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passe du cœur de Polyeucte dans celui de Pauline, en attendant qu'il gagne le persécuteur lui-même. Ecoutons actuellement cette femme, naguère païenne aussi bien que son père:

PAULINE.

Père barbare, achève, achève ton ouvrage;
Cette seconde hostie est digne de ta rage:
Joins ta fille à ton gendre; ose: Que tardes-tu?
Tu vois le même crime ou la même vertu :

Ta barbarie en elle a les mêmes matières,
Mon époux en mourant m'a laissé ses lumières;

Son sang, dont tes bourreaux viennent de me couvrir,
M'a dessillé les yeux, et me les vient d'ouvrir.
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée :
De ce bienheureux sang tu me vois baptisée;
Je suis chrétienne enfin, n'est-ce point assez dit?
Conserve en me perdant ton rang et ton crédit;
Redoute l'empereur, appréhende Sévère :
Si tu ne veux périr, ma perte est nécessaire;
Polyeucte m'appelle à cet heureux trépas;
Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras.
Mène, mène-moi voir tes dieux que je déteste;
Ils n'en ont brisé qu'un, je briserai le reste.

On m'y verra braver tout ce que vous craignez,
Ces foudres impuissants qu'en leurs mains vous peignez,
Et, saintement rebelle aux lois de la naissance,
Une fois envers toi manquer d'obéissance.

Ce n'est point ma douleur que par là je fais voir;
C'est la grace qui parle, et non le désespoir.
Le faut-il dire encor? Félix, je suis chrétienne.
Affermis par ma mort ta fortune et la mienne;
Le coup à l'un et l'autre en sera précieux,
Puisqu'il l'assure en terre en m'élevant aux cieux.

Mais non, la hache tombe de la main du persécuteur, et, en même temps, la lumière de la foi entre dans son cœur et l'éclaire. Félix est devenu Chrétien, comme son gendre et sa fille; et rempli du même zèle, il s'écrie:

Je cède à des transports que je ne connais pas,
Et, par un mouvement que je ne puis entendre,
De ma fureur je passe au zèle de mon gendre.
C'est lui, n'en doutez point, dont le sang innocent
Pour son persécuteur prie un Dieu tout-puissant;
Son amour épandu sur toute la famille

Tire après lui le père aussi bien que la fille.
J'en ai fait un martyr, sa mort me fait chrétien.
J'ai fait tout son bonheur, il veut faire le mien.

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Ne pouvant obtenir la palme du martyre, unique objet actuellement de son ambition purifiée, il veut du moins rendre à ceux qui viennent de l'obtenir l'honneur qui leur est dû, comme aux athlètes couronnés de son maître. Aussi est-il le premier à dire :

Allons à nos martyrs donner la sépulture,
Baiser leurs corps sacrés, les mettre en digne lieu,
Et faire retentir partout le nom de Dieu.

Est-ce là ce que vous appelez le fanatisme? demanderai-je encore en terminant... Heureux fanatisme, répondrai-je, où s'est allumé, où s'allume chaque jour le feu le plus pur de la vertu, et qui, en cette circonstance, a si bien inspiré le génie !

FÊTES.

Objections. Le dimanche, passe encore; mais pourquoi d'autres fêtes ? Il y en a beaucoup trop du moins.-Pendant ce tempslà le peuple ne travaille point, et c'est pour lui, presque toujours, une occasion de dissipation et de libertinage.

Réponse. Nous avons répondu, à notre article sur le dimanche, aux objections qui se font le plus ordinairement contre la célébration de ce saint jour. Ce que nous avons dit alors se rapportant également à la célébration des fêtes, notre travail ici se trouve considérablement abrégé.

Le dimanche, passe encore nous dit-on; mais pourquoi d'autres fêtes?

