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bord, changé subitement, d'une manière en quelque sorte miraculeuse, il mourut en

saint, et, par conséquent, en bienheu

reux.

DESSERVANTS.

Objections. Nos desservants manquent de science pour la plupart. C'est à de tels prêtres que s'adressent surtout ces deux vers de Voltaire Nos prêtres ne sont pas... Vous savez? Ils sont mal élevés. Ils n'ont pas toujours l'esprit de leur état. - Ils sont en querelle continuelle soit avec les riches, soit avec ceux qui occupent une place quelconque dans leur paroisse, comme le maire, l'instituteur, le médecin, le notaire, l'huissier, le percepteur, etc. Ils feraient mieux de s'occuper des pauvres, qu'ils négligent

très-souvent.

Réponse. On appelle dess rvants aujourd'hui les prêtres chargés de la plupart de nos paroisses de campagne et de quelquesunes les moins importantes de nos villes. C'est une humble dénomination assurément; aussi quelques-uns ont-ils pensé à la changer; et, en attendant qu'elle le soit de droit, elle l'est déjà, en quelque sorte, de fait. Je ne sais s'il en sera jamais question dans les régions officielles; mais, si cela arrivait, et s'il m'était permis de donner mon avis, je demanderais son maintien, tant qu'on n'aura point changé la condition qu'elle désigne. C'est une humble dénomination assurément, avons-nous dit déjà; mais elle ne m'en paraft que plus propre à signifier la chose. De qui et de quoi, en effet, celui dont nous parlons n'est-il pas le véritable desservant? Fleury prétendait que, de son temps, le titre de servus servorum, pris par les Souverains Pontifes, ne l'était pas sérieusement. Je ne sais s'il penserait de même aujourd'hui, mais ce dont je ne saurais douter, à moins qu'il manquât d'yeux et d'oreilles, c'est qu'il ne pourrait contester au desservant le droit à son humble dénomination, qu'on pourrait aussi traduire par servus servorum, et, mieux encore, pour garder toute proportion, par servulus servulorum.

Chose singulière, et qui cependant ne doit pas nous surprendre, pour peu que nous connaissions l'humanité, ayant à se plaindre de tous, la plupart du temps, et avec beaucoup de raison, c'est de lui, au contraire, que chacun se plaint, souvent même sans avcune apparence de raison. Innocent agneau, qui ne saura pas toujours se plaindre, on en fait ainsi, contre nature, le bouc émissaire chargé des péchés d'Israël, et auquel tous se croient obligés de jeter la pierre, même ceux qui auraient dû être les premiers à le défendre.

Nous ne prétendons point répondre ici à toutes les accusations injustement élevées contre lui, et dont le contre-coup cependant retombe sur la religion sainte qu'il a pour mission d'enseigner. Ce serait trop long, trop fastidieux, trop dégoûtant quelquefois. Je ne répondrai qu'aux plus ordina res.

Nos desservants, dit-on, manquent de

science pour la plupart. C'est à de tels prètres que s'adressent surtout ces deux vers de Voltaire Nos prêtres ne sont pas... Vous savez? Oui, je sais :

Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense:
Notre crédulité fait toute leur science.

bien ces vers insolents, ne voyez-vous pas Dites-moi donc, vous qui applaudissez si qu'ils le sont encore plus pour vous que pour le clergé ? C'est le trait doublement acéré de Boileau:

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

Le sot, c'est le desservant, selon vous. Le plus sot, c'est le vain peuple, c'est vous, probablement. Mais passons là-dessus; là n'est point la question précisément.

Nos desservants manquent de science, avez-vous dit, et vous appuyez votre opinion de l'autorité de Voltaire.

Mais pourquoi cette science, qui n'est pas autre que celle de l'Evangile, est-elle toujours écoutée, toujours respectée, toujours suivie, et cela depuis plus de dix-huit siè cles; tandis que celle de Voltaire, qui n'est que du siècle dernier, est aujourd'hui contestée, délaissée, méprisée même, et cela par ceux qui se sont formés à son école? Ne pourrait-on pas lui renvoyer ces vers lancés en apparence contre la religion de Mahomet et qu'il eut l'adresse de faire retomber par ricochet sur le clergé catholique :

Voltaire ne fut pas ce qu'un vain peuple pense.
Votre crédulité fit toute sa science?

