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qu'elle fournit à l'homme de rentrer en grâce avec Dieu, peut être appelée par excellence le refuge des pécheurs. Ne dites donc point que nous ne saurions vivre en paix avec ceux que nous croyons damnés; car, je vous le répète, nous ne croyons ni ne pouvons croire personne damné ici-bas, puisque nous sommes convaincus au contraire qu'il ne faut qu'un acte d'amour pour élever des bords de l'abîme au séjour du bonheur. Et quand bien même cela ne serait pas, quand nous serions convaincus que tels et tels gens sont damnés, serait-ce une raison pour ne pas vivre en paix avec eux? N'en serions-nous pas que plus émus, plus touchés de compassion à la pensée de leur sort? C'est ce qu'on éprouve, généralement parlant, pour ces malheureux condamnés à mort, sur lesquels nul n'oserait porter la main, parce qu'ils appartiennent à la justice. Voyez Jésus-Christ: il sait, par sa divine prescience, quels sont ceux qui auront à subir un jour la damnation éternelle. Il n'en vit pas moins en paix avec eux, il n'en recommande pas moins aux siens d'en faire autant, et ses apôtres renouvellent, à leur tour, la même recommandation. Pour ce qui est de vous, nous dit le grand Apôtre, ayez, s'il est possible, la paix avec tout le monde. Si fieri potest, quod ex vobis est, cum omnibus hominibus pacem habentes. »(Rom. x11,18.) Ecoutons encore, à ce sujet, l'apologisté que nous citions tout à l'heure.

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Mais, dira-t-on, «n'est-il pas à craindre que le zèle contre les opinions n'aigrisse les esprits et ne conduise à la haine des personnes? Je conviens que le zèle peut avoir ses excès, mais la charité peut avoir aussi les siens; si le zèle peut devenir persécuteur, la charité peut dégénérer en mollesse. Medé fendrez-vous d'aimer la personne des incrédules, sous prétexte que l'amour des personnes peut conduire à l'amour de l'incrédulité? Non, sans doute. Pourquoi donc condamneriez-vous la haine des erreurs, sous prétexte qu'elle peut conduire à la haine des personnes? Toute charité qui éteindrait le zèle, tout zèle qui violerait la charité seraient deux excès également répréhensibles. Et d'où vient qu'on attaque le zèle de la religion avec une logique qu'on rougirait d'employer en toute autre matière? Ainsi du milieu des préjugés nationaux, des prétentions réciproques des gouvernements, des intérêts opposés du commerce, peuvent naitre et sont nées en effet trop souvent des rivalités, des dissensions et des guerres sanglantes; faudra-t-il pour cela qu'il n'y ait ni peuple, ni gouvernement, ní industrie? Ainsi, la seule diversité des caractères et des talents, comme le choc des intérêts, peuvent porter dans les familles le trouble et la discorde; faudra-t-il qu'il n'y ait plus de société domestique, et que chaque membre de l'espèce humaine vive séparé de ses semblables? Non, quand une chose est salutaire; il faut la respecter malgré les abus que peuvent en faire les méchants. Faudrait

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que l'univers fût privé de l'élément du

feu qui l'anime, sous prétexte qu'il peut en résulter des incendies? En deux mots, la tolérance chrétienne n'est autre chose qu'une charité bien éclairée, également éloignée et d'une faiblesse qui excuse tout, et d'une rigueur qui ne pardonne rien charité qui, sans épargner ni l'erreur ni le vice, nous apprend à aimer les errants et les vicieux.

« Il y a longtemps que les ennemis de la religion affectent de nous inviter à nous montrer doux, indulgents, tolérants comme Fénelon. Certes le modèle est beau; et quel ministre des autels ne se ferait gloire de marcher sur les traces de l'immortel archevêque de Cambrai, un des plus beaux génies qu'ait produits la nature, comme un des plus grands pontifes qui aient illustré notre Eglise? Mais l'incrédule ne veut pas voir, ou bien il a oublié qu'autant Fénelon fut doux, compatissant, tendre dans sa conduite, autant il fut pur, délicat, intolérant en matière de doctrine et de croyance religieuse. Ses écrits, sa vie, ses écarts mêmes déposent en faveur de l'inflexibilité de ses principes: athées, matérialistes, déistes, indifférents, sceptiques et hétérodoxes, tous les ennemis de la vérité ont été combattus par lui, il est facile de s'en assurer en parcourant ses ouvrages. S'il a le malheur de se tromper, son erreur devient une preuve sensible de la délicatesse de sa foi, comme un des plus beaux titres de sa gloire, en faisant éclater sa profonde soumission à l'autorité; lui-même il monte dans la chaire évangélique pour lire et publier devant le peuple attendri le jugement qui le condamne; le pasteur se montre aussi docile que la dernière brebis du troupeau jamais l'austère, l'intolérante vérité n'avait remporté de plus beau triomphe; et, si tout cela s'appelle de la tolérance, volontiers nous sommes tolérants. >>

