disant qu'il ne connaissait personne de plus digne qu'Anselme de l'archevêché de Can- torbéry. Plusieurs autres firent son éloge, et tous opinaient à lui procurer cette dignité. Le roi jura que de son vivant ni l'abbé du Bec, ni autre n'aurait cet archevêché. Comme il en faisait serment par le crucifix de l'église cathédrale de Lucques en Toscane, il fut saisi d'une maladie violente, qui le mit à l'extré- mité. Tous les évêques le pressèrent de pen- ser à son salut. Anselme, qu'on appela pour assister ce prince à la mort, lui conseilla de faire une confession sincère de ses péchés, et de promettre, en cas de convalescence, de réparer tous les torts qu'il avait faits. Le roi y consentit, et fit sur-le-champ un édit pour l'élargissement des prisonniers, la re- mise des dettes et le pardon des offenses. On lui proposa de remplir l'archevêché de Cantorbéry, et après y avoir pensé, il nomma lui-même Anselme. Tous s'écrièrent qu'il en était digne, lui seul s'y opposa. Les évêques le pressèrent de se rendre. Il s'en excusa sur son âge, qui était de soixante ans; sur son incapacité dans les affaires temporelles; et sur ce qu'étant abbé dans un autre royaume, il devait obéissance à son archevêque et sou- mission à son roi. On leva toutes ces diffi- cultés. Le roi, auprès duquel il fut conduit, le conjura d'accepter; et les évêques l'ayant approché de son lit, le prince lui présenta la crosse. Ensuite on le conduisit dans l'église voisine, où l'on fit les cérémonies ordinaires. Son élection se fit le sixième de mars l'an 1093, mais il ne fut sacré que le quatrième de décembre suivant. Thomas, archevêque d'York, en fit la cérémonie.
6. Anselme continua le même genre de vie à Cantorbéry, qu'il avait mené étant abbé du Bec. Il s'occupait à instruire son peuple, à visiter son diocèse, à écrire pour la défense des dogmes de la religion, à sou- lager les pauvres, à réformer les abus et les désordres. Mais il ne lui fut pas aisé de sa- lisfaire son zèle à cet égard, par l'opposition qu'il y trouva de la part du roi. Ce prince, mécontent de son frère Robert, duc de Nor- mandie, parce qu'il ne lui payait point 1 la pension convenue, pensait à lui déclarer la guerre. Il amassait à cet effet de l'argent de tous côtés. Anselme, à la persuasion de ses amis, lui offrit cinq cents livres d'argent 2
1 Mabill., lib. LXVIII Annal., num. 88. * Eidmer., lib. I Novor., pag. 38.
pour se le rendre favorable dans les affaires de la religion. Le roi les accepta d'abord avec plaisir; mais des gens mal intentionnés lui ayant fait entendre que l'offre de l'arche- vêque était trop modique, et que s'il la reje- tait le prélat serait trop heureux de lui en offrir deux mille, il fit dire à Anselme qu'il refu- sait son présent. L'archevêque en bénit Dieu, disant que si le roi eût reçu son ar- gent, on aurait dit qu'il s'était engagé aupa- ravant à lui délivrer cette somme pour avoir l'archevêché. Il promit donc de la donner aux pauvres à l'intention de ce prince. Quel- que temps après, les évêques et les seigneurs étant allés, par son ordre, à Hasting, pour lui souhaiter un heureux voyage, Anselme en prit occasion de le prier d'accorder sa protection pour le rétablissement de la reli- gion; d'ordonner la tenue des conciles; de pourvoir les abbayes de pasteurs, et d'autori- ser les évêques à réformer les désordres in- troduits depuis peu en Angleterre touchant les mariages illicites, et autres débauches abominables. Le roi n'ayant rien répondu de satisfaisant à toutes ces demandes, l'ar- chevêque se retira. Il souhaitait 3 néanmoins d'être bien avec le roi, et il lui fit demander ses bonnes grâces; ce prince les lui refusa. « Il n'y a point d'autre moyen de les gagner, disaient au prélat quelques évêques, que de donner de l'argent au roi. » Anselme ne put s'y résoudre.
