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Bien que, cette année, il n'y eût pas lieu à un rapport tel que ceux que cette commission a le devoir de faire, elle a voulu cependant donner à de jeunes savants qui sont l'objet de toute sa sollicitude un nouveau témoignage de son intérêt, en présentant à l'Académie une communication, qui n'indique pas encore un jugement, sur les deux mémoires envoyés tout récemment par des membres de l'Ecole.

L'un est de M. Charles Blondel. C'est un recueil d'inscriptions inédites relevées en Attique et en Béotie, comprenant les pièces justificatives trèsnettement transcrites d'un Mémoire qui, suivant les indications et les promesses de l'auteur, sera véritablement important. Quoique la seconde partie de ce Mémoire constitue la clef de l'œuvre, on peut dès à présent féliciter M. Blondel de la persévérance avec laquelle il à su réunir tant de textes inédits. C'est à lui maintenant à en faire promptement ressortir la valeur et l'utilité, en leur assignant un rang chronologique, en les traduisant avec précision, et en recherchant toutes les données historiques et philologiques qu'ils peuvent fournir.

M. Blondel, tout en s'acquittant de cette tâche, n'oubliera pas qu'il lui reste aussi à terminer son Mémoire sur le culte de Déméter, dont il n'a encore donné que les préliminaires. C'est un sujet proposé par l'Académie, un sujet auquel se rattachent directement les monuments de la sculpture et de la peinture céramographique appartenant aux plus belles époques de l'art; l'auteur voudra certainement achever, avant de quitter le sol de l'Attique, son œuvre relative à la grande divinité d'Eleusis.

Le second Mémoire est dû à M. Albert Dumont, qui termine à Athènes sa troisième année d'études. C'est la continuation de son recueil des inscriptions relevées sur les anses d'amphores de la Grèce et de l'Asie Mineure. Cette collection se compose d'environ quatre mille textes, bien courts à la vérité; mais qui, comme les légendes des monnaies, comme les inscriptions imprimées sur les poids, acquièrent par leur rapprochement, par l'ordre qui leur est donné, par l'examen critique des formes orthographiques qu'on y observe, une incontestable utilité pour la philologie, pour l'archéologie, pour l'histoire du commerce des anciens peuples. On sait tout le parti que Stoddart a déjà pu tirer d'une collection analogue beaucoup moins étendue.

D'autres travaux, de curieux documents venus d'Athènes, et apportés, sous forme de communications, à vos séances, par divers membres de l'Académie, ont témoigné du zèle et des aptitudes variées des jeunes professeurs; en particulier de M. Albert Dumont, qui s'occupe avec fruit de paléographie et de numismatique.

Ainsi, nous devons l'espérer, l'événement malheureux qui vient d'affliger l'Ecole, la mort de son regretté directeur, n'a point ralenti ces études spéciales auxquelles chaque année nous attachons plus de prix, parce que nous sommes en mesure d'en apprécier davantage l'efficacité opportune. Le successeur de M. Daveluy, héritier d'un nom cher aux lettres savantes et à notre compagnie, en faisant reprendre les travaux qu'il avait si bien commencés lorsqu'il résidait à Athènes, imprimera à l'Ecole dont la direction vient de lui être confiée une activité nouvelle, grâce à laquelle elle continuera de justifier la confiance et les sympathies de l'Etat qui ne lui sont pas moins assurées que le bienveillant patronage de l'Académie.

L'Orient hellénique n'a pas toutefois absorbé notre attention d'une manière exclusive.

Depuis longtemps déjà les progrès de l'archéologie et de la paléographie orientales réclamaient et autorisaient tout à la fois la création d'un grand recueil des inscriptions sémitiques, c'est-à-dire conçues dans ces

i diomes de l'antique Asie qui s'écrivent à l'aide de tous les alphabets dont le caractère phénicien paraît être le type principal.

L'Académie, accueillant, après mûre délibération, la proposition de quelques-uns de ses membres, a décidé qu'elle entreprenait la collection aussi complète que possible des inscriptions phéniciennes, puniques, juives, araméennes, palmyréniennes, nabatéennes, syriaques et arabes primitives, himyarites, éthiopiennes, etc.