Nos desservants manquent de science. Qu'est-ce à dire? Qu'ils ne sont pas des Bossuets? Sans doute, et c'est fort heureux: à qui s'adresseraient leurs discours, et de qui feraient-ils l'éducation ou l'oraison funèbre? S'ils ne sont point des Bossuets, il faut convenir aussi que vous ne formez guère la cour de Louis XIV.

Je vous entends me répondre : Ce n'est pas ce que nous voulons dire; ils n'ont pas même la science d'un desservant.

Qu'en savez-vous? La science d'un desservant, comme de tout autre prêtre, c'est celle de Dieu et de la créature dans ses rapports spirituels avec Dieu, c'est la connaissance de la théologie, et je ne dirai pas de tout ce qui s'y rapporte de près ou de loin; car, comme c'est un centre où tout vient aboutir, il arriverait de là que personne ne pourrait acquérir cette connaissance, mais de ce qui s'y rapporte nécessairement. Or, êtes-vous aptes à juger ces matières, vous qui prétendez que les desservants n'ont pas la science qu'ils doivent avoir.

Vous me direz peut-être qu'ils ne parlent pas toujours purement leur langue. Mais vous, la parlez-vous mieux ? Et qu'in

porte d'ailleurs que la forme ne soit pas toujours pure, si le fonds est excellent! Dans son langage à demi barbare, saint Paul n'en faisait pas moins trembler l'Areopage; et saint Augustin, l'une des plus grandes lumières de l'Eglise, a souvent des formes de langage qui choquent les connaisseurs.

Ce ne sont, me direz-vous, ni des Pauls ni des Augustins.

Je le sais aussi bien que vous. C'est un argument, tout à la fois à pari et a fortiori, comme on dit communément, que j'emploie ici. Je soutiens, et avec beaucoup de raison, ce me semble, que vous avez tort de reprocher aux desservants ce qui se trouve en vous, dans tous les hommes, en général, et quelquefois même dans les plus éminents, sous tous les rapports.

Mais laissons-là toute comparaison, et considérons la chose en soi, si vous l'aimez mieux.

Comment donc les desservants n'auraientils pas la science qu'ils doivent avoir? A quelques exceptions près, où leur vocation. aura été un peu brusquée, je suppose, exceptions qu'on trouve, du reste, en tout état, voici de quelle manière ils sont entrés dans le sacerdoce.

A l'âge de 10 ans, environ, ils ont été reçus au séminaire, où ils sont restés jusqu'à 2 ans, à peu près, sous la direction d'ecclésiastiques, pieux, dévoués et capables. Pendant ce long intervalle, tout a été mis en ceuvre pour étudier leur vocation, tant sous le rapport des capacités que des vertus, tout été employé pour former leur esprit et leur cœur. Ils ont étudié là tout ce qu'on apprend dans les meilleures maisons d'éducation; et, vers la fin, ils se sont livrés, avec un soin tout particulier, à l'étude de la théologie, qui les regarde spécialement, cette science divine, la maîtresse, la reine de toutes les sciences, celle à laquelle toutes les autres doivent apporter l'hommage de leurs lumières propres, de même qu'elle les illumine, à son tour, de son divin flambeau.

Ils ont quitté le séminaire. Après avoir passé quelques années dans un vicariat, c'est-à-dire dans l'exercice du ministère sacerdotal, sous la direction d'un prêtre plus âgé, dont les conseils peuvent leur servir pour l'étude comme pour le ministère, les voilà desservants. Est-ce qu'ils mettent l'étude de côté, à partir de ce moment? Au contraire, elle ne fait que commencer pour eux, sur un nouveau plan, sur un plan plus vaste, plus libre, plus approprié à la position qu'ils occupent. De là ces bibliothèques, quelquefois si précieuses, qui se trouvent dans certains presbytères de campagne, de là des connaissances approfondies quelquefois sur certaines branches des sciences natarelles, de là des travaux modestes, et pourtant précieux, sur les Ecritures, les saints Pères, sur quelques langues anciennes ou modernes...

Ce sont là des exceptions, me direz

vous.

