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ce raisonnement, s'exprime ainsi : « On peut « dire, sans hyperbole, que c'est une démons« tration aussi assurée que celles de la géo« métrie (2).

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«Si actuellement nous considérons dans l'âme la capacité de penser, nous reconnaîtrons promptement que cette capacité exclut rigoureusement toute idée de matière.

«En effet, la matière est étendue, composée de parties placées les unes hors des autres. Or qui ne sent pas que la pensée est simple, sans parties distinctes? Les objets corporels de la pensée peuvent bien être de volume et de grandeur inégales; mais la perception que j'en ai ne se mesure pas sur leurs dimensions la pensée du soleil n'est ni plus longue ni plus large que celle d'une fleur. Qui ne serait révolté d'entendre parler de pensées d'une ligne de longueur, d'un pouce d'épaisseur? Si nous parlons de vastes, de profondes pensées, ce sont là des métaphores qui ne servent qu'à nous rendre sensibles les opérations de l'intelligence.

l'odorat, du goût, du toucher, que l'homme entre en communication avec les objets extérieurs matériels, dont se cornpose cet univers. Mais c'est ici qu'il importe de bien démêler les choses, pour ne pas confondre ce qu'il y a de purement physique et ce qu'il y a de purement intellectuel. En effet, qu'arrive-t-il? Un corps lumineux frappe mon œil, un corps sonore frappe mon oreille, et ces deux impressions physiques sont transmises jusqu'à mon cerveau: là, je ne sais quelle fibre est ébranlée, j'y consens encore; inais de cette impression, de cet ébranlement plus ou moins rapide, plus ou moins fort, à la sensation éprouvée par l'âme, l'intervalle est immense. Il s'agit de bien comprendre qu'une impression sur les organes ne devient sensation qu'autant qu'elle est aperçue par le principe sentant. Ainsi, je le suppose, un corps étranger me touche légèrement; si je m'en aperçois, mon âme en est affectée, ele éprouve une sensation. Un autre corps me frappe plus fortement, mais je suis plongé dans le sommeil ou absorbé par une distraction, en sorte que je ne sens rien; il y aura bien là impression, il n'y aura pas sensation. Non, je ne vois la lumière du soleil, je n'en tends le son d'une trompette, je ne sens le parfum d'une rose, qu'autant que j'aperçois que je vois, que j'entends, que je sens. Si je n'ai pas la conscience d'une sensation, je n'ai pas plus de sensation que la cire sur laquelle on imprime un cachet.

a Non-seulement nous connaissons nos sensations, non-seulement nous réfléchissons tur ce qu'elles nous présentent, mais souvent nous comparons les unes aux autres. J'éprouve à la fois diverses sensations; quelquefois c'est le même objet qui me les procure. Je vois, je goûte et je sens un ragoût; j'entends et je touche un instrument. D'autres fois, ce sont différents objets qui frappent nos divers sens. J'entends une musique, en même temps que je vois des hommes, que j'éprouve la chaleur du feu, que je sens une odeur, que je mange un fruit. Je discerne parfaitement ces sensations diverses; je les compare, je juge laquelle m'affecte le plus vivement et le plus agréablement; je préfère l'une à l'autre, je la choisis. Or, ce moi qui compare les diverses sensations est indubitablement un être simple; car, s'il est composé, il recevra par ses diverses parties les diverses impressions que chaque sens lui transmettra. Les nerfs de l'œil porteront à une partie les impressions de la vue; les nerfs de l'oreille feront passer à une autre partie les impressions de l'ouïe, ainsi du reste. Mais si ce sont les diverses parties de l'organe physique, du cerveau, par exemple, qui reçoivent chacune de leur côté la sensation, comment s'en fera le rapprochement, la comparaison? La comparaison suppose un comparateur, le jugement suppose un juge unique. Ces opérations ne peuvent se faire sans que les sensations différentes aboutissent tou ́es à un être simple. Un écrivain qui ne doit pas être suspect aux incrédules, rapportant

«La matière est figurée; elle a une forme et des couleurs. Or, quelle figure donnerezvous à la pensée? Est-elle ronde ou carrée, cubique ou triangulaire? La pensée est-elle d'un bleu céleste, ou rouge comme l'écar late? Qu'on demande au simple villageois si les pensées sont vertes comme la prairie, ou carrées comme sa maison, cette pensée lui paraîtra ridicule, impertinente; il croira qu'on veut se moquer de son ignorance : tant cette question répugne au sens commun.