7. Ne sachant quelle conduite tenir à l'é- Il pense à gard du roi pour l'engager à concourir au abdiquer l'é- bon ordre de l'Eglise d'Angleterre, il pensa à abdiquer l'épiscopat. Mais quand il eut con- sulté 4 là-dessus Hugues, archevêque de Lyon, son ami 5, celui-ci l'en dissuada. Au retour du voyage que le roi avait fait en Normandie, An- selme lui communiqua le dessein où il était d'aller à Rome recevoir le pallium. « De quel pape?» dit le roi.-«Du pape Urbain,» répon- dit Anselme. Le roi dit : « Je ne l'ai pas encore reconnu pour pape. Nous n'avons pas accoutumé, mon père et moi, de souffrir qu'on reconnaisse un pape en Angleterre sans notre permission, et quiconque vou- drait m'ôter ce droit, c'est comme s'il vou- lait m'ôter la couronne. » Il s'éleva là-dessus entre le roi et l'archevêque une contestation dont la décision fut renvoyée à une assem- blée qui devait se tenir à Rockingham, le
onzième de mars 1095. Les évêques, donnant
dans les sentiments du roi, firent ce qui dé-
pendait d'eux pour engager Anselme à re-
noncer à l'obéissance d'Urbain; mais il de-
meura ferme. Le roi irrité, ordonna aux
évêques de refuser à Anselme l'obéissance.
Ils le promirent. Les seigneurs laïques, pres-
sés de faire la même chose, le refusèrent,
déclarant qu'ils ne pouvaient, étant chré-
tiens, se soustraire à sa conduite, vu qu'il
n'était coupable d'aucun crime. Anselme, ne
se croyant pas en sûreté en Angleterre, de-
manda à sortir du royaume. Le roi souhai-
tait sa retraite; mais il aurait voulu qu'au-
paravant on le déposât de l'épiscopat. Cela
ne lui paraissant pas possible pour lors, il
lui donna un délai jusqu'à la Pentecôte.
Pendant ce temps-là il chassa d'Angleterre
le moine Baudouin, confident de l'archevê-
que et son homme d'affaires; lui fit enlever
son chambellan, sous ses yeux, et commit à
son égard beaucoup d'autres insultes.
8. L'arrivée de Gauthier, évêque d'Albane, lium en 1095. légat du pape Urbain, les suspendit pour un temps. Il apportait 2 le pallium à l'archevê- que; mais il commença par voir le roi, à qui, sous de flatteuses promesses, il per- suada de reconnaitre le pape Urbain, et d'y engager tous ses sujets. Ce prince espérait que, par cette condescendance, il engagerait le légat à faire déposer Anselme par l'auto- rité du pape. Il offrit même d'envoyer cha- que année à Rome une somme d'argent. Le légat fut inflexible, et le roi, voyant qu'il ne pouvait réussir à faire du mal à l'archevê- que, lui rendit en apparence ses bonnes grâ- ces. Etant à Windsor à la Pentecôte de l'an 1095, il envoya des évêques à Cantorbéry presser l'archevêque de lui faire un présent à l'occasion du pallium; le prélat s'en ex- cusa : il ne voulut pas non plus recevoir le pallium de la main de ce prince, disant que la grâce lui venait du Saint-Siége, et non du roi. Le légat le mit donc sur l'autel de l'é- glise de Cantorbéry, où Anselme le prit le dixième de juin de la même année. Le roi lui rendit ses bonnes grâces, et ordonna le rappel de Baudouin en Angleterre.
trois ans, au roi, son frère 3, pour une cer-
taine somme qui lui fut payée comptant.
Anselme y contribua de la valeur de deux
cents marcs d'argent, qu'il avait tirés du tré-
sor de son église. Il en usa ainsi de l'avis
des plus sages, nommément de Gondulfe,
évêque de Rochester, qui lui avait toujours
été très-attaché. Mais de peur que cet exem-
ple ne tirât à conséquence pour ses succes-
seurs, il abandonna pour sept années à cette
église les revenus d'une terre qu'il possé-
dait, afin de l'indemniser des deux cents
marcs. Quelque temps après il fournit au roi
des troupes pour l'expédition contre les
Gallois. Quoiqu'elle eût été heureuse, et
qu'il eût soumis ces peuples, il ne laissa pas
de se plaindre qu'Anselme lui eût envoyé
des soldats qui n'étaient point aguerris, et il
lui ordonna de se tenir prêt à le satisfaire
sur ce point, suivant le jugement de sa cour.