Sans doute; mais est-ce qu'il n'y a pas pour tous nécessité, en quelque sorte, d'étudier, plus ou moins, chaque jour? Est-ce que tous ne doivent pas dire leur Messe et leur bréviaire, répéter, par conséquent, lentement et distinctement, de bouche, d'esprit et de cœur, se les approprier, ainsi, par toutes leurs facultés, les plus belles pensées. les plus beaux sentiments, sortis, je ne dirai pas seulement de l'âme humaine, mais du sein même de la Divinité? Est-ce qu'ils ne sont pas obligés de méditer souvent, c'està-dire, de contempler sur toute face et d'approfondir en tout sens les vérités les plus élevées et les plus salutaires? Est-ce qu'ils n'ont pas à faire part, soit en public, soit en particulier, aux fi lèles dont la direction leur a été confiés, du résultat de leurs consciencieuses méditations? Est-ce qu'ils n'ont pas ces conférences ecclésiastiques où se traitent les questions qui intéressent le plus Dieu et l'humanité? A toutes ces causes particulières d'une instruction distinguée, et à beaucoup d'autres encore qu'il serait trop long d'énumérer ici, ajoutez celles qu'ont ordinairement les hommes qui occupent, comme eux, un rang honorable, dans la société, et vous comprendrez qu'il est impossible que les desservants; quels que soient d'ailleurs leurs goûts, manquent de science, comme vous le leur reprochez injustement.

Ils sont mal élevés, avez-vous dit encore. Qu'entendez-vous par là? Qu'ils ne sont pas nés dans des palais, pour la plupart, et qu'ils n'ont point été bercés sur les genoux d'une princesse ? Vous avez bien raison: comme les apôtres, leurs prédécesseurs dans le sacerdoce, ils sont tous ou presque tous sortis des entrailles même du peuple, et je dirai volontiers du pauvre peuple. Il en a été à peu près toujours ainsi, et il est probable que cela sera toujours. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, ce parfait modèle du prêtre, quoique né d'une Vierge qui appartenait à la race royale de David, est venu au monde dans une étable et a reposé d'abord ses divins membres sur un peu de paille étendue dans une crèche. 11 serait injuste en tout temps de reprocher au pauvre desservant sa naissance et son éducation toute populaire; mais ce serait plus qu'injuste, ce serait souverainement absurde en ce moment, où nous ne cessons de vanter le peuple, et quelquefois même de le flatter bassement.

Voulez-vous dire qu'il n'a pas ce vernis que donnent la fréquentation d'une bonne société, une mise recherchée, un grand soin de tout son extérieur?... Vous avez raison, ce n'est là qu'un vernis, c'est-à-dire du brillant qui est tout à l'extérieur, qui n'a aucune valeur intrinsèque et dont il ne faut pas faire grand cas, surtout chez un homme grave. Ce beau vernis, d'ailleurs, qui flatte l'œil chez l'homme du monde, plairait-il également chez le prêtre? N'en seriez-vous pas choqué vous-même, et ne seriez-vous pas le premier à lui rappeler cette simplicité de l'Evangile et des premiers âges de l'E

glise que les fidèles exigent d'autant plus rigoureusement dans le sacerdoce qu'ils en sont eux-mêmes plus éloignés. Ce n'est donc point cela que vous entendez; ou, si c'est cela, vous avez tort, pour les raisons que je viens de dire. J'ai entendu parler d'un desservant qui, se trouvant dans le salon d'une comtesse, par un froid rigoureux, quitta ses souliers pour mieux se chauffer. La comtesse furieuse demanda immédiatement son changement à l'évêque, qui eut le courage de refuser. La personne qui ne contait cela riait aux éclats, et avouait avoir conçu une affection toute particulière à l'égard de ce bon ecclésiastique, précisément à cause de sa simplicité, en ce cas un peu trop grande, il faut en convenir.

Voulez-vous dire qu'il ne sait pas vivre? qu'il ne connaît point, en pratique du moins, ces rapports que nous devons tous avoir les uus envers les autres dans cette société où il occupe une place si importante? Qu'il manque de déférence à l'égard du supérieur, de cordialité pour ses égaux, de condescendance à l'égard des inférieurs? Le reproche, en ce cas, serait sérieux ; mais, nous ne craignons pas de le dire hautement, il n'est fondé sur rien. Comment donc les desservants pourraient-ils y donner lieu, généralement parlant? Car nous ne parlons point d'exceptions qui ont lieu ici nécessai rement comme partout ailleurs.