:

Pourquoi? Autant demander pourquoi la religion, puisque l'ensemble de nos fêtes n'est que l'histoire, toujours vivante, de notre religion, sa manifestation, en quelque sorte, nécessaire. Voyez plutôt La grande fête de Noël, dont l'approche faisait tressaillir l'Europe si profondément chrétienne, il y a quelques siècles, dont le nom seul était un cri de joie pour nos pères, c'est l'anniversaire de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Puis vient la Circoncision, ce jour où Notre-Seigneur, encore tout petit enfant, a versé, pour nous, les premières gouttes de son sang, et a reçu, dès lors, pour cela même, le nom de Jésus, qui veut dire Sauveur. Après, vient l'Epiphanie, anniversaire de notre vocation à la foi, cette fête des rois, autrefois si populaire, par la quelle les Chrétiens se rappelaient, avectant de réjouissances, que Jésus avait commencé à se manifester aux gentils dans la per

sonne des mages. Nous entrons bientôt dans le Carême, ce jeûne si solennel, établi, dès le commencement, par toute l'Eglise, pour faire imiter aux Chrétiens le jeûne du Sauveur dans le désert, et les préparer à bien célébrer la fête de Pâques. A la fin du Carême, est la semaine sainte, la semaine des grands mystères, à la fin de laquelle s'accomplit le plus incompréhensible de tous, la mort du Sauveur. A la semaine sainte, appelée encore la grande semaine, à cause des ineffables mystères qui s'y sont accomplis, succède immédiatement la plus grande, la plus solennelle, la plus sainte de toutes les fêtes de l'année, la Résurrection, Pâques, ce dimanche par excellence, que nous fêtons solennellement déjà chaque semaine, mais beau coup plus solennellement chaque année, ce jour de délivrance où, sous la loi figurative, un prisonnier voyait tomber les liens qui le retenaient captif, et où, sous la loi de vérité et de grâce, tous les pécheurs voient se briser les liens qui les retiennent captifs du démon. Quarante jours après Pâques, est l'Ascension qui nous représente Jésus-Christ montant au ciel en présence de ses apôtres, qu'il en voie prêcher son Evangile par toute la terre, pour avoir part ensuite à ses récompenses. Dix jours après, le Saint-Esprit descend. d'une manière miraculeuse, sur ces hommes ignorants et faibles qu'il transforme complétement, et qu'il met en état de remplir la grande et difficile mission qui leur a été imposée : c'est la Pentecôte. Quelque temps après, vient la Fête-Dieu, je veux dire la cé lébration de cet ineffable mystère par lequel, quoique élevé au ciel, Jésus se plaît encore

à se trouver au milieu des enfants des hommes. Ce fut la veille de sa mort que le Sauveur des hommes célébra, pour la première fois, cet auguste mystère, et qu'il ordonna, non-seulement à ses apôtres, mais à leurs successeurs dans le sacerdoce, de le célébrer de même, en mémoire de lui. C'est donc au milieu de la semaine sainte que se trouve l'anniversaire de son institution; mais, occupée alors à des mystères de tristesse, l'Eglise remit à une époque plus favorable la célébration de cette fête, où devait éclater toute la joie du peuple chrétien, toute la pompe du culte catholique. Que de mouvement, en effet! Quelle sainte et touchante allégresse, depuis la capitale du monde chrétien, jusqu'au plus petit de nos hameaux? Vous diriez que Jésus, ressuscité, a reparu de nouveau, non-seulement dans la Judée, mais dans toutes les parties de la terre. Que dis-je? Ce nest point une supposition seulement, c'est une réalité. Jésus-Christ est revenu véritablement, quoique caché sous les voiles eucharistiques. Il est porté en triomphe dans tous les lieux à la fois. Aussi, je le répète, que de mouvement partout, quelle sainte et touchante allégresse! Jamais rien de semblable ne s'était vu, n'aurait pu même s'imaginer sans l'accomplissement de cet ineffable mystère. Les enfants, les pauvres, les infirmies se rangent des premiers sur son passage, pour recueillir encore ses inépuisables bénédictions: les saintes femmes le suivent, non pas en pleurant, comme autrefois, mais avec une joie incomparable; les hommes de tous les âges, de tous les états, de toutes les conditions viennent lui donner, chacun à sa manière, les preuves d'une vénération profonde; et il n'y a pas jusqu'au guerrier lui-même qui, à la vue de ce miracle perpétuel de générosité, de la part de Dieu, de foi, d'espérance et d'amour, de la part de l'humanité, inclinant devant lui ses armes respectueuses, ne soit obligé de s'écrier aussi, comme le centurion du Calvaire: Cet homme est réellement le Fils de Dieu : « Vere Dei Filius erat iste. » (Matth. xxvii, 54.)

