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asseoir les fondements de son travail sur les principes généraux de l'école moderne, quelle merveille! Mais à qui le ciel a-t-il jamais départi cet ensemble de talents dont un seul suffiroit à la gloire de plusieurs hommes? Chacun écrira donc comme il voit, comme il sent; vous ne pouvez exiger de l'historien que la connoissance des faits, l'impartialité des jugements et le style, s'il peut.

ÉCOLE HISTORIQUE DE L'ALLEMAGNE. PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE. L'HISTOIRE EN ANGLETERRE ET EN ITALIE.

Auprès de nous, tandis que nous fondions notre école politique, l'Allemagne établissoit ses nouvelles doctrines, et nous devançoit dans les hautes régions de l'intelligence: elle faisoit entrer la philosophie dans l'histoire, non cette philosophie du xvII° siècle, qui consistoit à rendre des arrêts moraux ou antireligieux, mais cette philosophie qui tient à l'essence des êtres, qui, pénétrant l'enveloppe du monde sensible, cherche s'il n'y a point sous cette enveloppe quelque chose de plus réel, de plus vivant, cause des phénomènes sociaux.

Découvrir les lois qui régissent l'espèce humaine; prendre pour base d'opérations les trois ou quatre grandes traditions répandues chez tous les peuples de la terre; reconstruire la société sur ces traditions, de la même manière qu'on restaure un monument d'après ses ruines; suivre le développement des idées et des institutions chez cette société; signaler ses transformations; s'enquérir de l'histoire s'il n'existe pas dans l'humanité quelque mouvement naturel, lequel, se manifestant à des époques fixes dans des positions données, peut faire prédire le retour de telle ou telle révolution, comme on annonce la réapparition des comètes dont les courbes ont été calculées, ce sont là d'immenses intérêts. Qu'est-ce que l'homme? D'où vientil? Où va-t-il? Qu'est-il venu faire ici-bas? Quelles sont ses destinées? Les archives du monde fournissent-elles des réponses à ces questions? Trouvet-on à chaque origine nationale un âge religieux? De cet âge passe-t-on à un âge héroïque, de cet âge héroïque à un âge social, de cet âge social à un åge proprement dit humain, de cet âge humain à un âge philosophique?

Y a-t-il un Homère qui chante en tous pays, dans différentes langues, au berceau de tous les peuples? L'Allemagne se divise sur ces questions en deux partis le parti philosophique-historique, et le parti historique.

Le parti philosophique-historique, à la tête duquel se mot M. Hegel, prétend que l'âme universelle se manifeste dans l'humanité par quatre modes · l'un substantiel, identique, immobile on le trouve dans l'Orient; l'autre individuel, varié, actif: on le voit dans la Grèce; le troisième se composant des deux premiers dans une lutte perpétuelle: il étoit à Rome; le quatrième sortant de la lutte du troisième pour harmonier ce qui étoit divers : il existe dans les nations d'origine germanique.

Ainsi l'Orient, la Grèce, Rome, la Germanie, offrent les quatre formes et les quatre principes historiques de la société. Chaque grande masse de peuples, placée dans ces catégories géographiques, tire de ses positions diverses la nature de son génie, le caractère de ses lois, le genre des événements de sa vie sociale.

Le parti historique s'en tient aux seuls faits, et rejette toute formule philosophique. M. Niebuhr, son illustre chef, dont le monde lettré déplore la perte récente, a composé l'histoire romaine qui précéda Rome, mais il n'a point reconstruit son monument cyclopéen autour d'une idée. M. de Savigny, qui suit l'histoire du droit romain depuis son âge poétique jusqu'à l'âge philosophique où nous sommes parvenus, ne cherche point le principe abstrait qui semble avoir donné à ce droit une sorte d'éternité.

L'école philosophique-historique de nos voisins procède, comme on le voit, par synthèse, et l'école purement historique par l'analyse. Ce sont les deux méthodes naturellement applicables à l'idée et à la forme. L'école philosophique soutient que l'esprit humain crée les faits; l'école historique dit. que le fait met en mouvement l'esprit humain : cette dernière école reconnoit encore un enchaînement providentiel dans l'ordre des événements. Ces deux écoles prennent en Allemagne le nom de système rationnel et de système supernaturel.