L'archevêque ne répondit rien à celui qui
lui apporta cet ordre; mais considérant que
les désordres allaient toujours en augmen-
tant, qu'on continuait à piller les monastères
et les églises, il prit le parti d'aller exposer
tous ses maux au Saint-Siége, pour y appren-
dre comment il devait se conduire en cette
occasion. Il demanda la permission au roi
d'aller à Rome. Elle lui fut refusée jusqu'à
deux fois. Mais à la troisième demande, le
roi l'accorda. Anselme partit au mois d'oc-
tobre 1097, passa par Lyon où il vit le légat
Hugues, qui en était archevêque, et arriva 5
à Rome quelques jours après Pâques, l'an-
née suivante 1098. Il était accompagné du
moine Baudouin, son confident, et d'Eadmer,
moine de Cantorbéry, qui a écrit la vie du
saint. Le pape Urbain II le logea deux jours
au palais de Latran, et lui permit ensuite de
se retirer au monastère de Saint-Sauveur,
près de Télèfe, dans la terre de Labour,
dont l'abbé Jean avait été son disciple en
l'abbaye du Bec.,
10. Roger, duc de Pouille, ayant ouï par-
ler de l'archevêque de Cantorbéry, l'invita à
le venir voir dans le temps qu'il faisait le
siége de Capoue. Le pape y vint en même
temps, dans le dessein d'engager ce prince à
la paix. Le pape et Anselme eurent tout le
loisir de conférer ensemble pendant la durée
du siége, et passèrent encore ensemble quel-
ques jours à Averse, où ils allèrent après le
siége de Capoue. La tranquillité dont il avait
joui depuis sa sortie d'Angleterre, et le peu
d'apparence qu'il pût jamais vivre en paix
avec le roi Guillaume, dont la conduite em-
pirait tous les jours, lui fit naître une seconde
fois le désir de renoncer à son archevêché. Il
communiqua son dessein au pape, et le pria
de le décharger de ce fardeau. Urbain II, au
lieu d'avoir égard à ses remontrances, lui
ordonna de la part de Dieu et de saint Pierre,
de conserver l'autorité et les marques de
l'épiscopat, et de prendre autant qu'il le
pourrait, soin de son Eglise. En même temps
il l'invita au concile qu'il devait tenir à Bari
le premier d'octobre 1098. Il y fut question
de la procession du Saint-Esprit. Le pape,
dans la première séance, prouva qu'il pro-
cédait du Père et du Fils; dans la seconde,
Anselme appuya la même vérité par ordre
du pape. On en verra les preuves dans l'ana-
lyse du traité qu'il composa depuis sur ce
sujet. On fut d'avis dans ce concile d'anathé-
matiser le roi d'Angleterre pour les maux
qu'il faisait aux églises, pour le mépris des
avertissements du pape, et pour les insultes
qu'il avait faites à Anselme. Mais ce saint, se
jetant à genoux, pria avec tant d'instances,
que le concile ne prononça point d'anathème
contre ce prince.
11. Quelques jours après que le pape et An-
selme eurent été de retour à Rome, le député qu'Urbain II avait envoyé en Angleterre en faveur de l'archevêque 1, arriva mal satisfait de la réception qu'on lui avait faite. Le roi l'avait menacé de lui faire arracher les yeux, s'il ne sortait au plus tôt de ses Etats. Survint un envoyé de la part du roi avec des lettres pour le pape. Le porteur était chargé de lui dire beaucoup de choses contre Anselme, et de faire, à force de présents, des amis à son maitre. C'est pourquoi il demeura à Rome jusqu'à Noël. Il réussit dans sa négociation. On ne parla plus d'excommunier le roi, et on lui accorda un délai jusqu'à la Saint-Mi- chel, huitième de mai de l'année suivante 1099. L'archevêque, s'apercevant qu'il n'a- vait aucun secours à espérer, demanda per- mission de reprendre la route de Lyon. Mais le pape le retint pour le concile qu'il devait célébrer à Rome la troisième semaine d'a- près Pâques, suivant l'ancienne coutume.