Demanderez-vous actuellement pourquoi d'autres fêtes que le dimanche? C'est, je l'ai déjà dit, la conséquence de notre sainte religion; ou plutô, c'est cette divine religion elle-même. Est-ce que les Chrétiens peuvent se rappeler les grands mystères accomplis par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour leur régénération, sans venir en foule dans les temples témoigner à Dieu leur reconnaissance et leur amour, prendre la résolution de le servir plus fidèlement dans la suite, et lui demander les grâces dont ils ont besoin pour cela? De là les fêtes chrétiennes. Elles sont indestructibles, comme vous voyez; car elles tiennent à l'essence de la religion, elles sont cette essence même. Quand un grand événement s'est accompli dans la société civile, est-ce que cette société n'en fait pas mémoire ? C'est aussi une fête pour cette société. Pour ne point parler des autres peuples, qui ont tous à peu près la même nature,

parce que partout l'homme est toujours l'homme, voyez le peuple français. Sous la monarchie, sous l'empire, et même sous la république, n'a-t-il pas ses fêtes, fêtes plus ou moins pures, plus ou moins multipliées, plus ou moins durables? O dure, mais salutaire leçon de la Providence! Sous l'influence de je ne sais quel délire d'impiété, nos pères se sont dit un jour: Elevonsnous contre le Seigneur et contre son Christ; brisons les liens de la religion, et rejetons loin de nous son joug pénible: Quare fremuerunt gentes... adversus Dominum et adversus Christum ejus: Dirumpamus vincula eorum et projiciamus a nobis jugum ipsorum. (Psal. 11, 1, 2, 3.) Et voilà que, pour en faire la dérision du monde, elle a permis que ceux qui avaient refusé d'adorer Dieu, à la voix de celui qui versa son sang pour le salut du peuple, proclamassent l'Eure suprême, à la voix de celui qui versa le plus pur sang du peuple pour son ambition, et que ces mêmes hommes, ne voulant point s'humilier devant notre sainte religion, s'abaissassent aux pieds d'une prostituée, qu'ils appelèrent la déesse Raison: Qui habitat in cœlis, irridebit eos, et Dominus subsannabit eos. (Ibid., 4.)

Vous allez me dire peut-être que tout cela est local et transitoire. Je le vois comme vous, et vous devez en reconnaître comme moi la raison. Tout cela est local et transitoire, parce que tout cela vient de l'homme, tient à la nature de l'homme, qui n'appartient qu'à un point imperceptible, pour ainsi dire, de l'espace et du temps. Quant à nos fêtes religieuses, si elles sont universelles et durables, dans leur essence du moins, c'est qu'elles viennent de Dieu, c'est qu'elles tiennent, non pas seulement à la nature de l'homme, mais à la nature de Dieu, qui n'est borné ni par le temps, ni par les lieux. Raison de plus de les respecter; raison de plus de les observer avec la plus grande régularité.

Je sais que toutes les fêtes ne regardent pas Dieu directement. Il y a les fêtes de la Vierge, par exemple, celles des apôtres et de quelques autres saints; il y a les cérémonies funèbres que nous célébrons, tantôt pour tous les morts en général, tantôt pour certains défunts en particulier. Mais cela, en définitive, se rapporte encore à lui. C'est pour le remercier, le prier, faire sa volonté sur la terre, aller à lui dans le ciel, et y conduire nos frères.

Il n'y a donc point de fête religieuse qui n'ait sa double raison d'être, à savoir la gloire de Dieu et le bonheur de l'humanité. Il y en a beaucoup trop, du moins, nous dit-on encore.

Quoi! je vous dis, et vous ne pouvez en disconvenir d'ailleurs, que toute fête religieuse est le souvenir public des plus grands bienfaits du Seigneur, et vous nous répondez qu'il y en a beaucoup trop! Mais c'est affirmer, ou que Dieu a eu tort de nous donner tant de preuves de son infinie bonté, ou que nous avons tort nous-mêmes de lui en

témoigner, comme nous le devons, toute notre reconnaissance. Quelle absurdité ! d'une part, et, d'une autre part, quelle in1, gratitude! Ce n'est pas à certains jours senfement que la bonté infinie de Dieu se manifeste à l'égard des peuples comme des individus; c'est tous les jours, c'est à chaque instant du jour; et il ne nous serait pas permis de nous réunir plus d'une fois par semaine pour lui en témoigner notre reconnaissance avec une certaine solennité? et aux jours où cet amour a frappé ses plus grands coups à la porte de nos cœurs, il ne nous serait pas permis à nous, pauvres esclaves, attachés continuellement à la culture si pénible de la terre, de nous relever un instant, de laisser là nos boulets et nos chaînes, et de courir ensemble à la maison du Seigneur, chanter ses louanges, le remercier de ses grâces, lui en demander de nouvelles ?... Quelle monstrueuse ingratitude! je le répète; quel incroyable oubli de nos plus chers intérêts!