De concert avec les deux écoles historiques marchent deux écoles théologiques, qui s'unissent aux deux premières selon leurs diverses affinités. Ces écoles théologiques sont chrétiennes; mais l'une fait sortir le christianisme de la raison pure, l'autre de la révélation. Dans ce pays, où les hautes études sont poussées si loin, il ne vient à la pensée de personne que l'absence de l'idée chrétienne dans la société soit une preuve des progrès de la civilisation.

Les Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité, par Herder, sont trop célèbres pour ne les pas rappeler ici. Un passage de l'introduction de M. Quinet suffira pour les faire connoître.

L'histoire, dans son commencement comme dans sa fin, est le spectacle de la liberté, la protestation du genre humain comme le monde qui l'enchaîne, le triomphe de l'infini sur le fini, l'affranchissement de l'esprit, le règne de l'âme le jour où la liberté manqueroit au monde seroit celui où l'histoire s'arrêteroit. Poussé par une main invisible, non-seulement le genre humain a brisé le sceau de l'univers et tenté une carrière inconnue jusque là, mais il triomphe de lui-même, se dérobe à ses propres voies, et changeant incessamment de formes et d'idoles, chaque effort atteste que l'univers l'embarrasse et le gêne. En vain l'Orient, qui s'endort sur la foi de ses symboles, croit-il l'avoir enchaîné de tant de mystérieuses entraves: sur le rivage opposé s'élève un peuple enfant qui se fera un jouet de ses énigmes, et l'étouffera à son réveil. En vain la personnalité romaine a-t-elle tout absorbé pour tout dévorer; au milieu de ce silence de l'empire, est-ce une illusion décevante, un leurre poétique, que ce bruit sorti des forêts du Nord, et qui n'est ni le frémissement des feuilles, ni le cri de l'aigle, ni le mugissement des bêtes sauvages? Ainsi, captif dans les bornes du monde, l'infini s'agite pour en sortir, et l'humanité qui l'a recueilli, saisie comme d'un vertige, s'en va, en présence de l'univers muet, cheminant de ruine en ruine, sans trouver où s'arrêter. C'est un voyageur pressé, plein d'ennui, loin de ses foyers; parti de l'Inde avant le jour, à peine a-t-il reposé dans l'enceinte de Babylone, qu'il brise Babylone; et resté sans abri, il s'enfuit chez les Perses, chez les Mèdes, dans la terre d'Égypte. Un siecle, une heure, et il brise Palmyre, Ecbatane et Memphis, et, toujours renversant l'enceinte qui l'a recueilli, il quitte les Lydiens pour les Hellènes, les Hellènes pour les Étrusques, les Étrusques pour les Romains, les Romains pour les Gètes, les Gètes... Mais que sais-je ce qui va suivre! Quelle aveugle précipitation! Qui le presse? Comment ne craint-il pas de défaillir avant l'arrivée? Ah! si dans l'antique épopée nous suivons de mer en mer les destinées errantes d'Ulysse jusqu'à son île chérie, qui nous dira quand finiront les aventures de cet étrange voyageur et quand il verra de loin fumer les toits de son Ithaque?

« Ainsi, nous touchons aux premières limites de l'histoire. Nous quittons les phénomènes physiques pour entrer dans le dédale des révolutions qui marquent la vie de l'humanité. Adieu ces douces et paisibles retraites, ce repos immuable, cette fraîcheur et cette innocence dans les tableaux; l'air que nous allons respirer est dévorant, le terrain que nous foulons aux pieds est souillé de sang, les objets y vacillent dans une éternelle instabilité : où reposer mes yeux? Le moindre grain de sable battu des vents a en lui plus

d'éléments de durée que la fortune de Rome ou de Sparte. Dans tel réduit solitaire je connois tel petit ruisseau dont le doux murmure, le cours sinueux et les vivantes harmonies surpassent en antiquité les souvenirs de Nestor et les annales de Babylone. Aujourd'hui, comme aux jours de Pline et de Columelle, la jacinthe se plaît dans les Gaules, la pervenche en Illyrie, la marguerite sur les ruines de Numance, et pendant qu'autour d'elles les villes ont changé de maîtres et de nom, que plusieurs sont rentrées dans le néant, que les civilisations se sont choquées et brisées, leurs paisibles générations ont traversé les âges, et se sont succédé l'une à l'autre jusqu'à nous, fraîches et riantes comme aux jours des batailles.