Vous

parlez des rapports qui unissent les hommes entre eux dans la société ? Mais c'est là l'un des objets principaux de son étude la plus assidue. Vous parlez de condescendance à l'égard des inférieurs? Mais c'est le fond même de cette religion qu'il est chargé d'enseigner et de faire pratiquer aux autres. Vous parlez de cordialité à l'égard des égaux? Mais c'est la charité, ou, pour mieux dire, c'est un des côtés de cette divine vertu, la première du christianisme. Vous parlez de déférence à l'égard du supérieur? Mais personne ne peut la mieux connaître que le prêtre, qui s'y est engagé par vou. Si la religion catholique est la plus grande école de respect qu'il y ait au monde, comme l'a dit de nos jours un protestant, on peut ajouter, sans craindre de se tromper, que c'est surtout dans le sacerdoce que les effets de cette école doivent se faire sentir.

Vous n'êtes donc pas plus fondé à dire que les desservants sont mal élevés qu'à dire qu'ils manquent de science.

Ils n'ont pas toujours l'esprit de leur état, avez-vous ajouté.

Quel est le corps assez privilégié pour qu'on puisse dire que les membres qui le composent ont toujours l'esprit de leur état? Qu'êtes-vous done, vous qui vous montrez si exigeant? Etes-vous médecin, notaire, avocat, propriétaire? Vous connaissez bien vos confrères sans doute. Ont-ils tous l'esprit de leur état? Et vous-même, l'avez-vous? Les prêtres, répondez-vous, doivent faire exception.

Comment l'entendez-vous? Qu'ils doivent tous absolument avoir l'esprit de leur état?

C'est impossible, il faudrait qu'ils fussent impeccables, ce qui n'est ni ne peut être. Qu'ils doivent mieux l'avoir que les autres, généralement parlant? Je vous l'accorde; mais je soutiens que cela est. Oui, cela est, et j'en ai pour garant la grâce que Dieu leur accorde comme à ses ministres, le soin avec lequel ils sont formés, le zèle qu'ils ont de leur propre sanctification, en même temps que de la sanctification des autres, les vertus que je leur vois pratiquer chaque jour, et enfin les criailleries de leurs ennemis, souvent à propos de rien ou de peu de chose du moins. Pour que la moindre tache aperçue ou soupçonnée seulement sur la robe sacerdotale fasse jeter les hauts cris, il faut que cette robe soit d'une incomparable blancheur, comme nous le disons ailleurs.

Nos desservants, dites-vous, n'ont pas toujours l'esprit de leur état. Mais le connaissez-vous bien, cet esprit, pour en parler ainsi, pour décider où il se trouve et où il ne se trouve pas ? Et, si vous ne le connaissez point, ne pourriez-vous pas vous tromper complétement et imputer à faute aux desservants ce qui doit être, au contraire, pour eux, une cause d'éloge? Je vais vous le faire connaître en peu de mots, cet esprit, et vous jugerez ensuite. L'esprit du desservant, comme de tout prêtre, c'est un esprit de dévouement et de zèle, c'est l'esprit de Jésus-Christ et des apôtres, dont ils doivent continuer la mission en entretenaut, en étendant partout ce divin feu que le Sauveur des hommes apporta sur la terre et qu'il veut voir brûler continuellement : Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur. (Luc. xx, 49.) Voyez, d'après cela, si vos accusations sont fondées ou si elles ne sont pas de toute fausseté, comme celles de tant d'autres qui vous ont précédé dans cette voie. Jean-Batiste avait sans doute l'esprit de son état, l'esprit de précurseur du Sauveur des hommes; mais Hérode ne le trouvait point, quand il l'enfermait pour faire taire les reproches que lui adressait l'homme de Dieu, à cause du commerce incestueux qu'il entretenait avec sa belle-sœur. Jésus-Christ ne pouvait manquer d'avoir l'esprit de son état, l'esprit de régénérateur et de sanctificateur du monde; mais les scribes et les pharisiens disaient positivement le contraire, quand, le traînant de tribunal en tribunal, ils l'accusaient de soulever une grande partie de la Judée. Saint Paul avait aussi l'esprit de son état, c'est-à-dire l'esprit de ministre de la religion, d'apôtre des nations; mais le vertueux Neron ne le trouvait pas, quand il lui faisait trancher la tête, à cause de l'extension que l'Evangile prenait, par son zèle infatigable, jusque dans le palais impérial... Je n'ose vous comparer à de tels monstres, je crains même de vous en rapprocher; mais pourtant je le dois à la défense de ma cause. Permettez-moi donc de vous le dire feriez-vous pas un peu comme ceux dont je viens de parler? Vous aurez entendu quel ques-uns de nos plus dignes ministres de la