Pendant ce temps-là, ajoutez-vous, le peuple ne travaille point; et c'est pour lui, presque toujours, une occasion de dissipation el de libertinage.

Remarquons d abord que le plus grand nombre de ces fêtes se célèbre sans que les fidèles soient invités à s'abstenir de leurs travaux serviles, pour assister seulement au saint sacrifice de la Messe. Ce sont les ministres de la religion qui les célèbrent; et à ces hommes dévoués, par état comme par goût, au service des autels, viennent se joindre, de temps en temps, quelques enfants, qui ne peuvent mieux commencer leur carrière qu'en se mettant sous la protection de Dieu d'une manière particulière; quelques pieuses femmes qui viennent, dès le matin, recueillir la grâce, cette manne céleste, pour elles-mêmes comme pour toute leur famille; quelques vieillards, ne pouvant plus travailler ou n'ayant plus besoin de le faire, mais sentant beaucoup plus qu'à une autre époque de la vie la nécessité de se préparer à ce jugement redoutable qu'ils doivent bientôt subir. Vous ne devez trouver aucun inconvénient à cela. Je remarque bien quelques autres persontes dans la pieuse assistance. Mais quoi! ce sont des riches qui viennent méditer sérieusement devant Dieu sur les moyens de faire leur salut dans une position où Notre-Seigneur a déclaré lui-même qu'il était très-difficile de le faire; ce sont des hommes de travail qui ne sont venus que par occasion ou bien parce que c'est une fête qui leur est chère, la leur peut-être ; ou bien, parce qu'ils viennent de perdre un père, une mère, une épouse, un fils tendrement aimé; ou bien, parce que c'est un anniversaire de douleur profonde, de joie délicieuse... Dans tout cela encore, vous ne trouvez, je pense, aucun inconvénient. Le travail public n'y perd rien, et la morale ne peut qu'y gagner.

Remarquons, en second lieu, que toutes les fêtes célébrées avec la même solennité que le dimanche, et quelquefois avec une

solennité plus grande encore, ne sont pas pour cela d'obligation, mais qu'il y en a de dévotion seulement; c'est-à-dire que, quoique les tidèles soient invités à s'abstenir des œuvres serviles, et à assister aux saints Offices, ils ne sont point obligés de le faire sous peine de péché. Nul ne saurait se plaindre de ce que ces sortes de fêtes lui enlèvent son travail, puisque celui-là seul s'abstient de travailler qui le peut et le veut bien.

Remarquons encore que, parmi les fêtes d'obligation, c'est-à-dire celles qui sont chômées ou doivent l'être sous peine de péché, il y en a qui tombent le dimanche, Pâques, la Pentecôte, etc., toujours: Noël, la Toussaint, etc., quelquefois.

Cela reconnu, combien de jours donc sont enlevés, réellement, au travail par l'accomplissement des levoirs de la religion? J'ai presque honte de le dire. En France, je n'eu vois que trois ou quatre. Il y en avait un plus grand nombre autrefois. Il y en a un plus grand nombre en certains pays. Un ou deux par mois peut-être. Mais qu'est-ce que cela en soi? Qu'est-ce que cela, quand on pense que c'est pour le service de Dieu et la sanctification des âmes? Qu'est-ce que cela, quand on réfléchit que ce pauvre peuple que la religion appelle au repos, vient de porter pendant cinq ou six jours peut-être le poids du plus pénible travail; que ce repos qu'il va goûter lui donnera plus d'activité et de force pour les jours où il reprendra ce dur travail; qu'il n'a, la plupart du temps, d'autre joie que celle qu'il trouve dans la célébration des fêtes religieuses? Je ne crains point de le dire ici, il faut avoir plus que de l'impiété dans le cœur, il faut une sorte de barbarie pour soutenir que la religion a établi un trop grand nombre de fêtes.

Vous avez ajouté, il est vrai, que ces fêtes sont la plupart du temps, pour le peuple, une occasion de dissipation et de libertinage.

