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SOMMAIRE.

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Philippe, arrivé à Amiens, essaie inutilement de rassembler de nouveaux soldats pour livrer une seconde bataille. - Il veut faire pendre Godemar du Fay, et il est détourné de ce dessein par Jean de Hainaut. Geofroy d'Harcourt vient, la touaille au cou, se jeter aux pieds de Philippe, qui lui pardonne. - Édouard met le siége devant Calais; le duc de Normandie lève celui d'Aiguillon. Les Anglais de la Guienne envahissent tout le pays jusqu'à la Loire. Continuation de la guerre en Bretagne. - Héroïsme de Geofroy du Pontblanc dans Lannion. -Charles de Blois est fait prisonnier au siége de la Roche-de-Rien. - Mort du vicomte de Rohan, des seigneurs de Châteaubriand et de Roye, des sires de Laval, de Tournemine, de Rieu, de Boisboissel, de Machecou, de Rosterner, de Loheac et de la Jaille.. Bataille de Neville, où David Bruce, roi d'Écosse, est Accroissement des taxes. fait prisonnier par la reine d'Angleterre. -Augmentation et altération des monnaies. Multitude de pensions assignées sur le trésor en qualité de fiefs. Aventure de Louis de Male, comte de Flandre, fils de Louis, tué à la bataille de Crécy. — Gauthier de Mauny obtient un sauf-conduit pour traverser la France et se rendre de la Guienne au camp d'Édouard qui assiégeait Calais. — Caractère du temps: la foi religieuse se fait sentir dans la foi politique; ce n'est pas la civilisation intellectuelle de l'espèce, mais la civilisation de l'individu. La politesse du haut rang fait disparaître la barbarie, et le fanatisme de l'honneur chevaleresque tient lieu de la vertu du citoyen. Philippe marche au secours de Calais, qui ressentait les horreurs de la famine. - Joie des Calaisiens lorsque, du haut de leurs remparts, ils aperçoivent l'armée de Philippe marchant la nuit en ordre de bataille au clair de la lune. — Leur douleur, quand elle s'éloigne sans les avoir pu secourir.

FRAGMENTS.

REDDITION DE CALAIS.

Les habitants de la ville abandonnée aperçurent du haut de leurs remparts la retraite du roi; ils poussèrent un cri comme des enfants délaissés par leur père : « Ils étoient en si grande douleur « et détresse que le plus fort d'entre eux se pouvoit à peine sou« tenir. » Convaincus qu'il n'y avait plus de secours à attendre, ils allèrent trouver Jean de Vienne, et le prièrent d'ouvrir des négociations avec Edouard.

Le gouverneur monte aux créneaux des murs de la ville, et fait signe aux ennemis qu'il désirait pourparler; de quoi le roi d'Angleterre étant instruit, il envoya Gauthier de Mauny et sire Basset ouïr les propositions de Jean de Vienne. Quand ils furent à portée de la voix « Chers seigneurs,» s'écria le vieux capitaine, «< vous

<< êtes moult vaillants chevaliers en fait d'armes. Vous savez que « le roi de France, que nous tenons à seigneur, nous a ici envoyés « pour garder cette ville et châtel : nous avons fait ce que nous « avons pu. Or, tout secours nous a manqué. Nous n'avons plus « de quoi vivre, il faudra que nous mourions tous de faim, si le gentil roi, votre seigneur, n'a merci de nous. Laquelle chose lui « veuillez prier en pitié, et qu'il nous laisse aller tout ainsi que

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« nous sommes. >>>

« Jean,» répondit Gauthier de Mauny, « ce n'est mie l'entente «de monseigneur le roi que vous vous en puissiez aller ainsi. Son <«< intention est que vous vous mettiez tous à sa pure volonté, pour << rançonner ceux qu'il lui plaira, ou vous faire mourir. »

Le gouverneur repartit « Gauthier, ce seroit trop dure chose « pour nous. Nous sommes céans un petit nombre de chevaliers <«<et écuyers qui loyalement avons servi le roi de France, notre « souverain sire, comme vous feriez le vôtre en pareil cas. Nous « avons enduré maint mal et mésaise, mais nous sommes résolus à souffrir ce qu'oncques gendarmes ne souffrirent, plutôt que de << consentir que le plus petit garçon de la ville eût autre mal que « le plus grand de nous. Nous vous prions donc par votre humi«lité d'aller devers le roi d'Angleterre. Nous espérons en lui tant « de gentillesse, qu'à la grâce de Dieu son propos changera. »