« La matière est divisible; elle peut être partagée en parties distinctes les unes des autres. La pensée, au contraire, est indivisible: elle est tout entière, ou bien elle n'est pas. Il est inouï qu'on prenne la moitié, le tiers, le quart d'une pensée. Voilà donc comme les propriétés les plus constantes, les plus universellement reconnues de la matière, sont en opposition manifeste avec celles de la pensée. En vain vous voudriez supposer dans la matière quelque propriété cachée qui la rendit susceptible de penser. Ce qu'elle peut avoir de plus intime et de plus caché n'empêche pas qu'elle ne soit étendue, figurée, divisible, qualités incompatibles avec l'intelligence. Ne me dites pas, non plus, qu'on ignore si Dieu, par sa toutepuissance, ne pourrait pas attacher la pensée à la substance matérielle. Ce n'est pas mettre des bornes à la toute-puissance que d'avancer qu'elle ne peut faire ce qui implique contradiction: ce serait même insulter à sa sagesse que de la croire capable de former le dessein d'une chose absurde. Un être n'existe pas et ne saurait exister sans ses qualités essentielles, ni avec des qualités qui s'excluent nécessairement dès lors, s'il est étendu, il faut qu'il soit sans pensée; s'il reçoit la pensée, il faut qu'il perde l'étendue. Telles sont les notions que nous donne la saine raison; et, s'il était permis de les abandonner pour des hypothèses chimériques, le parti le plus sage serait de doute

(2) Voy. M de la LUZERNE: Dissertation sur la spiritualité de l'âme et la note où il eite Bayle.

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de tout; et pourtant ce parti est le comble de la folie humaine.

« Pour résumer cette seconde preuve de la spiritualité de l'âme tirée de la nature de la pensée, nous dirons: Ce qui est sans étendue, sans figure, sans divisibilité, comme la pensée, ne peut s'identifier avec ce qui est étendu, figuré, divisible, comme la matière : donc ce qui pense n'est pas matière.

« Si les sensations et les idées passaient en nous, sans laisser de traces après elles; si notre âme n'en conservait le souvenir, elle ne pourrait faire aucun usage de ces connaissances fugitives, ausssitôt anéanties qu'acquises; elle serait incapable de comparer, de juger, de raisonner. Mais elle est douée du sublime pouvoir de faire comme revivre des notions qui se sont succédé en elle, de se les rendre de nouveau présentes, de les rapprocher, de les combiner ensemble, d'établir des principes et d'en tirer des conséquences; en un mot de juger et de raisonner; nouvelle capacité de notre âme, et nouvelle preuve de sa simplicité.

:

« Vous possédez, je suppose, un riche tré sor de connaissances: histoire, sciences, lettres, arts, politique, rien ne vous est étranger; mais ce long amas de sensations que Vous avez éprouvées, d'idées que vous avez conçues, de réflexions que vous avez faites, c'est un seul principe qui en est dépositaire. Il n'y a pas en vous un principe pour les sensations, un principe pour les idées, un principe pour les jugements; il n'y a pas en vous plusieurs moi, il n'y en a qu'un c'est le même moi qui voit ce monde, qui en connaît la bonté, qui juge qu'un être intelligent en est l'auteur. Ce dernier acte de votre esprit, par lequel il s'élève jusqu'à Dieu, à ses perfections infinies, aux devoirs qui en découlent, supposera bien des sensations, des idées préliminaires, bien des jugements particuliers: en ce sens, votre jugement intérieur sera composé; mais l'acte en lui-même. par lequel l'esprit juge et prononce, est un; cette opération intellectuelle est indivisible: et voilà comme toutes les fonctions les plus intimes de notre intelligence nous conduisent à son imInatérialité. »

Si la faculté pensante, dites-vous, était en nous réellement et subtantiellement distincte du corps, elle aurait une existence à part, tandis que nous la voyons toujours commencer avec lui, se développer, décroître et finir avec lui.

