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« sorte que le pouvoir croissant de ces Pontifes, sur la ville de Rome, « était fondé sur les titres les plus respectables, des vertus et des bien« faits (1).».

Saint Grégoire le Grand fut la personnification la plus remarquable, le type le plus noble et le plus touchant de cette Souveraineté singulière, qui ne se révélait que par sa bienfaisance et son amour pour les hommes, et dont la force des choses, le malheur des temps et la reconnaissance des peuples investissaient malgré eux les Pontifes romains.

On voit habituellement ce saint Pape remplir les fonctions d'un Seigneur temporel, et presque d'un Souverain, pour le gouvernement et la protection de l'Italie il administre les provinces; il pourvoit à la défense des villes; il envoie des gouverneurs avec injonction au peuple de leur obéir comme au Souverain Pontife lui-même. « Nous avons ordonné « à Léontius de se charger du soin et du gouvernement de votre ville, « écrit-il aux citoyens de Népi. Nous voulons que sa vigilance s'étende «sur toutes choses, et qu'il décide et règle lui-même tout ce qu'il jugera «< convenable à votre bien et à la chose publique : quiconque résisterait « à ses ordres, résisterait par là même à notre autorité (2), »

Il envoie des officiers militaires pour commander les garnisons des villes, menacées par les ennemis de l'Empire. Il écrit aux Napolitains : « Vous « avez reçu, comme vous le deviez, notre lettre, par laquelle nous dépu<«<tions le noble tribun Constantin å la garde de votre Cité, et nous vous « félicitons de ce qu'il a trouvé parmi vous la fidèle obéissance du dé« vouement militaire (3). » Il excite même dans plusieurs de ses lettres la vigilance et le zèle des Evêques pour la défense des villes, pour la garde des murailles et l'approvisionnement des places fortes. Il donne des ordres aux chefs de l'armée; il traite lui-même de la paix avec les Lombards, et il facilite le succès des négociations, tantôt par ses libéralités, tantôt par ses instances réitérées auprès des exarques, des empereurs et des Lombards eux-mêmes. En un mot, pour répéter encore les

(1) Sismondi, Hist. des Rép. ital., t. 1, chap. 3, pag. 122. Histoire des Français, l. 11, pag. 184, 186.

(2) Leontio curam, sollicitudinem civitatis (Neposinæ) injunximus, ut in cunctis invigilans, quæ ad utilitatem vestram vel reipublicæ pertinere dignoscet, ipse disponat... quisquis congruæ ejus ordinationi restiterit, nostræ resultare dispositioni cognoscetur. (S. Gregorii Epistol. lib. 11, Epist. 2. (Alias 8.)

(3) Devotio vestra, sicut et nunc didicimus, epistolis nostris, quibus magnificum virum Constantium tribunum custodia civitatis (Neapolitana) deputavimus præesse, paruit, et congruam militaris devotionis obedientiam demonstravit. (S. Grogorii Epistol. lib. 11, Epist. 31. (Alias 24.)

paroles déjà citées d'un savant auteur (1), auquel nous empruntons ces détails, son autorité, également respectée des princes et des peuples, des Romains et des Barbares, est comme le centre du gouvernement et de toutes les affaires politiques en Italie.

Ce grand et saint Pape était tellement condamné par les besoins et les malheurs des peuples, et par la charité qui pressait son cœur, à s'occuper des affaires publiques, qu'il disait lui-même que sa vie était partagée entre l'office de pasteur et celui de prince temporel. Il écrivait à l'impératrice Constantine, épouse de l'empereur Maurice : « Voici vingt-sept « ans que nous vivons dans cette ville, parmi les glaives des Lombards. «Mais pour vivre avec eux, je ne puis vous dire quelles sommes il faut < que l'Eglise romaine leur paie journellement. Pour vous le faire entendre en peu de mots, je vous dirai seulement que, comme l'empe<reur a soin de placer dans la province de Ravenne, auprès de sa principale armée d'Italie, un trésorier chargé de subvenir aux besoins journaliers des troupes; de mème, je suis à Rome le trésorier de l'em« pereur pour subvenir aux besoins de cette ville, sans cesse attaquée < par les Lombards. »

Les successeurs de saint Grégoire héritèrent tout à la fois de son pouvoir et de sa charité; et il est remarquable que les Empereurs, loin de se croire offensés par la conduite des Papes et par l'accroissement de leur puissance temporelle, entretenaient habituellement avec eux les relations les plus pacifiques.