Les deux chevaliers anglais retournèrent vers leur maître, et lui rapportèrent les paroles du gouverneur. Édouard, irrité de la longue résistance de la place, et remémorant les avantages que les habitants de Calais avaient obtenus sur les Anglais dans les combats de mer, voulait tous les mettre à mort. Mauny, aussi généreux qu'il était brave, osa représenter au roi que, pour avoir été loyaux serviteurs envers leur prince, ces Français ne méritaient pas d'être ainsi traités; que Philippe, quand il prendrait quelque ville, pourrait user de réprésailles. « Enfin, ajouta-t-il, vous pourriez bien, «monseigneur, avoir tort; car vous nous donnez un très-mauvais « exemple.» Les barons et les chevaliers anglais qui étaient présents furent de l'opinion de Gauthier. « Eh bien! seigneurs,» s'écria Edouard, « je ne veux mie être seul contre vous tous. Sire « Gauthier, allez dire au capitaine de Calais qu'il me livre six des « plus notables bourgeois de la ville; qu'ils viennent la tête nue,

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« les pieds déchaussés, la hart au cou, les clefs de la ville et du << château dans leurs mains: je ferai d'eux à ma volonté, je pren« drai le reste à merci. »

Mauny porta cette réponse à Jean de Vienne qui était resté appuyé aux créneaux. Jean pria Mauny de l'attendre pendant qu'il allait instruire les bourgeois de la proposition d'Édouard. Il fait sonner le beffroi; hommes, femmes, enfants, vieillards, se rassemblent aux halles. Le gouverneur leur raconte ce qu'il a fait, et quelle est la dernière volonté du roi d'Angleterre.

tous les

Un silence profond règne d'abord dans l'assemblée yeux cherchent les six victimes qui doivent racheter de leur sang la vie du reste des citoyens. Bientôt les sanglots éclatent dans cette foule à moitié consumée par la faim; «lors commencèrent à plo<< rer toute manière de gens, et à mener tel deuil qu'il n'est si dur « cœur qui n'en eût pitié, et mêmement messire Jéhan (le vieux « gouverneur) en larmoyoit tendrement. » Il fallait une prompte réponse, le temps accordé s'écoulait; un homme se lève; le lecteur l'a déjà nommé : Eustache de Saint-Pierre. Sa grande fortune, la considération dont il jouissait, le rendaient notable, et lui donnaient les conditions requises pour mourir. L'histoire nous a transmis son discours, paroles saintes auxquelles on ne doit rien changer: «Seigneurs, grands et petits, grand'pitié et grand mé« chef seroit de laisser mourir un tel peuple qui cy est, par famine « ou autrement, quand on y peut trouver aucun moyen, et seroit « grand'aumône et grand'grace envers Notre Seigneur qui de tel « méchef les pourroit garder. J'ai si grande espérance d'avoir par« don de Notre Seigneur, si je meurs pour ce peuple sauver, que « veux être le premier, et mettrai volontiers en chemise à nu chef « et la hart au cou, en la merci du roi d'Angleterre. »

« Quand sire Eustache eut dit ces paroles, chacun alla l'adorer « de pitié, et plusieurs hommes et femmes se jetoient à ses pieds. << en plorant tendrement. »

La vertu est contagieuse comme le vice: à peine Eustache eut-il cessé de parler, que Jean d'Aire, qui avait deux belles demoiselles à filles, déclara qu'il ferait compagnie à son compère. Jacques et Pierre de Wissant, frères, dirent à leur tour qu'ils feraient compagnie à leurs cousins, Eustache de Saint-Pierre et Jean d'Aire; aussi

magnanimes qu'Eustache dans leur sacrifice, car s'ils n'en eurent pas la première pensée, ils se dévouaient à une mort dont lui seul devait recueillir l'honneur. En effet les noms de Jean d'Aire, de Pierre et Jacques de Wissant sont presque ignorés, et tout le monde sait celui d'Eustache de Saint-Pierre. Et c'est pour cela que parmi les six victimes, les deux seules qui n'ont pas de désignation dans nos chroniques doivent être réputées les plus illustres; tout Français doit leur tenir compte de l'oubli de l'histoire; tout Français doit rendre un tribut d'hommages à ces immortels sans noms, comme les anciens élevaient des autels aux dieux inconnus.

