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LE BARON

JEROME PICHON

1812-1896

Au moment où le marteau des commissaires-priseurs va disperser les magnifiques collections formées par M. le baron Jérôme Pichon, les lecteurs du Bulletin du Bibliophile me sauront gré de retracer, avec plus de détails que je n'ai pu le faire à l'instant de sa mort, la physionomie de celui qui fut l'un des fondateurs de cette revue et l'un de ses plus savants collaborateurs.

Le baron Jérôme-Frédéric Pichon était né, le 3 décembre 1812, du mariage de Louis-André, baron Pichon, avec Mlle Alexandrine-Émilie Brongniart, fille du célèbre architecte.

Son père, qui a laissé le souvenir d'un diplomate distingué, après avoir été successivement secrétaire d'ambassade et sous-chef d'une direction au Ministère des Affaires étrangères, se vit envoyer comme chargé d'affaires en Hollande, en Suisse et aux États-Unis. De retour en France, il fut, en 1810, nommé conseiller d'État, devint ensuite intendant général du Trésor du royaume de Westphalie et plus tard, intendant civil d'Alger. On lui doit d'importants écrits politiques.

Le baron Jérôme Pichon, son fils cadet, avait d'abord songé à embrasser la carrière militaire; admis à SaintCyr dans un très bon rang, il donna sa démission avant même de revêtir l'uniforme et suivit les cours de l'École

de droit. Après avoir passé sa licence, il fut, en 1838, nommé auditeur au Conseil d'État; en 1846, il renonçait définitivement à la vie publique.

Le goût des livres et l'amour des collections se révélèrent chez le baron Pichon dès sa jeunesse, on pourrait presque dire dès son enfance. L'anecdote suivante qu'il avait plaisir à conter autorise à le croire. C'était en 1817 ou 1818. Ses parents l'avaient conduit chez Vivant Denon; l'enfant ayant aperçu, dans une corbeille, des bandelettes provenant d'une momie, les regardait avec un tel air de convoitise que l'auteur de Point de lendemain, touché de l'intérêt que son jeune visiteur semblait porter à ces bandelettes, non-seulement lui fit présent de l'une d'elles, mais lui remit encore un morceau même de la momie. Ce furent là, ajoutait plaisamment le baron Pichon, lorsqu'il contait cette historiette, mes débuts dans la collection.

En réalité, sa véritable carrière de bibliophile et de collectionneur ne commença qu'en 1831. Dans une charmante lettre qu'il m'a adressée en décembre 1892, mon très regretté collaborateur et ami a bien voulu me raconter ses premières armes ; par les extraits que je vais donner de cette lettre, on verra qu'elles furent brillantes.

« Depuis ma plus tendre jeunesse, m'écrivait-il, j'ai aimé, adoré les livres, et, comme tout homme qui aime, j'ai tout aimé d'eux, le fond et la forme. Plus tard, j'ai appris à apprécier leur reliure et leur provenance. Quel charme de tenir dans ses mains un livre élégamment imprimé, revêtu d'une reliure contemporaine de son apparition, donnant la preuve, par un signe quelconque, qu'il a appartenu à un personnage illustre ou sympathique, et de penser qu'en touchant ce volume qu'il a touché, lu, aimé, on entre avec lui dans une mystérieuse communion.

« La première fois que j'ai connu l'émotion des enchères, c'est à la vente de La Mésangère, en 1831. J'allais atteindre

exemplaire des Heures de Mâcon, de Simon Vostre. Ce n'était pas trop mal débuter.

« Alors et quelques années plus tard, le goût et le marché des livres étaient fort différents de ce qu'ils ont été depuis. Il n'y avait que peu de gens riches s'occupant activement de livres ; je citerai parmi eux M. Bérard, le duc de Poix, M. de Soleinne, MM. Coste et Yéméniz, à Lyon. Le duc de Rivoli et M. Cicongne paraissaient un peu plus tard et avec quel éclat! Le reste des acheteurs se composait de petits amateurs ou de quelques châtelains de province consacrant seulement une faible partie de leur revenu aux livres. M. Leber suivait assidûment les ventes et faisait là patiemment son admirable collection en dépensant relativement fort peu.

<< Je fus traité de fou lorsqu'à la vente Pixérécourt je payai 500 francs la Bible de Vitré, de Longepierre (depuis M. de Sauvage l'a achetée 15,000 francs) et ce fut au milieu des éclats de rire de la salle Silvestre (je ne dis là que l'exacte vérité ) que me fut adjugé, à 95 francs, le délicieux Petrone, d'Hoym, de 1677.

......

«< Tout ce que je recevais de mes parents, sauf ce qui m'était nécessaire pour mon entretien, passait en livres; mais je devenais plus avide à mesure que ma bibliothèque devenait plus riche. MM. Debure s'étaient mis à ma disposition pour mes acquisitions à la vente Richard Heber. Ils me laissaient toute la latitude possible et jamais je n'oublierai les bons procédés de ces excellents amis non plus que ceux de Joseph Techener père, qui lorsque ma bourse était vide, attendait patiemment qu'elle fût revenue à un état plus satisfaisant.