Non, la faculté pensante ne finit point avec le corps, puisque l'âme en qui elle réside doit vivre éternellement. Ce qui fait qu'on ne remarque plus son action.quand le corps a été détruit, c'est que, tandis que ce corps de boue rentre dans le sein de la terre d'où il a été tiré, l'âme s'élève dans le sein de la Divinité qui l'a créée à son image. Pour la proclamer réellement et substantiellement distinc'e du corps, vous demandez à lui voir une existence à part. Hélas! elle n'est que trop bien constatée cette séparation, ou pour mieux dire, cette oppo

sition des deux substances dont se compose chacun de nous : l'une nous portant au bien, l'autre au mal; l'une nous élevant de plus en plus vers les cieux, l'autre, au contraire, nous inclinant de plus en plus vers la terre. Lisez les Epitres de saint Paul, vous y verrez, presqu'à chaque page, le récit et l'explication de cette lutte de la chair contre l'esprit et de l'esprit contre la chair, qui sont tellement opposées l'une à l'autre que nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons: Caro enim concupiscit adversus spiritum; spiritus autem adversus carnem. Hæc enim sibi invicem adversantur, ut non quæcunque vultis, illa faciatis. (Galat. v, 17.) Lisez principalement le septième chapitre de son Epitre aux Romains, dont Racine a mis en vers les idées les plus saillantes:

Mon Dieu, quelle guerre cruelle!
Je trouve deux hommes en moi :
L'un veut que, plein d'amour pour toi,
Mon cœur te soit toujours fidèle;
L'autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre la loi.
L'un tout esprit et tout céleste,
Veut qu'au ciel sans cesse attaché,
El des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste;
Et l'autre par son poids funeste
Me tient vers la terre penché.
Hélas! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix?
Je veux et n'accomplis jamais :
Je veux, mais, ô misère extrême
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais.

« Je connais bien ces deux hommes!» s'écria, après avoir entendu ces vers, le roi dont les faiblesses égalèrent peut-être les grandeurs. « Et moi aussi !» aurait pu répliquer le poëte. « Et moi aussi ! » pourrait dire également chacun de nous. C'est qu'en effet il n'y en a pas un chez qui cette distinction ou plutôt cette opposition, je ne dirai pas des deux hommes, car il n'y a réellement qu un en nous, mais des deux substances dont chaque homme se compose, ne se fasse sentir de la manière la plus frappante. Voyez le petit enfant lui-même il vient de faire une faute; vous le punissez. Il recommence; vous le punissez encore. I recommence de nouveau; vous le punissez pour la troisième fois; mais, aux réprimandes précédentes, vous ne manquez pas d'ajouter alors : « Malheureux, si tu retombes dans la même faute, je t'infligerai une punition telle que tu ne seras pas tenté de recommencer demain. - «Hélas!»répond l'enfant, les larmes aux yeux, je voudrais bien me corriger, mais je ne le puis pas. » Qui est-ce qui voudrait se corriger, chez lui? c'est l'âme évidemment. Qui est-ce qui ne le peut pas, ou plutôt, ne le veut pas; car on peut toujours, en pareil cas, quand on veut énergiquement? c'est la chair. Tant il est vrai que la vie à part que vous désirez voir dans l'âme, pour admettre sa réelle et sa substantielle distinction d'avec le corps, commence, dès les premiers jours, pour continuer jusqu'à la fin.

Cela, du reste, n'empêche pas qu'i: y ai!

entre les deux substances une intime union par suite de quoi elles exercent, l'une sur l'autre, réciproquement, une influence considérable, qui portera même quelquefois les personnes inattentives ou mal intentionnées à les confondre ensemble.

