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CHAPITRE XXXIX.

Que le Ministère doit conduire ou suivre la majorité.

Les Ministres doivent, en administration, suivre l'opinion publique qui leur est marquée par l'esprit de la Chambre des Députés. Cet esprit peut très-bien n'être pas le leur; ils pourraient très-bien préférer un système qui serait plus dans leurs goûts, leurs penchants, leurs habitudes; mais il faut qu'ils changent l'esprit de la majorité, ou qu'ils s'y soumettent. On ne gouverne point hors de la majorité.

Je dirai ailleurs comment on est arrivé à cette hérésie politique, que le Ministère peut marcher avec la minorité; cette hérésie fut inventée en désespoir de cause, pour justifier de faux systèmes et des opinions imprudemment avancées.

Si l'on dit que des Ministres peuvent toujours demeurer en place malgré la majorité, parce que cette majorité ne peut pas physiquement les prendre par le manteau et les mettre dehors, cela est vrai. Mais si c'est garder sa place que de recevoir tous les jours des humiliations, que de s'entendre dire les choses les plus désagréables, que de n'être jamais sûr qu'une Loi passera, tout ce que je sais alors, c'est que le Ministre reste, et que le Gouvernement s'en va.

Point de milieu dans une Constitution de la nature de la nôtre : il faut que le Ministère mène la majorité ou qu'il la suive. S'il ne peut ou ne veut prendre ni l'un ni l'autre de ces partis, il faut qu'il chasse la Chambre ou qu'il s'en aille: mais aujourd'hui c'est à lui de voir s'il se sent le courage d'exposer, même éventuellement, sa Patrie pour garder sa place; c'est à lui de calculer en outre s'il est de force à frapper un coup d'État; s'il n'a rien à craindre aux Élections pour la tranquillité du pays; s'il a le pouvoir de déterminer ces Élections dans le sens qu'il désire; ou si, n'étant pas sûr du triomphe, il ne vaut pas mieux ou se retirer, ou revenir aux opinions de la majorité.

Dans ce dernier cas, se décider promptement est chose nécessaire; car il n'est pas clair qu'une majorité trop longtemps aigrie et contrariée consentît à marcher avec le Ministère, quand il plairait à celui-ci de rentrer dans la majorité.

CHAPITRE XL.

Que les Ministres doivent toujours aller aux Chambres.

Autre hérésie un Ministre, dit-on, n'est pas obligé de suivre aux Chambres ses projets de Loi; il peut très-bien se dispenser d'y venir.

C'est le même principe qui fait dire aussi qu'un Ministre n'est point obligé de donner les éclaircissements que les Chambres pourraient désirer; qu'il ne doit compte de rien qu'au Roi, etc. 1.

Tout cela est insoutenable et contraire à la nature du Gouvernement représentatif. Si un Ministre ne daigne pas défendre le projet de Loi qu'il a apporté, comment ses amis le défendront-ils? Est-ce avec du dédain et de l'humeur que l'on traite les affaires? Pourquoi est-on Ministre, si ce n'est pour remplir les devoirs d'un Ministre ?

Et qu'ont donc les Ministres de plus important à faire que de paraître aux Chambres et d'y discuter les Lois? Quoi ! ils trouveront plus utile de traiter dans leur cabinet quelques détails d'administration que de veiller aux grandes mesures qui doivent mettre en mouvement tout un peuple?

Si les Chambres à leur tour allaient suivre la même méthode, et ne vouloir pas s'occuper des projets de Loi qu'on leur aurait apportés, que deviendrait le Gouvernement?

Suivez la dictée du bon sens et les routes battues; revenez à la majorité; vous n'aurez plus de répugnance à vous rendre à des Assemblées cù vous serez toujours sûrs de triompher, où vous n'aurez à recueillir que des choses agréables.

Les faux systèmes gâtent et perdent tout

Voyez le chapitre xv.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER.

Que depuis la Restauration une même erreur a été suivie par les trois Ministres.

Mais qu'entends-je par de faux systèmes en administration? j'entends tout ce qui est contraire au principe des institutions établies, tout ce qui fait qu'une chose doit inévitablement se détruire.

Hé bien! depuis la Restauration, une grande et fatale erreur a été constamment suivie les Ministères qui se sont succédé ont marché sur les mêmes traces, avec les seules différences que les caractères particuliers des Ministres apportent dans les affaires publiques, et avec les lenteurs plus ou moins grandes produites par la résistance courageuse de la minorité dans les Ministères.

Avant de passer à l'examen de ces systèmes, il est nécessaire de dire quelque chose de la composition et de l'esprit des trois Ministères par qui ces systèmes ont été si malheureusement établis.

CHAPITRE II.

Du premier Ministère. Son esprit.

