Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

sonne de saint Louis, en deux familles, donna le sceptre à l'une, et mit l'autre en réserve dans un rang moins élevé pour y conserver ces vertus qui s'usent quelquefois sur le trône. Sujets avant d'être rois, les Bourbons moururent pour les François avant que les François mourussent pour eux : Pierre de Bourbon fut tué à la journée de Poitiers, Louis de Bourbon à celle d'Azincourt, François de Bourbon à celle de Sainte-Brigide, Antoine de Bourbon au siége de Rouen. Les femmes de cette famille donnèrent de grands monarques à la France, en attendant le règne de la lignée masculine: Marguerite de Bourbon, duchesse de Savoie, fut l'aïeule de François Ier. Lorsque les Bourbons, alliés à plus de huit cents familles militaires, eurent reçu tout ce qu'il y avoit d'héroïque dans le sang françois, la Providence fit paroître Henri IV et les Condé.

CHAPITRE III.

GRANDEUR DE LA MAISON DE FRANCE.

Quand il n'y auroit dans la France que cette Maison de France dont la majesté étonne, encore pourrions-nous en fait de gloire en remontrer à toutes les nations et porter un défi à l'histoire. Les Capets régnoient lorsque tous les autres souverains de l'Europe étoient encore sujets. Les vassaux de nos rois sont devenus rois : les uns ont conquis l'Angleterre, les autres ont régné en Écosse; ceux-ci ont chassé les Sarrasins de l'Espagne et de l'Italie, ceux-là ont formé les États de Portugal, de Naples et de Sicile. La Navarre et la Castille, les trônes de Léon et d'Aragon, les royaumes d'Arménie, de Constantinople et de Jérusalem ont été occupés par des princes du sang capétien. En 1380, plus de quinze branches composoient la Maison de France, et cinq monarques de cette Maison régnoient ensemble dans six monarchies diverses, sans compter un duc de Bretagne et un duc de Bourgogne. En tout, une seule famille a produit cent quatorze souverains : trente-six rois de France depuis Eudes jusqu'à Louis XVIII; vingt-deux rois de Portugal, onze rois de Naples et de Sicile, quatre rois de toutes les Espagnes et des Indes, trois rois de Hongrie, trois empereurs de Constantinople, trois rois de Navarre de la branche d'Évreux, et Antoine de la maison de Bourbon, dix-sept ducs de Bourgogne de la première et de la seconde maison, douze ducs de Bretagne, deux ducs de Lorraine et de Bar. Il faut se représenter dans cette nation, plutôt que dans cette famille de rois, une

foule de grands hommes: ces souverains nous ont transmis leurs noms avec des titres que la postérité a reconnus authentiques : les uns sont appelés auguste, saint, pieux. grand, courtois, hardi, sage, victorieux, bien-aimė; les autres, père du peuple, père des lettres. <«< Comme il est écrit par blâme, dit un vieil historien ', que tous les bons roys seroient aisément pourtraits en un anneau, les mauvais roys de France y pourroient mieux, tant le nombre en est petit! » Sous la famille royale, les ténèbres de la barbarie se dissipent, la langue se forme, les lettres et les arts produisent leurs chefs-d'œuvre, nos villes s'embellissent, nos monuments s'élèvent, nos chemins s'ouvrent, nos ports se creusent, nos armées étonnent l'Europe et l'Asie, et nos flottes couvrent les deux mers. Ajoutez plus de mille ans d'antiquité à cette race: eh bien! la révolution a livré tout cela au couteau de Louvel!

CHAPITRE IV.

NAISSANCE ET ENFANCE DE MGR LE DUC DE BERRY.

La France pleurera longtemps Mgr le duc de Berry; elle peut dire de lui ce que Plutarque dit de Philopomen par rapport à la Grèce : « La Grèce l'aima singulièrement comme le dernier homme de vertus qu'elle eût porté dans sa vieillesse. » Il naquit à Versailles, le 24 janvier 1778. Il eut pour père Charles-Philippe de France, comte d'Artois, aujourd'hui MONSIEUR, frère du roi, et pour mère Marie-Thérèse de Savoie. Son frère aîné, Louis-Antoine de France, duc d'Angoulême, étoit né à Versailles, le 6 août 1775, et avoit par conséquent deux ans six mois dix-huit jours plus que lui.

