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CHAPITRE XVII.

De la Liberté de la Presse.

Point de Gouvernement représentatif sans la liberté de la presse. Voici pourquoi :

Le Gouvernement représentatif s'éclaire par l'Opinion publique, et est fondé sur elle. Les Chambres ne peuvent connaître cette Opinion, si cette Opinion n'a point d'organes.

Dans un Gouvernement représentatif, il y a deux Tribunaux : celui des Chambres, où les intérêts particuliers de la Nation sont jugés; celui de la Nation elle-même, qui juge en dehors les deux Chambres.

Dans les discussions qui s'élèvent nécessairement entre le Ministère et les Chambres, comment le public connaîtra-t-il la vérité, si les journaux sont sous la censure du Ministère, c'est-à-dire sous l'influence d'une des parties intéressées ? Comment le Ministère et les Chambres connaîtront-ils l'opinion publique qui fait la volonté générale, si cette opinion ne peut librement s'expliquer?

CHAPITRE XVIII.

Que la Presse entre les mains de la Police rompt la balance constitutionnelle.

Il faut, dans une Monarchie constitutionnelle, que le pouvoir des Chambres et celui du Ministère soient en harmonie. Or, si vous livrez la presse au Ministère, vous lui donnez le moyen de faire pencher de son côté tout le poids de l'opinion publique, et de se servir de cette opinion contre les Chambres la Constitution est en péril.

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ÉTUDES HISTORIQUES, T. II.

CHAPITRE XIX.

Continuation du même sujet.

Qu'arrive-t-il lorsque les journaux sont, par le moyen de la Censure, entre les mains du ministère? Les Ministres font admirer, dans les Gazettes qui leur appartiennent, tout ce qu'ils ont dit, tout ce qu'a fait, tout ce qu'a dit leur parti intra muros et extra. Si, dans les journaux dont ils ne disposent pas entièrement, ils ne peuvent obtenir les mêmes résultats, du moins ils peuvent forcer les rédacteurs à se taire.

J'ai vu des journaux non ministériels suspendus pour avoir loué telle ou telle opinion.

J'ai vu des discours de la Chambre des Députés mutilés par la Censure sur l'épreuve de ces journaux.

J'ai vu apporter des défenses spéciales de parler de tel événement, de tel écrit qui pouvait influer sur l'opinion publique d'une manière désagréable aux Ministres 1.

J'ai vu destituer un Censeur qui avait souffert onze années de détention comme Royaliste, pour avoir laissé passer un article en faveur des Royalistes.

Enfin, comme on a senti que des ordres de la Police, envoyés par écrit aux bureaux des feuilles publiques, pouvaient avoir des inconvénients, on a tout dernièrement supprimé cet ordre, en dé

1 Cet ouvrage offrira sans doute un nouvel exemple de ces sortes d'abus. On défendra aux journaux de l'annoncer, ou on le fera déchirer par les journaux. Si quelques-uns d'entre eux osaient parler avec indépendance, ils seraient arrêtés à la poste, selon l'usage. Je vais voir revenir pour moi le bon temps des Fouché : n'a-t-on pas publié contre moi, sous la Police royale, des libelles que le duc de Rovigo avait supprimés comme trop infàmes? Je n'ai point réclamé, parce que je suis partisan sincère de la liberté de la presse, et que, dans mes principes, je ne puis le faire tant qu'il n'y a pas de Loi. Au reste, je suis accoutumé aux injures, et fort au-dessus de toutes celles qu'on pourra m'adresser. Il ne s'agit pas de moi ici, mais du fond de mon ouvrage; et c'est par cette raison que je préviens les provinces, afin qu'elles ne se laissent pas abuser. J'attaque un parti puissant, et les journaux sont exclusivement entre les mains de ce parti: la politique et la littérature continuent de se faire à la police. Je puis donc m'attendre à tout; mais je puis donc demander aussi qu'on me lise, et qu'on ne me juge pas en dernier ressort sur le rapport de journaux qui ne sont pas libres.

clarant aux journalistes qu'ils ne recevraient plus que des injonctions verbales. Par ce moyen les preuves disparaîtront, et l'on pourra mettre sur le compte des rédacteurs des gazettes tout ce qui sera l'ouvrage des injonctions ministérielles.

C'est ainsi que l'on fait naître une fausse opinion en France, qu'on abuse celle de l'Europe; c'est ainsi qu'il n'y a point de calomnies dont on n'ait essayé de flétrir la Chambre des Députés. Si l'on n'eût pas été si contradictoire et si absurde dans ces calomnies; si, après avoir appelé les Députés des aristocrates, des ultraroyalistes, des ennemis de la Charte, des jacobins blancs, on ne les avait pas ensuite traités de démocrates, d'ennemis de la Prérogative royale, de factieux, de jacobins noirs, que ne serait-on pas parvenu à faire croire?

Il est de toute impossibilité, il est contre tous les principes d'une Monarchie représentative, de livrer exclusivement la presse au Ministère, de lui laisser le droit d'en disposer selon ses intérêts, ses caprices et ses passions, de lui donner moyen de couvrir ses fautes et de corrompre la vérité. Si la presse eût été libre, ceux qui ont tant attaqué les Chambres auraient été traduits à leur tour au tribunal, et l'on aurait vu de quel côté se trouvaient l'habileté, la raison et la justice.

