L'émeute était conduite par des jeunes gens porteurs de bonnets rouges et de cravates rouges. Le chef est un certain Arnold Ruge, connu pour avoir professé l'athéisme le plus éhonté dans ses écrits. A Leipsick on se battait encore le 6 au soir; cependant la garde communale a fini par s'emparer des barricades et par repousser le peuple. Mais si l'insurrection a été vaincue à Dresde, si le calme a été bientôt rétabli à Dusseldorf, il n'en a pas été de même dans la Prusse Rhénane. A Eberfeld, l'émeute a été longtemps maîtresse de la ville: on a pillé les principaux hôtels, et les riches négociants ont été arrêtés pour servir d'otages et pour être rançonnés. Le parlement de Francfort a blâmé l'intervention de la Prusse en Saxe. Immédiatement, le roi de Prusse a publié une ordonnance, datée du 14 mai, qui déclare aux députés prussiens faisant partie de cette assemblée que leur mandat est éteint, et qui leur intime l'ordre de s'abstenir de prendre part aux délibérations. Le roi de Saxe a également intimé aux représentants saxons un ordre de rappel dans les mêmes termes que le roi de Prusse. Ils y ont presque tous obtempéré. Le parlement de Francfort a essayé de diminuer le nombre légal des membres dont la présence est nécessaire pour la validité des délibérations. Il n'a pu y parvenir, par suite des abstentions et des démissions. Il achève maintenant son agonie et la marque par les mesures les plus révolutionnaires et les plus impuissantes. Il a décidé qu'il délibérerait en la présence de cent membres seulement. Il envoie députation sur députation au roi de Bavière, au grand-duc de Hesse, pour leur offrir une couronne impériale dont personne ne veut. La crise n'en devient que plus imminente. En même temps, la Prusse multiplie ses armements, 150,000 hommes vont ètre dirigés sur Francfort. Le roi de Bavière a dissous les Chambres de ses États; après avoir déclaré qu'il ne reconnaissait pas la Constitution votée à Francfort. Le grand-duché de Bade est au pouvoir de l'insurrection. Toutefois, les révoltés paraissent assez embarrassés de leur victoire, et des négociations sont entamées pour le retour du grand-duc. L'empereur de Russie est arrivé à Varsovie: on parle d'un congrès de princes à Kalisch pour le règlement des affaires de l'Europe orientale et centrale. La plus grande confusion règne dans les nouvelles de Hongrie. Le seul fait officiel est une réunion de la Diète magyare qui a prononcé la déchéance de la maison de Hapsbourg et convoqué une Assemblée nationale pour décider quelle serala forme nouvelle du gouvernement de la Hongrie. On a annoncé en outre la prise de Bude par les magyares; cette nouvelle s'est confirmée aujourd'hui. Le ministère sarde a subi une modification : le président du conseil, ministre des affaires étrangères, général Delaunay, ayant donné sa démission, a été remplacé par M. Massimo d'Azeglio. Le cabinet anglais a obtenu un succès remarquable devant la chambre des communes en faisant passer à la seconde lecture le bill sur le sermeut parlementaire. On sait qu'un Juif, le baron Rotschild, a été élu député par la cité de Londres, et que les statuts du parlement exigent de tout membre nommé la prestation d'un serment qui implique la reconnaissance de l'Église anglicane établie. Ce serment, déjà modifié pour les catholiques, devra-t-il être conçu de manière à ce que les Juifs puissent le prêter? Il y a là une question de liberté de conscience d'une haute importance. Les anglicans ont résisté de toutes leurs forces, et cette discussion a été pour eux l'occasion de jeter les plus ridicules injures sur les « idolâtres de l'Eglise catholique. » Le comte d'Arundel, à la chambre des communes, a fait une éclatante justice de ces attaques absurdes. Les catholiques ont voté avec leur digne corréligionnaire pour l'émancipation des Juifs, et le bill a passé. C'est à la fois un hommage sincère aux droits de la conscience, et un nouveau coup porté à l'Eglise établie. Il est arrivé de graves nouvelles du Canada. Le 25 avril, lord Elgin s'étant rendu au Parlement pour donner la sanction royale à divers bills, a été insulté; le Parlement a été chassé par la violence, et le feu a été mis à la salle. La malle de l'Inde apporte la confirmation de la fin de la guerre du Punjaub. Ce royaume est soumis et annexé aux possessions britanniques. Nous sommes dans la plus déplorable incertitude sur les affaires de l'Italie. La mission de M. de Lesseps est un mystère : on lui attribue la cessation des hostilités; on parle d'ultimatum offert