Grégoire II écrivait à l'empereur Léon : « L'Occident entier à les yeux tournés vers notre Humilité... Il nous regarde comme l'arbitre et le modérateur de la tranquillité publique. » En 726, le même Pape envoie des ambassadeurs à Charles-Martel, et traite avec lui de puissance à puissance. Zacharie, qui occupa le siége pontifical de 741 à 752, envoie une ambassade à Rachis, roi des Lombards, et stipule avec lui une paix de vingt ans, en vertu de laquelle toute l'Italie fut tranquille.

Telle avait donc été la marche providentielle des choses en Italie ; telles furent les voies par lesquelles Dieu établissait la Souveraineté temporelle du Saint-Siége. Cette Souveraineté existait en fait et en droit: elle avait déjà l'investiture du temps, de l'usage public, et de la gratitude

(1) Nous voulons parler de l'auteur du livre Du Pouvoir du Pape au moyen åge; pieux et modeste savant, que sa science placerait parmi les plus illustres, si sa modestie ne s'efforçait de dérober son nom à la célébrité, sans toutefois pouvoir le dérober à la recon

naissance publique.

Dans les circonstances actuelles, nous ne saurions trop recommander à tous les catholiques la lecture de ce remarquable ouvrage.

des peuples; nul ne la contestait ; et l'Orient lui-même lui rendait d'involontaires et éclatants hommages. Rome et l'Italie n'attendaient plus que l'heure de la Providence, où cette grande Institution, solennellement confirmée et proclamée, devait entrer dans le droit public des nations, et prendre parmi les nouvelles monarchies de l'Occident, ce rang honorable, qui, sans pouvoir porter ombrage aux autres souverainétés, répondait suffisamment aux desseins de Dieu sur son Église.

Pépin et Charlemagne furent destinés à l'accomplissement de ce grand ouvrage. Nous nous bornons à rappeler les faits :

L'Italie était aux abois: Astolphe, roi des Lombards, assiégeait Rome. Pépin vole au secours de la Cité sainte, oblige Astolphe à lever le siége, et le réduit à lui demander la paix. Mais il ne la lui accorde qu'en exigeant de lui qu'il ajouterait la ville et le territoire de Commachio aux autres villes et territoires qu'Astolphe s'était déjà engagé l'année précédente à restituer au Saint-Siége.

On sait que Pépin lui-même, le premier, avait reconnu et confirmé les droits du patrimoine de Saint-Pierre par un acte solennel, dans l'Assemblée de Quierzy, en 734.

Au nom de Pépin, Fulrade, abbé de Saint-Denis, se rend donc dans toutes les villes cédées ou restituées à l'Église romaine. Il en reçoit les clefs qu'il vient ensuite déposer religieusement sur le tombeau de saint Pierre, avec l'acte de la cession et de l'abandon que le roi des Lombards en faisait lui-même pour toujours au Saint-Siége. Ces villes étaient au nombre de vingt-deux : elles formaient la plus grande partie de l'exarchat de Ravenne, et la plupart étaient situées le long des côtes de la mer Adriatique, dans un espace d'environ quarante lieues.

Charlemagne, d'immortelle mémoire, continua et acheva magnifiquement l'œuvre commencée par son père.

Quelques faits suffisent à mettre en lumière ce phénomène historique, où Dieu se servit si visiblement de la main des hommes pour achever

son œuvre.

En effet, Charlemagne ne se borna pas à reconnaître et à respecter la Souveraineté du Pape en Italie; il l'étendit et la consolida encore par ses victoires sur les Lombards, et par l'entière destruction de leur Monarchie en 773.