Le mieux est donc, ajoutez-vous, d'étendre la tolérance à tout sans exception, aux idées comme aux personnes.

Vous avez tort de tirer cette conclusion; car, comme je viens de vous le montrer, l'intolérance des idées ne s'étend point nécessairement ni même communément à l'intolérance des personnes. Bien loin d'être en opposition avec la charité, elle la suppose, au contraire, puisque c'est par amour pour les autres et pour nous-mêmes, autant que par amour pour la vérité et pour Dieu, que nous nous efforçons de détruire en eux, comme en nous, les erreurs qui s'y trouvent.

Non, ce n'est pas le mieux; car le mieux est de faire comme Jésus-Christ, comme les apôtres, les martyrs, les Pères de l'Eglise, les Docteurs, les Bossuet, les Fénelon, etc., tout ce qu'il y a d'hommes véritablement grands et saints sur la terre. Or, quelle a été la conduite de ces modèles sur la trace desquels ce doit être pour nous un bonheur et une gloire de marcher? N'ont-ils pas uni, dans la même proportion, le zèle à la charité, ou, en d'autres termes, n'ont-ils pas toujours montré autant d'intolérance pour les erreurs qui trompent et dégradent, que de tolérance et d'amour même, uni à celte

tolérance, pour les personnes en qui se trouvaient ces erreurs trompeuses et dégradantes?

Non, ce n'est pas le mieux; car, une fois qu'il aura été admis généralement qu'il faut se montrer tolérant à l'égard des erreurs, comme à l'égard des personnes, les aimer peut-être aussi, à cause des personnes dans lesquelles elle se trouveront, savez-vous ce qui arrivera? Je n'ose arrêter ma pensée sur toutes les conséquences qui vont sortir de là. Je vois l'erreur engendrer partout l'erreur, et de toutes les erreurs naître bientôt tous les crimes. Ah! malgré l'heureuse influence de la religion catholique dans toutes les branches de la société, quoique cette divine religion, toujours et partout enseignante, ne cesse de répéter, au nom de JésusChrist, à ses ministres et même aux simples fidèles: Mais allez donc ! Euntes ergo»: enseignez toutes les nations... (Matth. xxvi, 19.) Quoiqu'elle soit continuellement aidée dans ce divin enseignement par une infinité de personnes qui, sans avoir toute sa doctrine, la partagent cependant jusqu'à un certain point, que d'erreurs, que de vices encore dans le monde, à cause du ravage des passions et de l'ennemi de notre salut! Que sera-ce donc quand se sera éteint ou quand se sera voilé du moins ce soleil de vérité et de justice? Je vois les ténèbres se répandre par toute la terre, et les hommes s'asseoir, comme avant la venue de Jésus-Christ, et plus encore, à l'ombre de la mort.

Non, ce n'est pas le mieux; car c'est l'opposé de ce que font tous les hommes sans exception. Que fait, en effet, le ministre de la religion dans le temple, l'écrivain avec ses livres, le législateur avec ses lois, le magistrat avec ses arrêts, le professeur dans sa chaire, le père et la mère de famille au milieu de leurs enfants, le maitre au milieu de ses serviteurs, l'ami par les conseils qu'il adresse à ses amis? Ils s'efforcent d'étendre leurs idées, de les faire prévaloir; donc, de détruire ou d'affaiblir du moins les idées opposées. Ils se montrent donc intolérants à l'égard de ces idées opposées aux leurs. Et que faites-vous vous même dans les discussions que vous avez avec moi, ou avec d'autres personnes? Vous vous efforcez également de faire prévaloir vos idées; donc de détruire ou d'affaiblir du moins les idées opposées. Vous êtes done, vous aussi, intolérant à l'égard de ces idées opposées aux vôtres.

