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souvent imprégnés d'une volupté fort dangereuse, et sans être précisément immoraux et indécents, ils font rêver l'imagination beaucoup plus qu'il ne conviendrait à la pureté de l'âme. - La position mème des deux amants, dont la passion est contenue plus encore par la santé frèle et délicate de Julie que par la force de leur volonté, la morale pleine de relâchement de cette jeune femme, ses abandons, et jusqu'à ses réserves, tout concourt à distiller un de ces poisons qui ne portent en eux aucun signe sensible, et dont la jeunesse s'enivre sans s'apercevoir du péril. L'esprit signale en outre avec tristesse les doctrines immorales, sceptiques, presque athées de Julie, qui plane avec orgueil au-dessus de tous ses devoirs, parle de Dieu avec une sécheresse voltairienne, et rève le suicide à deux dans un accès d'amour, comme la grisette voisine de la courtisane. Figure capitale de ce petit roman qui ne vit que sur le sentiment pur, elle perd ainsi complétement, même dans le portrait tracé par l'auteur, cette ampleur de l'âme qui lui permettrait de remplir le large et magnifique cadre qu'on lui a préparé. Elle présente un profil sec et étriqué; elle a quelquefois un langage admirable de passion, mais l'ensemble de son caractère ne nous en montre pas la source dans son cœur, desséché et rétréci au souffle impur de la philosophie voltairienne. En un mot c'est un visage incorrect que le poëte enrichit de brillantes couleurs, mais où l'œil exercé distinguant les traits irréguliers des emprunts faits aux ressources de l'art, n'aperçoit qu'une figure étroite, imparfaite, peu digne de la richesse de son cadre, et des efforts perdus de l'artiste divin pour relever sa beauté.

Il fallut enfin se séparer des lettres pressantes rappelaient Julie à Paris; rien de plus suave et de plus triste que leurs dernières courses, leurs adieux à ces bois, à ces lacs, à ces montagnes témoins de leur amour et de leur bonheur. On y retrouve ces tristesses émouvantes au fond de l'âme, dont on ne peut se détacher, que Lamartine nous révéla sans les définir dans les poésies de sa jeunesse. Entreprendre de les louer serait défaut de tact, elles échappent à l'analyse, on ne peut que les citer. C'était dans leur dernière promenade sur les rives de ce lac, si plein de souvenirs pour eux : « Que l'image de ce lieu, lui disait-elle, soit dé«sormais inséparable en vous de ma propre image; que cette nature * dans vos yeux et moi dans votre cœur nous ne soyons qu'un!... Afin « que quand vous reviendrez, après de longs jours, revoir cette douce et magnifique nature, errer sous ces arbres, vous asseoir au bord de ces « vagues, écouter ces brises et ces murmures, vous me revoyiez et vous « m'entendiez aussi présente, aussi vivante, aussi aimante qu'ici.

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«Elle ne put achever, elle fondit aussi en larmes. Oh! que nous pleu«rames, et que nous pleurâmes longtemps !..... Après vingt ans, je ne "puis le noter sans sangloter encore !

« O hommes! ne vous inquiétez pas de vos sentiments, et ne craignez "pas que le temps les emporte. Il n'y a ni aujourd'hui ni demain dans «<les ressentiments puissants de la mémoire, il n'y a que toujours. Celui « qui ne sent plus, n'a jamais senti!..... Rassurez-vous, vous qui aimez;

<< le temps n'a de puissance que sur les heures, aucune sur les âmes. » La poésie du sentiment, de l'émotion, s'élève jusqu'au sublime de l'éloquence. Dans leur itinéraire, ils rencontrèrent les Charmettes; cette visite entraîne une description heureuse, passionnée de ce souvenir si passionné lui-même, et auquel il est si difficile de toucher sans parler trop haut ou trop bas.

Pourquoi faut-il que la critique vienne à la traverse de ces émotions douces où notre cœur se laisse volontiers entraîner à la suite de ces poétiques amants? Pourquoi faut-il qu'elle vienne impassible, soupçonneuse, demander compte de cette apparition des Charmettes, de ce souvenir de Rousseau, et y suspecter un appel à l'esprit du lecteur vers un parallélisme de Julie à une autre Julie, et du livre de Raphaël au livre d'Héloïse! Le fait est que nous trouverons à la fin de l'ouvrage un autre Wolmar.

Mais rejetons ces mauvaises pensées, nous voulons croire qu'il n'en est rien; pour aujourd'hui écartons la critique et rattrapons le sentiment qui déjà s'enfuit au galop à la suite de Julie qui court vers Paris, tandis que le pauvre Raphaël regagne la maison paternelle. Il y passa deux mois, bien isolé, bien triste, mais bercé dans une correspondance quotidienne où leurs âmes effaçaient les distances pour unir leurs pensées.

Il parvient enfin à réunir quelques ressources; sa mère lui donne son dernier diamant, et il part pour Paris. Ils reprirent alors l'intimité étroite, aimante, et pourtant platonique de leur séjour à Aix, avec les mêmes extases, les mêmes adorations, les mêmes voluptés bizarres, et cela sous les auspices et l'approbation du mari de Julie. Singularité de morale sur laquelle nous aurons à nous expliquer, mais encore réservons ces questions pour juger maintenant le poëte, l'artiste, sauf à condamner l'homme après.

