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CHAPITRE XXXV.

Que la Police générale, inconstitutionnelle et inutile, est de plus très-dangereuse.

Incompatible avec le Gouvernement constitutionnel, insuffisante pour arrêter les complots, lors même qu'elle ne trahit pas, que sera-ce si vous supposez la Police infidèle? et ce qu'il y a d'incroyable et de prouvé, c'est qu'elle peut être infidèle sans que son chef le soit lui-même.

Les secrets du Gouvernement sont entre les mains de la Police; elle connaît les parties faibles, et le point où l'on peut attaquer. Un ordre sorti de ses bureaux suffit pour enchaîner toutes les forces légales; elle pourrait même faire arrêter toutes les Autorités civiles et militaires, puisque l'article Iv de la Charte est légalement supendu. Sous sa protection les malveillants travaillent en sûreté, préparent leurs moyens, sont instruits du moment favorable. Tandis qu'elle endort le Gouvernement, elle peut avertir les vrais conspirateurs de tout ce qu'il est important qu'ils sachent. Elle correspond sans danger sous le sceau inviolable de son ministère; et par la multitude de ses invisibles agents, elle établit une communication depuis le cabinet du Roi jusqu'au bouge du fédéré.

Ajoutez que les hommes consacrés à la Police sont ordinairement des hommes peu estimables; quelques-uns d'entre eux, des hommes capables de tout. Que penser d'un Ministère où l'on est obligé de se servir d'un infâme tel que Perlet? Il n'est que trop probable que Perlet n'est pas le seul de son espèce. Comment donc encore une fois souffrir un tel foyer de despotisme, un tel amas de pourriture au milieu d'une Monarchie constitutionnelle? Comment, dans un pays où tout doit marcher par les Lois, établir une administration dont la nature est de les violer toutes? Comment laisser une puissance sans bornes entre les mains d'un Ministre, que ses rapports forcés avec ce qu'il y a de plus vil dans l'espèce humaine doivent disposer à profiter de la corruption, et à abuser du pouvoir !

Que faut-il pour que la Police soit habile? il faut qu'elle paie le domestique afin qu'il vende son maître; qu'elle séduise le fils afin

qu'il trahisse son père; qu'elle tende des piéges à l'amitié, à l'innocence. Si la fidélité se tait, un Ministre de la Police est obligé de la persécuter pour le silence même qu'elle s'obstine à garder, pour qu'elle n'aille pas révéler la honte des demandes qu'on lui a faites. Récompenser le crime, punir la vertu, c'est toute la Police.

Le Ministre de la Police est d'autant plus redoutable que son pouvoir entre dans les attributions de tous les autres Ministres, ou plutôt qu'il est le Ministre unique. N'est-ce pas un Roi qu'un homme qui dispose de la gendarmerie de la France; qui lève des impôts, perçoit une somme de sept à huit millions, dont il ne rend pas compte aux Chambres? Ainsi tout ce qui échappe aux piéges de la Police vient tomber devant son or et se soumettre à ses pensions. Si elle médite quelque trahison, si tous ses moyens ne sont pas encore prêts, si elle craint d'être découverte avant l'heure marquée, pour détourner le soupçon, pour donner une preuve de son affreuse fidélité, elle invente une conspiration, immole à son crédit quelques misérables, sous les pas desquels elle sait ouvrir un abîme.

Les Athéniens attaquèrent les Nobles de Corcyre, qui, chassés par la faction populaire, s'étaient réfugiés sur le mont Istoni. Les bannis capitulèrent, et convinrent de s'abandonner au jugement du peuple d'Athènes; mais il fut convenu que si l'un d'eux cherchait à s'échapper, le Traité serait annulé pour tous. Ses généraux athéniens devaient partir pour la Sicile; ils ne se souciaient pas que d'autres eussent l'honneur de conduire à Athènes leurs malheureux prisonniers. De concert avec la faction populaire, ils engagèrent secrètement quelques Nobles à prendre la fuite, et les arrêtèrent au moment même où ils montaient sur un vaisseau. La convention fut rompue; les bannis livrés aux Corcyréens, et égorgés 1.

1 THUCYD.

ETUDES HISTORIQUES, T. II.

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CHAPITRE XXXVI.

Moyen de diminuer le danger de la Police générale, si elle est conservée.

Mais il ne faut donc pas de Police? Si c'est un mal nécessaire, il y a un moyen de diminuer le danger de ce mal.

La Police générale doit être remise aux Magistrats, et émaner immédiatement de la Loi. Le Ministre de la Justice, les Procureurs-généraux et les Procureurs du Roi sont les agents naturels. de la Police générale. Un lieutenant de Police à Paris complétera le système légal. Les renseignements qui surviendront par les Préfets iront directement au Ministre de l'Intérieur, qui les communiquera à celui de la Justice. Les Préfets ne seront plus obligés d'entretenir une double correspondance avec le département de la Police et le département de l'Intérieur : s'ils ne rapportent pas les mêmes faits aux deux Ministres, c'est du temps perdu; s'ils mandent des choses différentes, ou s'ils présentent ces choses sous divers points de vue, selon les principes divers des deux Ministres, c'est un grand mal.