Personne ne se souvenait d'y avoir vu un
archevêque de Cantorbéry, et l'on ne savait
quelle place lui accorder. Le pape lui fit
donner un siége dans le cercle que formait
la séance; ce qui était une marque d'une
grande distinction. Reinger, évêque de Luc-
ques, chargé de lire à haute voix les décrets
du concile, en interrompit la suite, pour se
plaindre qu'on n'eût encore accordé aucun
secours à Anselme depuis deux ans qu'il était
venu d'Angleterre à Rome pour demander
justice. Après avoir formé ces plaintes, il
frappa 2 trois fois la terre de sa crosse,
et témoigna encore son mécontentement
en serrant les dents et les lèvres. Le pape
ayant promis qu'on y donnerait bon ordre,
Reinger continua la lecture des décrets, et
avant de s'asseoir, il recommanda une se-
conde fois de faire justice à Anselme. Ce
prélat, qui n'avait aucune part à la saillie de
l'évêque de Lucques, l'écoutait en silence.
12. Aussitôt que le concile fut fini, il sortit de Rome et prit le chemin de Lyon 3. Après y avoir fait quelque séjour, il alla à l'abbaye 100. de la Chaise-Dieu, où il apprit la mort du roi Guillaume, tué dans une partie de chasse le 2 août de l'an 1100. Cette nouvelle lui causa de la douleur, et il protesta que si cela s'était pu faire, il aurait donné la vie de son corps pour empêcher que ce prince mourût en l'é- tat où il était mort. De la Chaise-Dieu il re- vint à Lyon. Arriva presque dans le même. temps un moine de l'Eglise de Cantorbéry, avec des lettres par lesquelles on le pressait de retourner en Angleterre. Il partit sans délai, de l'avis de l'archevêque de Lyon, et avant d'arriver à Cluny il reçut du roi Henri I des lettres remplies de témoignages d'estime et d'amitié. Anselme pressa tant sa marche, qu'il arriva au port de Douvres le 23 sep- tembre de la même année 1100. Il fut reçu avec une joie unanime. Mais il faillit se brouil. ler avec le nouveau roi, en lui apprenant les décrets du dernier concile de Rome contre les investitures. Le roi prétendait les main- tenir comme ayant été usage sous ses pré- décesseurs, et l'archevêque ne voulait point se départir de ces décrets. Il fut convenu de part et d'autre qu'on enverrait à Rome au pape Pascal II, successeur d'Urbain II. Anselme députa deux moines de Cantor- béry, le roi trois évêques. Le pape de-
3 Eadmer., ibid., et lib. III, pag. 56, 57.
Il tient un concile à Lou- dres en 1102.
meura ferme dans la condamnation des in- vestitures, et s'en expliqua clairement dans les deux lettres dont il chargea les députés, 1 l'une pour le roi, l'autre pour l'archevêque. Les trois évêques soutinrent que le pape avait parlé devant eux contrairement à ses lettres. Baudouin, l'un des deux moines envoyés par Anselme, les réfuta vivement. Les évêques de la cour, prenant le parti du roi, répli- quèrent que le témoignage des évêques dé- putés devait l'emporter sur celui des moines. Baudouin en appela aux lettres mêmes. Le pape, informé de la calomnie dont les évê- ques députés l'avaient chargé, écrivit d'au- tres lettres 2 où il condamnait nettement les investitures, et excommunia ces évêques. Le roi ne changea pas pour cela de sentiment.