à la République Romaine ; on dit même qu'un armistice a été proposé au gouvernement de Rome qui serait ainsi traité comme un gouvernement régulier. M. de Forbin-Janson, secrétaire d'ambassade, et qui a été forcé de quitter Rome, est arrivé à Paris. On assure qu'il apporte des dépêches importantes. Mais quelle en est la teneur? Il y a, dit-on, des propositions du triumvirat on traiterait du rappel du Pape, des conditions de son indépendance spirituelle. Mazzini aurait offert un nouvel appel au suffrage universel pour savoir si le peuple veut la souverainété pontificale ou s'il tient à la forme républicaine. Nous n'attachons pas la moindre créance à tous ces bruits. Mais nous devons les répéter parce qu'ils témoignent de l'hésitation où l'étrange conduite de l'expédition française jette tous les esprits. Il était si facile et si simple pourtant de résoudre cette affaire d'Italie! Que la France agît à temps, qu'elle se rappelât ses traditions, qu'elle consultât les avis d'une saine et sage politique, et Pie IX était rétabli sur son trône presque sans coup férir, et on rendait à l'Italie entière les conditions essentielles de sa grandeur, de sa liberté et de sa prospérité ! La situation de Rome est toujours la même. Les troupes françaises la bloquent étroitement, et la terreur y règne à l'intérienr. Voici le tableau que nous donne une correspondance: « Mazzini, Avezzana, Garibaldi sont trois étrangers sans fortune, qui ont peu de souci de Rome et de sa population, et qui s'appuient sur des bandes d'étrangers et sur une populace ignorante, qu'ils façonnent adroitement à leurs desseins. Pie IX et ses cardinaux ne pourront résister et rester au Vatican qu'avec l'occupation étrangère. Des attentats ont eu lieu. Dans une nuit, quelques individus, que l'on prenait pour des Jésuites déguisés, ont été saisis par la populace. La garde civique voulait les conduire au château Saint-Ange. On leur a arraché ces prisonniers qui ont été mis en pièces et jetés dans le Tibre. Le chevalier Campanna (du Muséum), ami du Pape, a été poignardé dans sa maison. Quelques prêtres ont été massacrés. » Pour la France les grandes nouvelles du mois sont les réélections et le départ de la constituante qui est morte très-tristement sans donner suite à ses velléités de rester en permanence jusqu'au moment où l'assemblée législative devait venir prendre possession du Parlement français. Quant aux élections on sait comment elles ont tourné. Grâce aux dissensions qui se sont manifestées dans le camp du parti conservateur, le parti socialiste compte aujourd'hui 250 démagogues à la chambre. Ce résultat, quoi qu'on en dise est une honte pour la France. Maintenant la grande affaire à l'ordre du jour, c'est la reconstitution du ministère. Nous attendrons qu'une décision ait été prise à cet égard, pour en parler. DU PROTESTANTISME FRANÇAIS AU XIX® SIÈCLE. Un des écrivains catholiques de notre temps qui ont le plus sérieusement étudié le travail intérieur du protestantisme, disait en voyant les métamorphoses continuelles de cet in saisissable Protée: «La forme du journal serait peut-être la plus appropriée pour « le décrire, ou, ce qui revient au même, pour le combattre. Une "gazette serait la meilleure continuation du grand et magnifique « ouvrage de Bossuet (1). Nous n'avons certes pas la prétention d'écrire un nouveau chapitre de l'Histoire des Variations. L'héritage de Bossuet n'appartient à personne. Mais ne pouvons-nous pas essayer de répondre à la pensée de M. de Champagny, et n'est-il pas de notre devoir de tracer ce bulletin dont il parle et auquel chaque jour et chaque heure apportent des pages nouvelles, si curieuses et si intéressantes? Disons-le d'ailleurs: la tâche nous est rendue facile par les Protestants eux-mêmes, et nous n'avons guère qu'à écrire sous leur dictée. Le Protestantisme en effet est arrivé à une époque suprême et décisive. Il le sent et il le confesse. Recueillons ses paroles avec un double sentiment, celui d'une charité profonde pour les personnes, et celui d'un invincible espoir pour leur retour au sein de la lumière. Jamais peut-être la publicité n'est venue éclairer plus vivement les intimes dissensions du Protestantisme. Jamais des aveux plus étonnants et plus sincères ne se sont échappés de la bouche de ses docteurs. Jamais ses prédicants n'ont été aussi violents dans (1) M. FRANZ DE CHAMPAGNY. Un mot d'un Catholique sur quelques travaux protestants. Nous avons eu souvent recours dans cet article à ce remarquable écrit. VII. 58 leurs