ne

religion presser les autres, vous presser eut-être vous-même, à temps, à contretemps, comme dit saint Paul : Insta opportune, importune (11 Tim. IV, 2), de revenir au service de Dieu, et leur appliquant injustement les paroles de Jésus-Christ à ses apôtres quand ils voulaient faire descendre le feu du ciel sur une ville coupable, vous vous serez écrié: Ils n'ont point l'esprit de leur étal! Nescitis cujus spiritus estis (Luc. IX, 59); et, ne pouvant les traduire devant les tribunaux, et moins encore les enfermer et les mettre à mort, vous aurez enchaîné leur zèle en luant leur réputation.

Ils sont en querelle continuelle, objectez vous, soit avec les riches, soit avec ceux qui occupent une place quelconque dans leur paroisse, comme le maire, l'instituteur, le médecin, le notaire, l'huissier, le percepteur, etc.

Qu'entendez-vous par ce mot ils? C'est un peu vague; précisons donc l'accusation, il nous sera plus facile d'y répondre.

Voulez-vous dire tous? Ce serait trop fort, même aux yeux de la prévention la plus avengle, de la haine la plus violente. Si télle était votre accusation, elle se réfuterait d'elle-même et ne tomberait que sur vous. Voulez-vous dire le plus grand nombre? C'est encore beaucoup trop fort pour toute personne de bonne foi. Et, en effet, en dehors même de l'expérience générale qui nous montre le desservant exerçant presque partout dans nos campagnes avec la plus grande prudence, son ministère de paix, comment croire, comment regarder seulement comme possible que des hommes à qui tout parle de charité, et qui doivent par état en parler à tout le monde, qui se nourrissent chaque jour et qui appellent les autres à se nourrir Souvent de l'Agneau de Dieu, volontairement chargé de tous les péchés du monde, qui n'ignorent pas que tous les regards sont à chaque instant attachés sur eux-mêmes, depuis les regards de Dieu et de ses anges, jusqu'à ceux du démon et de ses esclaves, comment croire, dis-je, comment regarder seulement comme possible que de tels hommes ne soient occupés, généralement parlant, qu'à vivre en querelle avec tout le monde? Non, cela n'est pas! Je vais plus loin, cela ne peut pas êtrel

Reste donc à dire qu'il y en a quelques uns seulement dans une telle position.

En êtes-vous surpris? C'est le contraire qui devrait nous étonner. Quoi! sur douze apôtres i s'en est trouvé un qui a conduit à son Maître une troupe de gens armés pour le saisir, et vous ne voudriez pas que, parmi ce grand nombre de desservants chargés dans nos campagnes du ministère sacerdotal, il s'en trouvât quelques-uns en querelle continuelle, si vous voulez, soit avec les ennemis, soit même avec les amis de leur Maitre? C'est demander un miracle, plus qu'un miracle; c'est demander que Dieu ôte à un certain nombre d'hommes leur liberté, que ces hommes, d'une espèce à part, vivent en anges avec la nature

humaine, qu'ils soient saints quoique pécheurs, qu'ils se dépouillent, malgré la volonté divine, de ces malheureuses passions qui avaient été laissées à saint Paul luimême, quelques prières qu'il eût adressées au ciel à cette intention, afin que sa vertu se perfectionnât dans la faiblesse Virtus in infirmitate perficitur. (II Cor. xII, 9.) Car, tant qu'ils conserveront leurs passions, leur liberté, tant qu'ils seront hommes, et ce sera probablement toujours, il y aura parmi eux des pécheurs sous tous les rapports; il y en aura, par conséquent, qui vivront en querelle et même en querelle continuelle avec ceux qui se trouvent placés à côté d'eux dans cette société.