13. Cependant, il donna son agrément 3 pour la tenue d'un concile. Anselme le con- voqua à Londres en 1102, le jour de la fête de saint Michel, dans l'église de Saint-Pierre de Westminster, et y présida assisté de treize autres évêques, de plusieurs abbés et seigneurs laïcs, afin que ce qui y serait réglé fût autorisé des deux puissances. On com- Can. 1. mença par condamner la simonie. Six abbés en furent convaincus, et déposés. On prononça aussi contre trois autres la sentence de dé- 2. position pour divers sujets. Il fut défendu aux évêques de prendre la charge de tenir les plaids pour les affaires temporelles, et .de 3. s'habiller comme des laïcs, de donner à ferme 4. un archidiaconé, de nommer archidiacres E. ceux qui n'étaient pas diacres; aux prêtres, aux diacres, aux archidiacres, aux chanoines de se marier ou de garder les femmes qu'ils avaient épousées. Les sous-diacres furent 7. soumis à la même loi, et on arrêta qu'à l'a- venir aucun serait promu au sous-diaconat 6. qu'il n'eût fait profession de chasteté; que les prêtres qui ne vivraient pas en continence ne pourraient célébrer la messe, et qu'au cas qu'ils la célébrassent personne n'y assiste- 8. rait. On déclara leurs enfants incapables de 9. leur succéder en leurs églises. On défendit
les moines, sinon en cas de nécessité; aux Can. 19.
moines de donner la pénitence qu'avec la
permission de leur abbé et qu'à ceux dont les
âmes seraient à leur charge. Tous les clercs
seront habillés d'une seule couleur et porte-
ront une couronne bien ouverte. On ne don- ".
nera la dime qu'aux Eglises; on ne bâtira 16.
point de nouvelles chapelles sans la permis-
sion de l'évêque, et l'on ne consacrera au-
cune église, qu'auparavant on n'ait pourvu
aux besoins de cette église et du prêtre. Les 20.
moines ne seront point parrains, ne tiendront 2t.
point de fermes, et ne recevront des églises 22.
que de la main de l'évêque. La promesse de 23.
mariage faite sans témoins sera nulle, si l'une
des deux parties nie qu'elle l'ait faite. Les 23.
parents ne pourront se marier ensemble jus-
qu'à la septième génération. Défense d'en- 25, 26.
terrer personne hors de sa paroisse, afin que
le prêtre qui la dessert ne soit point fraudé
de son honoraire; de rendre à des corps
morts, à des fontaines ou à d'autres choses
aucun honneur religieux sans la permission
de l'évêque, et de vendre les hommes comme
des bêtes, ainsi qu'il était d'usage en Angle-
terre.
14. Les décrets de ce concile occasionnè-
rent, dit Edmar, un grand nombre de préva- rications en tout genre 4, et l'archevêque fut obligé d'user d'indulgence en beaucoup d'oc- casions. Roger, élu évêque d'Herfort, étant mort, eut pour successeur le chancelier de la reine, nommé Reinelme. Le roi pria An- selme de sacrer l'élu avec Roger, nommé pour l'évêché de Salisbury, et Guillaume, élu pour Vinchester. Les deux premiers avaient reçu l'investiture. Anselme refusa de les sa- crer; mais il consentit au sacre de Guillaume, qui n'avait point voulu recevoir la crosse de la main du roi. Le prince, irrité de son refus, vint à Cantorbéry, vers la mi-carême de l'an 1103, presser Anselme de ne plus lui con- tester ses droits. Le voyant ferme, il le fit prier d'aller lui-même à Rome demander que le droit d'investiture lui fût conservé. An- selme, jugeant bien que la proposition du roi ne tendait qu'à le faire sortir du royaume, alla à la cour prendre congé de ce prince, en l'assurant qu'il ne demanderait rien au pape qui fût contraire à la liberté des Eglises. Il partit le 27 avril, et n'arriva à Rome que sur la fin d'août ou au commencement de sep-
tembre. Il y trouva Guillaume de Varelvast,
le même que le roi Guillaume-le-Roux y avait
envoyé. Le pape Pascal fit loger Anselme au
palais de Latran, et assigna un jour pour
l'examen de l'affaire. L'envoyé du roi 1 re-
leva avec beaucoup d'éloquence les bienfaits
des rois envers la cour de Rome, l'usage où
ils étaient de donner l'investiture, le préju-
dice que les Romains se feraient à eux-mêmes
si on venait à ôter ce droit à son maître, dont,
ajouta-t-il, il ne se départira jamais, dût-il en
perdre son royaume. Anselme attendit en
silence le jugement du pape, qui, prenant la
