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tres il y aurait ici matière au langage de Bossuet devant les autels, et je sens mon insuffisance.

Raymond de Scze naquit à Bordeaux, le 26 septembre 1748. Il était fils de Jean de Seze, avocat au parlement, et de Marthe du Bergier, épouse de Jean. La famille de M. de Seze était originaire de Saint-Émilion lorsque Louis XIII traversa cette ville en 1621, ce fut Antoine de Seze, quatrième aïeul du Pair de France, qui eut l'honneur de haranguer le fils de Henri IV.

Raymond de Seze était le quatrième de neuf garçons, qui tous ont été distingués dans leurs carrières. En 1775, le maréchal de Mouchy, étant venu prendre possession de son gouvernement, choisit Raymond pour présenter au Parlement de Bordeaux les lettres que ce Parlement devait enregistrer.

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M. de Seze, jeune encore, fut attiré à Paris par l'amour des lettres il y contracta des amitiés brillantes; les orateurs qui se distinguaient alors au barreau cherchèrent à retenir auprès d'eux le jeune étranger. Retourné à ses foyers paternels, M. de Seze écrivit, en 1778, au célèbre Gerbier, une lettre où l'on remarque ce passage:

« Je n'ignore point, Monsieur, les divers malheurs que vous «< avez éprouvés, et j'ai pris à chacun d'eux la part la plus vive. « Vous avez perdu une femme qui vous était chère. La haine de « quelques ennemis vous a poursuivi; ne pouvant flétrir votre « gloire, elle a tenté d'empoisonner au moins votre repos; elle a « surpris même la justice pour l'associer à sa vengeance, et peu << s'en est fallu que vous n'en soyez enfin devenu victime. J'ai su << tout cela, Monsieur. et j'en ai gémi pour notre misérable hu«manité. Trente années de la plus illustre carrière ne mettent « donc pas toujours à couvert de la calomnie! Un citoyen qui a «< vécu glorieux n'est donc pas sûr de mourir tranquille !

<< C'est cet exemple effrayant qui, malgré le désir si flatteur << pour moi que vous m'aviez montré de me voir fixé à Paris, m'a « fortifié dans le dessein où j'étais de continuer à vivre dans ma « patrie. C'est vous qui m'avez garanti de vous vous m'avez «< appris que sur un grand théâtre on n'éprouvait que de grands « orages n'ayant pas vos ressources pour les surmonter, j'ai eu « la sagesse de vouloir m'en mettre à l'abri. J'aime mieux être

<< utile avec moins d'éclat, mais aussi avec moins de danger. >> Ne croit-on pas voir, Messieurs, l'auteur de cette lettre, par un pressentiment extraordinaire de sa destinée, se débattre contre les dangers et la gloire qui devaient l'atteindre?

Gerbier répond à M. de Seze, 11 janvier 1778: « Vous aug<< mentez mes regrets par les marques d'estime et d'amitié que « vous me donnez. Pourquoi renoncer à un aussi beau théâtre << avec tant de talent ?..... Je n'approuve point que vous ayez peur << d'avoir mon sort. Il existera toujours des envieux et des fous, <«< mais nous ne verrons pas une seconde révolution de longtemps de « l'espèce de la dernière, et c'est bien assez pour chaque siècle d'a« voir un Linguet..... Je n'aspire plus qu'à trouver, dans une en«<tière retraite, le repos que je crois avoir mérité. Vous, Monsieur, « qui ne faites que commencer votre carrière, vous devez la voir << avec d'autres yeux... Je puis encore vous y aider; j'ai même, <«< dans ce moment, une très-belle et très-grande cause qui devait « être ma dernière, et que je tâcherai de vous procurer. »

M. de Seze était destiné à voir une révolution tout autre que les petites agitations au palais de justice; le siècle ne s'est pas trouvé épuisé par l'enfantement d'un Linguet, et cette très-belle et trèsgrande cause que Gerbier voulait remettre à M. de Seze n'était celle que le ciel réservait au jeune orateur.

