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l'ennemi. Dans les campagnes de 1795, 1796 et 1797, Mgr le duc de Berry se trouva présent à tous les combats. A l'affaire de Steinstadt, qui dura toute la journée, l'avant-garde de l'armée de Condé fut chargée de l'attaque du village. Mgr le duc de Berry échappe aux officiers qui l'entouroient, entre dans le village avec les premiers hussards qu'il rencontre, le traverse au milieu d'un feu terrible, s'y maintient plusieurs heures, sous une pluie de bombes et de boulets, et revient tout couvert de sang et de la cervelle d'un brave officier du génie nommé Dumoulin, tué auprès de lui par un obus.

A la tête du pont d'Huningue, Mer le duc de Berry visitoit les ouvrages. Il s'étoit arrêté sur le revers de la tranchée avec quelques officiers. Ce groupe attira le feu de deux pièces de canon placées de l'autre côté du Rhin. Les boulets portèrent et couvrirent de terre le jeune prince, qui ne fut sauvé que par le gabion même renversé sur lui.

A Kamlach, à Munich, à Schussen-Ried, Mgr le duc de Berry combattit encore. Il étudia les mouvements du général Moreau dans sa belle retraite, prenant des leçons de cet habile ennemi. Il sollicita de l'archiduc Charles la faveur de suivre le siége de Kehl : le chevalier de Franclieu, aide de camp de Mgr le duc de Bourbon, fut tué dans les ouvrages à ses côtés. A Offembourg il alloit journellement à la tranchée; et, comme il le dit lui-même dans une de ses lettres, il entendit siffler force boulets, obus et mitraille'.

L'exactitude que Mgr le duc de Berry mettoit dans ses devoirs militaires, il la vouloit trouver dans les autres. Sa vivacité l'emportoit quelquefois. Il avoit blessé par des paroles sévères, à la parade, un officier général : celui-ci fit une réponse hardie, que ses camarades essayèrent en vain de couvrir de leurs voix; le prince l'entendit, et cacha son émotion. Il laissa partir la colonne, fit ensuite appeler l'officier, l'emmena dans un bois avec des témoins, et lui dit : « Monsieur, je crains de vous avoir offensé; ici je ne suis point un prince, je suis un gentilhomme françois comme vous; me voici prêt à vous donner toutes les satisfactions que vous exigerez. » Et il met l'épée à la main. L'officier tombe à genoux, et baise cette noble main qui vouloit non faire une blessure, mais panser celle de l'honneur : c'est Henri IV et Schomberg.

1. Lettre à M. le comte d'Hautefort.

CHAPITRE XIII.

LOUIS XVIII EST PROCLAMÉ A L'ARMÉE DE CONDÉ.

L'armée de Condé offroit l'image d'un camp des premiers Francs; c'étoit toute une patrie: on y trouvoit des princes logés sur des chariots, des magistrats à cheval, des missionnaires enseignant l'Évangile et distribuant la justice. En même temps que l'on se battoit, on s'occupoit des affaires domestiques et de celles de la religion et de l'État : tantôt, après un assaut ou une poursuite, on relevoit une croix que les républicains avoient abattue; tantôt on versoit des larmes aux récits de quelques gentilshommes-soldats qui étoient parvenus à voir l'orpheline du Temple. On s'inquiétoit des destinées futures de l'armée : que deviendroit-elle? que feroit-elle ? Le prince Charles l'avoit louée dans un ordre du jour; on étoit ravi : tous les maux étoient oubliés. Les corps étoient prêts à se dissoudre faute des premières nécessités militaires; on étoit consterné : tout à coup M. le duc de Richelieu arrivoit avec un peu d'or, et le loyal petit-fils du brave maréchal faisoit renaître l'espérance. Sous la tente, au bivouac, autour du feu des grands-gardes, on redisoit des aventures étranges, on racontoit des histoires de son enfance, de sa famille, de son pays, et oubliant les injustices de la France, on admiroit même les victoires des François.