parole, dit que pour lui il ne permettrait pas
au roi de garder impunément les investitures,
quand il devrait lui en coûter la vie. Néan-
moins, par le conseil des Romains, il accorda
au roi quelques autres usages de ses prédé-
15. Anselme partit de Rome 2 avec une
lettre de Pascal II, datée du 16 novembre 1103, confirmative des droits de sa primatie. Va- relvast, au contraire, demeura à Rome pour essayer d'engager le pape à contenter le roi d'Angleterre. Sa tentative fut inutile, et tout ce qu'il obtint fut une lettre pour ce prince, datée du 23 novembre, dans laquelle le pape lui donnait de grands témoignages d'amitié, et l'exhortait, par des motifs très-pressants, à renoncer aux investitures et à rappeler An- selme. Pascal II savait apparemment qu'il y avait défense, de la part du roi, au prélat de retourner en Angleterre, en cas que l'affaire des investitures tournât mal à Rome. Varel- vast la lui signifia à Plaisance, où il le rejoi- gnit, ensuite ils se séparèrent. Anselme fut reçu à Lyon avec beaucoup d'honneur par l'archevêque Hugues, le clergé et le peuple; mais en Angleterre 3, le roi fit saisir à son profit tous les revenus de l'archevêque, à qui il écrivit de ne point revenir s'il ne lui pro- mettait de le laisser dans tous les usages de son père Guillaume-le-Conquérant et de son frère Guillaume-le-Roux. Son absence cau- sait beaucoup de maux. On élevait aux digni- tés ecclésiastiques des courtisans indignes, et on les promouvait aux ordres contre le pres- crit des canons; on pillait les églises, on oppri- mait les pauvres, on enlevait les vierges, on les déshonorait; les prêtres se mariaient, ou con- tinuaient à vivre dans l'incontinence. C'est ce
Eadmer., lib. III, pag. 66. Eadmer., pag. 67, 68.
* Ibid., lib. IV, pag. 69, 70.
Ibid., lib. IV, pag. 69, 70.
que des gens de bien écrivaient à Anselme,
pour l'engager à revenir en usant de quel-
que condescendance envers le roi. Ce prince,
de son côté, pensait à envoyer de nouveaux
députés à Rome, et il y en envoya en effet
après Pâques de l'an 1105, qui, en cette an-
née, était le 9 avril; mais en attendant il fai-
sait des exactions inouïes sur le peuple et
sur le clergé, sous prétexte de faire observer
les décrets du dernier concile de Londres
contre le concubinage et les autres désordres
qui régnaient dans ses Etats. L'archevêque
lui écrivit qu'il n'était point d'usage de faire
exécuter les canons d'un concile par des
peines temporelles, et que c'était aux évê-
ques, et non aux princes, à punir ces préva-
rications. Le roi lui fit réponse qu'il le satis-
ferait sur cet article dans le voyage qu'il
devait faire dans peu en Normandie.
16. L'archevêque, étant à la Charité-sur- Loire, au commencement de l'été de l'an roi d'Angle- 11056 alla voir la comtesse de Blois, à qui il avait des obligations. Elle était sœur du roi d'Angleterre. Ayant su d'Anselme ce qui s'était passé entre son frère et lui, elle en- treprit de les réconcilier. Il y eut entre eux une entrevue à L'Aigle 7, entre Séez et Mor- tagne; le roi rendit au prélat les revenus de son Eglise, et consentit qu'il revînt en pren- dre le gouvernement, mais à condition qu'il accorderait la communion à ceux qui avaient reçu de lui les investitures. Anselme le re- fusa, et ne voulut rentrer en Angleterre qu'après le retour des députés que le roi et lui avaient envoyés à Rome pour avoir une explication sur cet article et sur quelques autres. La réconciliation du roi avec l'arche- vêque se fit le 22 juillet de l'an 1105; mais elle ne fut entière qu'au 15 août de l'année suivante. Le roi et Anselme se trouvèrent ce jour-là en l'abbaye du Bec, où ils convinrent de tous les articles qui les avaient jusque-là divisés. Le roi déchargea les Eglises de son royaume du cens que son frère leur avait imposé, promit de ne rien prendre à l'avenir des Eglises vacantes, et de restituer tout ce qu'il avait pris des biens de l'Eglise de Can- torbéry pendant l'absence de l'archevêque. Il promit encore que ceux des curés qui n'a- vaient point payé de taxe ne payeraient rien, et que ceux qui avaient payé cette taxe se-
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