Ce séjour à Paris renferme moins de faiblesses que celui de Savoie, mais peut-être aussi moins de passions ardentes et moins d'élans du cœur. Le livre, désormais plus varié dans son récit, moins alambiqué de sentiments, plus diversifié dans ses intonations, présente plus d'intérêt, et le lecteur n'est plus tenté de sauter de pages.

Tout le temps qu'il ne passait pas près d'elle, il le consacrait à l'étude, et la description de ces travaux variés et assidus, nette, concise, vigoureusement accentuée, ne donne pas les pages les moins attrayantes du livre, tant à cause de leur style parfait que par la nuance bien tranchée qu'elles jettent au milieu d'impressions trop souvent semblables.

Voici encore un épisode plein de charmes : sa bourse tarissait. Pour pouvoir prolonger ce séjour si attrayant pour lui, il porte à un libraire un manuscrit de poésies soigneusement recueilli jusqu'alors dans l'intime secret de son esprit. Nous avons tous éprouvé cette pudeur de l'âme, cette hésitation délicieuse qui l'arrête sur les marches de l'escalier, son livre à la main; son cœur bondit sur le seuil de la porte, derrière laquelle un froid marchand va tenir son âme, son avenir tout entier, suspendus au bout d'un calcul; mais tout cela est si bien dit, que les souvenirs se ravi

vent palpitants, et que nous tremblons avec lui sur le seuil de la porte avant d'entrer.

Huit jours après, la réponse désespérante du libraire lui fait jeter son manuscrit au feu ; comme il faut vivre, il vend le diamant de sa mère. «Oh! combien de diamants n'aurais-je pas donnés depuis, pour racheter <«< ce diamant unique pour moi, cette larme de ma mère ! - A quel doigt « aura-t-il passé? »

Ces ressources s'épuisèrent bientôt, sa santé se consumait d'ailleurs au feu de cette passion inassouvie; Julie l'envoya consulter le docteur Alain. Cette figure qui sans doute n'est qu'une réminiscence heureuse, inspire à l'auteur une page aussi admirable que chrétienne, comme il s'en trouve trop rarement aujourd'hui dans ses ouvrages. Le résultat de la consultation est qu'il faut quitter Paris; il retourne au foyer paternel, où la misère s'était assise en son absence; il y renoue sa correspondance avec Julie, et prend avec elle un rendez-vous nouveau aux eaux d'Aix. Comment trouver l'argent de ce nouveau voyage; sa mère invente un nouveau sacrifice : quelques vieux arbres, témoins des jeux d'enfance, les gardiens de sa famille, sa joie aux jours du printemps, et les confidents domestiques de ses tristesses, entouraient la maison; on les vendit, la maison resta dépouillée, désolée, mais Raphaël put partir pour Aix.

Il y était à peine, humant comme un fou les souvenirs de ces lieux tant de fois parcourus avec elle, qu'il reçut un paquet de lettres; c'était la nouvelle de sa mort avec les dernières lettres où elle lui adressait les derniers soupirs de son âme et de son amour.

Nous ne dirons rien de cette fin pleine de regrets, de larmes et de poésie ; on n'y trouve plus de faiblesse,'tout est senti vivement et part du cœur; il serait trop difficile de la louer sans être long, il faut la lire et s'abandonner à l'enivrante tristesse qui vous fera pleurer : c'est le seul éloge qu'on puisse en faire.

Nous avons vu avec plaisir l'approche de la mort fondre la dureté orgueilleuse de cette âme vis-à-vis de Dieu; mais faut-il le dire, cela ressemble trop à une formalité comme à ces morts banales, où après une vie tout impie, on appelle pour la convenance un prêtre au lit du mourant. Avant de finir il nous reste quelques mots à dire sur la morale et sur l'ensemble artistique de cet ouvrage.

Le talent de M. de Lamartine n'a point sensiblement faibli, c'est toujours la même ardeur contenue sous une mélancolie puissante qui pénètre le cœur. Mais nous ne retrouvons plus cette pureté candide des premières inspirations de sa jeunesse, qui faisait de sa poésie un beau jardin ouvert à tous, où les rêves virginaux de la jeune fille pouvaient s'ombrager, à côté des illusions perdues de l'homme du monde. Déjà depuis longtemps Lamartine nous a appris à regretter ces chants harmonieux qui n'avaient rien à cacher, et la fille de son imagination a pris en grandissant les voluptueuses allures des héroïnes de roman. Son nom est devenu aujourd'hui pour les mères le cri d'alarme de la sentinelle; veillez sur vos fils et vos filles, ces œuvres doivent pour eux être un livre fermé.

Aurait-il gagné en intérêt, en passion, ce qu'il a perdu en délicatesse, nous ne le pensons point; la puissance de cet entraînement pervers des sens, ces émotions illicites de l'homme rabaissent son intelligence. Ce livre nous en fournit plus d'un exemple; ainsi, quand Raphaël, le cœur ardent, la tête brûlante, va chercher un peu de calme dans les ruines de l'abbaye d'Haute-Combe, sous l'empire de cet amour plein de volupté et de servitude, son âme a perdu de vue les grandes lignes de la nature; elle ne rend qu'un son terne et mat.