C'est si facile! Au moral comme au physique, nous nous coudoyons à chaque instant les uns les autres, pour ainsi dire. De là des querelles continuelles. Vous le reprochez aux pauvres desservants. Pourquoi à eux plutôt qu'aux autres? C'est toujours la condamnation du faible, la plupart du temps innocent, tandis que le fort, beaucoup plus coupable ordinairement, est renvoyé absous. Savez-vous, d'ailleurs, si les querelles que vous leur reprochez viennent d'eux? Ont-ils les premiers torts? En ont-ils même aucuns? Vous n'ignorez pas la conduite de nos bons amis nos ennemis, comme disait autrefois Béranger, à l'égard des Irlandais. Pris de toutes parts dans de lourdes chaînes, pressés vivement par la faim, ceux-ci se remuent quelquefois, et c'est bien naturel : « Ces gens-là,» s'écrient alors leurs oppresseurs, ne peuvent rester tranquilles ! » Ne serait-ce pas là votre histoire? Entrons, si vous le désirez, dans quelques détails.

Nous parlerons d'abord des riches. Il y en a peu ordinairement dans une paroisse de campagne. Ce sont quelquefois de vénérables familles qui méritent, à tons égards, le respect et l'amour des populations voisines; mais ce sont aussi, plus souvent, de ces riches d'hier, comme disait Tertullien aux bérétiques, et qui le sont devenus on ne sait trop par où ni comment, comme on dit vulgairement. Le desservant fait ordinairement ce qu'il peut pour les gagner tous. Il voit en eux, quels qu'ils soient, les dispensateurs de la Providence, qu'il doit se ménager, autant que possible, sinon pour lui, du moins pour son église et pour ses pauvres. Mais fut-il Dieu, qu'il ne réussirait pas toujours, témoin Jésus-Christ; comment voulez-vous qu'il réussisse mieux, n'étant qu'homme? Il excitera donc souvent parmi eux, sans l'avoir voulu, sans y songer même, la susceptibilité et la haine. Je vais vous en citer un exemple, de peu d'importance sans doute, mais qui n'en montrera que mieux d'où viennent ces criailleries contre les curés de campagne, lesquelles font pourtant beaucoup de bruit.

Il y avait dans une paroisse un homme très-riche, qui l'était beaucoup plus en écus qu'en piété. Il ne paraissait à l'église qu'aux grandes fêtes. A l'une de ces fêtes, le curé prit pour sujet de son instruction cette pen

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sée, qu'il était bien de venir à l'église ces jours-là, mais qu'il était beaucoup mieux d'y venir tous les dimanches. Notre homme prit pour lui cette attaque, qui ne le regardait pas plus que quarante autres au milieu desquels était confondu, au point que le pauvre curé ne l'avait pas même remarqué; ce qui se conçoit très bien aujourd'hui que tous sont habillés à peu près de la même manière: monsieur ne pouvait le croire. Quoique naturellement pacifique et même bon, assuret-on, il jetait les hauts cris, s'étant imaginé sans doute que le curé aurait dû voir briller au-dessus de sa tête, comme au-dessus de la tête de saint Martin, sinon un globe de lumière d'où serait-il venu ? du moins un éclatant globe d'or: Globus ardens visus insidere. (Prose de saint Martin.)

Venons actuellement à ceux qui occupent une place quelconque dans la paroisse du desservant. Pour être juste à leur égard, comme nous désirons qu'on le soit envers nous, disons qu'il y a souvent parmi eux des hommes excellents: hommes de probité, hommes de dévouement, hommes d'intelligence même, malgré leur modeste position; mais il faut convenir aussi qu'il se rencontre quelquefois chez eux des préjugés, des passions d'autant plus déplorables pour le pauvre desservant qu'il est le premier exposé à en sentir tout le poids.

L'homme en place avec lequel le desservant a les plus fréquentes et les plus importantes relations, c'est le maire. Dans les campagnes surtout, le maire, comme le poëte, excusez le rapprochement, est beaucoup plus le produit de la nature que de l'art: nascitur poeta. Aussi son administra tion se ressent-elle furieusement de ce défaut d'apprentissage. De là mille désagréments pour le pauvre curé. Nous en avons dit un mot ailleurs; ajoutons ici quelques faits. En voici deux entre mille que je pourrais également rapporter.