Lorsqu'en 1814 le Ministre des affaires étrangères fut parti pour Vienne, il laissa derrière lui une administration polie, spirituelle, mais incapable de travail, portant dans les affaires, pour lesquelles elle n'était point faite, cette humeur que nous ressentons lorsque notre secret se découvre, et que notre réputation nous échappe. Quand on en est venu à ce point, on est bien près de se préci

piter dans les faux systèmes. Effrayé de l'habileté que demande la direction d'un Gouvernement représentatif, incapable de concevoir une vraie liberté, aigri contre une sorte d'opposition que les principes constitutionnels font naître à chaque pas, manquant de force ou d'adresse pour conduire les choses, et se sentant entraîné par elles, on finit par ne vouloir plus les gouverner. Alors on s'en prend à tout ce qui n'est pas soi, à la nature des institutions, aux corps, aux individus, du mécompte qu'on éprouve; et, croyant faire une excellente critique de ce que l'on a, lorsqu'on ne fait que montrer sa faiblesse, on laisse périr la France au nom de la Charte.

C'est ce qui arriva au premier Ministère. Il ne demanda aucune Loi répressive, hors la mauvaise Loi contre la liberté de la presse; il ne songca à se garantir d'aucun danger, et lorsqu'on lui disait de prendre telle ou telle mesure, il répondait : La Charte s'y oppose. Le Ministère se divisa et s'affaiblit encore par cette division.

On vit éclore dans la majorité du Ministère cette opinion développée depuis dans l'école, que les Chambres ne sont qu'un Conseil assemblé par le Roi, qu'il n'y a point de Gouvernement représentatif, que toutes ces comparaisons de la France et de l'Angleterre sont ridicules, qu'on peut très-bien se passer de Lois, et gouverner avec des Ordonnances.

Les Buonapartistes s'arrangèrent parfaitement de ce commentaire de la Charte: il était au moins impolitique, par conséquent il pouvait amener une catastrophe, et ils ne demandaient pas mieux. Si cette application des principes constitutionnels ne produisait pas une crise, elle conduisait au despotisme; et malgré leur premier amour pour la Liberté, le despotisme est fort du goût de nos fiers Républicains. Ainsi tout était à merveille.

Quand on a assez de lumières pour s'apercevoir qu'on se trompe, et trop de vanité pour en convenir, au lieu de retourner en arrière, on s'enfonce dans ses propres erreurs. C'est la marche et la consolation de l'orgueil. L'esprit du Ministère s'exaspéra. Lorsqu'on allait se plaindre d'un mauvais choix, ou proposer un Royaliste, on répondait : «Nous irions chercher partout un Buonapartiste habile « pour le placer, s'il voulait l'être. » Les Buonapartistes n'ont pas manqué, et Buonaparte est revenu. Peu à peu il fut reconnu

qu'aucun homme n'avait de talent s'il n'avait servi la Révolution; et cette doctrine, transmise soigneusement de Ministère en Ministère, est devenue aujourd'hui un article de foi.

Et pourtant la majorité du Ministère qui fonda cette doctrine comptait parmi ses membres d'excellents Royalistes connus par leurs généreux efforts contre la Révolution, des hommes d'une conduite pure, d'un caractère désintéressé, et qui n'avaient fléchi le genou devant aucune idole. Ainsi la sentence qu'ils avaient portée retombait sur eux : car s'étant tenus noblement à l'écart dans les temps de bassesse, ils se déclaraient par leur propre système incapables d'être Ministres : il est vrai que leur exemple a justifié leur doctrine.

Au reste, rien n'est plus commun que de voir la vanité blessée embrasser, contre son propre intérêt, les plus étranges opinions. Quiconque aujourd'hui, par exemple, fait une faute, passe aussitôt dans le système révolutionnaire. Les amours-propres humiliés se donnent rendez-vous sous ce grand abri de tous les crimes et de toutes les folies: là se rencontrent la plupart des hommes qui se sont mêlés plus ou moins des affaires de France depuis 1789 jusqu'à 1816. Différents sans doute par une foule de rapports, ils se touchent du moins dans ce point: mécontents d'eux-mêmes et des autres, ils mettent en commun les remords de la médiocrité et ceux du crime.

CHAPITRE III.

Actes du premier Ministère.

Ce Ministère était pourtant trop spirituel pour prétendre marcher sans la majorité : il l'eut, et n'en profita pas. Une seule Loi importante, la Loi sur la liberté de la presse, fut proposée. On ne donna que des motifs puérils pour engager les Chambres à la supprimer; il ne fut question que de l'honneur des femmes, des insultes au Pouvoir (c'est-à-dire aux Ministres); mais des raisons générales et constitutionnelles, point. Étaient-ce en effet des raisons dignes seulement d'être examinées pour ceux qui ne

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