En même temps que nous croyons à la distinction de l'âme et du corps!» dit l'abbé de Frayssinous, nous confessons que, d'après les lois établies par le Créateur pour lear union, il existe entre tous les deux une correspondance perpétuelle. L'âme est faite pour le corps, le corps est fait pour l'âme: l'âme est comme une reine dont les organes sont comme les ministres et les serviteurs, plus ou moins fidèles. Ainsi, que des impressions faites sur les sens éveillent dans l'âme des sensations et des idées; que les volontés et les affections de l'âme excitent des mouvements dans les organes; que l'âme ait besoin plus particulièrement du ministère du cerveau pour les opérations de son intelligence; qu'une certaine conformation soit plus propre au développement de certains sentiments et de certaines pensées; que la constitution physique, l'âge, le climat, le régime influent sur l'état de l'âme; ce n'est pas là ce que l'on conteste; et c'est en vain qu'on fait un pompeux étalage de tous les rapports de l'âme et du corps, rapports observés et connus dans tous les temps. Tout cela est la suite de l'union de l'âme et du corps, tout cela prouve bien leur correspondance, mais ne prouve pas leur identité. Ce n'est point par l'accord et la dépendance des deux substances que l'on doit juger si leur nature est la même; c'est par leurs idées, leurs propriétés, leurs ef fets, ainsi que nous l'avons établi au commencement de la discussion: règle fixe, règle infaillible pour bien juger, règle qui nous a forcé de conclure que l'esprit était distingué du corps. Je suppose que vous ayez observé qu'une sentinelle quitte régulièrement son poste au moment où elle est avertie par un signal donné, vous viendra-il à la pensée pour cela de confondre la sentinelle avec le signal?

« Un matérialiste voit que l'état de l'âme est modifié par celui du corps, et il se hâte de conclure que l'âme est corporelle. Un spiritualiste viendra qui observera que l'état du corps est très-souvent modifié par celui de l'âme, que les sentiments de plaisir ou de douleur, de haine ou d'amitié, affectent les organes, la physionomie et s'y rendent en quelque sorte visibles : il en conclura que ce que nous croyons être un corps n'est qu'une apparence, une imagination de l'àme, semblable aux visions des songes. Voulons-nous éviter ces excès? Reconnaissons l'influence réciproque de l'âme et du corps; voyons dans l'homme une intelligence unie à des organes; disons que le corps est comme l'instrument dont l'âme a besoin pour, l'exercice et le développement de ses facultés intellectuelles. Sans doute l'âme possède des qualités étrangères aux organes; mais, en général, c'est par le ministère des orga

nes qu'elle déploie ses facultés dès lors faut-il s'étonner que les défauts, les imperfections, les altérations des organes puissent se remarquer dans les opérations de l'intelligence? Voyez une harpe sous les doigts de celui qui en pince les cordes; la perfection, l'accord, le nombre des cordes sonores, influent sur la beauté et l'harmonie des sons. Que si l'instrument est défectueux, il se peut que l'artiste le plus consommé n'en tire que des sons désagréables: s'avisera-t-il pour cela de confondre le joueur de harpe avec la harpe elle-même ?

« Vous observerez que l'âme suit les vicissitudes du corps, qu'elle semble croître. et vieillir avec lui: je ne contesterai pas ce que peut avoir de véritable cette observation prise dans sa généralité; mais ne la poussez pas trop loin et ne soyez pas outré dans les conséquences. Si l'enfant est faible. de pensées croyez-vous que la faiblesse de son esprit vienne uniquement de celle de ses organes? Elle vient aussi de ce qu'il est sans expérience, sans connaissances acquises; de ce qu'il ignore la langue qu'on lui parle, et qu'il n'y attache pas encore des idées bien distinctes. Supposez deux enfants d'une organisation parfaitement égale; que l'esprit de l'un soit cultivé dès l'âge le plus tendre par une éducation soignée; que l'esprit de l'autre soit négligé: le premier peut manifester à dix ans une intelligence que le second n'aura pas dans sa vingtième année.