Le 14 juin 1795, on apprit au cantonnement de Steinstadt la mort de Louis XVII. Le 16 au matin l'armée prit les armes. Un autel fut dressé à la lisière d'un taillis: un aumônier y célébra la messe. Après le service divin, Mgr le prince de Condé, accompagné de Mgrs les dues de Berry, de Bourbon et d'Enghien, se tourna vers l'armée, et dit :

« Messieurs, Mgr le duc de Berry m'ordonne de prendre la parole. A peine les tombeaux de Louis XVI, de la reine et de leur auguste sœur se sont-ils fermés, que nous les voyons se rouvrir pour réunir à ces augustes victimes l'objet le plus intéressant de notre amour, de nos espérances et de nos regrets... Après avoir invoqué le Dieu des miséricordes pour le roi que nous perdons, prions le Dieu des armées de prolonger les jours du roi qu'il nous donne. Le roi Louis XVII est mort; Vive le roi Louis XVIII! »

Le canon répondit au cri de l'héritier du grand Condé. Msr le duc de Berry éleva un drapeau blanc, et sur ce pavois du nouveau Champ de Mars proclama le premier le monarque qui devoit lui fermer les yeux.

CHAPITRE XIV.

LE ROI A L'ARMÉE DE CONDÉ.

Ce monarque étoit attendu à l'armée. Il y vint en effet, n'ayant plus d'asile (comme il le dit lui-même dans son ordre du jour), hors celui de l'honneur. Son arrivée excita une grande joie. A la sollicitation de Mgr le duc de Berry, tous les militaires retenus en prison ou aux arrêts pour quelques fautes furent mis en liberté. On étala pour l'entrée du roi dans son nouveau Louvre toutes les pompes de l'armée : on fit tirer le canon, battre les tambours et sonner les trompettes ; on n'avoit pas d'autre musique. On rangea en bataille des soldats à peine vêtus, le visage noirci par la fumée de la poudre, par le soleil et les frimas; on déploya des drapeaux blancs déchirés, percés de boulets, criblés de balles, et semblables à cette oriflamme usée par la gloire que l'on voyoit dans le trésor de Saint-Denis.

Le monarque banni voulut se montrer à son autre armée, à l'armée républicaine qui bordoit la rive gauche du Rhin. Il alla aux gardes avancées des paroles furent échangées entre lui et les postes françois. Cette périlleuse conversation, établie par le roi avec ses sujets égarés, remplit les républicains d'admiration et d'étonnement.

Malheureusement la joie causée par la présence du roi fut de courte durée. La grand ombre de la vieille monarchie effrayoit les ministres des puissances: Charlemagne avec sa peau de loutre, et Louis XIV avec son manteau royal, leur apparoissoient. Un roi de France proscrit, à la tête de quelques exilés, leur sembloit menacer le monde. La politique crut revoir un maître, et le força de se retirer. Circonspection inutile; le génie et le temps ont placé le pouvoir dans cette famille de France: sans trône, elle seroit encore souveraine, et n'a besoin que de son nom pour régner.

Toutefois Louis XVIII demeura assez de temps à l'armée de Condé pour montrer l'intrépidité naturelle à nos monarques. Un assassin (car les Bourbons n'ont plus à combattre que des assassins) tira au roi, par une fenêtre de Dillingen, un coup de carabine: la balle effleura le haut de la tête. Le roi, portant la main au front, se contenta de dire : « Une demi-ligne plus bas, et le roi de France s'appeloit Charles X. ».

Pendant le séjour du roi à l'armée de Condé, il assista au service que cette armée fit célébrer à la mémoire de Charette. Placé entre

Mgr le duc de Berry et Mgr le prince de Condé, il adressa lui-même ce discours aux troupes réunies : « Messieurs, nous venons de rendre les derniers devoirs à celui que vous avez admiré, peut-être même envié jusque sur le champ de bataille de Berstheim, à celui qui tant de fois. a fait entendre ce cri qui m'a causé dans vos rangs une satisfaction si vive, mais que j'aurois beaucoup mieux aimé répéter encore avec

vous. >>

:

C'étoit ainsi que la vieille monarchie s'entendoit partout où elle existoit la fidélité avoit ses échos; le cri de vive le roi! retentissant sur les rivages de la Loire, étoit répété sur les bords du Rhin. Mgr le prince de Condé et ses fils, Mgr le duc de Berry, la noblesse de France honorant dans un camp d'exilés les vaillantes communes de France, un roi proscrit, à la tête de cette noblesse, faisant lui-même l'oraison funèbre d'un sujet fidèle! l'histoire offre-t-elle quelque chose de plus beau? Notre patrie obtenoit alors de grandes victoires; mais elles n'effaceront point le souvenir de ces François persécutés proclamant dans les bois, à la face du ciel, leur souverain légitime, et célébrant les funérailles de ceux qui étoient morts pour lui.