Mais à qui la faute? A la religion? Non, car elle en détourne les hommes. Aux fêtes religieuses? Non encore; car, comme la religion qu'elles ont pour but de faire connaître et pratiquer, elles en détournent aussi les hommes. A qui donc la faute? je le demande. A ces mêmes hommes qui abusent de tout, de la religion comme de toute autre chose. J'ajouterai même que, non-seulement les fêtes religieuses ne portent point à lad ssipation et au libertinage, mais que sans elles, au contraire, l'homme y tombe et doit y tomber infailliblement. Comme nous l'avons montré plus haut, il faut absolument à l'homme un repos et des fêtes. Si ce ne sont pas le repos et les fêtes de la religion, ce seront nécessairement le repos et les fêtes du monde. De là la dissipation la plus grande; de là, le libertinage le plus désordonné.

Voyez les hommes qui ne célèbrent point ces fêtes. Quel déréglement dans leur conduite, aux jours surtout où cessent leurs travaux! Encore faut-il dire qu'ils les ont célébrées quelquefois, qu'ils sont en rapport avec ceux qui les célèbrent, qu'ils ont été

élevés par des parents chrétiens peut-être. Que serait-ce donc s'ils n'avaient jamais éprouvé, ni directement ni indirectement, leur salutaire influence? « Alors,» dit un écrivain qui s'est souvent occupé du bonheur du peuple, « les hommes et les femmes, n'ayant plus d'autre retenue que la pudeur naturelle, barrière malheureusement trop faible contre les passions, tomberaient dans les excès honteux et le pêle-mêle de la bestialité. Les âmes, également sans frein, mais non pas sans terreur, se précipiteraient dans la superstition; l'égoïsnie remplacerait la charité; l'orgueil, l'humilité; l'intérêt, la conscience; la matérialité des désirs, les plaisirs de l'intelligence: les loups-garous, les saints; les sorciers, les prêtres; les cabarets, le presbytère; le lupanar, l'église... » (Entretiens de village.)

A l'appui de tout ce que nous avons dit à l'occasion des fêtes religieuses, nous pourrions citer, ici, un grand nombre de témoignages également propres à faire impression sur les esprits et sur les cœurs. Nous en citerons quelques-uns seulement. Ecoutons d'abord Diderot qui, quoique ennemi de la religion catholique, en bien des circonstances, n'en rend pas moins un éclatant hommage à l'heureuse influence de ses fêtes :

« Les absurdes rigoristes en religion, » dit-il, « ne connaissent pas l'effet des cérémonies extérieures sur le peuple. Ils n'ont jamais vu notre adoration de la croix, le vendredi saint, l'enthousiasme de la multitude à la procession de la Fête-Dieu, enthousiasme qui me gagne moi-même quel quefois. Je n'ai jamais vu cette longue suite de prêtres en habits sacerdotaux, ces jeunes acolytes vêtus de leurs aubes blanches, ceints de leurs larges ceintures bleues, et jetant des fleurs devant le Saint-Sacrement; cette foule qui les précède et qui les suit dans un silence religieux, tant d'hommes prosternés le front contre la terre, je n'ai jamais entendu ce chant grave et pathétique, entonné par les prêtres et répondu affectueusement par une infinité de voix d'hommes, de femmes, de jeunes filles et d'enfants, sans que mes entrailles ne s'en soient émues, n'en aient tressailli, et que les larmes ne m'en soient venues aux yeux. Il y a là-dedans je ne sais quoi de sombre, de mélancolique. J'ai connu nn peintre protestant qui avait fait un long séjour à Rome, et qui convenait qu'il n'avait jamais vu le Souverain Pontife officier dans Saint-Pierre, au milieu de tous les cardinaux et de toute la prélature romaine, sans devenir catholique... Supprimez tous les symboles sensibles,» ajoute Diderot, « et le reste sejréduira à un galimatias métaphysique qui prendra autant de formes et de tournures bizarres qu'il y aura de têtes......(Essai sur la peinture.)

Encore moins catholique que Diderot, si cela est possible, Rousseau s'exprime dans le même seus, mais avec plus d'énergie en

core que lui, au sujet des repos et des fêtes dont le peuple a besoin.