Non, encore une fois, ce n'est pas le mieux; car c'est tout à fait impraticable. Il est impossible, en effet, de posséder la vérité ou ce qu'on prend pour elle sans l'aimer; il est impossible d'aimer l'idée, identifiée en quelque sorte avec notre âme par la croyance, sans chercher à la faire prévaloir; il est impossible de la faire prévaloir sans combattre les idées opposées, et, par conséquent, sans se montrer intolérant à l'égard de ces mêmes idées.

Vous allez me dire peut être : Soyons indifférents à l'égard de toute chose, et nous

serons par cela même tolérants sur tout sans exception.

Ce n'est pas possible, non plus; car les individus comme les peuples ne sauraient vivre sans croyances, et surtout sans croyances religieuses. Admettons-en la possibilité cependant. Vous voilà, je suppose, athée, et même entièrement sceptique. Qu'arrivera Mais elle n'en reste pas moins impraticable; t-il ici, au point de vue de la tolérance ?

et vous allez voir comment. Vous vous attachez à votre idée, ou, pour mieux dire, à votre négation de toute idée religieuse, avec d'autant plus d'opiniâtreté que c'est là tout ce qui vous reste, et que vous rencontrez partout un plus grand nombre de contradicteurs. Vous vous défendez done; vous combattez vos contradicteurs; et vous voilà devenu intolérant à l'égard des idées. Mais, de plus, comme il n'y a nul frein en vous, nulle loi religieuse pour régler les mouvements de votre âme, pour vous faire aimer la personne de vos adversaires alors que vous combattez leurs idées, de l'in olérance de ces idées vous passez tout naturellement à l'intolérance des personnes; laquelle intolérance devient persécution, et même persécution violente. Cela s'est vu bien des fois dans le monde, et il n'y a pas longtemps en

core.

« Vous nous prêchez l'indifférence, a-t-on pu dire à ceux qui s'en sont faits les apotres; mais vous-mêmes la pratiquez-vous ?> s'écrie à ce propos l'apologiste que nous avons déjà cité deux fois dans cet article. «< Si à vos yeux toutes les religions sont égales, pourquoi ne pas laisser à chacun la liberté de suivre la sienne? Pourquoi, sous l'empire de votre indifférentisme la religion persécutée? Pourquoi ses temples fermés ou démolis, ses ministres et ses sectateurs égorgés? L'indifférence était dans vos discours, et la haine dans vos actions loin d'être indifférents, vous vomissiez mille imprécations contre Dieu et contre son Christ, vous brisiez ses autels pour adorer la raison; ceux que vos paroles n'avaient pu séduire, vous les trainiez par violence aux pieds de la nouvelle idole. Encore aujourd'hui, pourquoi toutes ces injures prodiguées à la religion de nos pères ? Pourquoi cette haine sombre que l'on porte au ministère sacré, et ces efforts pour le décrier, pour l'avilir, pour le ruiner dans l'esprit des peuples? A ces traits reconnait-on l'indifference, ou plutôt ne faut-il pas reconnaître le fanatisme? Tant il est vrai que l'indifférence est impossible à ceux-là nêmes qui en font le plus hautement profession. »

Soyons done tolérants, mais comme Dieu veut que nous le soyons et dans les mesures qu'il prescrit à chacun, c'est-à-dire selon le sens catholique de l'expression. Soyous tolérants pour tous les hommes sans exception, parce que tous, quels qu'ils soient, sont les enfants de Dieu, nos frères, par conséquent; mais que cette tolérance ne nous empêche pas de combattre, et même avec énergie,

1436 vires offensent Dieu et dégradent l'humanité.

leurs erreurs et leurs vices, quels qu'ils soient aussi, parce que ces erreurs et ces

TRAPPISTES..

Objections. Ce sont donc des scélérats pour se renfermer volontairement dans des espèces de bagnes religieux? En tout cas, ils se font une bien fausse idée de la Divinité, en se la représentant charmée des souffrances de ses créatures. — C'est s'enfermer dans un tombeau avant la mort. C'est entrer dans l'enfer avant le jugement.