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Revenu à Paris malgré ses résolutions, M. de Seze voulut savoir à quoi s'en tenir sur le talent qu'on lui supposait; il rassembla ses plaidoiries et les envoya à Target. Target, consulté, lui répondit le 17 mars 1784:

<< J'ai lu plusieurs des Mémoires dont vous avez bien voulu me « gratifier, et j'y ai trouvé tout ce qu'il faut pour vous tranquil<< liser sur l'événement..... La place que je laisserai ne sera pas bien grande..... Si, néanmoins, quand je ne plaiderai plus, je pouvais « croire qu'il y eût encore des causes à ma disposition, vous ne « devez pas douter de l'usage que je ferais pour vous d'une partie « de mon pouvoir. »

Target avait raison: la place qu'il a laissée n'est pas bien grande, parce qu'il n'a pas voulu qu'elle le fût davantage. Dès 1784, il se sentait disposé à abandonner à son courageux collègue les causes qu'il renonçait à plaider.

Le début de M. de Seze au barreau de Paris fut marqué par un succès. Un écrivain du temps en rend compte de cette manière :

<< Me de Seze est un avocat du barreau de Bordeaux; il a débuté « au Châtelet dans une cause de partage très-ingrate, qui n'avait « d'intéressant que le nom d'Helvétius, dont il a défendu la fille, << madame la comtesse d'Andlau, et il l'a fait avec un éclat sans « exemple..... Pendant cinq quarts d'heure qu'il a parlé, les juges << ne l'ont pas perdu de vue un seul instant, et il a été applaudi à << la fin pendant plusieurs minutes. >>

C'est une chose intéressante, Messieurs, que le récit des triomphes obscurs d'un homme qui devait remporter des défaites égales aux victoires les plus éclatantes.

Ils vinrent trop tôt les orages dont chacun de vous, nobles Pairs, a plus ou moins été la victime : nous sommes dans cette Chambre comme une troupe de naufragés que la légitimité a sauvés de l'abîme; assis au rivage sur les lis du drapeau blanc, nous pouvons nous raconter nos aventures et signaler à nos fils les écueils où notre vaisseau est venu se briser.

Quatre ou cinq grandes révolutions intellectuelles composent jusqu'à présent l'histoire du genre humain. Nous étions destinés, Messieurs, à assister à l'une de ces révolutions. Beaucoup d'entre nous sont nés à l'époque où le travail lent et graduel des siècles s'est manifesté. Le passé a lutté contre l'avenir; les intérêts divers, en se combattant, ont multiplié les ruines; le passé a succombé. Il n'est au pouvoir de personne de relever ce qui gît maintenant dans la poudre. Si la liberté avait pu périr en France, elle eût été ensevelie dans l'anarchie démocratique ou dans le despotisme militaire. Mais le temps ne se laisse enchaîner ni aux échafauds ni aux chars de triomphe; il ne s'assied point aux spectacles du crime; il ne s'arrête pas davantage pour admirer la gloire : il s'en sert, et passe outre.

Nous sommes revenus, en 1814, aux doctrines de 1789 : nous aurions pu nous épargner le luxe de nos malheurs. M. de Seze était destiné à fixer, au milieu de ces malheurs, les regards de la postérité. Dès les premiers mouvements révolutionnaires, appelé à la défense des victimes, il sauva M. de Besenval: il était difficile alors d'empêcher un innocent de mourir.

M. de Seze, après la dissolution du Parlement de Paris, s'ensevelit dans la retraite : il y fut trahi par sa renommée.

Louis XVI, mis en accusation, avait indiqué MM. Tronchet et Target pour ses défenseurs.

M. Target n'ayant pas accepté, M. de Malesherbes s'offrit et fut agréé par Sa Majesté. Le vénérable ministre proposa au roi de lui adjoindre M. de Seze.

Il était plus de minuit lorsqu'on se présenta chez ce dernier : on l'éveille; il se met à une croisée sur la rue; il reconnaît la personne qui demandait à lui parler. Cette personne, introduite, lui fait sa proposition.

