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mône des larmes, on entourait d'une sombre lueur le front des bourreaux. On donnait à Danton cette grandeur sinistre que lui avaient fait ardemment souhaiter les atroces misères de son orgueil. Bientôt on ne se contenta plus d'accorder aux hommes de l'échafaud cette sorte de gloire réprouvée qui est une des plus pernicieuses inventions de l'esprit moderne; on fit taire l'horreur à leur souvenir, pour ne plus laisser parler que l'admiration; on prit au sérieux toutes ces vertus d'apparat sous lesquelles se déguisaient les mystères hideux, de leur nature, comme la poudre et la fange de leurs pensées sous les oripeaux de leur langage; on vanta leur désintéressement, leur patriotisme, et jusqu'à cette grotesque douceur, née de la fausse sensibilité des philosophes, qui fut la part de la niaiserie dans le drame révolutionnaire.

Ce système historique dont je viens de signaler les progrès, M. de Lamartine l'a adopté avec emportement, et l'a poussé du premier coup à ses conséquences les plus extrêmes. Son héros, il faut bien le dire, car tout le public l'a compris, c'est Maximilien Robespierre. Certes, le livre de M. de Lamartine manque de netteté dans ses détails et dans ses dessins; mais cependant, et c'est un malheur cette fois pour le chantre des Harmonies, on aperçoit la divinité monstrueuse qui se cache sous les nuages de son style. Il y a une pensée qui domine l'Histoire des Girondins, c'est la constante apologie de tous les excès révolutionnaires.

Depuis qu'il y a des peuples sur cette terre, il est une idée qu'à certains moments les instincts rebelles et violents de notre nature réveillent toujours au cœur des hommes: c'est la haine de l'autorité; il faut qu'à certaines époques les troupeaux humains dévorent leurs pasteurs. C'est une de ces lois mystérieuses et meurtrières qui pèseront sur notre espèce tant que nos veines auront du sang et que nos yeux auront des larmes.

M. de Lamartine appelle donc cette loi immortelle une nouvelle idée, et il fait un livre sur cette idée qu'il incarne dans un homme. « Robespierre, dit M. de Lamartine au début de son histoire, couvait dans sa pensée la rénovation du monde religieux et du monde social; il était le dernier mot de la révolution. » Je prends acte de ces paroles que M. de Maistre eût à peine trouvées dans l'exaltation de sa haine contre tous les dogmes et tous les actes révolutionnaires.

Tandis que Robespierre, suivant M. de Lamartine, à qui je laisse la responsabilité de cette pensée, représentait la révolution, était son dernier mot, il se trouvait, par un dessein saisissant de la Providence, que l'image, que le dernier mot de la royauté était une de ces créatures, divines par la bonté et par la grâce, qui semblent le sourire du ciel sur les traits de l'humanité. Ce fut évidemment Marie-Antoinette qui représenta la royauté française. Cette femme héroïque eut au 10 août des élans comme

Charles Ier à la bataille de Naseby; et ce ne fut point seulement, comme l'ont souvent répété ceux qui n'ont rien compris à cette intrépide et délicate nature, ce ne fut point seulement aux jours du malheur et du péril que se montrèrent ses grandes et touchantes qualités. A cette époque si calomniée de sa vie, où elle n'avait subi aucun outrage ni des hommes ni du destin, où tout était enchantement autour d'elle, son âme était certainement l'asile des plus honnêtes, des plus dignes, des plus sérieuses pen

sées.

Celle que récemment encore d'odieux mensonges empruntés à d'infâmes pamphlets ont poursuivie jusque dans la gloire du martyre, donna un rayon de pure et consolante lumière aux dernières heures d'un siècle d'éclairs funestes et de désolante obscurité. Cette tradition, que la société française avait perdue, de la gaîté décente, de l'humeur chevaleresque, et, qu'on me pardonne cette expression, de l'élégance chrétienne, Marie-Antoinette la rendit à sa cour. Elle ôta le sceptre de la mode à la philosophie, elle renvoya Jean-Jacques dans sa solitude, et bannit de Versailles le rire de Candide. On respirait autour d'elle ce parfum discret que nous a conservé le chef-d'œuvre de Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves. Grâce à elle, la royauté, qui allait mourir, retrouva l'attrayant éclat de ses beaux jours.