Soyons conséquents: ou renonçons au Gouvernement représentatif, ou ayons la liberté de la presse : il n'y a point de Constitution libre qui puisse exister avec les abus que je viens de signaler.

CHAPITRE XX.

Dangers de la liberté de la presse. Journaux. Lois fiscales.

Mais la liberté de la presse a des dangers. Qui l'ignore? Aussi cette liberté ne peut exister qu'en ayant derrière elle une loi forte, immanis lex, qui prévienne la prévarication par la ruine, la calomnie par l'infamie, les écrits séditieux par la prison, l'exil, et quelquefois par la mort : le Code a sur ce point la Loi unique. C'est aux risques et périls de l'écrivain que je demande pour lui la liberté de

la presse; mais il la faut, cette liberté, ou, encore une fois, la Constitution n'est qu'un jeu.

Quant aux journaux, qui sont l'arme la plus dangereuse, il est d'abord aisé d'en diminuer l'abus, en obligeant les propriétaires des feuilles périodiques, comme les notaires et autres agents publics, à fournir un cautionnement. Ce cautionnement répondrait des amendes, peine la plus juste et la plus facile à appliquer. Je la fixerais au capital que suppose la contribution directe de 1000 francs, que tout citoyen doit payer pour être élu membre de la Chambre des Députés. Voici ma raison :

Une gazette est une tribune de même qu'on exige du Député appelé à discuter les affaires que son intérêt, comme propriétaire, l'attache à la propriété commune, de même le journaliste qui veut s'arroger le droit de parler à la France doit être aussi un homme qui ait quelque chose à gagner à l'ordre public, et à perdre au bouleversement de la société.

Vous seriez par ce moyen débarrassé de la foule des papiers publics. Les journalistes, en petit nombre, qui pourraient fournir ce cautionnement, menacés par une Loi formidable, exposés à perdre la somme consignée, apprendraient à mesurer leurs paroles. Le danger réel disparaîtrait : l'opinion des Chambres, celle du Ministère et celle du public seraient connues dans toute leur vérité.

L'opinion publique doit être d'autant plus indépendante aujourd'hui que l'article Iv de la Charte est suspendu. En Angleterre, lorsque l'habeas corpus dort, la liberté de la presse veille : sœur de la liberté individuelle, elle défend celle-ci tandis que ses forces sont enchaînées, et l'empêche de passer du sommeil à la mort 1.

CHAPITRE XXI.

Liberté de la presse par rapport aux Ministres.

Les Ministres seront harcelés, vexés, inquiétés par la liberté de la presse; chacun leur donnera son avis. Entre les louanges, les

1 On se retranche dans la difficulté de faire une bonne Loi sur la liberté de la presse. Cette Loi est certainement difficile; mais je crois la savoir possible. J'ai làdessus des idées arrétées, dont le développement serait trop long pour cet ouvrage.

conseils et les outrages, il n'y aura pas moyen de gouverner. Des Ministres véritablement constitutionnels ne demanderont jamais que, pour leur épargner quelques désagréments, on expose la Constitution. Ils ne sacrifieront pas aux misérables intérêts de leur amour-propre la dignité de la nature humaine; ils ne transporteront point sous la Monarchie les irascibilités de l'aristocratie. «Dans l'aristocratie, dit Montesquieu, les Magistrats sont de pe<< tits souverains qui ne sont pas assez grands pour mépriser les « injures. Si dans la Monarchie quelque trait va contre le Monar<que, il est si haut, que le trait n'arrive point jusqu'à lui. Un sei«gneur aristocratique en est percé de part en part. »

Que les Ministres se persuadent bien qu'ils ne sont point des seigneurs aristocratiques. Ils sont les agents d'un Roi constitutionnel dans une Monarchie représentative. Les Ministres habiles ne craignent point la liberté de la presse : on les attaque, et ils survivent.

Sans doute les Ministres auront contre eux des journaux; mais ils auront aussi des journaux pour eux : ils seront attaqués et défendus, comme cela arrive à Londres. Le Ministère anglais se metil en peine des plaisanteries de l'Opposition et des injures du Morning-Chronicle? Que n'a-t-on point dit, que n'a-t-on point écrit contre M. Pitt? Sa puissance en souffrit-elle? Sa gloire en fut-elle éclipsée?

Que les Ministres soient des hommes de talent; qu'ils sachent mettre de leur parti le public et la majorité des Chambres, et les bons écrivains entreront dans leurs rangs, et les journaux les mieux faits et les plus répandus les soutiendront. Ils seront cent fois plus forts, car ils marcheront alors avec l'opinion générale. Quand ils ne voudront plus se tenir dans l'exception, et contrarier l'esprit des choses, ils n'auront rien à craindre de ce que l'humeur pourra leur dire. Enfin, tout n'est pas fait dans un Gouvernement pour des Ministres il faut vouloir ce qui est de la nature des institutions sous lesquelles on vit; et encore une fois, il n'y a pas de liberté constitutionnelle sans liberté de la presse.

Une dernière considération importante pour les Ministres, c'est que la liberté de la presse les dégagera d'une responsabilité facheuse envers les Gouvernements étrangers. Ils ne seront plus im

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