Ces textes, reproduits avec la fidélité paléographique que comportent les procédés dont la science actuelle est en possession, seront traduits et accompagnés de commentaires brefs, mais substantiels. Il serait superflu de dire longuement tous les genres d'utilité qu'un pareil ouvrage doit offrir, le temps qu'il épargnera aux travailleurs sédentaires même les mieux informés, le secours qu'il prêtera aux voyageurs. Par sa domination dans une partie de l'Afrique, par ses relations littéraires avec l'Orient, de jour en jour plus actives, par l'abondance des monuments que ses musées doivent au dévouement de nos compatriotes, la France semble désignée pour donner un tel recueil au monde savant; et l'Académie, qui se fait gloire d'avoir compté parmi ses membres le fondateur de la paléographie orientale, l'abbé BARTHELEMY, a pensé que la rédaction du Corpus inscriptionum semiticarum pouvait être naturellement classée au nombre de ses devoirs traditionnels.

Cependant la mention de cette entreprise, accueillie par vous avec tant de faveur, réveille nécessairement dans vos esprits de bien amers souvenirs.

Il semblerait que la mort ait voulu nous infliger une cruelle leçon, et nous forcer de reconnaître qu'il n'est point d'œuvre humaine, tant honnête soit-elle, qui ne puisse être taxée de témérité.

A peine, en effet, l'Académie avait-elle discuté les bases de ce grand travail qui réclame le concours des plus habiles orientalistes, qu'elle perdait M. MUNK et M. REINAUD, dont la fin soudaine et imprévue la prive de lumières sur lesquelles elle avait compté.

Plus tard, son deuil était renouvelé par la mort d'un de ses associés étrangers. M. EDOUARD GERHARD, de Berlin, que ses belles publications, consacrées à l'interprétation des monuments de l'antiquité classique, avaient placé à la tête des plus éminents archéologues de notre temps, s'est éteint après de longues souffrances supportées avec un courage inaltérable.

Je devais payer ici un juste tribut de regrets à la mémoire de nos honorés confrères; mais je ne voudrais pas quitter la parole en vous laissant sous la douloureuse impression que font naître nos malheurs.

Permettez-moi donc, Messieurs, de vous rappeler, en terminant, un anniversaire qui ne peut que vous inspirer de douces pensées.

Le 22 août 1847, il y a cinquante ans de cela, l'Académie ajoutait à la liste de ses membres, où figuraient tant de noms illustres, celui d'un jeune savant dont elle avait deux fois couronné les écrits. Ce savant, maintenant notre vénéré doyen, nous donne, avec une force qui défie l'âge, l'exemple de l'assiduité et de l'attachement aux plus nobles études. Les conseils de sa profonde expérience et de son goût épuré, fréquemment invoqués dans nos délibérations, ne nous font jamais défaut.

Ses utiles travaux, ses longs services, l'austère et simple dignité de son caractère, lui confèrent d'incontestables droits à nos respectueux hommages; mais, toutefois, je ne crois pas me tromper en disant qu'à cette expression un peu solennelle de nos sentiments, la jeunesse charmante de son esprit préfère encore l'assurance de notre cordiale affection. >>

En exécution de l'arrêté de M. le ministre de l'Instruction publique rendu en 1833, et statuant que les noms des élèves de l'Ecole des chartes qui, à la fin de leurs études, ont obtenu des brevets d'archivistepaléographe, devront être proclamés dans la séance publique de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres qui suivra leur promotion, M. LE PRÉSIDENT déclare que les élèves de l'Ecole impériale des chartes qui ont été nommés archivistes-paléographes par arrêté du 3 février 1866, rendu en vertu de la liste dressée par le Conseil de perfectionnement de cette Ecole,

sont :

MM. Courajod (Louis-Charles-Léon).

Molard (François-Joseph-Marie-Aimé).
Fagniez (Gustave-Charles).

Maupas (François-Emile).
Soury (Jules-Emile).

Lespinasse (Louis-René Leblanc de).

M. le SECRÉTAire perpétuel donne ensuite lecture de sa Notice historique sur la vie et les travaux de CHARLES-BENOÎT HASE, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

MESSIEURS,

« Deux hommes, deux étrangers, accueillis par notre hospitalière patrie en des conjonctures plus différentes encore que leur tour d'esprit ou de caractère, ont rendu à l'érudition française, depuis le commencement de ce siècle, des services également éminents dans deux de ses branches principales. L'un fut le grand archéologue E. Q. VISCONTI, qui vint en France comme l'une des dépouilles opimes de la campagne de 1797, pour y donner, sous les auspices du vainqueur de l'Italie, par sa profonde connaissance des monuments de l'art et la sûreté de sa critique, une nouvelle impulsion à l'étude de l'antiquité figurée. L'autre fut le jeune philologue qui s'ignorait encore lui-même, à cette époque, au fond de I'Allemagne, mais que fascinait, dans ses rêves d'étudiant, à travers les souvenirs de la Grèce et de Rome, l'image fantastique de la France régénérée par la liberté et par la gloire. L'instinct qui le poussait parmi nous ne le trompait point, d'ailleurs; il était destiné à y relever, à y agrandir un jour, pour sa part, l'étude de l'antiquité écrite, si déchue au siècle dernier. C'est de lui que j'ai dessein de vous entretenir aujourd'hui.