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Réponse. J'entends par Trappiste ici, comme on le fait du reste assez communément, les religieux qui se soumettent aux règles les plus austères.

Ce sont donc des scélérats, nous dit-on, pour se renfermer volontairement dans des espèces de bagnes religieux?

La preuve que ce ne sont point des scélérats, c'est qu'ils s'enferment volontairement, comme vous en convenez vous-mêmes. Ce n'est point ainsi qu'agissent les scélérats. Au contraire, ils se cachent, fuient quand on les poursuit, résistent quand on veut les saisir, et, pour éviter d'être pris, ils ne craignent pas, la plupart du temps, de donner la mort aux autres, et quelquefois de se la donner à eux-mêmes.

Ceux qui entrent à la Trappe ou dans d'antres maisons semblables ne sont donc point des scélérats, tant s'en faut. Bien loin d'être l'écume de la société, ils en sont la crème au contraire. Ne le reconnaissez vous pas vous-mêmes? Vous n'êtes pas sans en avoir vu quelquefois, sinon dans leur solitude, du moins dans le monde, où ils apparaissent comme des anges chargés d'un pieux message, de ces religieux au visage recueilli, au maintien grave et sévère. Ne remarquezvous pas dans tout leur extérieur comme un reflet de la sublime beauté de leur âme? Vous

ne les avez pas vus, je suppose, depuis qu'ils sont entrés dans la maison, mais vous avez dû en connaître quelques-uns auparavant; car ils sortent de tous les rangs de la société. Ce sont des ouvriers, des cultivateurs, des militaires, des prêtres, d'anciens magistrats, et même de hauts dignitaires. Or, dans quelque position qu'ils se trouvassent, n'était-ce pas déjà des modèles de régularité, de vertu, de piété? Depuis qu'ils sont en religion, le bien qui était en eux n'a pu que s'accroître. Ils sont donc tout l'opposé de la scélératesse. Au lieu d'être le vice au dernier degré de l'échelle, ce serait plutôt la vertu au degré le plus élevé.

Et quand bien même ce que vous dites serait vrai, en partie du moins; quand bien même il serait reconnu qu'un grand nombre de ceux qui entrent à la Trappe ou dans d'autres maisons semblables sont des êtres à nature monstrueuse, venus là pour se réformer, qu'en faudrait-il conclure, si ce n'est que ce serait un grand service rendu nonseulement à ceux qui trouveraient ainsi le

moyen de s'améliorer, mais à la société ellemiême qui se serait débarrassée d'un fardeau fort incommode. Puisque vous avez parlé de bagnes religieux, permettez-moi de vous le dire, si ceux qui sont dans les nôtres y entraient volontairement, comme les Trappistes et autres religieux semblables dans leurs demeures, s'ils se sanctifiaient comme eux, si, au lieu de rester toujours et de devenir même de plus en plus des espèces de démons incarnés, toujours disposés à fondre sur la société pour y porter la terreur et le désordre, ils se changeaient en anges de recueillement, de prière, d'édification, de sacrifice et de dévouement, ce serait un grand bien, un grand bonheur pour tous. Que disje? ce serait un véritable miracle, l'un des plus étonnants, l'un des plus avantageur qu'on pût espérer, et dont on ne saurait trop remercier la divine Providence. Voilà pourtant le miracle que vous supposez indirectement à la Trappe, et que vous présentez comme un acte d'accusation contre elle, sans vous apercevoir que c'est au contraire l'un des plus grands éloges que vous puissiez en faire.

En tout cas, nous dit-on encore, ils se font une bien fausse idée de la Divinité, en se la représentant charmée des souffrances de ses créatures.

Et Jésus-Christ que je vois d'abord dans une crèche, puis dans la solitude, puis au milieu des opprobres, et enfin sur le Calvaire, il se faisait donc aussi une fausse idée de la Divinité? Et la sainte Vierge qui eut une si grande part aux souffrances de son fils, et dont l'âme fut à la fin transpercée d'un glaive de douleur, elle se faisait donc une fausse idée de la Divinité? et le grand Apôtre qui châtiait son corps et le réduisait en servitude, de peur qu'après avoir prêelié aux autres il ne fût réprouvé lui-même, il se faisait donc une fausse idée de la Divinité? Et tous les apôtres, et tous les martyrs, et tous les confesseurs, et tous les Chrétiens véritablement dignes de ce nom qui, partout et toujours, ont parlé et agi dans le même sens, ils se faisaient donc une fausse idée de la Divinité?