Mgr le duc de Berry eut pour gouvernante Mme la comtesse de Caumont. La première enfance du prince fut pénible. A l'âge de cinq ans et demi, il fut remis à la garde de M. le duc de Sérent, qui déjà exerçoit la charge de gouverneur de Mer le duc d'Angoulême. Ce respectable vieillard se consoloit encore il y a quelques mois d'avoir perdu ses deux fils dans les guerres de Bretagne en voyant prospérer les deux autres fils qu'il avoit élevés pour la France: il ne se console plus aujourd'hui.

Les princes allèrent s'établir pour leur éducation à Beauregard : c'étoit un château où l'on voyoit un de ces grands bois 2 de tout temps

1. DU TILLET, Recueil des Rois de France.

2. Arbores quæ ab antiquo servatæ et fotæ fuerunt, propter decorum et amœnitatem maneriorum. (Ordonn. des rois de France.)

réservés en France pour l'ornement des maisons de campagne. Ce château et ces jardins existent encore, ainsi qu'une pièce d'eau à laquelle les enfants de France ont travaillé.

Ce fut dans cette solitude, tout auprès des pompes de Versailles, qui devoient bientôt cesser, que M. le duc de Sérent prépara sans le savoir contre les rigueurs de l'infortune ceux qu'il ne croyoit avoir à défendre que des séductions de la prospérité. Les sous-gouverneurs des jeunes princes furent MM. de Buffevent, de La Bourdonnaye et d'Arbouville. Ils eurent pour sous-précepteurs l'abbé Marie, savant dans les mathématiques, et l'abbé Guénée, qui a su tourner contre Voltaire l'arme avec laquelle ce beau génie attaquoit la religion. Les illustres élèves revenus en France n'ont point oublié leurs précepteurs après vingt-cinq ans d'exil et la chute d'un empire, ils se sont rappelé, au milieu de tant de souvenirs, l'homme de bien dont ils reçurent les leçons. Ces pieux disciples ont fait ériger à Fontainebleau, où l'abbé Guénée est mort, un monument à sa mémoire : il étoit touchant de les voir soutenir d'une main le trône rétabli et de l'autre élever la tombe de leur humble maître.

CHAPITRE V.

TRAITS DE L'ENFANCE DU PRINCE.

Les deux frères montrèrent des inclinations différentes: Mgr le duc d'Angoulême avoit un penchant décidé pour les sciences, Msr le duc de Berry pour les arts. Celui-ci offroit comme un mélange de l'esprit des Bourbons et des Valois par sa mère et par ses aïeules, il tenoit quelque chose du génie de l'Italie.

On raconte mille traits ingénieux de son enfance. Il étoit fongueux comme l'élève de Fénelon, mais plein de saillies d'esprit et d'effusions de cœur. « Si fut enfant plaisant de visage et assez coulouré. Si étoit avenant, joyeux en tous ses enfantibles faicts'. » On lut un jour au petit prince quelques scènes du Misanthrope; le lendemain un des maîtres composa une fable : la morale de cette fable étoit que Mgr le duc de Berry n'apprenoit rien et ne se souvenoit point de ses lectures. Le maître, ayant fini, demanda à Son Altesse Royale ce qu'elle pensoit de ce morceau. L'enfant repartit brusquement :

<< Franchement, il est bon à mettre au cabinet. >>

1. Mémoires de Boucicaut.

Un M. Rochon, maître d'écriture des jeunes princes, avoit éprouvé une perte considérable causée par un incendie. Mgr le duc de Berry pria son gouverneur de lui donner vingt-cinq louis pour le pauvre Rochon. M. le duc de Sérent y consentit, mais à condition que le prince satisferoit son maître pendant quinze jours, sans lui parler des vingt-cinq louis. Voilà Monseigneur à l'ouvrage : il trace de grandes lettres, le moins de travers possible. Rochon s'émerveille à ce changement subit, et ne cesse d'applaudir à son élève. Les quinze jours se passent Mgr le duc de Berry reçoit les vingt-cinq louis et les porte triomphant à Rochon. Celui-ci, ne sachant si le gouverneur consentoit à cette générosité, refuse de recevoir l'argent. L'enfant insiste; le maître se défend. L'impatience saisit le jeune prince, qui s'écrie en jetant les vingt-cinq louis sur la table : « Prenez-les, ils m'ont coûté assez cher : c'est pour cela que j'écris si bien depuis quinze jours! »