CHARLES-BENOÎT HASE naquit, le 11 mai 1780, à Sulza, petite ville de Thuringe, située entre Weinar et Naumbourg. Peu après sa naissance, son père, qui était ministre protestant de la confession d'Augsbourg, fut nommé évêque luthérien à Altstedt, autre petite ville, dans le grandduché de Saxe-Weimar, où il passa sa première enfance. Ce père, qui n'était pas seulement un théologien, mais qui avait traduit du russe les voyages de Pallas et de Lapuchine dans le nord de l'Asie, éveilla de bonne heure chez son fils la curiosité de connaître, comme ce dernier le répétait plus tard, dans la langue du chantre d'Ulysse, « les villes et les mœurs des hommes. » Il fit plus, il développa en lui un talent précoce de reproduire, par le crayon ou par la plume, les figures, les attitudes et les costumes, ce qui fut loin d'être inutilé au paléographe et à l'épigraphiste futur, dans ses leçons et dans ses voyages.

HASE n'avait pas douze ans lorsque son père mourut, en 1791, laissant

dans une position assez critique une famille de plusieurs enfants, dont une fille vit encore, veuve du pasteur Peucer; nous avons vu à Paris son fils, pasteur lui-même, menant pieusement le deuil de son oncle. La mère de celui-ci put à grand'peine trouver, sur son faible revenu, de quoi l'envoyer, lorsqu'il fut en âge, au gymnase de Weimar. Il y vint à Pâques de l'année 1793. Dans ce gymnase, un homme se rencontrait qui, à lui seul, en valait plusieurs; c'était Böttiger, maître éminemment propre à susciter les jeunes talents dans les sens les plus divers, par l'universalité de ses connaissances, et à les initier à la science de l'antiquité par toutes les qualités d'érudition variée qui le désignèrent plus tard à votre choix, comme l'un de vos correspondants. Weimar, d'ailleurs, à ce moment, devenait, on l'a dit bien des fois avant et depuis Mme de Staël, l'Athènes de l'Allemagne; les plus grands esprits, Wieland, Goethe, Schiller, s'y étaient donné rendez-vous sous la protection éclairée de Charles-Auguste, et Herder, qui avait obtenu pour Böttiger la direction du gymnase, y faisait de fréquentes visites. Ses allocutions aux élèves, en sa qualité d'inspecteur des Ecoles du Grand-Duché, sont restées célèbres; une partie même a été recueillie et publiée sous le titre mérité de Sophron (le Sage).

Dans cette fécondante atmosphère et sous de telles influences, la nature du jeune HASE, quoique un peu lente, comme elle en eut toujours l'apparence, mais avec le plus riche fonds de facultés, ne pouvait manquer de se développer rapidement. Une lecture insatiable, une merveilleuse mémoire, l'incessante activité, ou de son esprit, ou de son labeur, allaient au-devant des leçons de ses maîtres, et ses condisciples le proclamaient le phénix du gymnase; la tradition en est restée. Outre les langues et les littératures anciennes et modernes, il cultivait aussi les arts, surtout la poésie. Comme les classes qu'il lui fallait suivre, dans le cours régulier des études, avaient souvent perdu pour lui une partie de leur intérêt, il passait son temps à mettre en vers la prose de ses professeurs, ou à traduire en esquisses légères les scènes du jour; ce que d'illustres académiciens, si j'ose le dire en passant, habiles comme lui à manier le crayon, se sont quelquefois permis même dans nos séances. La musique seule ne disait rien à son esprit; il n'y trouvait, ce sont ses expressions, ni une pensée saisissable, ni une idée qui pût se produire au dehors. A cet esprit si singulièrement positif chez un Allemand, il fallait des signes ou des formes sensibles pour le fixer ou le toucher.

Böttiger, qui le connaissait bien, en annonçant la harangue latine que son jeune disciple devait prononcer « sur les découvertes du siècle, » sujet caractéristique de l'époque, à la solennité où les élèves qui avaient fini leur temps de gymnase allaient prendre congé de leurs maîtres, lui assigna, dans les termes les plus honorables, la philologie comme sa vocation propre. Cette vocation, il lui fut donné de la remplir dans toute son étendue, en dépit des obstacles qui l'attendaient à l'entrée de la carrière.