Il s'agissait un jour de recevoir l'évêque : grande solennité pour le village. Affectant un zèle qu'il n'avait pas, le maire faisait élever un arc de triomphe à plus d'un kilomètre du bourg. Ce n'est pas la place qui convient, lui représenta le curé. C'est beaucoup trop loin. » Hors de lui-même, le maire l'eût volontiers frappé, s'il n'y avait eu en lui un reste de pudeur. « Comment ! » criaitil comme un portefaix, « vous m'accusez de faire quelque chose de déplacé?» Et le malheureux desservant eut une peine infinie à Jui faire comprendre, et je ne sais même s'il y est parvenu, qu'il y a une différence complète entre ce qui est déplacé moralement et ce qui ne l'est que physiquement.

Voulez-vous voir une taquinerie beaucoup plus excessive encore? Ecoutez. Il y avait au banc d'une église de campagne un clou auquel le maire accrochait son chapeau quand il venait à l'office, ce qui, soit dit entre nous, n'arrivait pas souvent. Un jour, ce clou disparut. Comment cela advint-il? Je n'en sais rien, ni ne veux le savoir; car la chose n'en vaut réellement pas la peine. Mais

voyez à quoi tiennent les meilleures choses. C'est le cas de le dire, à rien, la plupart du temps. Le maire, étant venu à la Messe, voulut accrocher son chapeau, comme il faisait habituellement; mais, n'étant malheureusement soutenu par rien, le chapeau roula dans l'assemblée, excitant quelques sourires. L'officier municipal se crut mystifié, et, attribuant sans raisons cette mystification au curé, avec qui il n'avait pas été trop mal jusqu'ici, il ne voulut jamais la lui pardonner. Un avocat de ses amis, qui se croyait poëte probablement, parce qu'il n était point orateur, fit sur ce grave sujet, une pièce burlesque dans le genre du Lutrin de Boileau, moins le talent toutefois, et qu'il intitula La Cloutiade. C'était une vraie cloutiade, en effet; c'était aussi clair, aussi poli, aussi bien frappé, aussi précieux... Je vous en citerais bien quelques vers; mais je n'ai rien entendu, quoiqu'on l'ait lu tout entier devant moi, car, pour entendre, il faut être éveillé; et il est probable, de plus, que je n'aurais rien retenu, quand bien même il m'eût été donné de tout entendre, car, pour retenir, il faut qu'il y ait quelque clou.

Que n'aurions-nous pas à dire de l'instituteur? Mais nous en parlons assez ailleurs; nous pouvons donc, je crois, nous taire ici à son occasion.

Un homme encore avec lequel le curé de campagne se trouve avoir de fréquents et importants rapports, c'est le médecin de la localité. Le prêtre a soin du malade dans son âme, le médecin dans son corps; mais, comme le corps et l'âme sont étroitement unis l'un à l'autre, il arrive de là que les fonctions du prêtre et celles du médecin se touchent et se choquent malheureusement très-souvent. A qui la faute, la plupart du temps?« Au prêtre!» avez-vous dit. Et moi je réponds que c'est tout le contraire, et ce que je viens de dire est plus que suffisant pour vous faire voir que j'ai raison. Une autre cause de désunion entre le curé de campagne et le médecin, c'est la sœur de charité, qui est là par dévouement auprès du malade en même temps que le médecin s'y trouve par état. « Vous nuisez à mes intérêts !» dit ou pense le médecin. - « J'en suis bien fâchée, » dit ou pense la bonne sœur de son côté; « mais pourtant je ne dois point négliger les intérêts de Dieu et de l'humanité. » Ce plaidoyer, qui n'est la plupart du temps qu'en action, le prêtre est bien obligé de le soutenir d'une manière quelconque, d'autant plus que la sœur n'a souvent aucun autre appui dans la localité. De là de nouvelles dissensions entre le desservant et le médecin, dissensions où, pour peu que vous ayez de sens et de dévouement, vous devez tout naturellement soutenir le prêtre, qui a, de son côté, la raison et la charite tout à la fois.

Nous pourrions dire également beaucoup de choses du notaire, de l'huissier, du percepteur, de toutes ces notabilités de la caupagne, et même des petites villes qui, par

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