CHAPITRE XV.

REPOS MOMENTANÉ DES ÉMIGRÉS ET DE MGR LE DUC DE BERRY. LES OBSERVATIONS DE CE PRINCE SUR L'ALLEMAGNE.

Des négociations continuelles, des trêves, des paix séparées, donnoient aux émigrés quelques moments de repos. Les uns alloient alors errer dans les vallées des Alpes, visiter les religieux de la Val-Sainte, autre espèce d'exilés sur la terre (mais la révolution les poursuivoit encore dans le désert, car tout étoit envahi, et la solitude manquoit au solitaire); les autres s'enfonçoient dans l'Allemagne, accueillis dans les cabanes, repoussés dans les châteaux, chassés de la porte de ces rois dont ils défendoient les trônes.

Mer le duc de Berry profitoit également de ces intervalles de repos pour voyager et pour consoler sa famille dispersée; il étudioit les nations au milieu desquelles la Providence l'avoit jeté. Il remarquoit que les Allemands, divisés en une multitude d'États, sont tels encore qu'ils étoient du temps de Tacite, c'est-à-dire qu'ils sont moins un peuple que le fond et la base d'autres peuples. Sortis de leurs forêts, transportés sous un ciel plus propice, leur génie natif se développe; ils deviennent des nations admirables et presque indestructibles. Les

Francs, les Angles, les Visigoths, les Goths et les Lombards l'ont prouvé en France, en Angleterre, en Espagne et en Italie. Mais tant que les tribus germaniques habitent leur pays natal, tout semble enseveli chez eux comme dans une mine, ou confus comme dans un chaos.

Un fait singulier n'échappa point à la perspicacité du prince. Il vit avec un intérêt mêlé de surprise que les doctrines du siècle, introduites parmi les Allemands, avoient fait naître dans certains esprits les erreurs sociales, sans y pouvoir détruire les vérités naturelles, enracinées dans un sol fécond et sauvage. Il en étoit résulté un mélange bizarre de folie et de bon sens, de christianisme et de déisme, de libéralisme et de mysticité, d'enthousiasme froid et de métaphysique exaltée, de goût et de barbarie, de corruption et de rudesse. De même que les Cattes, les Bructères, les Chauques adoroient dans les bois une horreur secrète, vague, indéfinie, plusieurs de leurs fils se sont mis à révérer quelque chose de fantastique et de ténébreux, qu'ils ne peuvent ni peindre ni saisir.

CHAPITRE XVI.

LETTRE DE MGR LE DUC DE BERRY A MR LE PRINCE DE CONDÉ. L'ARMÉE DE CONDÉ SE RETIRE EN POLOGNE.

ADIEUX DU PRINCE A CETTE ARMÉE.

Monseigneur le duc de Berry se trouvoit ainsi pour un moment absent de l'armée', lorsqu'il écrivit au prince de Condé cette lettre si touchante par la tendresse et la noblesse des sentiments:

<< Enfin, monsieur, mon frère est arrivé hier: vous jugerez facilement de la joie que j'ai éprouvée en le revoyant. Ma joie est d'autant plus vive que mon retour à l'armée sera très-prompt; nous ne devons rester que cinq ou six jours ici, et nous ne perdrons pas de temps en chemin pour revenir. Je fais bien des vœux pour qu'on ne tire pas des coups de fusil pendant mon absence; mais que cette campagne, qu'on peut bien regarder, je crois, comme la dernière, soit active. Je le désire vivement pour mon instruction et pour mon frère; car je suis persuadé qu'il faut que les Bourbons se montrent, et beaucoup, et que hors de la France ils doivent commencer par gagner l'estime des François avec leur amour. »

1. 1797.

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