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d'heure de recherches, l'employé du bureau des renseignements à qui il s'était adressé, s'arrêta et prononça ces mots, attendus avec une vive anxiété : MM. Grandménil et Bénédict. rue Michaudière, 10.

-Rue Michaudière, 10. Enfin, ajouta Joseph, ils ne m'échapperont pas, et sa poitrine oppressée se souleva bruyamment comme si on l'eût déchargée d'un poids qui l'étouffait. Cependant une première déception l'attendait déjà. S'étant présenté au domicile de son frère, on lui répondit qu'en effet depuis plus de trois mois un monsieur du nom qu'il venait de décliner avait loué un appartement dans la maison, mais qu'il n'y venait que de loin en loin et ne devait venir l'habiter que dans quelques semaines. Joseph comprit tout de suite qu'on avait pris des mesures pour le dépister. Alors il se mit à parcourir Paris, en tous sens, s'informant toujours de Louis Grandinénil que personne ne connaissait. Tous les soirs il se rendait à quelque concert, à quelque théâtre, où le dos tourné à l'orchestre ou à la scène, il parcourait d'un regard avide les rangs pressés des spectateurs dont l'enivrement et la joie contrastaient si étrangement avec sa morne douleur. Souvent il s'oubliait jusqu'à apostropher la foule. Ses voisins alors le croyant fou, le bafouaient ou l'exhortaient à quitter la salle. Rappelé à lui par ces observations, il se rasseyait, et cherchait à dissimuler les larmes que lui arrachait le spectacle de ces étourdissantes assemblées animées de sentiments si peu en harmonie avec ses propres impressions. Ce bruit, ces transports, cette confusion, ce faux éclat des lumières, tout cela l'attristait profondément, et portait dans l'esprit de cet homine si peu accessible pourtant aux émotions puériles, les appréhensions les plus chimériques. Par moment il lui semblait que ce monde au milieu duquel il était perdu, le séparait à jamais de tout ce qu'il aimait ici-bas.

Un jour que suivant son habitude, il s'était arrêté devant un bureau de théâtre, il fut frappé tout à coup d'un son de voix qui ne lui était pas étranger. Illusion sans doute, se dit-il. Hélas! depuis que je suis ici, je ne me reconnais plus. tout m'effraye et m'épouvante; l'atmosphère de plomb qui m'environne m'étouffe et me donne le délire. Est-ce là, o séjour tant vanté de Paris, l'effet que tu produis sur tous ceux que la renommée attire dans tes murs? Pour moi, il me tarde de te fuir et de respirer l'air plus

libre de mes montagnes. Il entra et écouta avec plus d'attention que d'ordinaire la comédie qui se jouait. La pièce était assez morale et. par une circonstance inexplicable, les vers lui en étaient connus. Cependant il assistait à une première représentation. Par moment il lui arrivait de prévenir le comédien dans son débit; il chercha, mais vainement, la source de ces étranges réminiscenses. A la fin de la pièce on demanda l'auteur, mais quelques voix malveillantes s'étant fait entendre, son nom ne fut pas proclamé. Après la chute du rideau, Joseph se retourna vers le public, puis quitta la salle, non sans quelque secrète résistance, bien qu'il se fût assuré que son frère n'y était pas. Le lendemain, après trois semaines de séjour à Paris, il se remit en route pour Montbenoit désespérant à son tour de retrouver ce frère indigne pour lequel il eût volontiers encore sacrifié sa vie.

(Pour être continué.)

P.-A. PROOST.

DE LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE

DU PAPE

ROME, L'ITALIE et l'europe sans le pape.

Nous approchons du terme : et, bien que les preuves apportées jusqu'ici démontrent invinciblement, selon nous, la thèse si catholique que nous soutenons, nous y ajouterons quelques considérations particulières d'un autre intérêt et d'un autre ordre, qui complèteront néanmoins et achèveront notre démonstration.

Nous avons dejà dit ce que serait Rome sans le Pape, au point de vue matériel: mais nous n'avons pas tout dit, même sous ce rapport. Rome sans le Pape! Mais y a-t-on bien pensé?

Avant tout, c'est un non-sens : Oui, Rome sans le Pape, c'est un nonsens historique, religieux, social. L'imagination, la pensée ne s'y accoutument pas; les monuments, les arts, les sciences, la politique elle-même, la religion, l'histoire, l'antiquité, tous les souvenirs des temps qui ne sont plus, toutes les espérances de l'avenir se récrient, protestent contre l'injure faite à leur antique, à leur nécessaire protecteur ; et proclament que Rome sans le Pape est une ville dépeuplée, un corps saus âme, une cité sans gloire et sans vie; non tenebat ornatum suum civitas, aurait dit son ancien orateur. (CICÉR. de Républ.)

Rome sans le Pape! Mais nous l'avons déjà montré, c'est un désert! Qui l'habitera, qui la remplira? qui en fera les honneurs? Il y a déjà bien des déserts dans Rome : Romains, qui voulez nous donner une Rome sans Pape, souffrez que j'entre ici en discussion avec vous-mêmes et que je vous interroge directement : Ces déserts, vous voulez donc les multiplier? Le Palatin, l'Aventin, le Viminal, le Forum, vos plus grands quartiers sont vides! Vous y ajouterez donc le Quirinal, le Vatican, la ville entière!

Que ferez-vous, en particulier, des sept basiliques? Que ferez-vous de ces trois cent soixante-cinq églises qui répondent à tous les besoins, à tous les souvenirs, à tous les vœux, à tous les pèlerinages du monde catholique? Prêtres et fidèles, nous comptions les visiter au grand Jubile

(1) Voir la livraison précédente, page 11.

qui s'approche: mais le Pape absent nous manquerait tous les jours, comme il vous manque aujourd'hui ! Car y a-t-il une seule de vos cent fêtes qui soit possible sans lui?