« Que doit-on penser, » dit-il, «de ceux qui voudraient ôter au peuple les fêtes, les plaisirs et toute espèce d'amusement, comme autant de distractions qui le détournent de son travail? Cette maxime est barbare et fausse. Tant pis si le peuple n'a pas de temps pour gagner son pain; il lui en faut encore pour le manger avec joie, autrement il ne le gagnera pas longtemps. Ce Dieu juste et bienfaisant, qui veut qu'il s'occupe, veut aussi qu'il se délasse: la nature lui impose également l'exercice et le repos, le plaisir et la peine. Le dégoût du travail accable plus les malheureux que le travail même. Voulez-vous donc rendre un peuple actif et laborieux, donnez-lui des fêtes, offrez-lui des amusements qui lui fassent aimer son état, et l'empêchent d'en envier un plus doux. Des jours ainsi perdus feront mieux aimer les autres. »(Lettre à d'Alembert.)

Mais si les publicistes qui jugent nos fêtes au point de vue temporel seulement s'expriment de la sorte, que ne diront point ceux qui les jugent, comme nous, au point de vue spirituel et physique tout à la fois.

« Pour comprendre la sagesse des cérémonies catholiques, » dit M. Guérin, dans son ouvrage sur le dimanche,« il suffit de consulter les hommes qui portent un cœur honnête, et que le souffle de l'abject matérialisme n'a pas encore desséché. Celui qui peut faire un pas dans nos temples sans éprouver une douce émotion, est un malheureux qui ne sent plus; c'est une âme de fer, c'est un cœur de bronze, c'est un cadavre qui se promène. Pourquoi nos impies qui se flattent d'aimer les beaux-arts, et pour qui la musique semble avoir tant de charmes, se déchaînent-ils sans pudeur contre la pompe de nos solennités religieuses? Comment se fait-il que des partisans fanatiques de Mozart ou de Rossini n'admirent pas la majesté de notre chant grégorien? Qui n'est pas ravi d'entendre un Kyrie, un Credo, une Préface, dans nos jours de fêtes? Quelle étonnante variété dans les chants et dans les cérémonies de l'Eglise !

« A Pâques, ces chants et ces cérémonies inspirent une sainte allégresse, et l'on comprend que l'heure de la résurrection vient de sonner. Le Jour des Morts, c'est la tristesse qu'ils font naître; le chant pleure et gémit; on croirait entendre résonner les tombeaux. Qui peut suivre la marche d'un convoi funèbre, qui peut assister aux cérémonies qui se font à l'église en pareille circonstance, qui peut écouter la voix du prophète David célébrant nos fins dernières,

sans frémir involontairement, sans être ému

jusqu'au fond de ses entrailles, sans revenir dans sa demeure rempli d'une sombre et sa

lutaire mélancolie?

« Les ornements que portent les prêtres, les tentures qui parent nos temples, tout s'accorde avec le chant du jour; tout est gai, tout est riant, tout inspire la joie dans les fêtes qui nous rappellent de joyeux souve

nirs; tout est noir, triste et lugubre dans les cérémonies qui retracent à la mémoire les douloureux événements de la religion. C'est un concert que rien n'altère; c'est une harmonie qui touche; c'est un ensemble qu'on admire, et dont le cœur est pénétré. Tout est pur, tout est beau, tout est ravissant; et là, comme partout, le christianisme a surpassé toutes les religions du monde. (M. ROSSET, Théophile, ou la Philosophie du christianisme.)

« Il semble avoir distribué ses fêtes en deux parties d'un côté, des fêtes graves et austères; de l'autre, des fêtes brillantes et joyeuses; les unes dans les mois sérieux et tristes, les autres dans les mois riants et doux. Ne peut-on pas expliquer cette distinction el cette harmonie?

« On dirait que le christianisme a songé au peuple et à ses plaisirs dans la distribution annuelle de ses solennités. Voyez la plus grande partie des fêtes patronales, c'est-à-dire des fêtes populaires par excellence, s'amonceler dans les mois d'été, lors que le cours des grands mystères est achevé, et aussi lorsque le peuple commence à voir les moissons et les fruits sourire à ses espé

rances.

Certes, il était beau le peuple chrétien, lorsque, plein de foi et d'amour, il faisait du patron du lieu le protecteur de ses joies et de ses plaisirs. Qui n'a pas eu le cœur ému au spectacle de ces fêtes de villages, où l'esprit du christianisme est resté vivant? Voyez toutes les âmes s'épanchent au dehors. Les familles s'assemblent, les amis se visitent, les vieilles affections se renouent, les nouvelles se fortifient; le jeune enfant accourt avec sa naïveté, et le vieillard avec ses souvenirs; la jeunesse répand sa joie à grand bruit. Mais tout le monde pense au saint du lieu. C'est un grand saint. Il est rare qu'il n'y ait pas une chapelle ou un lieu mystérieux, un chêne vénéré ou une source d'eau vive, où se perpétue la tradition de ses miracles, c'est-à-dire de ses bienfaits. C'est là qu'on ira d'abord ranimer sa piété, renouveler quelque vou, raviver quelque espérance. Le pasteur joue ce jour-là un grand rôle; il a revêtu ses plus beaux habits: chacun le fête et l'honore. On l'entoure à l'autel, les prêtres des lieux voisins lui font cortége. L'église est dans sa pompe, le chant d'un éclat inaccoutumé.

