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par les brahmanes. A mon avis, ce sont les bouddhistes qui en ont indirectement provoqué la diffusion. Animés d'un vif esprit de propagande, ardents à répandre leurs doctrines par tous les moyens, ils étaient entraînés en sens inverse de l'exclusivisme brâhmanique. Leur penchant à écrire devint pour les brâhmanes l'occasion de codifier une langue littéraire. Leurs essais précoces d'écriture introduisirent petit à petit dans la circulation les procédés d'une orthographe fixe et savante qu'ils n'avaient pas les mêmes motifs que les brahmanes de retenir enfermés dans les murs de l'école. Peut-être aussi en possédaient-ils moins complètement qu'eux les éléments et la théorie. Ils firent tant par cette révélation lente et imparfaite qu'un moment vint où l'intérêt des brâhmanes se trouva renversé. Leur mystère était en quelque sorte percé à jour. Il ne leur restait qu'à reprendre l'avantage au nom de leur supériorité technique, à ressaisir l'initiative en enseignant avec plus de pureté leur langue savante, en en activant l'usage public, officiel ou littéraire.

Ils trouvaient à cette divulgation un double correctif : le premier, en ce qu'ils appliquaient eux-mêmes un idiome dont ils étaient les régulateurs; le second, en ce qu'ils conservaient le privilège exclusif de la littérature religieuse, qui restait distinguée par sa langue de la nouvelle littérature profane.

III

Reste à examiner le troisième groupe linguistique, à déterminer la position des prâkrits.

Entre la langue qu'emploient les édits de Piyadasi et les prâkrits des grammairiens, les ressemblances sautent aux yeux. Elles attestent l'existence, au m° siècle, de langues populaires de souche aryenne réparties en dialectes divers. Les dissemblances ne sont pas moins sensibles : outre que les habitudes orthographiques sont de part et d'autre différentes, il n'existe

de concordance complète entre aucun des dialectes décrits par les grammairiens et ceux que représentent les édits.

C'est que, en effet, les prâkrits littéraires se présentent à nous dans des conditions toutes spéciales. Ils plongent certainement leurs racines dans le sol commun de la langue populaire, ils reflètent en somme l'état général de la langue courante; plusieurs d'entre eux, le mahârâshtrî, le magadhi, se rattachent directement à des dialectes provinciaux dont ils conservent la dénomination géographique. Et cependant, populaires par leur première origine, ils sont littéraires et en partie artificiels par la forme qu'ils ont finalement reçue, sous laquelle ils ont pénétré et nous ont été conservés dans les productions poétiques ou religieuses. Ce n'est pas le moment d'entrer dans une démonstration de détail: je pense, du reste, qu'il n'est aucun indianiste disposé à contester en principe cette manière de voir. Les noms clairement arbitraires de plusieurs de ces dialectes, comme paiçâci, langue des méchants esprits, ardhamâgadhi, semi-mâgadhi, apabhramça, langue corrompue, etc.; les partis pris orthographiques absolus qui s'y manifestent, substitués aux hésitations, aux inconséquences du prâkrit épigraphique de la même région; l'emploi parallèle, immobilisé, de dialectes représentant des degrés très inégaux de détérioration phonétique, autant d'indices qui caractérisent ces prâkrits. Ils ont dû avoir à une certaine époque une existence plus libre: ils ont pu, dans cette condition antérieure, recevoir de premières applications littéraires, populaires et spontanées; ce premier emploi a dû être, pour plusieurs, la raison d'être de leurs applications ultérieures sous une forme plus régularisée. Mais ce qui est certain, c'est que tous les spécimens qui nous en sont parvenus par la tradition écrite appartiennent à la période plus récente de leur codification orthographique et grammaticale.

Ce point est d'importance.

On a cherché dans le degré de l'altération phonétique que manifestent les divers dialectes une base pour leur classement chronologique. A merveille, s'il s'agissait d'idiomes saisis sur le vif de leur développement normal. Mais que signifie ce criterium pour des dialectes littéraires dont l'orthographe a été ou a pu être profondément modifiée dans son aspect par l'action arbitraire de remaniements scolastiques?

Au temps de Piyadasi nous voyons l'écriture de l'ouest prêter au dialecte qu'elle reflète, par des archaïsmes d'orthographe, une apparence de conservation à laquelle il ne faut pas se laisser tromper. Dans la période suivante, cette orthographe, loin d'obéir à la loi de l'affaiblissement, de l'usure, va, dans le sanskrit mixte, en reconstituant de plus en plus l'intégrité de la prononciation étymologique. Les inscriptions pràkrites du sud-ouest associent continuellement des formes altérées et des formes archaïques; elles obéissent elles aussi au penchant général qui tend à la restauration des orthographes savantes.