« Vous êtes frappés de l'accord que vous croyez remarquer entre le développement de l'âme et celui du corps; mais prenons garde de faire de cet accord une règle universelle, invariable. Que d'exceptions ne souffre-t-elle pas! Combien d'âmes se montrent supérieures aux atteintes que souffre le corps! Souvent, dans des corps faibles, quelle vigueur, quelle élévation de pensées! Au contraire, quelle faiblesse dans des corps vigoureux ! Dans certains vieillards, quelle magnanimité! Dans certains hommes de l'â– ge viril, quelle lâcheté ! Et ces enfants délicats, et ces femmes timides, et ces vieilJards décrépits qu'on a vus si souvent braver les termenis et la mort, et se montrer calmes malgré leurs membres et leurs organes mutilés, brisés, détruits par le fer et le feu, où puisaient-ils tant d'héroïsme? leur âme ne se montrait-elle pas indépendante de leurs organes ? Non, il n'est pas vrai que la dégradation du corps entraîne nécessairement celle de l'âme, et les exceptions sont si nombreuses qu'elles fourniraient seules une nouvelle preuve de la distinction de l'âme d'avec le corps.

«Au lieu de voir dans leur développement successif et correspondant une preuve de la matérialité de l'âme, voyons y ce qui s'y trouve réellement; un trait admirable de la sagesse du Créateur; c'est par là qu'il entretient l'harmonie du monde présent. Car, pour emprunter ici la pensée et même les expresssions d'un apologiste moderne: Si l'enfant avait sa raison dans toute sa force,

la faiblesse ae son corps lui serait insupportable. Loin de sourire sur le sein de sa mère, on le verrait sombre, inquiet, jaloux, aspirer impatiemment à toute la vigueur de son père; resserré dans ses langes, il aurait les passions et les projets de l'homme; et, s'irritant de ne pouvoir se satisfaire, il aurait le sentiment de sa liberté, et le berceau où il repose tranquillement ne serait plus pour lui qu'une horrible prison. Les pères n'auraient plus d'autorité que celle de la force; les vieillards ne tiendraient plus de la maturité de leur jugement un droit légitime au respect de la jeunesse. Tout serait renversé dans l'ordre des choses humaines. (HELVIENNES, Observ., à la suite de la lettre 43.) En deux mots, pour parler d'après l'écrivain qui a refuté le Système de la nature avec une logique si victorieuse, je dirai : Il est vrai qu'il y a une dépendance mutuelle entre le corps et l'esprit, mais c'est déraisonner que de conclure de la dépendance de deux choses que ces deux choses sont identiques. »HOLLAND, Réflexions philosophiques, ch. 7, p. 64.)

Où serait d'ailleurs, avez-vous demandé, cette âme que jamais personne n'a pu voir, et dont on n'a pu découvrir la place, quelques recherches qu'on ait faites.

Parler ainsi, c'est faire preuve d'une ignorance un peu grossière. Avez-vous vu Dieu! Jamais, et vous ne parviendrez jamais à le voir, quelques efforts que vous fassiez pour cela. Il existe cependant, et même son être est infini; mais, comme il est d'une nature toute spirituelle, il ne peut tomber sous les sens, de quelque manière que ce soit. Nous disons, il est vrai, qu'il est partout, ou plutôt que tout est en lui; c'est-à-dire qu'il ne peut avoir aucune borne, et que tout ce qui est n'a d'existence que par lui. Quant à admettre qu'il soit partout comme dans un lieu, ou que tout soit en lui comme en un lieu, c'est une idée trop absurde pour que l'enfant lui-même puisse s'y arrêter avec ré