[blocks in formation]

Le temps du malheur approchoit; Msr le duc d'Angoulême et Me le duc de Berry ne devoient pas jouir même du repos de l'enfance. Leur éducation commençoit à peine, que déjà la monarchie finissoit. On leur enseignoit à être rois, et l'adversité alloit leur apprendre à devenir hommes.

Les têtes des premières victimes avoient été promenées dans Paris; la Bastille étoit tombée. La famille royale, menacée, fut obligée de se retirer le roi même lui en donna l'ordre. Mgr le comte d'Artois partit pour les Pays-Bas 1, et laissa à M. le duc de Sérent le soin de lui amener ses deux fils.

Le péril étoit grand; il falloit traverser le royaume, sans escorte, au milieu des insurrections. Chargé de la fortune et de l'espoir de la France, M. le duc de Sérent cacha son projet aux jeunes princes. Il leur dit qu'il alloit les mener voir en garnison un régiment de hussards qu'ils avoient aperçu sur le chemin et dont ils ne cessoient de lui parler. Les enfants montent avec joie, la nuit, dans une chaise de poste qu'on avoit préparée secrètement : ils croyoient aller à une fête, et ils quittoient leur patrie. M. le duc de Sérent ne dut son salut et

1. Le 16 juillet 1789.

celui de ses élèves qu'à la rapidité de sa course. A peine avoit-il quitté Péronne, qu'une sédition éclata dans cette ville. Lorsqu'il fut prêt à passer la frontière, il apprit aux princes, toujours enchantés du voyage, le but réel de ce voyage et la proscription dont ils étoient l'objet ils jetèrent alors autour d'eux un regard attendri et étonné. Mgr le duc de Berry dit vivement à son gouverneur : « Nous reviendrons. » Malheureux prince, vous êtes revenu!

Des Pays-Bas, M. le duc de Sérent conduisit ses élèves à Turin', où ils furent reçus par leur oncle le roi de Sardaigne, qui avec son auguste famille ne cessa de montrer le plus généreux attachement à la Maison de France.

CHAPITRE VII.

MGR LE DUC DE BERRY A TURIN.

Mgr le duc de Berry amusoit toute la cour par ses reparties et sa vivacité. On retrouvoit en lui, à cette époque, quelques-unes des singularités des divers personnages que l'on avoit vus paroître à Turin depuis le brillant comte de Grammont jusqu'à ces Vendôme, braves, spirituels, insouciants, qui, négligeant tout dans la vie, ne soignoient que leurs victoires.

Mgr le duc d'Angoulême et Mgr le duc de Berry étudièrent un excellent plan d'éducation militaire, tracé par M. le duc de Sérent. Ce plan, formé pour la France, fut, par un changement devenu nécessaire, rendu applicable à un terrain étranger. On se servit des marches de Charles VIII, de Louis XII, de François Ier et de Catinat, héros à Marsaille, solitaire à Saint-Gratien, indifférent aux honneurs, parce qu'il les méritoit tous.

Il y avoit à Turin une bonne école d'artillerie; Mgr le duc d'Angoulême et Mer le duc de Berry en suivirent les exercices. Ils passèrent par tous les grades, depuis le rang de simple canonnier jusqu'à celui de capitaine. Ils chargeoient, pointoient et tiroient leurs pièces avec rapidité et précision. Ils fondirent deux canons, sur lesquels leurs noms furent gravés. Un de ces canons tomba entre les mains des François lors de l'invasion du Piémont; on le voyoit encore il y a quelque temps dans un de nos dépôts d'artillerie : singulier monument de nos conquêtes et des jeux de la fortune!

1. Octobre 1789.

« ZurückWeiter »