Il passe sur ces tombes monastiques, au millieu de ces retraites ruinées, où tant de passion a lutte contre tant de courage, avec des préjugés vulgaires et d'amères paroles; pas une fibre de son âme n'est plus assez délicate pour saisir le lointain écho de ces luttes intérieures à travers les siècles écoulés. Et cependant, ces inconnus qui dorment sous la pierre avaient senti autrefois des orages soulever leur àme; dans plus d'un cœur veillaient de douloureux souvenirs. Mais le solitaire serrait autour de ses reins sa corde monastique, et vainqueur, mais non pas impassible, il allait oublier dans de célestes harmonies qu'il avait vécu un jour avec les filles des hommes.

Il faut toute l'infériorité du matériaslisme, tout l'égoïsme d'un amour immodéré pour chasser de l'âme la poésie de ces souvenirs.

Au point de vue de l'art, déjà nous avons observé dans le cours de cette analyse des longueurs, de l'affectation et de la fadeur, cet écueil aussi voisin de la mélancolie que le ridicule l'est du sublime. Le défaut capital de ce livre, c'est qu'il n'est ni châtié ni précis, et la précision est un grand point dans une œuvre de sentiment. C'est le cœur sans doute qui doit la dicter; mais il y a un tact pour le cœur comme pour l'intelligence. En un sujet si délicat, savoir s'arrêter là où commence à décliner le sentiment pur, naïf, spontané; savoir s'arrêter quand cesse cette inspiration profonde, limpide comme le jet d'une source, qui vient de l'émotion, et insaisissable comme elle, c'est la moitié du génie. Aller plus loin, vouloir par un effort factice prolonger sur le papier ce frémissement de l'âme déjà passé à l'état du souvenir, c'est tenter une œuvre folle qui aboutit dans la fadeur et l'ennui de ces feuilles que l'on saute sans regret.

Cent pages supprimées eussent réuni les matériaux aujourd'hui disper sés d'un chef-d'œuvre que tout lecteur ne reconstruira pas dans son esprit. Disjecti membra Poëtæ !

Ah! pourquoi faut-il que cette âme expansive ait quitté la maison qui avait abrité son enfance! Chrétienne, elle eût eu dans sa vie cette même réserve qu'elle eût gardé dans ses chants; elle ne serait point aujourd'hui la proie des libraires exigeants, ni sur le lit de Procuste des metteurs en pages. Sa vie, mieux remplie et maîtresse d'elle-même, se recueillerait à son temps sur de délicieux souvenirs, et chaste, réservée, concise en sa mélancolie, loin des préoccupations extérieures, elle eût légué à toute âme aimante un parfum de tendresse, et à la langue française un chefd'œuvre de plus. (L'Ère Nouvelle.)

AVENIR DE L'ÉGLISE EN EUROPE.

L'année 1848 sera à jamais mémorable dans l'histoire. Chaque jour, pour ainsi dire, nous amenait une révolution; chaque mois avait ses luttes, ses bouleversements, ses guerres civiles, ses ruines, au sein d'une paix profonde, au moment où toutes les royautés européennes semblaient avoir définitivement triomphé de l'agitation révolutionnaire qui avait un instant entravé leur marche! Jamais le doigt de Dieu ne s'est montré d'une manière plus sensible. Chose étrange! au milieu de tous ces événements terribles, l'Eglise catholique a trouvé de nombreux motifs de consolation et d'espérance. Elle seule est restée debout au milieu de la tempête universelle; bien plus, elle s'est raffermie sur ses bases éternelles, au moment où toutes les institutions humaines proclamaient tour à tour leur faiblesse et leur impuissance. Écoutons les justes réflexions qu'inspire ce spectacle extraordinaire à un journal suisse l'Observateur de Genève.

« Ce n'a pas été un des moins remarquables spectacles donnés par la célèbre année 1848, que de considérer la sérénité, le calme des hommes de foi, des véritables catholiques, pendant ces catastrophes qui ont excité tant d'alarmes et de si justes motifs de sollicitude. Les catholiques ont, en effet, de graves reproches à faire à la société moderne, telle que l'ont constituée le règne du rationalisme politique, la doctrine égoïste et immorale de l'intérêt érigée en droit social, et le système de l'équilibre diplomatique substitué en Europe, depuis la fatale division religieuse du seizième siècle, à la grande idée de la fédération chrétienne des peuples, si longtemps poursuivie par le moyen âge. Les révolutions ne surprennent pas les catholiques; ils savent que si elles arrivent, c'est que les peuples les ont méritées. Ils n'ont qu'à peser au poids de la conscience les actions de chaque jour, pour sentir à quel point la société a démérité de la Providence; combien, depuis que le rationalisme commande, les vénérables traditions de l'esprit chrétien sont désertées. Au point de vue de la justice, que penser des peuples dont le droit international supporte des cri

VII.

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