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Sommes-nous libres? Votre conscience et la mienne répondent oui. Le rationalisme nous dit : non. En donne-t-il quelque preuve? aucune. Il nous demande, au contraire, de lui prouver que nous sommes libres, et si nous lui proposons le témoignage de notre sens intime, qui sait apparamment ce qui en est, il le récuse comme aveugle et insuffisant. Il craint qu'il ne soit le jouet d'une puissance supérieure, qui en fait, sans qu'il le sache, l'instrument de son irrésistible volonté. Pour nous, Messieurs, qui croyons en Dieu, qui, ployant le genou devant son adorable suprématie, l'avons reconnu pour le père, le maître, le principe et la fin des choses, nous n'éprouvons pas au sujet de ce qui se passe en nous, les doutes bizarres du rationalisme. Enfant d'une bonté qui n'a point d'égale et d'une sagesse qui n'a point de mesure, nous n'imaginons pas que Dieu torture sa toute-puissance pour tromper le cœur de son ouvrage, et lui donner dans la servitude l'illusion de la liberté. Nous nous confions à la sincérité divine et nous ne recherchons même pas s'il serait en son pouvoir, le voulût-elle, de nous induire, au sujet de nous-mêmes et de nos propres actes, en une aussi contradictoire impression. Les vérités s'enchaînent comme les erreurs. Une fois Dieu rejeté ou mis en doute, je permets au rationalisme de méconnaitre la conscience humaine; l'édifice étant détruit par sa base, comment en soutenir quelque pan détaché, et quel intérêt d'ailleurs y aurait-il à le faire? Qu'est-ce que l'homme, si Dieu n'est pas ? Qu'est-ce que le bien et le mal? Qu'est-ce que le passé et l'avenir? Il ne vaut pas la peine de s'occuper d'un songe dans une nuit sans réveil. Mais si Dieu est, si le nom qui soutient tout est écrit à la voûte de notre intelligence comme à la voûte du ciel, alors je n'écoute même plus le rationalisme me suggérant des défiances au sujet d'une liberté dont je sens en moi la présence réelle. Je me prends au sérieux et toutes choses avec moi. Ma conscience est un sanctuaire qui me rend des oracles; ma vie est une puissance qui répond d'elle-mème; la solidité divine descend dans tout mon être, et le doute n'est plus devant mon esprit qu'un blasphème et qu'un jeu. Je suis libre; je passe du bien au mal et du mal au bien. Suspendu entre ces deux termes, que l'infini sépare, captif volontaire ou rebelle coupable, je choisis et je fais mon sort à chaque instant. Je choisis de m'aimer ou d'aimer Dieu par dessus tout; je m'éloigne, je reviens, jobéis ou je résiste au remords, et jusque dans le crime, je sens ma grandeur par ma souveraineté. Il ne me faut qu'une larme

pour remonter au ciel, il ne me faut qu'un regard pour retomber dans l'abime. Cette lutte est grande, cette responsabilité est terrible; mais malheur et mépris à celui qui descend du trône par effroi des devoirs qui y siégent avec lui!

Dois-je, Messieurs, en finissant, éclaircir cette autre difficulté que le rationalisme oppose à la réalité du libre arbitre, et qu'il tire non plus de la vanité de notre conscience, mais des attributs mèmes de Dieu? Je le ferai rapidement, avec la crainte de fatiguer votre attention, avec l'espoir de n'en abuser que très-peu. La vérité est brève, parce qu'elle est claire.

La doctrine catholique range parmi les attributs divins la prescience, c'est-à-dire la connaissance anticipée et infaillible de l'avenir, même de l'avenir qui dépend des volontés libres. Or, comment Dieu peut-il prévoir ce dernier genre d'avenir, sinon parce qu'il est le maître de nos actes et qu'il les dirige comme il lui plait? Comment sait-il infailliblement ce que je ferai demain, sinon parce qu'il l'a décrété, et qu'il possède dans sa toute-puissance la certitude de nos déterminations?