L'année précédente, Adrien Ier, pressé plus vivement que jamais par Didier, avait imploré le secours du roi de France, dont il connaissait le dévouement aux intérêts de la Religion et du Saint-Siège. Charlemagne ayant inutilement employé, auprès du roi des Lombards, la voie des négociations, pour l'obliger à satisfaire le Pape, passe les Alpes, force Di

dier dans Pavie, le fait prisonnier et l'envoie en France dans le monastère de Corbie; et met ainsi un terme à ce royaume des Lombards, qui durait depuis deux cents ans, ajoutant cette couronne à la sienne.

Mais Charlemagne fut moins grand par la conquête de ce nouveau diadème, que par sa glorieuse conduite envers l'Eglise romaine. Non content de confirmer toutes les donations de Pépin, son père, il se rendit à Rome, donna au Pape les marques les plus touchantes de son respect, fit dresser, par son chapelain Esthérius, l'acte d'une donation beaucoup plus ample, par laquelle il assurait pour toujours au Saint-Siége l'exarchat de Ravenne, l'île de Corse, les provinces de Parme, de Mantone, de Venise et d'Istrie, avec les duchés de Spolette et de Bénévent. Le roi signa de sa propre main cette donation, et la fit signer aussi par les Evêques, abbés, ducs et comtes qui l'accompagnaient; après quoi, il la mit sur l'autel de Saint-Pierre, et fit serment, avec tous les chefs français, de conserver au Saint-Siége les Etats qui lui étaient solennellement restitués. C'est ainsi que la Providence elle-même consomna l'établissement de la Souveraineté temporelle du Saint-Siége; et tels furent les nobles instruments qu'elle employa dans la suite des âges à ce grand ouvrage.

Pourquoi donc renverser l'œuvre des siècles et de la Providence? Pourquoi vouloir arracher du sol de l'Italie et de l'Europe une Institution vénérable, qui a jeté depuis plus de quinze cents ans de si profondes racines? Est-ce donc la paix, est-ce la dignité et la tranquillité de l'ordre qui fatiguent les esprits de nos jours? Et ne serait-il plus permis aux peuples de s'asseoir et de se reposer à l'ombre des traditions tutėlaires du passé? L'édifice de la puissance temporelle des Papes avait été bâti par la main de Dieu, pour abriter la liberté des peuples et garantir en même temps l'indépendance de leur foi. Jamais le dessein du Ciel ne fut plus manifeste! Malheur donc à la témérité sacrilége qui oserait attenter à l'œuvre de la sagesse divine, et, selon le langage de la foi antique, porter la main sur le patrimoine de saint Pierre !

On a beau protester avec plus ou moins d'hypocrisie ou de sincérité : ici, les présomptions hautaines d'esprit et les audaces de langage s'abritent mal sous les illusions de la bonne foi; ces grands intérêts ne doivent être traités par tous qu'avec un saint respect; j'ajouterai même, selon la parole de saint Paul, avec crainte et tremblement. Qu'on y prenne garde : toucher à de telles questions avec une témérité présomptueuse, c'est s'attaquer de plus près qu'on ne pense à la Pierre immuable dont il a été dit : Celui qui s'attaque à cette Pierre s'y brisera ; et celui sur lequel cette Pierre tombera, sera brisé (1).

(1) Saint Matthieu, 21-24.

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Le patrimoine de saint Pierre est le bien commun de la grande famille catholique; les fils dénaturés qui tentèrent de l'usurper ou de le dilapider à leur profit, y ont toujours trouvé leur ruine : c'est une proie qui a toujours porté malheur aux mains spoliatrices qui essayèrent de la ravir. Et vous, dont le nom ne doit aujourd'hui sa triste célébrité en Europe qu'à la plus criminelle et à la plus lâche audace, malheur à vous! Car vous êtes bien les ravisseurs les plus injustes, les plus ingrats, les plus perfides qui furent jamais. Vous chassez le Roi-Pontife; les soldats de vos doctrines assassinent son ministre : l'héritage du sang ne vous épouvante pas; vous trompez les peuples; vous opprimez la Cité sainte ; vous nommez liberté la plus intolérable anarchie! Eh bien ! les peuples, rendus à eux-mêmes, vous maudiront un jour; et ce n'est qu'aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ, rappelé par leurs vœux, qu'ils retrouveront la force de vous pardonner! F. DUPANLOUP.

(L'Ami de la Religion.)

(La suite à un prochain numéro.)

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