Que ferez-vous, en particulier, de Saint-Pierre, de cette immensité, de cette magnificence, de cette splendeur? Le Pontife universel de la Catholicité peut seul le remplir. Saint-Pierre, manifestement, n'a été fait si vaste, qu'afin que le Père commun de la grande famille catholique put y rassembler tous ses enfants et les bénir!

Certes, les Romains se feraient une étrange illusion s'ils croyaient que Saint-Pierre n'est que la plus grande paroisse du diocèse de Rome : c'est pour elle-même que la Catholicité tout entière l'a fait bâtir et y a prodigué ses trésors. Saint-Pierre est le temple auguste de la Catholicité : Rome n'en est que le premier vestibule et le parvis; le Pape seul en est l'âme, la vie, la lumière !

Rome sans le Pape! Mais au jour de la grande fète de tous les chrétiens, au grand jour de Pâques, quelle main se lèvera pour donner à la ville et au monde, URBI ET ORBI, la solennelle bénédiction du Vicaire de Jésus-Christ? Oui, qui remplacera cette grande voix, cette voix paternelle, qui, du haut de la tribune sacrée, au milieu de ce silence sublime de la terre et des cieux, retentissait au milieu des airs, pour l'univers entier, comme la voix de Dieu même?

Ah! j'ai vu alors tomber à genoux les plus incrédules, vaincus par une force supérieure et divine, je les ai vus, enfants dociles, s'incliner avec respect sous la main du Père commun de la grande famille chrétienne; je les ai vus, brebis reconquises, recevoir avec attendrissement, avec amour, la bénédiction du souverain Pasteur des âmes! Romains, protestants, schismatiques, Grecs, Anglais, Russes, Français, Américains, nous étions là, de toute langue, de toute tribu, de toute nation, prosternés à terre et suspendus à la voix du Pontife suprème ! C'était le plus beau et le plus touchant des spectacles! Le langage humain manque pour l'exprimer! Et quand on se relevait, les larmes étaient dans tous les yeux, une émotion indéfinissable remuait tous les cours: Il n'y avait plus là qu'un troupeau et qu'un pasteur! Nous ne faisions tous qu'un cœur et qu'une âme! Vous l'avez vu comme moi, et vous voulez nous ravir cette gloire, cette incomparable douceur ! Vous voulez vous la ravir à vous-mêmes !... Vous voulez que Rome soit sans son Pape!...

On l'a dit bien des fois : Rome, même avec le Pape, attriste par sa solitude; ce n'est, il est vrai, qu'un premier aspect, une première impression; bientôt on comprend cette solitude, on l'aime, on la goûte, on s'y attache étrangement, on s'y repose, on ne veut pas s'en éloigner. Il

y a là une gravité, une paix profonde, un intérêt mystérieux, qui s'emparent invinciblement de l'âme ! C'est un charme inexprimable.

Ah! c'est bien de Rome, en des jours plus heureux et meilleurs, c'est bien de Rome avec son Pape, de Rome la ville sainte, qu'on pouvait redire ces vers d'un poëte, dont le nom, lui aussi, est depuis longtemps déjà une douleur, et la vie une chute, hélas! nous ne voulons pas dire sans espérance:

Ici viennent mourir les derniers bruits du monde!
Nautoniers sans étoile, abordez; c'est le port!

Ici l'àme se plonge en une paix profonde,

Et cette paix n'est point la mort (1)!

Mais sans le Pape, Rome ne serait plus que la solitude des tombeaux ! Son repos serait la mort! A Naples, on va chercher le soleil! A Rome, c'est le Pape! C'est le Pape et cette douce lumière qui l'environne, cette lumière de paix et de grâce, cette lumière de la foi et de la douceur évangélique, qui repose les yeux fatigués, qui guérit les yeux malades, qui donne des yeux pour la voir à ceux qui n'en ont point, qui se fait aimer de ceux-là même qui la craignent, qui attire ceux qui la fuient, et les gagne quelquefois à jamais!

Vainement les Romains révolutionnaires nous diraient-ils le Pape pourrait demeurer à Rome, et habiter le palais et la basilique de SaintJean-de-Latran, comme sous Constantin : tout ensemble Évêque de Rome et chef de la Catholicité!

Non il ne le pourrait pas ! Et vous-mêmes les premiers, vous le trouveriez bientôt impossible! Si vous aviez fait ce rêve, je vous le déclare, il s'évanouirait promptement! Le Pape, chef suprême de la Catholicité, Pontife universel, à Saint-Jean-de-Latran! Mais, qui que vous soyez, consul, président, souverain à titre quelconque, vous ne pourriez demeurer un jour auprès de lui: qui ne prévoit vos ombrages perpétuels! Le Pape serait toujours trop grand pour vous! Il vous écraserait malgré lui, malgré vous, de son incomparable dignité; vous ne le pourriez souffrir; vous iriez bientôt vous cacher de désespoir et de honte!

Et cependant que feriez-vous du Vatican et de cent autres merveilles, dont le Pape est l'hôte nécessaire et la gloire? Ne sentez-vous pas que seuls, sans lui, vous errez comme des ombres au milieu de ces espaces vides et immenses, où vous n'apparaitrez que comme des pygmées au pied de ces monuments gigantesques, faits pour une autre grandeur que la vôtre? Plus j'y songe, plus je m'étonne. Vous, régner dans Rome, auprès du Pape, au-dessus du Pape! Non. Ici, les impossibilités se multi(1) M. de LAMARTINE, Méditat. sur la Roche-Guyon.

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