J'aurai répondu si je découvre dans la nature de Dieu et dans la nature de l'homme un moyen de prévoir les effets des causes libres qui ne détruise en rien leur liberté.

Or, il est manifeste que nul être raisonnable n'agit sans motifs, c'est-à-dire sans quelque chose qui détermine ses actions. De là ces aveux qui nous échappent à tout moment: Voici une raison, un intérêt, une occasion qui me détermine, en d'autres termes, qui me persuade d'agir. Et lorsqu'on examine les motifs dont l'impression efficace tire l'homme du repos ou de l'incertitude, on s'assure qu'il n'en existe que deux : le motif du devoir et celui de la passion. Ou bien l'homme se décide par une vue du vrai, du bon, du convenable, ou bien il se décide par l'entrainement d'une satisfaction personnelle indépendante de toute idée d'ordre. La question seulement est de savoir qui le décidera de l'un ou de l'autre motif. S'il n'était pas libre, ce serait l'attrait le plus fort de sa nature qui l'emporterait, comme c'est le poids supérieur qui fait pencher l'un des plateaux de la balance. Mais l'homme est libre; entre deux attraits égaux ou inégaux par euxmėmes, c'est lui qui prononce souverainement. Toutefois il se prononce en vertu d'un motif qui le persuade, et non pas sans cause ou arbitrairement. Il sait ce qu'il fait et pourquoi il le fait : il sait même pourquoi il est persuadé de le faire. La persuasion ne lui vient pas seulement du dehors, elle lui vient surtout du

dedans, de l'état intime de sa volonté, de ses goûts, de ses vertus, toutes choses qui sont le fruit du libre arbitre, qui sont le libre arbitre lui-même en activité, tel qu'il s'est fait, tel qu'il veut être, tel qu'il se présente aux attraits extérieurs qui viennent le solliciter pour le bien et pour le mal. C'est l'état de la volonté, siége du libre arbitre, qui détermine le choix de l'homme entre les deux motifs du devoir et de la passion. Supposez cet état connu, vous saurez ce que fera l'homme dans un cas donné, et dans tous les cas où la connaissance de son âme aura précédé pour vous son action. Telle est la base de la prescience humaine aussi bien que de la prescience divine. N'avez-vous jamais, Messieurs, confié votre fortune ou votre honneur à la parole d'un homme? Vous l'avez fait, ou, si l'occasion vous a manqué, vous nommez au dedans de vous-mêmes ceux à qui vous donneriez volontiers une haute marque de votre estime. D'où vous vient cette assurance? Comment êtes-vous certains que vous n'exposeriez pas votre vie à une trahison? Vous en êtes certains, parce que vous connaissez l'âme à qui vous abandonnez la vôtre; cette connaissance vous suffit pour prévoir qu'en aucun cas, quel que soit le péril ou la tentation, votre fortune et votre honneur ne seront làchement sacrifiés.

Ils peuvent l'être cependant; le cœur à qui vous donnerez votre foi est faillible, il est sujet à des assauts imprévus ; n'importe, vous dormez en paix, et nul ne vous accusera d'impru-. dence ni de crédulité. S'il arrive que vous soyez trompés par l'événement, que direz-vous ? Vous direz: Je connaissais mal cet homme, je le croyais incapable d'une mauvaise action. Telle est la chance que vous aurez, la chance de mal connaître, parce que, étant une intelligence finie, vous ne pouvez lire directement dans l'âme d'autrui, ni même lire à fond dans la vôtre. D'où il résulte que vous n'avez de vos jugements qu'une certitude morale, et de vos prévisions qu'une assurance du mème degré.

Il n'en est pas ainsi de Dieu. Dieu, pour me servir de l'expression de saint Paul, pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, jusqu'aux racines et à la moelle de notre étre, et il discerne les derniers replis de nos pensées et de nos intentions (1). Nous sommes éternellement à nu devant lui. Il voit avec une précision infinie l'état de notre volonté, et connaissant dans la même lumière toutes les circonstances extérieu

(1) Épître aux Hébreux, chap, 4, vers. 12.

res auxquelles nous serons en butte, il a une certitude infaillible du choix que nous ferons entre le bien et le mal, entre le motif du devoir et celui de la passion. Dès lors, il sait notre histoire, qui n'est qu'une lutte plus ou moins longue entre deux attractions opposées, l'une qui nous porte vers notre fin réelle, l'autre qui nous détourne vers un but bas et faux. Et cette science anticipée de nous-mêmes n'étant en rien la cause de nos actes, elle ne gêne pas plus notre liberté que si elle n'existait pas.