« Il arriva cependant que je dépassai les limites de mon crédit. Pour acheter une Bible in-folio, aux armes d'Hoym, j'avais pour la première et unique fois de ma vie, mis ma montre et sa chaîne au Mont-de-piété. Je devais 6,000 francs presque exclusivement aux libraires; il fallut l'avouer à mon père. Je le fis en tremblant qu'il ne me forçât à vendre mes chers livres; mais si mon père était sévère, il avait trop d'esprit et de bon sens pour ne pas apprécier les motifs de ma gêne et il paya sans m'imposer aucun sacrifice, en disant qu'il était toujours fâcheux de faire des dettes, mais que la nature des miennes me faisait honneur.

mais l'amour des livres resta le même et se doubla de l'amour des curiosités, des médailles, de l'argenterie, etc. J'achetai ma maison du quai d'Anjou, je pourrai dire à la risée presque universelle comme pour le Petrone. Pouvait-on aller demeurer à l'Ile Saint-Louis ! Et comment meubler une pareille maison ! Mais je laissai dire et je poursuivis mon chemin. On vint chez moi par curiosité, puis on trouva qu'après tout on pouvait vivre à l'Ile Saint-Louis, puis après m'avoir blâme, on me loua, on me vanta et.... il y a 43 ansque j'y suis.

La maison fut meublée, on sait avec quel goût; on prit fort vite le chemin du quai d'Anjou et longue serait la liste de ceux qui ont fréquenté et admiré ce merveilleux hôtel, construit, en 1657, par Charles Gruyn des Bordes, commissaire général de la cavalerie légère et secrétaire du Roi (1). En 1682, le 24 août, Gruyn des Bordes vendit son hôtel au duc de Lauzun qui, après l'avoir habité jusqu'au 30 mars 1685, le céda, à son tour, au marquis de Richelieu; l'hôtel eut depuis d'autres propriétaires entre autres le président Ogier et le marquis de Pimodan, qui y attacha son nom (2). Le baron Pichon l'acheta en 1842, mais pour des convenances de famille, ce ne fut que sept ans après l'acquisition qu'il s'installa dans l'ancienne demeure de Lauzun. S'il s'est trouvé, comme il l'écrit, des railleurs pour le blâmer de l'achat de cet hôtel, il faut dire que le ministre secrétaire d'État de l'Intérieur, qui était alors le comte Duchatel, ne partagea point leur avis, car, en 1846, il décernait à son nouveau propriétaire, sur la proposition de la Commission des monuments historiques, une médaille de bronze, en témoignage de sa

(1) Charles Gruyn des Bordes était le troisième fils de Philippe Gruyn, marchand de vins, qui tenait le cabaret célèbre, au XVII siècle, de la Pomme de pin. Il avait épousé Geneviève de Mouy, issue d'une ancienne maison normande, et veuve de M. de Lanquetot, maître d'hôtel de la Reine mère.

(2) Roger de Beauvoir a écrit, sous le titre de L'Hôtel Pimodan, un roman historique, mais les descriptions de la maison laissent souvent à désirer au

satisfaction « pour le zèle et le désintéressement » dont il avait fait preuve « en assurant la conservation de l'hôtel Pimodan, l'un des monumens remarquables de la France ». Il n'y a pas bien longtemps trois ou quatre ans à peine cette même Commission des monuments historiques faisait photographier l'hôtel de Lauzun sous tous ses aspects: la façade avec son élégant balcon, la cour intérieure si pittoresque, les appartements somptueux, décorés de superbes peintures, ornés de boiseries d'un merveilleux travail et d'une parfaite conservation. Entre l'époque où il a été acquis par le baron Pichon et celle où il l'a habité, l'hôtel de Lauzun - ou Pimodan a été le rendez-vous des écrivains et des artistes de la pléïade romantique. Baudelaire, Théophile Gautier, le peintre Boissard, Roger de Beauvoir, d'autres encore en furent les locataires; Baudelaire avait fait, paraît-il, semer de larmes d'argent l'étoffe noire dont était tendue sa chambre et Gautier, pour la modeste somme de trois cents francs par an, y occupait cette délicieuse pièce, au plafond peint par Lesueur, où le 26 août dernier, entouré de ses enfants, le baron Pichon a rendu le dernier soupir.

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La Société des Bibliophiles françois a aussi, pendant de longues années, tenu ses assises dans la bibliothèque ou les salons de l'hôtel de Lauzun. Admis, en 1843, dans cette compagnie d'élite où, depuis MM. de Châteaugiron, Pixérécourt, de Morel-Vindé et Walckenaer qui la fondèrent, se sont succédés et se succèdent tant d'éminents bibliophiles, le baron Pichon en fut élu président l'année suivante. Ses collègues le réélirent annuellement et ce ne fut qu'en décembre 1892, alors que sa santé commençait à devenir chancelante, qu'il se vit dans l'obligation de résigner ses fonctions. Par deux fois, à l'occasion du vingtcinquième et du cinquantième anniversaire de sa présidence, la Société offrit au baron Pichon des jetons d'or

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