Les annales de Calais assurent que les deux derniers candidats pour la mort furent tirés au sort parmi plus de cent qui se proposèrent après les quatre premiers, et un écrivain conjecture que ce grand nombre de concurrents est peut-être ce qui a empêché les noms des deux derniers bourgeois de parvenir jusqu'à nous ; ils se seront perdus dans la gloire commune de ces Décius. Une autre version, sans autorité, veut qu'Édouard eût demandé huit personnes, quatre chevaliers et quatre bourgeois.

Récemment blessé, accablé par les ans, les infirmités, la douleur et la fatigue, Jean de Vienne, se pouvant à peine soutenir, monte sur une petite haquenée, et escorte les six bourgeois jusqu'aux portes de la ville. Ceux-ci marchaient en chemise, la tête et les pieds nus, la hart au cou, ainsi que l'avait exigé Édouard, et tels que les prêtres, à cette époque, s'avançaient suivis du peuple dans les calamités publiques, pour offrir un sacrifice expiatoire. Eustache et ses compagnons portaient les clefs de la ville; « cha<«< cun en tenait une poignée. Les femmes et les enfants d'iceux «tordaient leurs mains et criaient à haute voix très-amèrement. << Ainsi vinrent eux jusqu'à la porte, convoqués en plaintes, en <«< cris et pleurs : » spectacle que n'avait point vu le monde depuis le jour où Régulus sortit de Rome pour retourner à Carthage. Le gouverneur remit Eustache de Saint-Pierre, Jean d'Aire, Pierre et Jacques de Wissant et les deux inconnus entre les mains du sire de Mauny, les recommandant à sa courtoisie: «Messire Gauthier, « je vous délivre comme capitaine de Calais, par le consentement du pauvre peuple de cette ville, ces six bourgeois.... Si vous

« prie, gentil sire, que vous veuilliez prier pour eux au roi d'An« gleterre, que ces bonnes gens ne soient mis à mort. >>

« A donc fut la barrière ouverte, » et les six bourgeois furent conduits à Édouard à travers le camp ennemi. Selon Thomas de la Moore et Knighton, le gouverneur de Calais accompagna, avec une partie de la garnison, les prisonniers, et remit lui-même les clefs de la ville au roi d'Angleterre. Les comtes, les barons et les chevaliers qui environnaient le roi d'Angleterre, saisis d'admiration au récit de Gauthier de Mauny, invitaient par un murmure Édouard à égaler la générosité de ces citoyens. Le monarque demeure inflexible: «Il se tint tout coi et regarda moult fellement (cruellement) les bourgeois, car moult haïssait les habitants de Calais « pour les grands dommages et contraires qu'au temps passé sur «mer lui avaient faits. »>

Il ordonna de couper la tête aux prisonniers. « Ah! gentil sire, <«< s'écria Gauthier de Mauny, veuillez refrener votre courage !... « Si vous n'avez pitié de ces gens, toutes autres gens diront que ce sera grande cruauté, que vous fassiez mourir ces honnêtes bourgeois qui se sont mis en votre merci pour les autres sauver. » «A ce point grigna (grinça) le roi les dents et dit: Messire Gau<<thier, souffrez-vous (taisez-vous), et il ordonna de faire venir le « coupe-tête. >>

La reine d'Angleterre se trouvait alors dans le camp; elle était enceinte, et «elle pleuroit si tendrement de pitié qu'elle ne se pou« voit soutenir. Si se jeta à genoux par devant le roi son seigneur, <«<et dit : Ah! gentil sire, depuis que je repassai la mer en grand péril, je ne vous ai rien requis ni demandé. Or vous prié-je << humblement que, pour le fils de sainte Marie et pour l'amour de « moi, vous veuilliez avoir de ces six hommes merci. »>

« Le roi attendit un petit à parler, et regarda la bonne dame sa « femme qui pleurait à genoux moult tendrement. Si lui amollia « le cœur et se dit: Ah! dame, j'aimerois trop mieux que vous fussiez autre part que cy... Tenez, je vous les donne : si en faites « votre plaisir. La bonne dame dit : « Monseigneur, très-grands << mercies. >>

« Lors se leva la reine et fit lever les six bourgeois et leur ôtoit « les chevesètres (cordes) d'entour leur cou, et les emmena avec

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