L'erreur, en cette matière, est de considérer le libre arbitre comme une sorte de puissance abstraite, indépendante de son propre état, n'ayant d'autre mobile qu'un caprice illimité. S'il en était ainsi, l'homme lui-même ne serait pas capable de prévoir un instant d'avance ses propres actions. Sa souveraineté ne serait qu'une déraison permanente. Il choisirait entre le bien et le mal sans savoir pourquoi, et allant au hasard du crime à la vertu, à force d'être libre, nous ne trouverions plus en lui qu'un automate déréglé. Tel n'est point l'homme ni le libre arbitre; je vous l'ai fait voir, et je n'ai plus qu'à laisser votre conscience choisir entre la morale du christianisme et la morale du rationalisme.

Le christianisme conclut à la charité et à la liberté ; le rationalisme conclut à l'égoïsme et à la fatalité. Si dans les questions précédentes, qui ne s'adressaient qu'à la raison, quelque reste d'ombre affligeait encore votre besoin de lumière, cette ombre vient de s'enfuir. L'abime de l'erreur a éclairé l'abime de la vérité. De même que les dogmes spéculatifs de l'existence de Dieu, de la Trinité, de la création, de la diversité substantielle de la matière et de l'esprit, de la vocation de l'homme à la perfection et à la béatitude, conduisent au dogme pratique de la distinction du bien et du mal; de même, les dogmes spéculatifs du panthéisme, du dualisme, du matérialisme, du scepticisme, conduisent au dogme pratique de la confusion du bien avec le mal, terme suprême qui discerne tout, et où les ténèbres deviennent clarté.

DE L'ESPRIT PROGRESSIF

ET DE L'ESPRIT RÉVOLUTIONNAIRE.

L'ordre social obéit à une double loi, celle de la stabilité et du progrès. La société souffre, toutes les fois que l'un de ces deux principes est méconnu.

La grande erreur de notre siècle a été de croire qu'il fallait abattre pour édifier, tuer pour produire; telle est la folie de l'orgueil de l'homme, lorsque livré à lui-même il oublie que la puissance de créer ne lui appartient pas, qu'il n'a reçu de Dieu que celle de déduire. Si nous interrogeons notre nature morale, si nous étudions l'enfantement de la vérité dans la société et dans l'individu, quelle est la marche de l'intelligence, n'est-ce pas du connu à l'inconnu? De même, dans la nature matérielle, toute vie est un emprunt, tout être après avoir acquis le premier rudiment de l'existence, n'arrive au développement de son organisme, à l'organisation, que sous la protection d'un précédent qui l'abrite et le nourrit.

Eh bien! le monde politique et social serait-il seul affranchi de cette grande loi de la génération, qui opère au moyen d'une transformation graduelle et successive dans le monde physique et intellectuel? Serait-ce là seulement, que les nouveautés à peine conçues demanderaient à être affranchies violemment du sein qui les aurait portées, qu'elles sauraient se suffire à elles-mêmes, et grandir par leurs propres forces? Bien plus, serait-il vrai qu'il n'y aurait aucun lien moral dans les phases successives des nations, que les institutions fondamentales de l'état et de la société nattraient d'elles-mêmes, dans l'indépendance absolue de ce qui les a précédées ; qu'elles aimeraient à avoir la destruction pour base, la force brutale pour premier élément de vie ; que les révolutions violentes seraient la condition normale du progrès?

Telle est pourtant, telle se présente sans cesse la doctrine ruineuse de ces hommes, qui, après avoir fait table rase dans l'ordre politique, voudraient aussi raser l'ordre social pour reconstruire

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