Et ce n'est pas le Christianisme seulement qui nous enseigne l'utilité et la nécessité des souffrances, je retrouve le même enseignement dans toute religion quelle qu'elle soit, et jusque dans la morale purement humaine. Pourquoi, en effet ces sacrificateurs, ces autels, ces victimes, pourquoi ce sang qui partout rougit la terre ? Pourquoi, ces lois, ces menaces, ces juges, ces chaînes, les prisons, l'échafaud enfin ? Pourquoi tout cela? Pourquoi cela partout et toujours, si l'idée n'en venait du Ciel.

Ce n'est pas que nous pensions, comme

vous vous l'imaginez, que la Divinité soit charmée des souffrances de ses créatures. Bien au contraire; elle ne veut que leur bonheur; mais elle veut ce bonheur pour la vertu et par la vertu, et dès que ses créatures s'en sont écartées, ou sont sur le point de le faire, elle veut et doit les y ramener par la terreur et les châtiments. Il est incontestable, en un mot, que de même que la vertu demande une récompense, de même la faute exige un châtiment: C'est l'ordre, et, par conséquent, la volonté de Dieu.

Mais, me direz-vous peut-être, quels si grands crimes ont commis ces bons religieux ?

Vous avez dit vous-même précisément le contraire. Je n'ai point été de votre avis, il est vrai; aussi suis-je bien éloigné de penser qu'il faille avoir commis de très-grands crimes, pour entrer dans la carrière qu'ils ont embrassée. La foi nous enseigne qu'une seule faute vénielle nous rend dignes du purgatoire, si nous mourons avant de l'avoir expiée. Les religieux dont nous parlons ne sont donc point déraisonnables quand ils font de grandes pénitences pour des fautes même légères. Ils souffrent en ce monde volontairement, pour n'avoir point à souffrir dans l'autre. Ajoutons à cela, qu'ils ne souffrent pas seulement pour eux, mais pour les autres. La reversibilité des mérites de l'expiation, comme de tout autre acte de vertu, est une vérité incontestable, aux yeux de la foi, et même aux yeux de la raison. Pourquoi souffrait la sainte Vierge? Ce n'était point pour ses propres fautes, elle n'en avait commis aucune. Pourquoi souffrait Jésus-Christ? Ce n'était point non plus, pour ses propres fautes, puisqu'il n'en avait commis, ni n'avait pu en commettre aucune. Il souffrait pour les autres, malgré son innocence, et c'était précisément cette innocence qui donnait du prix à ses souffrances. C'est une idée que je retrouve partout. Partout, en effet, je vois que plus la victime est pure, et plus elle plaît à la Divinité. Ce n'est pas, bien entendu, la souffrance matérielle qui plaît ainsi, ce n'est pas le corps meurtri, le sang répandu, mais l'obéissance, le dévouement, l'amour enfin qu'il y a dans ces souffrances, obéissance, dévouement, amour qui ont d'autant plus de grandeur ordinairement qu'il y en a davantage aussi dans les souffrances.

Cela vous étonne; vous ne pouvez concevoir qu'il y ait dans la souffrance quelque hose qui plaise à la Divinité ?

Etonnez vous donc, en ce cas, de ce qui se passe partout, de ce que vous ferez vousmême peut-être. Quand un capitaine a conduit au combat des soldats pour lesquels il a un amour de père, plus il les voit souffrir courageusement, et plus il se réjouit en un sens. L'humanité s'attriste en lui sans doute, mais la plus noble partie de lui-même, la partie divine, en quelque sorte, s'en réjouit: « Le brave soldat!...» sedit-il tout rempli d'émotion et d'une noble fierté, et les larmes qu'il verse sont autant d'amour que de douleur. Quand un père voit tomber à ses pieds l'en

fant dévoué qui s'est jeté entre lui et le fer assassin dont il allait être frappé : « L'excellent fils,» s'écrie-t-il, «il a souffert, et il est mort pour moi!» Et il y a sous ses gémissements et ses cris, au plus profond de son âme attristée, un redoublement de tendresse paternelle qui lui fait éprouver d'inénarrables consolations.