témérités et aussi francs dans l'expression de leurs découragements. Enfin, pour couronner le tableau, au moment même où la division dogmatique est descendue à ses extrêmes limites, d'incroyables projets de réunion sont mis en avant; on essaie des tentatives extraordinaires de rapprochement et de conciliation. Des quatre points de l'horizon, un irrésistible instinct appelle les membres épars de la Réforme à des congrès et à des synodes. Il se tient des conférences nationales à Genève, à Berlin, à Spire, à Nuremberg. Paris a vu, il y a deux mois, la première assemblée générale des Protestants en France. Et tout ce mouvement aboutit à quoi? à creuser encore l'abîme des discordes intestines, et à donner au monde le spectacle de solennels avortements. Certes, ces faits sont graves, et au point de vue social, comme au point de vue dogmatique, nous ne saurions trop les méditer. En eux-mêmes, ils offrent un singulier témoignage de l'invincible prédominance des questions religieuses à notre époque. Combien ne faut-il pas que les âmes de nos frères soient profondément remuées pour secouer ainsi leur commode et naturelle indifférence, et malgré les anxiétés de la politique, malgré les souffrances aggravées des intérêts matériels, pour se jeter avec ardeur et avec passion dans des luttes de textes et dans des débats de formules? Eux, les enfants du libre examen, qui prétendent s'endormir avec une si paisible confiance sous les inspirations infaillibles de la raison individuelle et du sens privé, les voilà tout d'un coup qui se réveillent et qui se troublent. L'isolement leur pèse, le fractionnement les fatigue et les désole. Il leur faut de la concorde, de l'association, des liens ; que dis-je : il leur faut une organisation, une direction, une autorité! Et quelle autorité? Non pas seulement comme quelques-uns le veulent, un rapprochement factice et éphémère, une vague communauté d'hostilité et de négation contre l'Église catholique, l'union enfin dans la résistance à la vérité. Les plus actifs, les plus intelligents, disons même les plus religieux, vont bien au delà. Ce qu'ils réclament, c'est une formule dogmatique, un symbole de croyance, une confession de foi. Une confession de foi! ce rêve désolant et irréalisable des intelligences qui ont rompu avec le centre unique de l'immuable doctrine; ce remords impitoyable de tous les cœurs qui ont quitté le seul asile de la paix et du re pos de la conscience! Ah! sans doute que nos frères séparés hésitent et tremblent devant les variations et l'effacement successif des dogmes; qu'ils s'épouvantent en présence des emportements et des blasphèmes du Rationalisme si naturellement éclos et réchauffé dans leur sein; nous le croyons, et nous bénissons la Providence qui, parmi leurs égarements, leur laisse encore assez de foi pour reculer sur la pente fatale où les entraîne la logique de l'erreur. Mais quelle leçon! et, pour nous catholiques, quel triomphe que cet hommage arraché de force à la conscience des fils de Luther, en faveur du principe même de la sainte Église Ro maine! Et que l'on ne croie pas que nous cédions ici aux illusions de notre zèle. Non, nous l'avons dit, nous faisons de l'histoire, et les preuves sont entre nos mains. Hâtons-nous de les produire. Nous avons à signaler trois faits principaux : Dissolution intérieure du Protestantisme et ruine totale de sa Foi. Vains efforts de rapprochements et d'unité : tantatives inutiles de confessions et de symboles. Radicale impuissance à se constituer en Églises dogmatiques, en Sociétés spirituelles. I Ce n'est pas d'hier que date la dissolution antérieure du Protestantisme. La séparatiou est son vice originel; il est né d'elle, et il en mourra. Deux Protestants peuvent s'unir dans la négation. Sitôt qu'il faut affirmer, ils se séparent. Aussi ne vivent-ils, comme corps, que par la Protestation; et encore à la condition de varier incessamment et de modifier le mode et l'objet de cette protestation. Cette loi fatale est toute leur histoire, et c'est elle qui les a progressivement amenés par tous les degrés de la négation jusqu'au scepticisme le plus absolu. Quand le docteur Strauss, ministre du saint Évangile, a nié la divinité et l'existence même de Jésus-Christ, il n'était que le plus intrépide, mais le plus légitime héritier du prédicant de Wittenberg. Les publicistes de bonne foi parmi les Réformés ne font pas difficulté d'en convenir. Voici ce que disait un homme d'un rare mérite, esprit éminent, écrivain supérieur, dialecticien d'une ha |