A une époque plus récente, consultons les langues modernes. Que trouvons-nous? D'une part elles ont conservé directetement, par transmission régulière, certaines complexités de prononciation qui sont éliminées des prâkrits grammaticaux, et qui n'ont pu dès lors en être éliminées que par un parti pris arbitraire. D'autre part, puisant constamment dans le vocabulaire de la langue savante, elles se chargent de mots dont l'aspect est purement sanskrit. Si on prenait ces formes pour des témoins authentiques du développement de la langue, en quelles inductions ne s'égarerait-on pas ?

Les conclusions mêmes auxquelles nous sommes arrivés, en ce qui concerne la date de l'avènement officiel du sanskrit, sont ici instructives. A ne considérer que la condition phonétique, le sanskrit serait, bien entendu, antérieur à la langue de Piyadasi; pour ce qui est de l'âge absolu des formes

prises isolément, l'induction est certaine. Cela n'empêche que, comme système réglé de grammaire et d'orthographe, à plus forte raison comme instrument littéraire, le sanskrit ne soit historiquement postérieur.

Pour certains prâkrits, pour le Mahârâshtrî par exemple, l'œuvre des grammairiens a exagéré la déformation réelle de la langue existante; elle a pris pour niveau moyen de sa régularisation les types phonétiques les plus altérés. Pourquoi ne se serait-elle pas, dans d'autres cas, inspirée de la tendance opposée? Pour ce qui est du Mahârâshṭrî, il semble que ce parti ait été dicté par les besoins ou les commodités de la poésie chantée; dans d'autres cas, des raisons différentes, qu'il n'est pas toujours malaisé d'entrevoir, des raisons de tradition par exemple, peuvent avoir pesé en

sens contraire.

C'est donc mal poser la question que de rechercher l'ancienneté relative que paraît comporter l'aspect orthographique des dialectes. Le vrai problème relève, non de la physiologie linguistique, mais de l'histoire littéraire; il consiste: 1° à découvrir les moyens de préciser l'époque où a pu avoir lieu la réforme grammaticale d'où sont sortis les prâkrits tels qu'ils nous sont connus; 2° à discerner sous quelles influences s'est, d'une façon générale, produite cette réforme et, dans chaque cas particulier, les raisons spéciales, locales, historiques, qui ont assuré à chaque dialecte les particularités qui le caractérisent.

Il est à priori bien difficile de douter que la régularisation grammaticale des prâkrits soit postérieure à la diffusion du sanskrit classique; toutes les grammaires prâkrites se réfèrent au sanskrit, toutes se placent, pour enseigner le prâkrit, sur le terrain de la grammaire sanskrite. Et comment, sans le précédent du sanskrit, sans son application antérieure à la littérature, l'idée serait-elle née de donner aux prakrits, pour les

XIV.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

affecter eux aussi à la production littéraire, une forme régularisée, immuable? Seul, l'usage parallèle du sanskrit, posé en type régulateur, a pu permettre d'arrêter dans le même temps des dialectes divers à des niveaux orthographiques inégaux, indépendants dans une large mesure de l'étape contemporaine de la décadence linguistique.

L'épigraphie fortifie ces présomptions de son témoignage. On traite comme conçues en prâkrit les inscriptions anciennes qui, n'étant pas rédigées en sanskrit, se rapprochent en effet de la langue populaire. C'est fort bien, mais à une condition, c'est que l'on précise le sens du mot prâkrit, que l'on sépare le sens générique du mot de son application aux prâkrits littéraires. Le prâkrit monumental ne se distingue pas seulement des prâkrits grammaticaux par ses inconséquences et ses incertitudes; il s'en distingue surtout par une particularité orthographique très nette et très frappante, très propre à nous servir de pierre de touche : les prâkrits littéraires écrivent tous et toujours doubles, après une voyelle brève, les consonnes homogènes doubles d'origine ou doublées par assimilation; nous n'avons ni une grammaire qui n'enseigne ni un texte qui ne pratique cet usage. Il est, au contraire, non moins invariablement étranger à tous les documents épigraphiques anciens, et cela jusqu'à une époque postérieure à l'emploi épigraphique du sanskrit dans la même région. Nous avons vu tout à l'heure que l'usage du redoublement des consonnes doubles s'était, même dans le sanskrit mixte, introduit seulement par l'influence directe de l'orthographe classique, qui était, elle, guidée par les traditions de prononciation rigoureuses propres à la langue sacrée. A plus forte raison doit-il en être de même pour les idiomes populaires.

Nous pouvons donc affirmer d'abord que l'élaboration grammaticale d'aucun des prâkrits qui nous sont connus par la littérature n'est antérieure au 11° siècle de notre ère.

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