Voici en propres termes la réponse de M. de Seze.

« Avant de me coucher, j'ai lu dans le Journal du soir un arrêté « du conseil général, qui porte que les défenseurs du Roi, une fois « entrés au Temple, n'en sortiront plus qu'avec Sa Majesté.

« Je regarde cet arrêté comme un acte de proscription contre les dé« fenseurs du Roi, et je m'y voue de tout mon cœur. »

L'arrêté du conseil général de la commune ne fut point mis à exécution. Les défenseurs eurent la permission de sortir du Temple: ils s'y renfermaient deux fois le jour avec le Roi.

Ce ne fut que le 17 décembre que les commissaires de la Convention remirent aux conseils de la victime les volumineux papiers du procès dès le 26 il fallut présenter la défense.

Le discours de M. de Seze produisit le plus grand effet: on en rendit compte dans tous les journaux du temps. Voici comment s'exprime le Patriote français du 27 décembre 1792:

« L'exorde de Seze a répondu à la grandeur de la cause et à la « célébrité de ses talents. Il a parlé de l'impartialité de ses juges << avec confiance, de la situation de son client avec sensibilité; il « a intéressé en faveur de son infortune avant de prouver son in

"nocence.

<< Il a établi ensuite, comme principe général de défense, l'in<< violabilité constitutionnelle. La Constitution à la main, il a avancé <«< que la plus grande peine que Louis ait pu encourir était la dé«<chéance, puisque le plus grand crime qui y est prévu, la révolte à << main armée contre la nation, n'y est soumis qu'à cette peine. Ou « les délits dont Louis est prévenu, a dit l'orateur, sont prévus par

« la loi, ou ils ne le sont pas. S'ils ne le sont pas, vous ne pouvez « pas le punir, pas même le juger; s'ils le sont, la peine l'est aussi : «c'est la déchéance. L'orateur a ajouté que l'abolition de la royauté <<ne changeait rien au sort de l'accusé, et ne pouvait faire créer << une peine qui n'existait pas dans la loi. Vous avez certainement «toute la puissance nationale, a-t-il dit à la Convention; mais la << puissance que vous n'avez pas, c'est celle de n'être pas justes. A <«< ceux qui ont dit que Louis devait être puni parce qu'il était roi, «Seze a répondu que si c'était là un crime, c'était celui de la na«tion, qui aurait dit à Louis: Je t'offre la royauté, et je te punirai « de l'avoir acceptée. »

Il faut se souvenir, Messieurs, que ces gazettes étaient écrites en présence du bourreau; que ce censeur, qui coupait des têtes au lieu de mutiler des articles, ne pouvait cependant enchaîner la liberté de la presse : liberté toujours vantée, toujours invoquée au moment du péril; toujours calomniée, toujours repoussée, quand elle ne fait plus trembler que des vanités.

<< Citoyens, s'écria M. de Seze, je vous parlerai avec la franchise « d'un homme libre: je cherche parmi vous des juges, et je n'y << vois que des accusateurs!

« Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et c'est vous« mêmes qui l'accusez !

<< Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vous avez déjà « émis votre vœu ! »

Ce beau mouvement de l'orateur couvrit la Convention de confusion : le crime rougit, et Louis XVI, présent à la barre, reconnut un moment ses sujets.

Nous avons tous, Messieurs, entendu M. de Seze nous redire les scènes du Temple; il en perpétuait la tradition au milieu des générations nouvelles; il n'en avait rien oublié : son cœur était venu au secours de sa mémoire. Ses yeux s'animaient à son récit; pour ne pas frémir de ses périls passés, on était obligé de se souvenir qu'il les racontait à l'abri de sa gloire.

L'abbé Morellet a inséré dans ses Mémoires une conversation de M. Devaines et de M. de Malesherbes. On y trouve des détails sur Louis XVI et sur son défenseur :

« Dès que j'eus, me dit M. de Malesherbes (c'est M. Devaines

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