Eh bien! M. de Lamartine a été forcé, pour empêcher de crouler le sophisme sur lequel est construit son livre, de prendre le parti des bourreaux contre cette immortelle victime. Il s'est fait le chevalier de Robespierre. C'est Renaud qui se jette aux pieds du monstre et plonge sa lance dans le sein d'Angélique. « Ainsi mourut, dit l'auteur des Girondins, après nous avoir raconté comment la fille de Marie-Thérèse entra au ciel par l'échafaud, ainsi mourut cette reine, légère dans la prospérité... elle ne sut que charmer, égarer et mourir. Le peu de solidité de son esprit

l'excuse. >>

Je plains l'auteur des Méditations d'avoir écrit de semblables lignes. Je plains surtout ceux qui souffrent de leur âme, de tout ce qui dessèche les couronnes, jette au vent les parfums, et à la nuit les rayons des poëtes qu'ils ont aimés. Du reste, ces esprits d'élite pourront se consoler en appliquant au chantre du Lac ces paroles qui, par un étrange hasard, le caractérisent avec tant de justesse :

« Il ne sut que charmer, égarer... (on ne peut pas dire encore et mourir). Le peu de solidité de son esprit l'excuse. »

On comprend que M. de Lamartine, dans ce long roman historique où malheureusement la réalité a trop de part, n'ait pas grand peine à sacrifier les Girondins, après avoir fait le sacrifice de Marie-Antoinette. Quant à moi, je l'avoue, je prends leur trépas avec philosophie! Je ne trouve

même point dans leur mort une gloire qui rachète les meurtrières lâchetés de leur vie. Je pense toutefois que ce n'était pas à M. de Lamartine de les abandonner. Il a foncièrement avec ces hommes bien plus d'affinités qu'avec le terrible heros qu'il s'est choisi dans un sombre caprice. M. de Lamartine est bien plus près de Vergniaud que de Robespierre.

Les Girondins furent entraînés et perdus par tout ce qui entraîne et perd leur historien; ils se noyèrent dans le fleuve de sang où toute la révolution française s'est engloutie, en y poursuivant des fleurs, comme Ophélia. Épris d'attitude et d'harmonies, artistes passionnés en langage, ils cherchaient dans les scènes révolutionnaires matière aux pauses et aux discours. Mais Dieu ne veut pas que de semblables natures puissent jouir impunément, comme d'émotions de théâtres, de ce qui fait la douleur, l'agonie et quelquefois le trépas des peuples. Il faut qu'elles pâtissent ou dans leur intérêt terrestre ou dans leur intérêt immortel. Habituellement elles souffrent dans tous deux. C'est dans leur honneur'd'abord, c'est ensuite dans leur fortune et dans leur vie que sont frappés ces poursuivants de poésie qui demandent aux flots humains des tempêtes pour jouer le rôle de dompteurs de vagues. Ces lames furieuses qu'ils bravent leur jettent d'abord l'écume et le limon au visage puis finissent par les emporter.

Je ne sais pas ce que M. de Lamartine pense aujourd'hui des Girondins; mais à l'époque où il a écrit leur histoire, il a eu peur de l'impopularité sous laquelle ils sont tombés. Il les a abandonnés à l'échafaud, comme Marie-Antoinette. Les Girondins ne représentaient qu'une révolution tronquée, une république imparfaite. Le génie de la démocratie ne leur avait point révélé ses secrets : leur chute et leur mort étaient donc fatales. Le sphinx, dont ils n'avaient pas deviné les énigmes, devait les tuer. M. de Lamartine prend leur trépas avec calme, je l'ai dit, je l'imite en ce point. Où je me refuse à le suivre, c'est dans son enthousiasme pour Robespierre.