C'est assez parler du Ministère de la Police en particulier : revenons au Ministère en général.

CHAPITRE XXXVII.

Principes que tout Ministre constitutionnel doit adopter.

Quels sont les principes généraux d'après lesquels doivent agir les Ministres?

Le premier, et le plus nécessaire de tous, c'est d'adopter franchement l'ordre politique dans lequel on est placé, de n'en point contrarier la marche, d'en supporter les inconvénients.

Ainsi, par exemple, si les formes constitutionnelles bligent, dans certains détails, à de certaines longueurs, il ne faut point s'impatienter.

Si l'on est obligé de ménager les Chambres, de leur parler avec

égard, de se rendre à leurs invitations, il ne faut pas affecter une hauteur déplacée.

Si l'on dit quelque chose de dur à un Ministre à la tribune, il ne faut pas jeter tout là, et s'imaginer que l'État est en danger.

Si, dans un discours, il est échappé à un Pair, à un Député, des expressions étranges, s'il a énoncé des principes inconstitutionnels, il ne faut pas croire qu'il y ait une conspiration secrète contre la Charte, que tout va se perdre, que tout est perdu. Ce sont les inconvénients de la tribune, ils sont sans remède. Lorsque six à sept cents hommes ont le droit de parler, que tout un peuple a celui d'écrire, il faut se résigner à entendre et à lire bien des sottises. Se facher contre tout cela serait d'une pauvre tête ou d'un enfant.

CHAPITRE XXXVIII.

Continuation du même sujet.

Le Ministère, accoutumé à voir nos dernières Constitutions marcher toujours avec l'impiété, et s'appuyer sur les doctrines les plus funestes, a cru, mal à propos, qu'on en voulait à la Charte, lorsqu'en parlant de cette Charte on a aussi parlé de morale et de religion. Comme si la Liberté et la Religion étaient incompatibles! Comme si toute idée généreuse en politique ne pouvait pas s'allier avec le respect que l'on doit aux principes de la justice et de la vérité! Est-ce donc se jeter dans les réactions que de blâmer ce qui est blåmable, que de vouloir réparer tout ce qui n'est pas irréparable?

Prenons bien garde à ce qu'on appelle des réactions; distinguons-en de deux sortes. Il y a des réactions physiques et des réactions morales. Toute réaction physique, c'est-à-dire toute voie de fait, doit être réprimée : le Ministère, sur ce point, ne sera jamais assez sévère. Mais comment pourrait-il prévenir les réactions morales? Comment empêcherait-il l'opinion de flétrir toute action qui mérite de l'être? Non-seulement il ne le peut pas, mais il ne le doit pas; et les discours qui attaquent les mauvaises doctrines rétablissent les droits de la justice, louent la vertu malheureuse, applau

dissent à la fidélité méconnue, sont aussi utiles à la Liberté qu'au rétablissement de la Monarchie.

Et à qui prétend-on persuader, d'ailleurs, que les hommes de la Révolution sont plus favorables à la Charte que les Royalistes? Ces hommes, qui ont professé les plus fiers sentiments de la liberté sous la République, la soumission la plus abjecte sous le despotisme, ne trouvent-ils pas dans la Charte deux choses qui sont antipathiques à leur double opinion: un Roi, comme Républicains; une Constitution libre, comme esclaves?

Le Ministère croit-il encore la Charte plus en sûreté quand elle est défendue par les disciples d'une école dont je parlerai bientôt? Cette École professe hautement la doctrine que les deux Chambres ne doivent être qu'un Conseil passif; qu'il n'y a point de représentation nationale; qu'on peut tout faire avec des Ordonnances. Les Royalistes ont défendu les vrais principes de la Liberté dans les questions diverses qui se sont présentées (notamment dans la Loi sur les Élections), tandis que la doctrine de la passive obéissance a été prêchée par les hommes qui ont bouleversé la France au nom de la Liberté.

Si des Ministres pensent donc que sous l'empire d'une Constitution où la parole est libre, ils n'entendront pas des opinions de toutes les sortes; s'ils prennent ces opinions solitaires pour des indications d'une opinion générale ou d'un dessein prémédité, ils n'ont aucune idée de la nature du Gouvernement représentatif : ils seront conduits à d'étranges folies, en agissant d'après leur humeur et leurs suppositions. La règle, dans ce cas, est de peser les résultats et les faits. Un homme d'État ne considère que la fin; il ne s'embarrasse pas si la chose qu'il désirerait, et qui était bonne, a été produite par les passions ou par la raison, par le calcul ou par le hasard. Si vous sortez des faits en politique, vous vous perdez sans retour.

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