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flexion. Il n'est donc point étonnant, non plus, que notre âme, créée à l'image de Dieu, et, comme lui, d'une nature toute spirituelle, ne puisse, en aucune manière, tomber sous les sens. Nous disons, il est vrai, qu'elle est unie au corps; mais nous n'entendons pa. que ce soit d'une manière matérielle, ni par conséquent, d'une manière sensible. Avez-vous vu votre pensée? Jamais, et jamais, non plus, vous ne parviendrez à la voir, quelques efforts que vous fassiez pour y parvenir. Elle existe cependant, quoiqu'elle ne soit pas un être distinct comme Dieu, ni même comme notre esprit qui la produit. Ceux qui doutent de tout ne vont pas jusqu'à révoquer en doute leur pensée, mais, comme cette pensée est d'une nature toute spirituelle, l'œil charnel ne saurait la voir ni en découvrir aucune trace. Nous disons bien qu'elle est en nous, mais nous n'entendons point par là qu'elle y soit comme en un lieu, et à la manière des corps. La pensée, ne remplit aucun espace, dit ici Lefrançois, car si elle en occupait un, elle répondrait aux diverses parties de l'espace dont elle serait environnée, et, par conséquent, elle aurait elle-même des parties. Or, quel ques efforts que vous fassiez, il vous est impossible de vous représenter la pensée avec des parties. Conclurez-vous qu'elle n'est rien de réel; qu'elle n'existe en aucune sorte, parce qu'elle n'occupe aucun espace? Vous en devez conclure, au contraire, que la ponsée n'a rien de commun avec le corps; qu'elle est d'un ordre supérieur, qu'elle n'est pas moins réelle, quoiqu'elle 'n'existe pas à leur manière. Pourquoi l'esprit ne serait-il donc pas un être réel quoiqu'il soit incapable de remplir un espace à la manière des corps? Cette incapacité de remplir un espace n'est donc point une difficulté contre l'esprit, puisqu'elle n'en est pas une contre la pensée. »

AMOUR-PROPRE.

Objection. Vous voulez détruire l'amour de soi-même: mais n'est-ce pas le ressort de toutes nos actions? N'est-il pas dans les hommes religieux autant et plus peut-être que dans les autres?

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Réponse. L'amour de soi-même, comme il est facile de le comprendre, change de nature avec les objets auxquels il s'applique, et il se trouve plus ou moins licite, plus ou moins condamnable, selon que ces objets sont eux-mêmes plus ou moins licites, plus ou moins condamnables. C'est parce que vous méconnaissez, ou que vous feignez du moins de méconnaître cette distinction, que vous nous adresseż l'objection à laquelle nous répondons en ce moment. Faisons-la donc nous-mêmes, avec soin, cette distinction.

Tantôt l'amour de soi-même se repaît des objets matériels les plus vils quel quefois et les plus condamnables,. Ce n'est

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pensée salutaire: Aveugle que vous êtes, vous voulez donc vous perdre éternellement!

mauvaise de l'âme qui cherche à s'élever bien-au-dessus de ce qu'elle doit être, comme firent les anges rebelles, qui furent précipités, précisément à cause de cela, des hauteurs du ciel dans les profondeurs de l'aLime.

Vous allez me dire peut-être ici que l'orgueil est la source des plus grandes choses.

Oui, des plus grandes choses désordonnées. Car remarquez bien que, au lieu de se coordonner par rapport au tout, selon la volonté de Dieu, l'âme orgueilleuse, ne cherchant qu'à s'élever, s'efforce de coordonner le tout par rapport à elle-même. Elle ne dit pas, comme Fénelon : Dieu, l'humanité, ma patrie, ma famille, moi-même! Mais elle dit, au contraire, Moi, ma famille, ma patrie, l'humanité, Dieu, peut-être! Dans cet état de choses, ce qui devait être à la circonférence se trouve au centre, et ce qui devait être au centre se trouve à la circonférence : c'est le complet renversement de l'ordre. De là, les plus grands maux, avons-nous dit, non-seulement pour la vie future, mais encore pour la vie présente. Car remarquez encore que l'âme orgueilleuse, s'étant faite le centre de toul, et ne trouvant point en elle-même la satisfaction qu'elle y cherchait, s'efforce d'attirer tout à soi c'est l'orgueil devenu ambition. Ambitieuse donc, en même temps qu'orgueilleuse, l'âme marche de la possession d'un objet à la possession d'un autre objet, les dédaignant et les foulant tous aux pieds après les avoir saisis. C'est l'histoire de Cyrus, d'Alexandre, de tous les conquérants, tant anciens que modernes, qui, pour essayer de contenter leur ambition insatiable, ont remué le monde entier, au risque de tout bouleverser et de s'eusevelir euxmêmes sous les ruines de toutes choses. Encore une fois, ce n'est point un tel amour de soi-même que vous devez approuver. Il doit, au contraire, vous paraître aussi condamnable, aussi odieux à vous qu'à nousmêmes.