« Cette permanence du monde matériel ne doit-elle donc ici qu'exciter de vains regrets, et cette masse imposante n'est-elle là que pour mieux faire sentir ce qu'il y a d'éphémère et de tumultueux dans la succession des civilisations! A Dieu ne plaise! Tout au contraire, elle se réfléchit dans le système entier des actions humaines et les marques d'un profond caractère de paix et de sérénité. Quand il a été établi que les vicissitudes de l'histoire ne naissent pas d'un vain caprice des volontés, mais qu'elles ont leurs fondements dans les entrailles mêmes de l'univers, qu'elles en sont le résultat le plus élevé, et que c'étoit une condition du monde que nous voyons de faire naître à telle époque telle forme de civilisation, tel mouvement de progression; que ces divers phénomènes entrent en rapport avec le domaine entier de la nature et participent de son caractère, ainsi que toute autre espèce de production terrestre, les actions humaines se présentent alors comme un nouveau règne, qui a ses harmonies, ses contrastes et sa sphère déterminés. »

Ainsi s'exprime Herder par la voix de son éloquent interprète.

Au surplus, ces nobles systèmes appliqués à l'histoire ne sont pas aussi nouveaux qu'ils le paroissent. Un homme patiemment endormi pendant un siècle et demi dans sa poussière vient de ressusciter pour réclamer sa gloire ajournée il avoit devancé son temps; quand l'ère des idées qu'il représentoit est arrivée, elles ont été frapper à sa tombe et le réveiller: je veux parler de Vico.

Dans son ouvrage de la Science nouvelle, Vico, laissant de côté l'histoire particulière des peuples, posa les fondements de l'histoire générale de l'espèce humaine.

<< Tracer l'histoire universelle éternelle, » dit M. Michelet dans sa traduction abrégée et son analyse précise et bien sentie du système de Vico, « tracer l'histoire universelle éternelle qui se produit dans le temps sous la forme des

histoires particulières; décrire le cercle idéal dans lequel tourne le monde réel, voilà l'objet de la Science nouvelle; elle est tout à la fois la philosophie et l'histoire de l'humanité.

« Elle tire son unité de la religion, principe producteur et conservateur de la société. Jusque ici on n'a parlé que de théologie naturelle, la Science nouvelle est une théologie sociale, une démonstration historique de la Providence, une histoire des décrets par lesquels, à l'insu des hommes et souvent malgré eux, elle a gouverné la grande cité du genre humain. Qui ne ressentira un divin plaisir en ce corps mortel, lorsque nous contemplerons ce monde des nations, si varié de caractères, de temps et de lieux, dans l'uniformité des idées divines? »

Selon Vico, les fondateurs de la société furent les géants ou les cyclopes. Les géants étoient sans lois et sans Dieu le tonnerre gronda, ils s'effrayèrent, ils reconnurent une puissance supérieure à la leur, origine de l'idolâtrie : née de la crédulité et non de l'imposture. L'idolâtrie fut nécessaire au monde, dit Vico elle dompta par les terreurs de la religion l'orgueil de la force; elle prépara par la religion des sens la religion de la raison et ensuite celle de la foi. Ce fut là le premier âge, âge poétique de la société; à cette époque toutes les lois étoient religieuses. Vico, pour se débarrasser des questions théologiques, met à part le peuple de Dieu comme seul dépositaire de la vraie tradition, et raisonne librement sur tout le reste.

Avec la religion commence la société; les premiers pères de famille deviennent les premiers prêtres, les premiers rois les patriarches (pères et princes).

Ce gouvernement de famille est cruel, absolu; le père a le droit de vie et de mort sur ses enfants, de même que sa vie et sa mort sont soumises au Dieu qui l'a créé, et qu'il a entendu dans le bruit de la foudre. De là les sacrifices humains, les rites, les cérémonies religieuses; loi primitive de l'espèce humaine, loi qui se prolongea jusque dans le droit civil successeur de cette première lui.

Bientôt des sauvages, qui étoient restés dans la promiscuité des biens et des femmes et dans l'anarchie qui en étoit la suite, se réfugièrent aux autels des forts, sur les hauteurs où les premières familles s'étoient rassemblées sous le gouvernement des pères de famille ou des héros.

Ces réfugiés devinrent les esclaves de leurs défenseurs; ils ne jouirent d'aucune prérogative des héros, et particulièrement du mariage religieux ou solennel qui fonda la scciété domestique; mais les réfugiés se multiplièrent,

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