Il faut en vérité tous les désordres de pensée, le véritable cataclysme moral dont nous avons eu la douleur, je dirai presque la honte d'être les témoins, pour qu'un écrivain de quelque renom ait pu un jour, sans tomber sous la réprobation publique, chercher à faire une mémoire sacrée de ce souvenir flétri et sanglant. Robespierre, dit M. de Lamartine, était un disciple de Jean-Jacques. Je le veux bien. Il avait bu à cette coupe de l'amertume et de l'envie où trempèrent toujours les lèvres de Rousseau. Puis, et c'est là un des traits les plus saillants de son caractère, il avait dans ses plus grands emportements je ne sais quoi d'affecté et de faux qui rendait glaciale jusqu'à sa colère. Aucun souffle ardent ne pouvait sortir de cette âme. C'est la peine des sophistes en ce monde de ne

pouvoir jamais donner à leur parole cette chaleur qui, comme la lumière, est réservée à la vérité. Un trait de ressemblance que Robespierre eut aussi avec l'auteur de l'Émile, c'est une sensiblerie pédante à l'endroit des choses divines. On connaît les fêtes à l'Être-suprême, sacriléges cérémonies qui, dans un horrible poème, intercallent une niaise idylle. L'homme qui avait usé la guillotine, qui avait rempli des paniers de têtes, qui avait fait verser de ces larmes, causé de ces douleurs dont l'amertume, dont l'étendue sont les plus terribles des mystères, imagina, un jour de printemps, d'offrir à Dieu, ou pour parler son langage à l'Être-suprême, une gerbe éblouissante de fleurs. M. de Lamartine raconte cette burlesque et odieuse scène avec une tendre exaltation. Il prend et respire le bouquet du monstre, au lieu de le jeter dans la boue et de l'y fouler aux pieds. Robespierre, dit sans cesse M. de Lamartine, était l'âme de la République. Je veux croire que l'auteur des Girondins se trompe, ou bien l'âme de la République était quelque chose de plus exécrable et de plus stupide qu'un échafaud. Une des funestes erreurs de ce temps-ci, c'est de vouloir qu'en politique il n'y ait pas de halte, pas de repos, je dirai plus, pas une espérance de repos. Les Girondins se sont arrêtés : c'étaient des misérables. Robespierre, lui, ne s'est pas arrêté, c'était un grand homme. Il viendra un temps où les peuples se lasseront de cette destinée de juif errant que leur font les sophistes. Ce temps même est peut-être déjà venu. Les nations demanderont à tous ces prétendus prophètes qui les traînent dans le désert et n'ont point de manne pour les nourrir, de leur faire apercevoir enfin la terre promise. Je crois qu'aujourd'hui M. de Lamartine n'écrirait plus les Girondins. PAUL DE MOLÈNES.

(Journal des Débats.)

LES INFORTUNES D'UN ABONNÉ.....

QUI NE L'ÉTAIT pas.

C'était à S...., deux vieillards de cinquante à soixante ans se passaient la fantaisie de deux verres d'eau sucrée dans un estaminet solitaire de la rue de France. L'un de ces vieillards possédait une bonne mine de négociant très-posé, très-réfléchi, parlant peu et ne riant jamais ; il accélérait à gros coups de cuiller la fusion de son sucre. L'autre coiffé d'un bonnet de soie noire, sous un chapeau de l'âge le plus respectable, avait la mine d'un homme qui vient d'essuyer une banqueroute.

Il glissait sournoisement deux morceaux de sucre dans sa poche, en jetant autour de lui de sombres regards qui avaient l'air de dire : « Dieu merci, j'en ai bien le droit après tant de catastrophes! » L'autre, qui venait de poser son verre à demi-vide sur la table, le repousse alors, croise les bras d'une manière résolue, et s'écrie en sourdine - Boucaud, tu as quelque chose...

Boucaud se tait et enfonce un peu plus son éteignoir de soie noire.

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Boucaud tu as l'air d'être menacé de perdre ta place de receveur de l'enregistrement! cela ne peut pas être; mais enfin, tu as quelque chose...

Boucaud se décide enfin à répondre un discret et mélodramatique... - Oui!

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- Je m'en doute bien; mais dire ses peines à un ami de 50 ans, cela soulage.

- Tu as raison, mon brave Quentin. Mais je te le répète, c'est triste, c'est on ne peut plus triste. Écoute-moi, et tu avoueras que je suis bien malheureux ! Il y a des journaux partout aujourd'hui ; c'est une peste, une ortie qui pousse on ne sait pourquoi ni comment, il y en a à Pontoise, à Forcalquier, à Pezenas, à Saint

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