Ainsi, de l'aveu de tous, les souffrances volontaires, à cause du dévouement qu'il y a en elles, ont leur beauté morale, leur dilectation spirituelle, leur mérite en un mot. D'où il suit que les mortifications des Trapistes et de tous ceux qui sont dans la même position doivent être agréables à la Divinité. C'est s'enfermer dans un tombeau avant la mort, ajoutez-vous.

Quelle différence! si vous êtes de bonne foi, ou plutôt quel contraste! Au tombeau le corps est seul, à la Trappe l'âme est là également, elle y est même avec une nouvelle grandeur et une nouvelle force. Si quelque chose de l'homme était absent, ce serait tout au plus la partie la plus inférieure de la substance inférieure, la partie la plus maté rielle de la substance matérielle, si je puis m'exprimer de la sorte.

Au tombeau, le corps est là entrant en dissolution et redevenant terre, comme il était avant sa formation; à la Trappe, il se spiritualise au contraire, et s'assure des droits à l'immortalité, qu'il doit partager, un jour, avec l'âme, créée à l'inrage de Dieu.

Au tombeau le mort est seul. Nul ne s'en approche, tous ont eu soin, au contraire, de mettre entre eux et lui la plus grande séparation possible. Si quelques-uns osaient franchir cette séparation, ils sentiraient s'exhaler aussitôt une odeur fétide, insupportable, qui ne serait pas sans danger pour leur vie. A la Trappe, les religieux vivent dans la société de leurs frères; si des étrangers entrent en rapport avec eux, ou, si eux entrent en rapport avec des étrangers, ce qui arrive encore assez fréquemment, il résulte presque toujours de ce rapprochement un accroissement de vertu, de bonheur et de

vie.

Mais, me direz-vous, pourquoi se contenter d'être en relation avec quelques-uns seulement, et ne pas y rester avec tous?

Et qui donc peut être en relation avec tout le monde? Une société restreinte, une société de famille surtout, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus heureux et de plus avantageux pour les uns et pour les autres? Or, telle est la société du religieux, du Trappiste en particulier. C'est une famille véritable; et quelle famille! une famille d'amour, de cœur, une famille de frères, dans toute la force de l'expression. C'est là qu'ils peuvent chanter le beau cantique du roi David: Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unun (Psal. cxxxii, 1. )

On dit pourtant, réprésentez-vous, que ceux qui entrent à la Trappe, ou dans une autre communauté semblable, sont morts au monde.

Au monde, oui; et encore à quel monde?

core, c'est un travail, ce sont des mortifications qui n'en conservent que le nom, parce que l'amour en a changé la nature.

au monde corrompu et corrupteur. Quant au monde saint et sanctifiant, à ce monde qui se compose de Dieu et de ses élus, le seul qui doive être compté, en définitive, nonseulement ils n'y sont point morts, mais ils lui appartiennent complétement; ils en sont une portion, et non encore la portion la moins intéressante.

On dit pourtant, représentez-vous de nouveau, que, par l'excès de leurs mortifications, bien des religieux abrégent leurs jours, et deviennent ainsi, indirectement du moins, homicides d'eux-mêmes.

C'est faux, ou du moins fort exagéré. Généralement, on vit à la Trappe plus longtemps que dans le monde. C'est une remerque qu'on a toujours faite; et cela se comprend facilement, car on y mène une vie sage, réglée, exemple de passions, autant que possible, toutes choses qui contribuent à conserver la santé et à prolonger les jours, Admettons, si vous le voulez, que les grandes mortifications usent quelquefois la santé et abrégent la vie faut-il en conclure qu'il y ait suicide, indirectement du moins? Mais combien sont dans le même cas! Voyez le soldat, l'ouvrier, l'agriculteur, le philosophe, l'homme du monde, de bonne chère ou de plaisir... C'est un mal, dites-vous.

Oui, quand il n'y a pas de cause ou quand il n'y a qu'une cause insuffisante; mais quand il y a nécessité, grand avantage du moins, comme ici, non-seulement ce n'est point un mal, mais c'est un bien, puisque c'est la vertu.

