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Toutefois Luther semblait encore donner des bornes à l'esprit d'indépendance qu'il avait si violemment déchaîné; il semblait vouloir clore et enfermer dans de certaines limites le domaine qu'il avait ou croyait avoir conquis.

Mais Voltaire n'a de limites nulle part; il embrasse la destruction dans toute sa vastitude. Ce qu'il ne peut ou ce qu'il dédaigne renverser par le raisonnement, il le mine et le corrode par l'ironie. Son souffle dessèche l'âme; ce qu'il touche tombe en poussière. Rassemblant en lui les erreurs de tous les siècles, il appelle infâme la VÉRITÉ VIVANTE, la VÉRITÉ Source de vie et hors de laquelle nulle vie ! écrasons l'infâme! que son influence s'efface, que son souvenir périsse!... qu'il meure dans les âmes comme il est mort sur la croix, dans le mépris et l'ignominie. Crucifige, crucifige

eum.

Après dix-huit siècles, les cris des juifs déïcides sont répétés par Voltaire... le déïcide.

Et crimine ab uno disce omnes.

Ne vous étonnez donc pas de la perversité de ce grand coupable; tout ce que les hommes vénèrent, tout ce qu'ils entourent de respect et d'amour : la religion, la patrie, la science, les plus purs souvenirs de l'histoire, l'innocence, la pudeur, toutes les vertus enfin, Voltaire a tout couvert de sa bave impure; il a tout injecté du venin de sa moquerie ; et comme pour mieux faire éclater son insolent mépris pour la vérité, tour à tour il loue et diffame, il exalte et rabaisse, il avoue et il nie. La société n'a point d'antidote contre un pareil dissolvant; livrée à ces jeux impies, elle perd toute consistance, et jusqu'à la conscience d'elle-même, ballottée qu'elle est entre l'être et le néant.

Enfin, travaillée, remuée, avilie, exaltée, égarée, fascinée

VII.

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par d'orgueilleuses et impures doctrines, la société se lève troublée et comme frappée de vertige, au sein d'une nuit orageuse. Les vents rugissent, une tempête infernale balaie les cieux et en obscurcit les clartés. Le tonnerre gronde, les éclairs jaillissent de toutes parts; les crimes de la terre ont allumé la foudre du Ciel; elle frappe les sommités sociales et les trònes des rois, et toutes les institutions antiques s'écroulent en un clin d'œil.

Mais qui pourrait raconter les douleurs, le délire et la honte d'une société sortie violemment de ses voies antiques? La société !... Hélas, faut-il donner ce nom à ce qui n'en est plus que le fantôme, la société a fait entendre d'effrayantes clameurs; elle s'est écriée: il n'y a plus de Dieu; alleż, ne cherchez plus rien de divin en moi; ma raison seule, ma raison souveraine suffit à ma gloire; elle a bien su me délivrer d'un passé fantastique; tout ce qui était n'est plus, et tout ce qui est n'était pas; voilà ce qui est! il n'y a plus de rois; car les rois doivent être les ministres de Dien pour le bien; il n'y a point de ministres d'un Dieu, qui n'est pas. Il n'y a plus de magistrature, car la justice est cruauté et surtout injustice profonde. La justice, s'il pouvait en exister, serait l'usurpation de quelques-uns sur les droits de tous; car tous sont libres et souverains, et mettre en doute leur liberté d'agir c'est mettre en doute leur souveraineté absolue. Cependant il peut y avoir révolte, révolte contre l'ordre sublime que nous avons créé. Se révolter contre le passé c'est notre droit, - s'opposer à notre glorieuse révolte, voilà le crime, insolence inouie, attentat à la souveraineté de chaque citoyen-roi. Quoi de plus juste que de dépouiller le passé de ses prétendues prérogatives? il parlait de propriété, mais la propriété c'est le vol; l'ordre c'est le désordre, le désordre c'est l'ordre!...

-

Vous reculez d'effroi, vous vous demandez quel sera le

vengeur de tant de crimes?... Attendez, attendez, le blasphème et la révolte vont se châtier eux-mêmes. Écoutez les cris de ces âmes qui ont perdu le bien de l'intelligence : Vive la guillottine! vive Robespierre! vive l'enfer! vive la mort. Une mère salue par des cris d'amour l'enfant qu'elle a mis au monde; l'échafaud, la mort, l'enfer, voilà les cris d'amour de la chair et du sang complétement émancipés de toutes les lois divines. Ils ont enfanté la mort, et ils la saluent du nom de vie... et cependant la terre tremble, le rire expire sur les lèvres impies; les ténèbres couvrent de nouveau la face de la terre; les génies invisibles du monde moral crient de toutes parts : « Société orgueilleuse, qui te crois maîtresse du monde nouveau, ton heure est arrivée; marquée du signe et aux initiales de la bête (1) dont tu as les lâches et féroces instincts, société infernale et bestiale, effroi de la société humaine, oui, salue la mort, dont, chose horrible à dire, dont tu es à la fois et la fille et la mère (2)! Salue la mort, ta suprême et légitime conquête! Tu es maudite de Dieu et des hommes, tu es maudite par ta propre bouche; car tes disciples ne s'y trompent pas, ils le procla