Cependant il est un amour de soi légitime, nécessaire même, en religion comme en toute autre chose; c'est celui qui reste dans les conditions qui lui ont été prescrites par le Créateur de toutes choses, et qui lui sont sans cesse rappelées par la religion, la raison, par tout ce qui l'environne. Or nonseulement nous ne cherchons point à détruire un tel amour, ce qui d'ailleurs serait impossible, et ne servirait qu'à le dénaturer, non-seulement nous ne le blâmons point, mais nous l'approuvons vivement, au contraire; nous faisons même tout ce qui dépend de nous pour le fortifier, quand il s'affaiblit, pour le raviver, quand il commence à s'éteindre. Qui n'en a fait la remarque quelquefois? Quand nous voyons un jeune homme se dégrader dans la satisfaction des plaisirs sensuels, nous nous empressons de lui crier: Mais, malheureux, vous avez donc perdu toute estime, tout amour de vous-même! Quand nous voyons un Chrétien s'approcher du tombeau sans y songer un seul instant, nous lui répétons sous toutes les formes cette

Mais, en ranimant dans les âmes l'amour bien entendu de soi-même, nous ne manquons jamais de signaler les dangers grands et nombreux auxquels on est exposé avec lui et par lui Prenez garde, disons-nous expressément ou implicitement du moins, prenez bien garde! l'amour de soi, c'est le Protée de la fable. Il prend toutes les formes, mêmes les plus dégoûtantes et les plus affreuses:

Fiet enim subito sus horridus, atraque tigris,
Squamosusque draco, et fulva cervice leana:
Aut acrem flammæ sonitum dabit, atque ita vinclis
Excidet, aut in aquas tenues dilapsus abibit.

(VIRGIL., Georgic., lib. iv, vers 407-410.)

Ce n'est qu'après l'avoir enchaîné dans les liens d'une volonté forte et de la foi religieuse qu'on peut le maintenir dans la forme qui lui a été donnée par le Créateur et que celui-ci veut lui voir toujours conserver:

Sed quanto ille magis formas se vertet in omnes
Tanto, nate, magis contende tenacia vincla.
(Ibid., vers. 411, 412.)

Et encore manque-t-il rarement de reparaître quelquefois, sous sa forme haïssable, dans les âmes même les plus saintes. Nous n'entendons pas dire par là que ce soit toujours un mal; mais seulement qu'il ne faut pas cesser de veiller et de prier, de peur que cet ennemi redoutable, vaincu et jamais détruit, ne se relève dans toute sa force.

Qu'on nous permette ici une courte anecdote, qui fera mieux comprendre encore notre idée.

Nous avons connu un homme fort estimable sous tous les rapports, un très-bon Chrétien, qui, pourtant, ne semblait pouvoir faire une seule phrase, dans la conversation, sans que ce malheureux moi humain ne se montrât, en lui-même ou dans ses dérivés. - « C'est de l'orgueil, me disaient beaucoup de personnes.-Non, « leur répondais-je,».ce sont les soupirs de l'homme vaincu et non détruit, puisqu'il ne peut l'être que dans l'autre vie.» Quelqu'un de haut placé m'ayant un jour demandé quelle était l'opinion à son égard: « Je vais vous le dire en peu de mots,>> lui répondis-je: «Il a toutes les voix, la sienne en tête. Mauvais plaisant, reprit mon interlocuteur, vous n'en faites donc aucun cas?- Pardon, et la preuve que j'en fais le plus grand cas, malgré certaines misères qui sont en lui comme en nous tous, c'est qu'il a ma voix immédiatement après la

sienne. »

Nous ne méconnaissons donc point la nature humaine, comme vous le prétendez. Nous savons parfaitement que le moi joue en chacun de nous le rôle principal, qu'il est même l'agent de toutes nos actions. Nous ne disons donc point qu'il faut le haïr, en lui-même, ou rester indifférent à son égard, ce qui n'est pas possible, mais le surveiller seulement,

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