgée de l'effet de ses mensonges, et que l'innocence de ceux qui sont avec moi pût être justifiée auprès de ceux qu'il a prévenus par ses calomnies! Il a été convaincu, et en partie par sa propre confession, de vous avoir aussi écrit de fausses lettres. Quant à ses in Epist. 299 et 301. famies qui sont devenues publiques, je ne veux en souiller ni mes lèvres, ni vos oreilles. S'il va vous trouver, souvenez-vous d'Arnaud de Bresce: car il est encore pire, et il mérite à juste titre d'être condamné à une prison et à un silence perpétuels. » Nicolas avait d'abord été moine à Montier-Ramey, près de Troyes, et chargé de l'instruction de ses confrères. La réputation de saint Bernard l'attira à Clairvaux, où il fut reçu de la communauté en l'absence de l'abbé, en 1146. On le donna pour compagnon à Geoffroi, principal secrétaire du saint, que la multitude des affaires obligeait d'en avoir plusieurs. Ensuite il devint le premier de tous. Plus attentif à imiter le style de son abbé qu'à imiter ses vertus, il abusa de son ministère, sortit furtivement de Clairvaux, et après avoir vagabondé revint à Montier-Ramey, où il vécut encore plusieurs années. 73. Les lettres au comte d'Angoulême, et à Sancie, sœur d'Alphonse roi de Castille, regardent uniquement les intérêts de quel ques maisons dépendantes de l'ordre de Ci300. teaux. Dans celle qui est à Mathilde, com tesse de Blois, saint Bernard lui conseille de ménager un fils dont la conduite était peu réglée; l'assurant que, par sa douceur et ses complaisances, elle le ramènerait au devoir. Ayant appris que l'archevêque de Mayence, nommé Henri, était cité devant les légats du 302. Saint-Siége, il leur écrivit de le traiter avec bonté, et d'appuyer une muraille ébranlée, 303. qu'on était sur le point de renverser. Il écri vit au roi Louis le Jeune d'obliger un seigneur breton de se séparer d'une femme qu'il entretenait, et ensuite de se faire absoudre de l'excommunication portée contre lui; et au cas où ce seigneur ne voudrait rien faire de tout cela, de ne pas lui accorder la permission de s'établir dans son royaume, ni souffrir pour vassal un excommunié et un 30%. incestueux. Dans une seconde lettre au même 308. 305, 206, 307. roi, saint Bernard le remercie de la part qu'il prenait à sa santé. Il était aussi très-considéré d'Alphonse, roi de Portugal. La lettre qu'il écrivit à ce prince lui fut, ce semble, rendue par un religieux, nommé Roland, qui lui apportait des indulgences du Saint-Siége. Dans les trois précédentes, saint Bernard rend compte au pape Eugène des raisons que Henri, évêque de Beauvais, avait de ne pas aller à Rome, qu'il n'en eût reçu un ordre du Saint-Siége. Il fait agréer à l'évêque d'Ostie l'élection de Tourolde, nommé abbé de Trois Fontaines, et fait auprès du même évêque l'apologie de l'évêque de Beauvais. En recom- Epist. 309. mandant au pape Eugène les députés de Suger, voici l'éloge qu'il fait de cet abbé : «S'il y a dans l'Eglise de France quelque vase de prix qui embellisse le palais du Roi des rois; si le Seigneur a parmi nous un autre David, fidèle à exécuter ses commandements, c'est sans doute le vénérable abbé de Saint-Denis. Ce grand homme est fidèle et prudent dans l'administration du temporel, humble et fervent dans le spirituel; et ce qui est rare, irrépréhensible dans ces deux choses. Il vit à la cour en sage courtisan, dans son cloître en saint religieux. » Suger avait été établi, en 1147, régent du royaume en l'absence de Louis le Jeune. 74. Le recueil que l'on fit des lettres de saint Bernard pendant sa vie, finit par celle qu'il écrivit quelques jours avant sa mort, qui fut le 20 août 1153, à Arnold, abbé de Bonneval, de qui il avait reçu quelques rafraichissements. « Les marques de votre affection, lui dit-il, ne m'ont procuré aucun plaisir. Peut-on en goûter là, où tout est amertume? Si je ressens quelque plaisir, ce n'est qu'à ne point prendre de nourriture. Mes insomnies ne laissent aucun intervalle à mes douleurs. Tout mon mal consistant dans une extrême débilité d'estomac, il a besoin d'être fortifié jour et nuit par quelque liqueur : il n'est plus en état de supporter ce qui est solide. » Après quelque autre détail de ses infirmités, il ajoute : « Pour ne rien cacher à un ami de mes dispositions intérieures, je le dis avec confusion, l'esprit est prompt dans une chair infirme. Priez le Seigneur, qui ne veut pas la mort du pécheur, de ne pas différer la mienne, mais de me soutenir dans ce passage. Je vous écris moi-même en l'état où je suis, afin qu'en reconnaissant la main, vous reconnaissiez le cœur. » 75. Les autres lettres de saint Bernard ont été recueillies depuis sa mort par diverses personnes, et mises selon l'ordre des temps, dans l'édition générale de ses œuvres, par dom Mabillon. Mais il s'en trouve quelquesunes qui sont de Bernard, abbé de SaintAnastase, et depuis pape sous le nom d'Eugène III, et de quelques autres. Haiméric, chancelier de l'Eglise romaine, était lié d'amitié avec le saint abbé de Clairvaux et Hugues de Pontigny; il leur faisait même quelquefois des présents. Ces deux abbés, pour répondre à ces marques d'amitié, lui écrivi 310. 311. |