<< Lorsque les solennités sont achevées, le pasteur suit encore le peuple dans ses joies. Le jour est beau, le soleil est éclatant, le peuple s'est assemblé sous l'ombre des vieux ormeaux. Il semble que la religion,

(77) Il y a ici quelques inexactitudes qu'il importe de rectifier. La Fête-Dieu n'est point retranchée, mais seulement remise. On la célébrait autrefois le jeudi d'après la semaine de la Pentecôte; aujourd'hui c'est le dimanche suivant. Cette fête ne fut point conservée sans doute, malgré son importance, parce que c'est déjà une fête remise, puisque, comme nous l'avons dit plus haut, elle tombe le jeudi saint, jour où Notre-Seigneur institua l'auguste sacrement de nos autels. Il est faux encore de dire que

cette fois, voie avec complaisance es plaisirs c'est que les yeux n'en sont troublés par aucune passion grossière, et que chacun se sent au cœur une joie pure et sainte. Telle est la fête du patron du village; telle est la fête du peuple; une fête d'expansion et de naïveté, où la piété se livre aux doux plaisirs, comme aussi l'irréligion va au temple, et se laisse vaincre par toute cette effusion du bonheur chrétien.

Comment s'est-il trouvé des philosophes ou des politiques, pour disputer au peuple de semblables joies? N'était-ce pas jeter sur sa vie je ne sais quoi de triste et de mortel? Quelles seront les fêtes du peuple, sinon les fêtes du christianisme?...

<< Mais il est une fête, une fête éminemment chrétienne et populaire, qu'il a été surtout cruel d'ôter au peuple: c'est a Fête-Dieu, la fête des fleurs et des pompes, la fête qui unit le ciel et la terre, et Dier même aux hommes. Que de noires ténèbres il a fallu jeter sur l'esprit du peuple pour qu'il se soit laissé enlever cette fête riante. et gracieuse, la fête de la vieillesse et de l'enfance, la fête des jeunes filles et des jeunes mères; cette fête où toutes les bénédictions et toutes les joies semblent tomber à la fois du ciel! Oh! que c'est là un signe de flétrissure désolant, et un sinistre indice de la décadence morale du peuple! Malheureux peuple! qui n'a pas même su défendre sec solennités à lui, la magnificence de sor culte, les pompes de sa foi et de sa piété (77)!

« Le peuple laissera-t-il ainsi disparaître une à une toutes ses fêtes? Il en est une autre aussi que nous voudrions voir se raviver dans le christianisme, et qui n'a laissé que quelques traces dans les hameaux les moins ravagés par l'esprit moderne. Ce n'est plus la fête du triomphe, c'est la fête de la prière et de la supplication on l'appelle les Rogations. Admirable institution, dont l'Eglise fait comme le couronnement des travaux confiés à la terre, et un doux présage des moissons et des fruits que l'homme attendait des bontés de Dieu.

«Non, ce n'est plus ici de la joie, c'est de l'espérance! Mais toujours c'est une expansion d'amour. Les premières fleurs ornent l'autel. La croix des campagnes est couronnée par le soin des villageois; et c'est un des spectacles les plus touchants du christianisme, de voir le prêtre s'en allant, avec le peuple, s'agenouiller le long des champs el des prés, élever les mains vers le ciel, et remplir le vague des airs de paroles plainti ves et suppliantes. Oh! les philosophes ont

le peuple ait souffert ce changement sans se plaindre. Il n'a cessé et il ne cesse point de faire entendre, à ce sujet, les plaintes les plus vives. Où est blåmable, et même excessivement blåmable, c'est d'avoir souffert, momentanément du moins, la suppression complète, non pas de quelques fêtes seulement, mais de tout le culte catholique, par des scélérats qu'avec un peu d'énergie il eût fail rentrer dans la poussière d'où ils étaient sortis.

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