C'est entrer dans l'enfer avant le jugement, ajoutez-vous enfin.

Quelle différence encore! ou plutôt quel contraste! L'enfer est le lieu de l'imprécation et du blasphème, la Trappe un lieu de bénédictions et de louanges divines; l'enfer est la demeure des démons, la Trappe celle d'anges terrestres; l'enfer est le séjour du désespoir, la Trappe un séjour d'espérance; l'enfer est le royaume de la souffrance et du malheur....

Là est la ressemblance, me direz-vous. Vous vous trompez; ear les Trappistes ne sont point malheureux; ils le sont beaucoup moins, généralement parlant, qu'on ne l'est dans le monde. Interrogez-les vous-mêmes, ou, ce qui est encore plus sûr, interrogez ceux qui ont vécu dans leur intimité, et vous vous convaincrez facilement qu'ils ne sont pas malheureux, et qu'ils sont même aussi heureux qu'il est possible de l'être en ce lieu d'exil.

Et pourtant, me direz-vous, ils souffrent, puisque leur vie est une vie de travail et de mortification.

Oui, ils travaillent et se mortifient, mais volontairement.

Oui, ils travaillent et se mortifient, mais c'est avec l'espoir des récompenses célestes. Oui, ils travaillent et se mortifient, mais ils aiment leur travail et leurs mortifications, et, dès lors, pour appliquer ici une belle pensée de saint Augustin, il n'y a plus ni iravail ni mortifications, ou, s'il y en a en

A l'appui de ce que nous venons de dire en faveur des communautés si austères dont on ne sait pas toujours apprécier l'heureuse influence sur la société comme sur les individus, qu'il nous soit permis de citer le fait suivant que nous empruntons au Journal des bons exemples.

« Je me trouvais, » dit le narrateur, « il y a un mois environ, dans une des gares envirounant Paris. En attendant le départ du convoi qui devait me porter à ma destination, je m'entretenais avec un digne et respectable frère des Ecoles chrétiennes, dont j'admire. depuis la modestie, le savoir et la profonde piété. Tout à coup nous remarquons, assis dans un des angles de la salle d'atttente, un humble religieux, dont un long manteau d'étoffe noire recouvrait la tunique blanche. Les traits distingués et pleins d'intelligence du moine voyageur nous frappèrent, et, sans hésiter, nous lui adressâmes aussitôt la parole: « Soyez bénis de m'aborder ainsi,» nous dit avec une joie visible le bon religieux, « je vais donc avoir pour compagnons de route des hommes qui comprendront le but de mon voyage et m'aideront à l'accomplir. La Providence vraiment me sert à souhait. » Il allait continuer quand la cloche du départ se fit entendre, et nous voilà tous les trois courant à travers la foule pour nous hisser ensemble dans le même wagon. Bien nousen prit. A peine installés dans ces coffres de bois, abris continuels de dormeurs en télés ou de causeurs insipides, la conversation s'engagea, mais une conversation comme il en faudrait partout pour transformer au même instant la société en un véritable paradis terrestre. Je passe sur les détails de cet entretien prolongé pendant quatre heures du rant, sans la moindre fatigue de part et d'autre, et j'arrive au fait prinipal.

« Ce bon religieux, issu d'une honorable famille de la Belgique, avait rompu depuis plusieurs années avec le monde, où il pouvait occuper une place avantageuse, pour embrasser la règle austère de la Trappe, laissant à la porte du couvent toutes les frivolités de son premier état, mais gardant sous la bure toute la distinction d'une éducation soignée. Je voudrais en dire plus long sur son sujet, mais par sa modestie l'hunible Trappiste, comme on doit le penser, glissa rapidement sur ce qui le concernait et ne nous occupa que de son œuvre. Cette œuvre, qu'est-elle ? La voici :

« En l'année 1850, au mois de juillet, le R. P. François, prieur du monastère de SaintSixte, pres Propernigue, diocèse de Bruges, partit avec quinze religieux de son couvent pour fonder une nouvelle maison à Forges, près Chimay, frontière de France. Le démé nagement de ces seize religieux, dont faisait partie le frère Alphonse, notre voisin de route, put tenir sur un seul cheval. A son arrivée à Forges, la petite caravane trouva une ferme vide et s'y installa. On s'asseyait

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