ment bien haut. Dans les rébuts de l'humanité ils saluent leurs dieux tutélaires (3); mais au même moment ils saluent aussi les dernières conséquences des doctrines qu'ils professent (4). Ne vous semble-t-il pas que, pressés par la justice de Dieu, ces grands criminels appellent sur leurs têtes tous les châtiments qu'ils ont mérités en cette vie et en l'autre ? Ils y échapperont peut-être, car la miséricorde de Dieu est infinie, infinie aussi est la faiblesse de volonté chez ceux qui devraient

(1) La république rouge.

(2) Fille de la mort de l'âme, mère de la mort du corps.

(3) Vive Robespierre! vive Danton! vive Barbès! vive Raspail! etc.

(4) Vive la guillotine! vive la mort! vive l'enfer!... dans toutes les émeutes qui ont eu lieu à Paris et dans les différentes villes de France, au nom et par l'instigation de la république rouge, on a proféré les mêmes cris.

réprimer et punir, sans fausse pitié. La pitié aux victimes, le châtiment aux coupables! châtiments terribles aux grands coupables! voilà l'ordre! je n'en connais point d'autre.

Ah! ils n'échapperont pas ces sanguinaires apôtres des plus odieux mensonges, ils n'échapperont pas à l'horreur du genre humain; et déjà l'épouvante qu'ils inspirent, ils la ressentent bien plus terrible; elle les brùle comme un feu dévorant. On dirait une vision effroyable qui leur entr'ouvre l'avenir, qui les obsède, et dont rien ne peut les délivrer. Au fond de l'abîme qu'ils ont creusé en eux-mêmes, ils le sentent, ils le disent, ils s'écrient :

Per me si va nella citta dolente,

Per me si va nel eterno dolore.

quis

Le M DE BEAUFFORT.

LA CIGALE ET LA FOURMI.

Pauvre vieux Lafontaine, pourquoi avez-vous mis en tête de vos fables immortelles cette leçon d'égoïsme froid et railleur ? Pourquoi cette triste leçon, donnée partout à notre plus tendre enfance, est-elle le premier effort imposé à notre mémoire, immédiatement après la prière par laquelle nous appelons Dieu notre père et lui demandons le pain quotidien ? Comment nos bonnes et charitables mères ont-elles pu nous la faire balbutier sur leurs genoux? J'en ai su tous les termes longtemps avant de les comprendre, et à mesure que ma jeune intelligence découvrait un sens sous ces rimes machinalement répétées, il me semblait que la fourmi avait le cœur bien sec, et que je ne voudrais pas l'imiter. D'ailleurs tout le reste des enseignements maternels démentait celui-là; et quand, par un jour de bise, quelque chanteuse transie, quelque cigale plaintive venait crier famine à notre porte, on ne s'informait pas de ce qu'elle avait fait au temps chaud, on ne la repoussait pas par un cruel sarcasme, et ma mère m'envoyait aussitôt lui porter de quoi subsister jusqu'au lendemain, sinon jusqu'à la saison nouvelle.

Sans doute la cigale est dans son tort, et c'est par sa faute qu'elle se voit réduite à implorer le secours d'une voisine plus prévoyante. La paresse et la vanité l'ont perdue; elle a jeté aux vents tous les trésors de sa folle jeunesse, sans nul souci des autres et de son propre avenir ; présomptueuse et légère, elle a bondi sur les blés, ne songeant qu'à jouir, à dominer la voix de ses rivales, à faire bruyamment sa partie dans le concert des stridentes églogues qu'échangent les insectes sous un chaud soleil. Elle n'a eu que des dédains pour le travail silencieux et patient de la fourmi, pour ce labeur opiniâtre qui a préparé le repos de l'arrière saison. Elle est justement punie, la fourmi est dans son droit strict, et jusqu'ici l'on ne peut qu'approuver la moralité de l'apologue. Mais les infortunes les plus méritées sont-elles indignes de commisération? La malheur en lui-même n'a-t-il pas quelque chose de respectable, et ne faut-il pas surtout tenir compte du repentir? Voyez comme la vaniteuse cigale se fait modeste, comme elle doit souffrir de son humiliation. La voilà obligée de ramper jusqu'à l'entrée de la fourmilière; ses ailes sont engourdies par le froid et collées à ses maigres flancs; sa voix naguère si éclatante est enrouée et presque éteinte ; à peine parvient-elle à faire entendre le cri de sa détresse. Elle a faim et contemple d'un œil d'envie ce grenier

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