A Pâques de 1798, et dans sa dix-huitième année, HASE se rendit à l'université d'Iéna, aussi florissante qu'elle l'était lorsque FR. CREUZER, plus tard son ami, la fréquentait neuf ans auparavant. Il y trouva encore le savant théologien Griesbach, dont il suivit également les cours, quoiqu'il ne se destinât point à la théologie. Il dut fréquenter surtout ceux que continuait avec le même succès l'excellent helléniste Schütz, sur l'histoire des lettres anciennes et sur divers textes de philologie classique. Mais pas plus que CREUZER n'avait goûté la philosophie critique de Kant et ses formules sévères, HASE ne parvint à saisir les formules transcen

dantes de la philosophie de la nature, que Schelling inaugurait avec tant d'imagination et d'éclat, à l'âge de vingt-trois ans, et dont s'empara dans la suite l'auteur de la Symbolique. Pendant un second séjour à léna, en 4804, il s'attacha de préférence à un disciple de Kant, Fries, adversaire de Schelling, dont les exemples, la vie austère et le caractère élevé, mettant en relief la doctrine, allumèrent, trente ans durant, le feu sacré dans les âmes d'une jeunesse qui l'adorait.

HASE lui-même n'échappa point à cet enthousiasme, chez lui passager, mais qui le trempa pour les résolutions qu'il allait bientôt prendre, pour les dures épreuves qu'il allait traverser. Dans l'intervalle de ses deux séjours à léna, il avait passé près de deux années à Helmstedt, une petite ville encore, dont l'université, célèbre aussi jadis, a été supprimée, comme d'autres ou l'ont été ou le seront, dans le mouvement de concentration qui va changeant de jour en jour les conditions de la vie intellectuelle, comme celies de la vie politique, en Allemagne : l'avenir dira si c'est au profit de l'une ou de l'autre. Quoi qu'il en soit, HASE, qui comptait, parmi les professeurs de Helmstedt, deux de ses parents, dont l'un, Henke, esprit ferme et théologien indépendant, ne fit rien, quand il le connut, pour le gagner à ses études, se passionna surtout pour les leçons d'histoire de Bredow, maître alors presque aussi renommé que Heeren l'était à Göttingue, et qui rassemblait autour de sa chaire un grand nombre d'élèves. Il faisait pour eux, entre autres cours, tous les samedis, d'après les journaux de la semaine, analysés par sa critique, une revue de l'histoire contemporaine, qui confiée à un esprit supérieur, comme il l'était, avait le double avantage de former, par une expérience anticipée, le jugement de ses jeunes auditeurs, et de prévenir l'abus de lectures souvent vaines, où la plupart perdaient un temps précieux. HASE, pour sa part, reproduisait en grec cette chronique de Bredow, ce qui n'avait rien d'inquiétant pour personne, et ce fut l'origine de l'habitude qu'il garda jusqu'à la fin de sa vie, de consigner dans sa langue de prédilection les observations, les anecdotes, les faits ou les pensées dont il voulait se réserver le secret. Il n'aimait pas à faire ses confidences à tout le monde, et il semblait pressentir que l'usage périlleux qui s'était établi dans quelques universités allemandes, à la faveur de la liberté dont elles jouissaient alors, n'aurait pas une longue durée.

HASE, du reste, on aurait eu peine à le croire depuis, même en songeant à son âge et aux circonstances, était fortement imbu, à cette époque, des idées républicaines qui faisaient leur chemin en Allemagne comme ailleurs, surtout dans la jeunesse, depuis la Révolution française. Vers les derniers temps de son séjour au gymnase de Weimar, il en avait donné la preuve, en composant le canevas d'un drame intitulé « les Gracques» qu'il joua avec quelques-uns de ses camarades, chacun improvisant, selon son inspiration et ses sentiments, le rôle que le protagoniste lui avait attribué. Ce qui est plus singulier encore et pouvait être plus sérieux, c'est qu'à Helmstedt, après avoir, sur les instances d'un des professeurs animé pour lui d'une vive estime, accepté la mission de précepteur de ses fils, le jeune républicain se sentit humilié de l'infériorité de cet emploi, qui n'avait rien que d'honorable, et qui était un bienfait dans la situation de sa famille. En se comparant à lui-même, il dut plus d'une fois dans la suite, non pas se repentir, mais s'étonner de cet accès d'exaltation politique qui lui réussit contre toute attente.

En effet, après son retour à léna, au plus fort de ses perplexités sur son avenir, et en même temps des sympathies qu'excitait autour de lui la perspective des destinées nouvelles de la France, saisi d'une inspiration snodaine, il résolut d'y chercher cette fortune scientifique dont il avait le

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